universite de lausanne

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Université de Lausanne
Faculté des Lettres – Section de philosophie
Chaire de philosophie générale et systématique
Cours de philosophie générale automne 2010
Professeur : R. Célis, Assistante : S. Burri
« Introduction à la phénoménologie »
La suspension des thèses métaphysiques et la visée
La fois dernière, nous avons commencé à étudier le texte d’Eugen Fink « La philosophie comme
dépassement de la naïveté » dans son ouvrage Proximité et Distance et notamment ce point où Fink
explique ce moment qui consiste à suspendre toute thèse métaphysique sur le monde, thèse qui
viserait à qualifier les choses de manière définitive. Il s’agit donc d’éviter les spéculations
métaphysiques donc. Cependant, nous ne pouvons pas nier qu’il y a un horizon toujours déjà là. En
effet, nous avons toujours en arrière plan l’horizon du monde et cet horizon du monde est
irréductible. Il est donc impossible de diriger sa pensée, son intelligence, son action vers quelque
objet sans présupposer l’existence de ce monde. Et c’est cet horizon du monde qui offre des
contenus potentiels aux visées. A ce propos, Eugen Fink va parler d’intentions vides lorsque nous
visons l’au-delà de notre visée. Il s’agit de comprendre que nous avons comme un halo, un spectre
de visées potentielles que nous pouvons alors remplir ou laisser vides à notre guise. En effet, nous
percevons les choses et le monde en tant que nous pouvons nous diriger (ou non) vers un objet.
Nous ne sommes jamais de purs percepteurs immobiles. Bien au contraire, nous nous mouvons dans
l’espace de manière à avoir des esquisses, des nuances (Abschattungen) du monde. C’est cette
mobilité, cette motricité qui accompagne toutes les perceptions. Pour cela, il faut avoir un sol et ce
sol c’est le monde.
L’horizon du monde
C’est donc ce sol qu’est pour nous le monde qui est le reste absolu, irréductible que nous ne
pouvons pas suspendre. Toutefois, il faut comprendre ici que le monde n’est pas encore l’être. Ce
qui est dit ici c’est seulement que nous ne pouvons pas exercer nos facultés sans cette base qu’est le
monde. La thèse de l’attitude naturelle et spontanée est l’une des thèses fondamentales de la
phénoménologie. Cette attitude naturelle est accompagnée d’attentes qui sont soit des anticipations
qui appartiennent à la visée elle-même et la prolongent ; ce sont alors des protentions à l’aide
desquelles nous complétons la visée en devinant ce qui va la prolonger, soit des rétentions qui
impliquent que nous retenions notre visée. Dans une visée, on retient et en même temps on anticipe
sur ce qui est imminent pour prolonger les rétentions.
L’énigme du monde
La thèse de l’horizon du monde peut être mise en péril ou du moins, être l’objet d’un doute. Bien
que le monde soit un irréductible, il se peut que l’existence de ce monde devienne problématique et
que nous nous étonnions. Cet étonnement face au monde se rapproche de l’attitude philosophique
traditionnelle. Le fait que le monde soit là, le fait qu’il y ait quelque chose plutôt que rien, est une
énigme. Le fait que les choses soient et qu’elles soient d’une certaine manière (par exemple
l’homme est au monde d’une certaine manière qui se différencie de la manière d’être au monde de
l’animal) est quelque chose de tout à fait étonnant. Nous sommes donc parfois surpris, étonnés du
monde. Cet étonnement peut prendre plusieurs formes. Par exemple, il peut prendre la forme de
l’angoisse. Ce qui provoque de l’angoisse, c’est la perte de l’évidence. Autrement dit, l’angoisse est
générée par le fait que l’on sent ce sol qu’est le monde se dérober dans une secousse quasi sismique.
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L’angoisse provient du fait que cette évidence du monde ne va plus de soi, elle ne va plus de soi
précisément dans la mesure où le monde est une énigme. En effet, nous ne connaissons pas
vraiment le monde et nous nous appuyons dès lors sur quelque chose dont nous n’avons ni
l’initiative, ni la maîtrise. Eugen Fink insiste sur le fait que les êtres humains ont tendance à refouler
cette question du monde qui ne sert aucun projet. Ils ont tendance à penser que cela ne sert à rien de
poser le problème du monde.
L’interpellation du monde
Cependant, ce problème met une chose en évidence. Il met en évidence le fait que notre manière
d’interroger le monde et ses choses est orientée par des catégories (causalité, quiddité) et que ces
catégories sont difficilement applicables à l’existence humaine. Quand le monde nous interroge,
nous appelle, nous sommes au vocatif et la pensée se décline sur ce mode vocatif. Le vocatif est de
l’ordre d’une interpellation et penser n’est possible que si nous sommes interpellés. L’interpellation
est alors la chose la plus importante. Comme se fait-il que nous sommes interpellés par le monde ?
Comment se fait-il que nous sommes interpellés par autrui ? Tout le problème est précisément celui
de l’énigme du monde et d’autrui. Le fait que nous soyons interpellés ne tient pas uniquement à la
causalité et à la quiddité des choses et des êtres. C’est la donation elle-même qui nous interpelle,
c’est cette donation originaire du monde. Ce qui est important ici c’est l’implication de la prise au
sérieux de cette donation sur notre comportement à l’égard des choses. C’est là que se joue
l’essentiel. Mais pourquoi les choses nous sont-elles indifférentes dès lors qu’on ne les explique
plus ? Dès lors qu’on plus d’explication, les choses ne sont plus intéressantes pour nous. Et c’est ce
qui peut se passer entre les hommes. Si autrui nous paraît trop opaque, il nous désintéresse.
Pourquoi ? C’est parce que nous confondons l’étant avec son être. Le monde se donne comme
quelque chose qui est et qui ne peut pas être interrogé sur le mode du pourquoi. Nous ne pouvons
interroger le monde sur le mode du pourquoi. Les choses nous interpellent tout simplement et il
s’agit de tenir compte du mode d’être des choses et non pas de leur pourquoi. L’être humain n’a pas
le même mode d’être que les choses. En effet, les choses sont présentes tandis que l’être humain
existe. Et exister n’est pas du tout la même chose qu’être présent. Exister, c’est décider de soi à
chaque moment. La décision implique bien entendu la liberté et cette liberté n’est pas indifférente
mais a trait à l’horizon dans lequel on se situe. Qu’est-ce que nous voulons devenir ? Qu’est-ce que
nous voulons être ? Autrement dit, exister c’est bien autre chose qu’être présent et c’est aussi autre
chose que se comporter strictement selon des lois et règles déterminées une fois pour toutes.
L’homme est en effet celui qui est libre et qui peut commencer quelque chose. C’est aussi en ce
sens que les choses nous interpellent. En d’autres termes, l’énigme du monde porte aussi l’énigme
différenciée selon les modalités d’être de chaque chose, de chaque réalité.
Lorsque l’on regarde la réalité d’une certaine façon, l’on cesse de vouloir se l’approprier comme
cela qui est bien connu. Et c’est bien ce que cherche à faire la phénoménologie. En effet, lorsque
nous entendons parler d’une thèse du monde, nous entendons le plus souvent dans cette expression
« un champ de validité ». Mais on ne peut pas constater une donation, on peut seulement en faire
l’expérience. Si nous nous interrogeons sur notre relation au monde, nous pouvons découvrir que le
monde et ses divers horizons est avant tout donné. Mais cette donation n’est en aucun cas un état de
fait. Nous opérons le plus souvent une inversion. Nous faisons comme si nous pouvions décider du
monde alors que c’est le contraire : nous dépendons de celui-ci.
D’une certaine façon, cette évidence que le monde est là est généralement oubliée. Nous sommes
peut être ouverts au fait que les choses soient là mais d’un coup, nous n’en parlons plus si cela ne
fait pas problème. C’est ce qu’affirme Eugen Fin lorsqu’il dit que « la thèse générale est pourtant
une position que nous n’accomplissons pas ouvertement et expressément, mais dans un oubli. Nous
sommes ouverts à l’être ou au non-être des choses, mais non pas à l’être-allant-de-soi du champ
d’objet. » Mais, il s’agit de comprendre que lorsque l’on parle de don, nous dépendons de ce que
lon reçoit et c’est ça, cette dépendance originaire au monde, qui n’est pas pensée. Et c’est bien cela
que Husserl et tout le courant phénoménologique tentent de mettre au jour, le fait que nous
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dépendons du monde. Fink le dit à sa façon lorsqu’il affirme que notre être-dirigé-vers-le-monde est
d’abord irréfléchi : « L’être-dirigé, l’intentionnalité est généralement l’intentionnalité irréflexive,
objective (gegenständ lich). Nous vivons au sein du monde tournés vers les choses. La multiplicité
des modes de vécus, des modes d’apparitions et d’expositions d’une unique chose ne nous intéresse
normalement pas. Nous vivons au travers d’elles, mais ne les objectivons pas elles-mêmes ; nous
sommes pour ainsi dire obnubilés (verschossen) par les choses et aveugles pour la richesse de la vie
subjective-donatrice. » Cette attitude est ce qu’on peut appeler l’objectivisme naturel. Nous
objectivons les choses de manière spontanée. Pour comprendre cela, il faudrait remonter, pour le
moins, aux origines de la science moderne. Ce qu’il faut ici bien comprendre c’est que lorsque l’on
parle de monde c’est le rapport intentionnel que nous entretenons aux choses qui fait monde (et non
pas les choses mêmes). Autrement dit, l’expérience du monde se fait différemment selon
l’environnement. C’est donc le rapport qui fait monde et si le rapport change, c’est aussi le monde
qui change d’aspect. En effet, Fink affirme que « Ni les seuls objets, ni le seul sujet, mais seulement
l’ensemble des deux est toujours dans le monde. Par conséquent, le monde ne peut pas être
seulement un vaste champ d’objets, mais il est le tout englobant et comprenant par avance toute
relation intentionnelle. » Et c’est dire ici que nous sommes inclus dans ce monde, que nous
sommes, nous aussi du monde.
Compte-rendu de la séance du 16 novembre 2010
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