Etre responsable, c'est prendre en charge une part de fragilité et en
répondre par un agir adéquat. C’est aussi répondre de ses faits et gestes, et en
répondre devant autrui, éventuellement devant une instance juridique; c’est
répondre devant sa conscience, ou encore devant Dieu. C’est encore répondre
pour... par ex. un service hospitalier dont on a la charge, des mineurs dont on a la
tutelle; enfin, c’est parfois répondre avec autrui; et, de toutes façons, répondre
avec la totalité de ce que l’on est et a été.
On assiste ainsi dans notre société à des engagements dignes
d’admiration, en particulier vis-à-vis des exclus, des marginaux, des malades...
Certains exercent même leur responsabilité d’homme, de femme, jusqu’à risquer
leur vie. Et pourtant, simultanément, la responsabilité reçoit aussi bien des coups
de boutoir. Trop de contemporains passent sous silence la fragilité humaine,
donnant à croire que celle-ci peut et doit à terme être vaincue (par ex. par la
médecine) voire éliminée (avortement, euthanasie...). D’autres invitent au nom
d’une autonomie confondue avec une autarcie orgueilleuse à « jouir sans
entraves », à maîtriser le monde sans limites... De telles distorsions du lien social
provoquent d’autant plus de ravages qu’elles s’accompagnent parfois d’une
certaine dissolution de la culpabilité personnelle, notamment sous l’influence
d’une socialisation de la gestion des risques. En effet, les réparations collectives,
le développement de l’assurance tout risque, la notion de « risques partagés »
ouvrent certes à l’entraide sociale, mais s’accompagnent aussi d’un déclin de la
responsabilité individuelle.
Enfin, on assiste à une confusion de plus en plus fréquente entre les
domaines moral et juridique. Ce qui ne clarifie ni le travail du discernement
éthique ni celui de la justice. En réalité, on peut être responsable et coupable
devant le droit, et responsable et non coupable devant la morale: quand sous
l’effet de la tempête une tuile tombe du toit et blesse un passant, le propriétaire
est juridiquement responsable et le plus souvent moralement innocent. On peut
aussi tenu quitte par le droit, mais être responsable et coupable du point de vue
moral, par ex. en refusant, par dédain, de rendre visite à un parent hospitalisé. On
peut encore être responsable et coupable, et devant le droit et devant la morale
(pour un assassinat par ex.). Bien plus, on peut parfois être amené, au nom de la
responsabilité morale, à transgresser soit la lettre d’une loi juste pour mieux en
appliquer l’esprit, soit le contenu d’une loi injuste (cf. loi antisémite du régime
de Vichy).
Bref, la responsabilité est parfois lourde à porter. Mais c’est elle qui fait la
grandeur de l'homme, car par elle il ose répondre de sa petitesse. La vraie
responsabilité, celle qui fortifie l’humanité, est celle qui assume sa fragilité.
Marie-Jo Thiel