L’angoisse provient du fait que cette évidence du monde ne va plus de soi, elle ne va plus de soi
précisément dans la mesure où le monde est une énigme. En effet, nous ne connaissons pas
vraiment le monde et nous nous appuyons dès lors sur quelque chose dont nous n’avons ni
l’initiative, ni la maîtrise. Eugen Fink insiste sur le fait que les êtres humains ont tendance à refouler
cette question du monde qui ne sert aucun projet. Ils ont tendance à penser que cela ne sert à rien de
poser le problème du monde.
L’interpellation du monde
Cependant, ce problème met une chose en évidence. Il met en évidence le fait que notre manière
d’interroger le monde et ses choses est orientée par des catégories (causalité, quiddité) et que ces
catégories sont difficilement applicables à l’existence humaine. Quand le monde nous interroge,
nous appelle, nous sommes au vocatif et la pensée se décline sur ce mode vocatif. Le vocatif est de
l’ordre d’une interpellation et penser n’est possible que si nous sommes interpellés. L’interpellation
est alors la chose la plus importante. Comme se fait-il que nous sommes interpellés par le monde ?
Comment se fait-il que nous sommes interpellés par autrui ? Tout le problème est précisément celui
de l’énigme du monde et d’autrui. Le fait que nous soyons interpellés ne tient pas uniquement à la
causalité et à la quiddité des choses et des êtres. C’est la donation elle-même qui nous interpelle,
c’est cette donation originaire du monde. Ce qui est important ici c’est l’implication de la prise au
sérieux de cette donation sur notre comportement à l’égard des choses. C’est là que se joue
l’essentiel. Mais pourquoi les choses nous sont-elles indifférentes dès lors qu’on ne les explique
plus ? Dès lors qu’on plus d’explication, les choses ne sont plus intéressantes pour nous. Et c’est ce
qui peut se passer entre les hommes. Si autrui nous paraît trop opaque, il nous désintéresse.
Pourquoi ? C’est parce que nous confondons l’étant avec son être. Le monde se donne comme
quelque chose qui est et qui ne peut pas être interrogé sur le mode du pourquoi. Nous ne pouvons
interroger le monde sur le mode du pourquoi. Les choses nous interpellent tout simplement et il
s’agit de tenir compte du mode d’être des choses et non pas de leur pourquoi. L’être humain n’a pas
le même mode d’être que les choses. En effet, les choses sont présentes tandis que l’être humain
existe. Et exister n’est pas du tout la même chose qu’être présent. Exister, c’est décider de soi à
chaque moment. La décision implique bien entendu la liberté et cette liberté n’est pas indifférente
mais a trait à l’horizon dans lequel on se situe. Qu’est-ce que nous voulons devenir ? Qu’est-ce que
nous voulons être ? Autrement dit, exister c’est bien autre chose qu’être présent et c’est aussi autre
chose que se comporter strictement selon des lois et règles déterminées une fois pour toutes.
L’homme est en effet celui qui est libre et qui peut commencer quelque chose. C’est aussi en ce
sens que les choses nous interpellent. En d’autres termes, l’énigme du monde porte aussi l’énigme
différenciée selon les modalités d’être de chaque chose, de chaque réalité.
Lorsque l’on regarde la réalité d’une certaine façon, l’on cesse de vouloir se l’approprier comme
cela qui est bien connu. Et c’est bien ce que cherche à faire la phénoménologie. En effet, lorsque
nous entendons parler d’une thèse du monde, nous entendons le plus souvent dans cette expression
« un champ de validité ». Mais on ne peut pas constater une donation, on peut seulement en faire
l’expérience. Si nous nous interrogeons sur notre relation au monde, nous pouvons découvrir que le
monde et ses divers horizons est avant tout donné. Mais cette donation n’est en aucun cas un état de
fait. Nous opérons le plus souvent une inversion. Nous faisons comme si nous pouvions décider du
monde alors que c’est le contraire : nous dépendons de celui-ci.
D’une certaine façon, cette évidence que le monde est là est généralement oubliée. Nous sommes
peut être ouverts au fait que les choses soient là mais d’un coup, nous n’en parlons plus si cela ne
fait pas problème. C’est ce qu’affirme Eugen Fin lorsqu’il dit que « la thèse générale est pourtant
une position que nous n’accomplissons pas ouvertement et expressément, mais dans un oubli. Nous
sommes ouverts à l’être ou au non-être des choses, mais non pas à l’être-allant-de-soi du champ
d’objet. » Mais, il s’agit de comprendre que lorsque l’on parle de don, nous dépendons de ce que
lon reçoit et c’est ça, cette dépendance originaire au monde, qui n’est pas pensée. Et c’est bien cela
que Husserl et tout le courant phénoménologique tentent de mettre au jour, le fait que nous