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Durban 2001
Une étape décisive dans la lutte pour la reconnaissance des droits des dalit.
Rédacteur : Gaëlle-Aline Fonlupt
Droits de l’homme ou le droit d’être un être humain.
Cela fait maintenant plus de cinquante ans que les Nations assemblées ont proclamé que la
plus haute aspiration de l'homme était la construction d'un monde tous les membres de la famille
humaine, égaux en droit et en dignité, seraient libres de parler, de croire, libérés de la terreur mais
aussi de la misère. Le monde est aujourd'hui déchiré.
L'égalité en droit et en dignité constitue le fondement des droits de l'homme. Les
discriminations sont des atteintes portées, dans les faits, à ce principe. Ce sont des différences de
traitement arbitraires à l'égard de personnes en raison de leur appartenance à un groupe le plus souvent
vulnérable ou victime de préjugés. Elles interdisent à certains de se prévaloir également de l'ensemble
des droits universellement reconnus " sans distinction aucune ".
L'article 7 de la Déclaration universelle précise que " tous ont droit à une protection égale contre
toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle
discrimination ".
Elles sont manifestes dans différents points du globe et parfois ancrées au plus profond de la
société car elles trouvent leurs racines dans un système de valeurs socio-religieuses légitimé par des
millénaires d’existence. C’est le cas en Inde le système des castes engendre l’exclusion de plus de
170 millions d’êtres humains qui sont déclaré « Intouchables » car « impurs » de par leur naissance.
Un contraste de taille ; l’intouchabilité.
L’Inde, n’en est pas à un contraste près. Celle que l’on désigne parfois comme étant « la plus
grande démocratie du monde » et qui parade au 7ème rang des puissances industrielles, ouverte sur une
modernisation impressionnante, dotée d’une culture riche et fascinante, est aussi un pays de plus de
400 millions d’analphabètes, plus de 600 millions d’individus n’ont pas accès aux soins, et 200
millions de personnes sont privées d’eau potable.
La pauvreté d’une vaste majorité de la population est aggravée par le poids écrasant de ce
système de castes extrêmement inégalitaire, mis en place progressivement depuis plus de deux mille
ans, et traduit dans des principes religieux qui figent ces disparités socio-économiques par des règles
de conduite rigides et complexes.
Les plus grandes victimes en sont les Dalits, considérés dans ce système comme des sous-
hommes, et qui représentent entre 17% et 20% de la population, soit 170 à 200 millions d’hommes, de
femmes et d’enfants soumis à une humiliation et une oppression quotidiennes.
Une discrimination enracinée dans la tradition
Dalit signifie « homme brisé », « opprimé » : c’est le nom que revendique le mouvement
contemporain des Intouchables en Inde, de ceux qui sont considérés par le système de castes en
vigueur comme « impurs ».
Si « impurs » qu’ils doivent vivre dans des villages parés, ne pas puiser l’eau aux mêmes
puits que les autres, ne pas entrer dans les temples hindous ni même emprunter les rues qui y mènent,
ne pas avoir de contact physique avec les autres. L’endogamie est en effet un principe fondamental : le
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mariage entre Intouchables et gens de caste est donc a priori impensable, et vèrement réprimé par la
société… En revanche, les viols de femmes Intouchables sont, paradoxalement, un moyen de
répression couramment utilisé, ce qui révèle le caractère bassement artificieux de cette règle de
« pureté ».
Les Dalits sont traditionnellement cantonnés aux activités économiques les plus pénibles,
jugées dégradantes et impures (collecte des ordures, vidange manuelle des excréments, tannerie,
ramassage des morts et des carcasses d’animaux, etc…) et les moindres velléités de protestation ou de
revendication du respect de leurs droits et de leur dignité sont violemment et systématiquement
réprimées.
Les castes sont initialement fondées sur l’activité rituelle ou socio-professionnelle et
hiérarchisées en fonction du degré de « pureté » de cette dernière. L’étanchéité des barrières parant
les différentes castes tend à s’amoindrir, par contre, les Dalits ou « hors castes » sont toujours tenus
au ban de la société avec la même implacabilité.
La prégnance de ce système de castes dans le sous-continent indien est telle qu’il s’impose
aux autres religions : ainsi les musulmans et les chrétiens pratiquent-ils les discriminations qui
découlent de ce système de caste (initié par la religion hindouiste), et ce dans tout le sous-continent
indien.
Un double découpage en castes et en jati.s
Le système de castes est aujourd’hui indissociable de la notion de jati et donc de l’activité
professionnelle elle-même. Chacun des cinq « groupes » de la société indienne (les quatre castes et le
groupe des Dalits) est lui-même divisé en jatis, dont le nombre est actuellement estimé à plus de 3700.
La jati (ou « naissance ») détermine un système de catégories sociales ou professionnelles
héréditaires au sein de la société indienne dans son ensemble.
Le concept de jati s’applique donc non seulement aux quatre castes originelles (ou varnas)
il se confond dans ce cas avec le concept de sous-caste , mais également à la masse des Intouchables
à l’intérieur de laquelle il permet d’établir une hiérarchie. L’appartenance à la jati se transmet de
génération en génération, même si l’activité professionnelle effectivement exercée ne correspond plus
en rien à la jati à laquelle on appartient. Chaque jati a tendance à l’endogamie, ce qui permet une
transmission des qualités et secrets professionnels au sein même de la jati. Ce système préexistait au
système de caste qui n’apparaîtra que des siècles plus tard.
Le système des castes actuel repose donc sur la base d’un double découpage selon les deux
critères de caste et de jati et atteint ainsi une complexité qui va au-delà du simple ordre religieux
quadripartite souvent retenu pour décrire l’organisation de la société indienne.
Instauration de la domination brahmane.
Le système « actuel » a en fait été inven par les Brahmanes à partir de la composition des
grands poèmes épiques (« Mahabharata » et « Ramayana ») dès les temps védiques, vers les XIIe et Xe
siècles avant notre ère.
Mais à cette époque, c’était encore le concept de jati qui prévalait.
Il a fallu attendre l’avènement de la dynastie des Brahmanes Shunga (en 184 av. JC) pour que
le concept de caste s’affermisse véritablement. C’est de cette époque (IIe av. JC) que datent les
« Lois de Manu », ouvrage religieux et juridique fondateur de la tradition hindouiste, « Evangiles » de
la classe brahmanique au pouvoir.
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Le système des castes naît alors en effet de la nécessité d’organiser la société au profit de
la domination brahmana. Il repose sur une structure hiérarchique dont les extrémités supérieure et
inférieure sont respectivement occupées par le Brahmane, « un dieu sur la terre » et l’Intouchable « le
dernier parmi les hommes.
Une légitimisation de la discrimination ethnique par les mythes religieux
Le système des castes tel que nous nous le représentons souvent, c’est à dire sous la forme
d’un ordre quadripartite (appelé « varnashrama ») repose initialement sur une base ethnique à laquelle
est venue se substituer une base religieuse.
A leur arrivée dans la péninsule indienne, les indo-européens (les Aryens, à peau claire, venant
essentiellement d’Iran), instaurèrent une ségrégation vis-à-vis des populations indigènes (les
Dravidiens, à la peau plus foncée).
Cette ségrégation basée sur l’appartenance ethnique a ensuite é justifiée par des
critères religieux définis pour la première fois par les Lois de Manu puis illustrés, quelques siècles
plus tard, par le Vishnu-Purana.
C’est en effet le varnashrama établi dans Vishnu-Purana ouvrage en sanskrit à l’usage des basses
castes écrit entre le IIIe et le Ve siècle qui a véritablement vulgarisé le système des castes.
Ce récit est calqué sur un modèle « chatuvarna », c’est à dire qui fait apparaître quatre varnas
varna » signifiant « couleur » en sanskrit). Cet ouvrage comprend notamment le Purusha Shukta,
genèse des castes, qui présente la naissance de la société humaine comme procédant du
démembrement sacrificiel de l’Homme primordial, le Virat Purusha, incarnation de Brahma :
« Sa bouche devint le Brahmane
Le Guerrier (Kshatriya) fut le produit de ses bras
Ses cuisses furent l’Artisan (vaishya)
De ses pieds naquit le Serviteur (Shudra) ».
C’est pourquoi les membres de ces quatre castes sont dits « deux fois nés », la naissance sacrée (du
corps de Brahma) venant s’ajouter à la naissance naturelle.
Les prémisses
de cette conception
apparaissent déjà
nettement dans les
« Lois de Manu »
ouvrage également
désigné sous le terme
de « Manusmirti » (ou
« Manavadharmashastra
»), écrit au IIe siècle
av. JC dans lequel
Manu (ou Manava),
considéré comme un
fils de Brahma, révèle
la nécessité d’établir
des règles de droit
spécifiques aux
« Intouchables »
Les Lois de Manu
étant la première trace
juridique de la prise
en compte des
Intouchables va
conditionner
l’évolution de leur
statut au fil des siècles.
Extrait des Lois de Manu:
« Toutes les tribus en ce monde, qui sont exclues de la communauté de ceux
qui sont nés de la bouche, des bras, des cuisses et des pieds de Brahma, sont
les Dasyus, qu’ils parlent le langage des Mlechhas (les barbares) ou celui
des Aryens.
Il faut laisser ces tribus demeurer dans leurs montagnes au près de leurs
bocages et subsister au moyen de leurs occupations.
Mais les habitations des Chandalas et des Shwapakas mangeurs de
chiens », soit les impurs Intouchables) doivent se trouver en dehors du village
et n’avoir pour richesses que des chiens et des ânes.
Leurs habits doivent être les vêtements des morts, leur nourriture doit
provenir du restant des mets, le fer noir doit être le métal de leurs ornements.
Leur nourriture doit leur être donnée par d’autres que les Aryens dans de la
vaisselle brisée ; la nuit, ils ne doivent marcher dans les villages ou dans les
villes.
De jour, ils doivent vaquer à leurs occupations tout en se distinguant par le
signe que le Roi aura ordonné de porter ; ils doivent transporter les cadavres
sans entourage, c’est la règle.
Selon l’ordre du Roi, ils doivent toujours exécuter les criminels désignés par
la loi et prendre leurs habits afin de les porter, tout comme leurs lits et leurs
ornements.
Celui qui a un rapport avec une femme d’une de ces plus basses castes sera
condamné à mort.
Si un membre des Chandalas ou d’une autre basse caste qui ne doit pas être
touché comme peut l’être un membre d’une caste « deux fois née », se fait
intentionnellement toucher (par un membre d’une caste « deux fois née »
seulement) il doit être condamné à mort. »
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De plus, les Brahmanes ont pris soin de consolider
le système discriminatoire ainsi défini en
instaurant la notion de kharma qui, justifiant les
inégalités sociales par les actes passés, inhibe les
velléités de révolte.
Le système des castes dont est née la notion
d’intouchabilité ne fait que surplomber l’organisation
segmentaire, clanique et lignagère des jati qui rend le
phénomène de l’intouchabilité encore plus complexe à
cerner et d’autant plus ardue à définir d’un point de
vue juridique.
Les premiers mouvements de contestation.
L’Histoire a en effet été témoin, à plusieurs reprises, de la dénonciation de ces
discriminations, tant par des doctrines établies que par des personnalités autonomes.
Ce fut d’abord le cas, à l’aube même de l’hindouisme, avec son jeune concurrent : le
bouddhisme. Introduit en Inde du Nord-Est au IVème siècle avant JC par le Prince Siddharta
Gautama après son sermon de Benarès, le bouddhisme a provoqué l’une des premières mises en cause
du système des castes, du pouvoir excessif des brahmanes et de la situation inhumaine des
Intouchables dont le sort s’était peu à peu amélioré à l’époque la doctrine prêchée par Bouddha
était prédominante en Inde.
Puis, aux XIVème et XVème siècles, avec le mouvement de la bakti qui récusait également
tout fondement religieux au système de castes l’Inde a connu une période de réforme de l’hindouisme
Enfin, avec l’islam et, dans une moindre mesure, le christianisme : ils offrirent aux Dalits
qui furent les premiers à s’y convertir (en Inde du Nord, les conversions de Dalits à l’Islam à l’époque
celui-ci y régnait furent nombreuses) l’illusion d’une émancipation avant d’avaliser à leur tour le
système établi.
Les pionniers du mouvement de défense des Intouchables.
A partir de la colonisation britannique de la fin du XVIIIème siècle, quelques personnalités
s’avancèrent plus avant sur le chemin de la contestation.
Ce fut notamment le cas de Jotiba Phule (1826-1890), réformateur social qui lutta pour la
cause des Dalits et des basses castes, et qui en 1855, décrivait le principe de castes comme « un
système aussi vicieux et brutal que l’esclavage des Africains aux Etats-Unis, mais basé en Inde non
seulement sur une conquête ouverte et sur la subordination, mais aussi sur la tromperie et l’illusion
religieuse ». Cette tromperie étant selon lui l’essence même de ce que les hautes castes appellent
« hindouisme », Phule prône la disparition de l’hindouisme…
Le kharma et la doctrine de la
réincarnation
Dans la doctrine de la réincarnation, une âme
indépendante du corps quitte la dépouille
mortelle et se réincarne plusieurs fois sur terre
pour apprendre les facettes non intégrées de ses
vies précédentes. C’est l’accomplissement du
kharma. Cette doctrine justifie donc les
conditions de la vie actuelle par les actes
accomplis dans les vies antérieures. Le fait de
naître Dalit est en fait la punition inffligée pour
avoir commis des actes indignes dans une vie
antérieure. Le bon déroulement du kharma
dépend de ce passage par différents états qui a
pour but d’amener chacun au plus près de la
perfection. Toute tentative de révolte est donc,
si ce n’est dangereuse, du moins vaine : on
n’échappe pas à son kharma !
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pondant à ces protestations, le colonisateur britannique prit diverses mesures afin d’atténuer
les conséquences du système des castes pour les Dalits et les membres des varnas inférieures,
notamment en leur donnant la possibilité d’obtenir des emplois plus « nobles ».
Gandhi (1869-1948) se montra également choqué par la misère et les ségrégations dont
étaient victimes les Intouchables et il lutta pour améliorer leur statut, mais c’est avec parcimonie qu’il
s’est engagé sur la voie de la réforme car il n’a jamais remis en cause le système des varnas en lui-
même. Il donna aux Intouchables le nom de « harijans » (enfants de Dieu), terme ambigu car
généralement utilisé pour désigner les enfants des femmes consacrées aux dieux des temples et qui, en
réalité, étaient des prostituées… Finalement, nombre d’Intouchables n’adhérèrent pas à l’approche
gandhienne jugée insuffisamment ambitieuse et trop paternaliste.
Le mouvement de libération des Intouchables n’a ainsi véritablement pris son essor qu’avec
l’action de Bhim Rao Ambedkar (1891-1956), l’un des premiers juristes Intouchables à avoir
pleinement réalisé sa carrière jusqu’à être nommé président du Comité de Rédaction de la nouvelle
constitution de l’Inde indépendante.
B.R Ambedkar est dans une famille de Mahar, une sous-caste d’Intouchables. Grâce à
l’intervention et au soutien de certains professeurs et mécènes, il fut le premier Mahar à faire des
études à l’étranger ; il fut notamment élève du célèbre économiste Séligman. En 1917, il fut nommé
secrétaire du Maharaja de Baroda, dans le but d’être préparé à la fonction de ministre des finances de
l’Etat. Mais il quitta celle-ci pour retrouver sa liberté et exercer le métier de consultant, de comptable,
de professeur d’économie et de droit à Londres.
En 1918, il participa à la conférence sur les défavorisés à Nagpur, en Inde, ce qui fut le point
de départ de son engagement en faveur d’Indiens discriminés. En 1923, il créa l’association Ihitakarini
Sabha afin d’améliorer les conditions économiques et d’exposer les doléances des classes
défavorisées. Grâce à ses efforts, le corps législatif de Bombay décréta que « tout individu quelle que
soit sa caste, avait le droit de vivre en société, de fréquenter les écoles et d’accéder aux fontaines et
puits publics ». En 1929, il défendit la nécessité de séparer les électorats pour les classes défavorisées.
Dans les années 30, il forma le Parti Travailliste Indépendant et, en 1942, fut nommé au
Conseil exécutif du gouvernement général de l’Inde. Après l’indépendance, en 1947, il fut appelé à
présider le Comité de rédaction de la nouvelle constitution de l’Inde. Sous son impulsion, le
gouvernement adopta l’article 17, abolissant l’intouchabilité et interdisant sa pratique.
Dans les années 40, le Docteur B.R Ambedkar s’était converti au bouddhisme après avoir
abandonné l’hindouisme en 1935 ; nombreux furent alors les Dalits qui suivirent son exemple pour
exprimer leur refus du système social hindou qui les discriminait. Aujourd’hui encore, la plupart des
mouvements luttant pour la défense des Intouchables, dits « ambedkaristes » se réfèrent à ses idées et
ses écrits.
Une tentative de définition juridique de « l’Intouchable »
L’intouchabilité est issue d’un concept
religieux traditionnel d’exclusion et apparaît
comme une référence à un concept social
tacite. C’est pourquoi une définition
juridique générale et impersonnelle n’a
jamais véritablement vu le jour malgré
plusieurs tentatives officielles.
La première d’entre issue du recensement de
1911 définit les Intouchables selon 10 critères
tangibles voire prosaïques .
D’après le recensement de 1911 sont considérés
comme Intouchables les individus qui :
- n’ont pas la suprématie des brahmines
- ne reçoivent pas la « bénédiction » des
Brahmanes ou d’autres Gourous hindous
- ne sont pas soumis à l’autorité des Veda
- ne vénèrent pas les dieux hindous
- ne reçoivent pas le culte d’un bon Brahmane
- n’ont pas recours à un prêtre brahmine
- n’ont pas accès aux temples hindous
- sont « polluants »
- enterrent leurs morts (les Hindous de caste les
immolent)
- mangent du boeuf
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