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Fiche de travail : explication de texte
C’est une machine à laver, mais elle « sait » qu’au bout de vingt minutes d’ébullition dans le cas du gros
linge, il faut se mettre sur rinçage, qu’au bout de deux rinçages, il faut se mettre sur essorage… On
peut dire aussi qu’une ménagère est « programmée si au lieu de surveiller constamment son rôti, elle
remonte son réveille-matin pour qu’il la prévienne au bout d’une demi-heure…
[…] Et que dire de l’horloge de la cathédrale de Strasbourg ? Si elle était à vendre, il se trouverait des
annonces publicitaires pour louer son programme interne, miracle de l’électronique, le travail magnifique
du bureau d’études de l’évêché, ou pour affirmer que l’ingénieur du projet est en contact permanent
avec Dieu le Père.
L’avalanche de termes techniques qu’on subit un peu plus chaque jour, l’utilisation abusive et ridicule
des mots incontrôlés ne sont pas faits pour simplifier les choses. L’électronique est omniprésente,
irremplaçable ; elle est dans la cuisine, le salon, la voiture, la buanderie, votre stylo, vos lunettes, vos
cheveux qui tombent, vos cheveux qui ne sont pas encore tombés grâce aux shampoings à double
orientation trichlorotransistorisée, à ceux qui repousseront grâce aux massages électroniques.
Si l’exemple de la machine à laver « programmée » a été choisi, c’est parce qu’il est le cas limite de
l’utilisation de la crédulité des gens. Il ne s’agit même plus de crédulité, on ne cherche pas à faire croire
quoi que ce soit, on n’invente rien, on ne trompe pas sur la marchandise, on lâche un mot pour
impressionner, un slogan au pouvoir magique. Ce mot doit se situer à cheval sur le langage scientifique
et sur le langage courant : un programme de télé, des programmateurs, une machine à laver
programmée, ce n’est pas encore « du viol de foule », c’est du niveau de l’anecdote, et cela permet au
public, largement mystifié par ailleurs, d’avoir un certain vocabulaire qui lui permettra de faire
conversation, un peu comme ce lycéen qui, avec un autre échantillon de vocabulaire énonçait ainsi le
début du théorème de Thalès : « Soit deux lignes traversées par une séance.»
Il serait trop facile et irrespectueux de rapporter ici quelques savoureuses conversations, d’adultes cette
fois, parlant des machins électroniques ; le confusionnisme de vocabulaire n’a d’égal dans l’exactitude
que le douloureux amalgame d’idées reçues auquel il donne naissance. […]
Tout cela relève de l’imagination des publicistes, des échotiers et les prouesses simples de l’ordinateur
ne peuvent sous la plume de tous ces gens être présentées sans mystère, sans recherche du
sensationnel.
Le jour où l’ordinateur aura atteint le pouvoir quasi démoniaque qu’on commence à lui prêter, il n’y aura
plus personne pour s’en inquiéter, chacun, docile et abruti sera disposé à voir se réaliser les plus
pessimistes visions réactionnaires des nouvelles de fiction, par exemple : un mégasupercerveau
commandé par des bébé-éprouvettes particulièrement réussis exigeant à la fin d’un de ses sermons
planétaires et bihebdomadaires que le linge sale soit maintenant lavé le long des rivières, sauf
malédiction, pouvant durer plusieurs générations, des infidèles qui ne suivraient pas ses hauts
préceptes.
J.-M. Font et J.-C ; Quiniou Les Ordinateurs : Mythes et Réalités (1968), Gallimard