18 19
B B
B B
arfum parmi les plus précieux, l’aloès exalte la vénération
du roi Salomon pour sa bien-aimée dans le Cantique des
cantiques. « Tes jets font un verger de grenadiers, avec les
fruits les plus exquis : le nard et le safran, le roseau odo-
rant et le cinnamome, avec tous les arbres à encens ; la
myrrhe et l’aloès, avec les plus fins arômes. » Dans les Psaumes, le
poète choisit l’aloès pour dresser un portrait élogieux du roi d’Israël
à l’occasion de ses noces. «Tu aimes la justice, tu détestes le mal,
aussi Dieu, ton Dieu, t’a oint d’une huile de joie, de préférence à tes
compagnons. Tes vêtements ne sont que myrrhe,
aloès et casse. » Quant à la séductrice des
Proverbes, elle tente d’attirer un amant
par de voluptueuses promesses : « J’ai
parfumé mon lit, de myrrhe, d’aloès et
de cinnamome… » Aromate puissant et
sacré, l’aloès est destiné à embaumer
le corps crucifié de Jésus. « Nicodème
[…] vint aussi apportant un mélange
de myrrhe et d’aloès d’environ cent
livres. Ils prirent donc le corps de
Jésus et l’enveloppèrent de linges,
avec les aromates, comme les Juifs ont
coutume d’ensevelir. »
Mais pour trouver les fragrances de
ce parfum-là, il faut oublier Aloe vera,
ou plutôt Aloes socotrina, plante suc-
culente des zones arides, aux feuilles
charnues et épineuses. Malgré ses
mille vertus médicinales, cet aloès à la
’ alos, un parfum d’trnit
senteur fraîche ne peut rivaliser
avec les effluves capiteux du
« bois d’aloès » évoqué dans la
Bible. Cette résine odoriférante
est restée longtemps une énigme.
Importée de l’Asie lointaine,
connue dans le monde arabo-
musulman sous le nom de bois
d’oud, ailleurs de bois d’agar ou
de bois d’aigle, elle ne se recueille
que sur des Aquilaria, de grands
arbres sauvages dispersés dans les
forêts tropicales. Lorsqu’elles sont
agressées par des champignons,
certaines espèces se défendent
en produisant un composé orga-
nique qui accroît la densité du
bois et fait passer sa couleur d’un
beige pâle à un brun très foncé,
au parfum extrêmement puissant.
Ce bois d’aloès, révéré en parfu-
merie pour sa sensualité mais impossible à synthétiser, a de tout temps
valu son pesant d’or… Il faut aujourd’hui encore 70 kilos de bois
pour obtenir 20 ml d’huile essentielle dont le prix avoisine le millier
d’euros. Leur rareté et leur valeur risquent de signer l’arrêt de mort
des Aquilaria, menacés par la surexploitation dans toute l’Asie du
Sud-Est. Le millénaire bois d’aloès ne sera plus alors qu’un parfum
de légende…
‰
Le point de vue du botaniste
Aquilaria agallocha
- L’aloès de la Bible n’est pas l’
Aloe vera
mais un arbre tropical de la famille des
Aquilaria
,
haut de 6 à 20 m, aux feuilles vert foncé, un peu semblables à du cuir.
Leurs fleurs sont discrètes. Des dix-sept espèces que compte le genre,
huit produisent une résine odoriférante en cas d’attaque de certains champignons.
Répartition : En Inde et Asie du Sud-Est, mais
Aquilaria
a pratiquement disparu d’Indonésie,
de Thaïlande et de Birmanie. Il est très menacé en Nouvelle-Guinée et en Malaisie.
L’embaumement du
corps de Jésus, frotté
avec de la résine
de bois d’aloès au
parfum puissant.
’ahalim
UN PARFUM DE CONFUSION ?
L’aloès ne se trouve qu’au pluriel dans la Bible : au masculin ’
ahalim
, au féminin
’ahalot
. Sa
racine en hébreu aussi bien qu’en grec vient de son nom indien
aghil
. Celui-ci a pour origine
le sanscrit
agaru
ou
aguru
, dont le « r » s’est adouci en « l ». Les Portugais, en entendant
nommer cet arbre
agulu
dans leurs comptoirs de la Compagnie des Indes, l’ont peut-être
transcrit
aquilae
, d’où le nom d’
Aquilae lignum
, c’est-à-dire « bois d’aigle ». En grec ancien, il
a été nommé
agallokhon
.