Les Dalits - INDP India

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Durban 2001
Une étape décisive dans la lutte pour la reconnaissance des droits des dalit.
Rédacteur : Gaëlle-Aline Fonlupt
Droits de l’homme ou le droit d’être un être humain.
Cela fait maintenant plus de cinquante ans que les Nations assemblées ont proclamé que la
plus haute aspiration de l'homme était la construction d'un monde où tous les membres de la famille
humaine, égaux en droit et en dignité, seraient libres de parler, de croire, libérés de la terreur mais
aussi de la misère. Le monde est aujourd'hui déchiré.
L'égalité en droit et en dignité constitue le fondement des droits de l'homme. Les
discriminations sont des atteintes portées, dans les faits, à ce principe. Ce sont des différences de
traitement arbitraires à l'égard de personnes en raison de leur appartenance à un groupe le plus souvent
vulnérable ou victime de préjugés. Elles interdisent à certains de se prévaloir également de l'ensemble
des droits universellement reconnus " sans distinction aucune ".
L'article 7 de la Déclaration universelle précise que " tous ont droit à une protection égale contre
toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle
discrimination ".
Elles sont manifestes dans différents points du globe et parfois ancrées au plus profond de la
société car elles trouvent leurs racines dans un système de valeurs socio-religieuses légitimé par des
millénaires d’existence. C’est le cas en Inde où le système des castes engendre l’exclusion de plus de
170 millions d’êtres humains qui sont déclaré « Intouchables » car « impurs » de par leur naissance.
Un contraste de taille ; l’intouchabilité.
L’Inde, n’en est pas à un contraste près. Celle que l’on désigne parfois comme étant « la plus
grande démocratie du monde » et qui parade au 7ème rang des puissances industrielles, ouverte sur une
modernisation impressionnante, dotée d’une culture riche et fascinante, est aussi un pays de plus de
400 millions d’analphabètes, où plus de 600 millions d’individus n’ont pas accès aux soins, et où 200
millions de personnes sont privées d’eau potable.
La pauvreté d’une vaste majorité de la population est aggravée par le poids écrasant de ce
système de castes extrêmement inégalitaire, mis en place progressivement depuis plus de deux mille
ans, et traduit dans des principes religieux qui figent ces disparités socio-économiques par des règles
de conduite rigides et complexes.
Les plus grandes victimes en sont les Dalits, considérés dans ce système comme des soushommes, et qui représentent entre 17% et 20% de la population, soit 170 à 200 millions d’hommes, de
femmes et d’enfants soumis à une humiliation et une oppression quotidiennes.
Une discrimination enracinée dans la tradition
Dalit signifie « homme brisé », « opprimé » : c’est le nom que revendique le mouvement
contemporain des Intouchables en Inde, de ceux qui sont considérés par le système de castes en
vigueur comme « impurs ».
Si « impurs » qu’ils doivent vivre dans des villages séparés, ne pas puiser l’eau aux mêmes
puits que les autres, ne pas entrer dans les temples hindous ni même emprunter les rues qui y mènent,
ne pas avoir de contact physique avec les autres. L’endogamie est en effet un principe fondamental : le
1
mariage entre Intouchables et gens de caste est donc a priori impensable, et sévèrement réprimé par la
société… En revanche, les viols de femmes Intouchables sont, paradoxalement, un moyen de
répression couramment utilisé, ce qui révèle le caractère bassement artificieux de cette règle de
« pureté ».
Les Dalits sont traditionnellement cantonnés aux activités économiques les plus pénibles,
jugées dégradantes et impures (collecte des ordures, vidange manuelle des excréments, tannerie,
ramassage des morts et des carcasses d’animaux, etc…) et les moindres velléités de protestation ou de
revendication du respect de leurs droits et de leur dignité sont violemment et systématiquement
réprimées.
Les castes sont initialement fondées sur l’activité rituelle ou socio-professionnelle et
hiérarchisées en fonction du degré de « pureté » de cette dernière. L’étanchéité des barrières séparant
les différentes castes tend à s’amoindrir, par contre, les Dalits ou « hors castes » sont toujours tenus
au ban de la société avec la même implacabilité.
La prégnance de ce système de castes dans le sous-continent indien est telle qu’il s’impose
aux autres religions : ainsi les musulmans et les chrétiens pratiquent-ils les discriminations qui
découlent de ce système de caste (initié par la religion hindouiste), et ce dans tout le sous-continent
indien.
Un double découpage en castes et en jati.s
Le système de castes est aujourd’hui indissociable de la notion de jati et donc de l’activité
professionnelle elle-même. Chacun des cinq « groupes » de la société indienne (les quatre castes et le
groupe des Dalits) est lui-même divisé en jatis, dont le nombre est actuellement estimé à plus de 3700.
La jati (ou « naissance ») détermine un système de catégories sociales ou professionnelles
héréditaires au sein de la société indienne dans son ensemble.
Le concept de jati s’applique donc non seulement aux quatre castes originelles (ou varnas) –
il se confond dans ce cas avec le concept de sous-caste –, mais également à la masse des Intouchables
à l’intérieur de laquelle il permet d’établir une hiérarchie. L’appartenance à la jati se transmet de
génération en génération, même si l’activité professionnelle effectivement exercée ne correspond plus
en rien à la jati à laquelle on appartient. Chaque jati a tendance à l’endogamie, ce qui permet une
transmission des qualités et secrets professionnels au sein même de la jati. Ce système préexistait au
système de caste qui n’apparaîtra que des siècles plus tard.
Le système des castes actuel repose donc sur la base d’un double découpage selon les deux
critères de caste et de jati et atteint ainsi une complexité qui va au-delà du simple ordre religieux
quadripartite souvent retenu pour décrire l’organisation de la société indienne.
Instauration de la domination brahmane.
Le système « actuel » a en fait été inventé par les Brahmanes à partir de la composition des
grands poèmes épiques (« Mahabharata » et « Ramayana ») dès les temps védiques, vers les XIIe et Xe
siècles avant notre ère.
Mais à cette époque, c’était encore le concept de jati qui prévalait.
Il a fallu attendre l’avènement de la dynastie des Brahmanes Shunga (en 184 av. JC) pour que
le concept de caste s’affermisse véritablement. C’est de cette époque (IIe av. JC) que datent les
« Lois de Manu », ouvrage religieux et juridique fondateur de la tradition hindouiste, « Evangiles » de
la classe brahmanique au pouvoir.
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Le système des castes naît alors en effet de la nécessité d’organiser la société au profit de
la domination brahmana. Il repose sur une structure hiérarchique dont les extrémités supérieure et
inférieure sont respectivement occupées par le Brahmane, « un dieu sur la terre » et l’Intouchable « le
dernier parmi les hommes.
Une légitimisation de la discrimination ethnique par les mythes religieux
Le système des castes tel que nous nous le représentons souvent, c’est à dire sous la forme
d’un ordre quadripartite (appelé « varnashrama ») repose initialement sur une base ethnique à laquelle
est venue se substituer une base religieuse.
A leur arrivée dans la péninsule indienne, les indo-européens (les Aryens, à peau claire, venant
essentiellement d’Iran), instaurèrent une ségrégation vis-à-vis des populations indigènes (les
Dravidiens, à la peau plus foncée).
Cette ségrégation basée sur l’appartenance ethnique a ensuite été justifiée par des
critères religieux définis pour la première fois par les Lois de Manu puis illustrés, quelques siècles
plus tard, par le Vishnu-Purana.
C’est en effet le varnashrama établi dans Vishnu-Purana – ouvrage en sanskrit à l’usage des basses
castes écrit entre le IIIe et le Ve siècle – qui a véritablement vulgarisé le système des castes.
Ce récit est calqué sur un modèle « chatuvarna », c’est à dire qui fait apparaître quatre varnas
(« varna » signifiant « couleur » en sanskrit). Cet ouvrage comprend notamment le Purusha Shukta,
genèse des castes, qui présente la naissance de la société humaine comme procédant du
démembrement sacrificiel de l’Homme primordial, le Virat Purusha, incarnation de Brahma :
« Sa bouche devint le Brahmane
Le Guerrier (Kshatriya) fut le produit de ses bras
Ses cuisses furent l’Artisan (vaishya)
De ses pieds naquit le Serviteur (Shudra) ».
C’est pourquoi les membres de ces quatre castes sont dits « deux fois nés », la naissance sacrée (du
corps de Brahma) venant s’ajouter à la naissance naturelle.
Les prémisses
de cette conception
apparaissent
déjà
nettement dans les
« Lois de Manu » –
ouvrage
également
désigné sous le terme
de « Manusmirti » (ou
« Manavadharmashastra
»), écrit au IIe siècle
av. JC – dans lequel
Manu (ou Manava),
considéré comme un
fils de Brahma, révèle
la nécessité d’établir
des règles de droit
spécifiques
aux
« Intouchables »
Les Lois de Manu
étant la première trace
juridique de la prise
en
compte
des
Intouchables
va
conditionner
l’évolution de leur
statut au fil des siècles.
Extrait des Lois de Manu:
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« Toutes les tribus en ce monde, qui sont exclues de la communauté de ceux
qui sont nés de la bouche, des bras, des cuisses et des pieds de Brahma, sont
les Dasyus, qu’ils parlent le langage des Mlechhas (les barbares) ou celui
des Aryens.
Il faut laisser ces tribus demeurer dans leurs montagnes au près de leurs
bocages et subsister au moyen de leurs occupations.
Mais les habitations des Chandalas et des Shwapakas (« mangeurs de
chiens », soit les impurs Intouchables) doivent se trouver en dehors du village
et n’avoir pour richesses que des chiens et des ânes.
Leurs habits doivent être les vêtements des morts, leur nourriture doit
provenir du restant des mets, le fer noir doit être le métal de leurs ornements.
Leur nourriture doit leur être donnée par d’autres que les Aryens dans de la
vaisselle brisée ; la nuit, ils ne doivent marcher dans les villages ou dans les
villes.
De jour, ils doivent vaquer à leurs occupations tout en se distinguant par le
signe que le Roi aura ordonné de porter ; ils doivent transporter les cadavres
sans entourage, c’est la règle.
Selon l’ordre du Roi, ils doivent toujours exécuter les criminels désignés par
la loi et prendre leurs habits afin de les porter, tout comme leurs lits et leurs
ornements.
Celui qui a un rapport avec une femme d’une de ces plus basses castes sera
condamné à mort.
Si un membre des Chandalas ou d’une autre basse caste qui ne doit pas être
touché comme peut l’être un membre d’une caste « deux fois née », se fait
intentionnellement toucher (par un membre d’une caste « deux fois née »
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seulement) il doit être condamné à mort. »
Le kharma
réincarnation
et
la
doctrine
de
la
Dans la doctrine de la réincarnation, une âme
indépendante du corps quitte la dépouille
mortelle et se réincarne plusieurs fois sur terre
pour apprendre les facettes non intégrées de ses
vies précédentes. C’est l’accomplissement du
kharma. Cette doctrine justifie donc les
conditions de la vie actuelle par les actes
accomplis dans les vies antérieures. Le fait de
naître Dalit est en fait la punition inffligée pour
avoir commis des actes indignes dans une vie
antérieure. Le bon déroulement du kharma
dépend de ce passage par différents états qui a
pour but d’amener chacun au plus près de la
perfection. Toute tentative de révolte est donc,
si ce n’est dangereuse, du moins vaine : on
n’échappe pas à son kharma !
De plus, les Brahmanes ont pris soin de consolider
le système discriminatoire ainsi défini en
instaurant la notion de kharma qui, justifiant les
inégalités sociales par les actes passés, inhibe les
velléités de révolte.
Le système des castes dont est née la notion
d’intouchabilité ne fait que surplomber l’organisation
segmentaire, clanique et lignagère des jati qui rend le
phénomène de l’intouchabilité encore plus complexe à
cerner et d’autant plus ardue à définir d’un point de
vue juridique.
Les premiers mouvements de contestation.
L’Histoire a en effet été témoin, à plusieurs reprises, de la dénonciation de ces
discriminations, tant par des doctrines établies que par des personnalités autonomes.
Ce fut d’abord le cas, à l’aube même de l’hindouisme, avec son jeune concurrent : le
bouddhisme. Introduit en Inde du Nord-Est au IVème siècle avant JC par le Prince Siddharta
Gautama après son sermon de Benarès, le bouddhisme a provoqué l’une des premières mises en cause
du système des castes, du pouvoir excessif des brahmanes et de la situation inhumaine des
Intouchables dont le sort s’était peu à peu amélioré à l’époque où la doctrine prêchée par Bouddha
était prédominante en Inde.
Puis, aux XIVème et XVème siècles, avec le mouvement de la bakti qui récusait également
tout fondement religieux au système de castes l’Inde a connu une période de réforme de l’hindouisme
Enfin, avec l’islam et, dans une moindre mesure, le christianisme : ils offrirent aux Dalits –
qui furent les premiers à s’y convertir (en Inde du Nord, les conversions de Dalits à l’Islam à l’époque
où celui-ci y régnait furent nombreuses) – l’illusion d’une émancipation avant d’avaliser à leur tour le
système établi.
Les pionniers du mouvement de défense des Intouchables.
A partir de la colonisation britannique de la fin du XVIIIème siècle, quelques personnalités
s’avancèrent plus avant sur le chemin de la contestation.
Ce fut notamment le cas de Jotiba Phule (1826-1890), réformateur social qui lutta pour la
cause des Dalits et des basses castes, et qui en 1855, décrivait le principe de castes comme « un
système aussi vicieux et brutal que l’esclavage des Africains aux Etats-Unis, mais basé en Inde non
seulement sur une conquête ouverte et sur la subordination, mais aussi sur la tromperie et l’illusion
religieuse ». Cette tromperie étant selon lui l’essence même de ce que les hautes castes appellent
« hindouisme », Phule prône la disparition de l’hindouisme…
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Répondant à ces protestations, le colonisateur britannique prit diverses mesures afin d’atténuer
les conséquences du système des castes pour les Dalits et les membres des varnas inférieures,
notamment en leur donnant la possibilité d’obtenir des emplois plus « nobles ».
Gandhi (1869-1948) se montra également choqué par la misère et les ségrégations dont
étaient victimes les Intouchables et il lutta pour améliorer leur statut, mais c’est avec parcimonie qu’il
s’est engagé sur la voie de la réforme car il n’a jamais remis en cause le système des varnas en luimême. Il donna aux Intouchables le nom de « harijans » (enfants de Dieu), terme ambigu car
généralement utilisé pour désigner les enfants des femmes consacrées aux dieux des temples et qui, en
réalité, étaient des prostituées… Finalement, nombre d’Intouchables n’adhérèrent pas à l’approche
gandhienne jugée insuffisamment ambitieuse et trop paternaliste.
Le mouvement de libération des Intouchables n’a ainsi véritablement pris son essor qu’avec
l’action de Bhim Rao Ambedkar (1891-1956), l’un des premiers juristes Intouchables à avoir
pleinement réalisé sa carrière jusqu’à être nommé président du Comité de Rédaction de la nouvelle
constitution de l’Inde indépendante.
B.R Ambedkar est né dans une famille de Mahar, une sous-caste d’Intouchables. Grâce à
l’intervention et au soutien de certains professeurs et mécènes, il fut le premier Mahar à faire des
études à l’étranger ; il fut notamment élève du célèbre économiste Séligman. En 1917, il fut nommé
secrétaire du Maharaja de Baroda, dans le but d’être préparé à la fonction de ministre des finances de
l’Etat. Mais il quitta celle-ci pour retrouver sa liberté et exercer le métier de consultant, de comptable,
de professeur d’économie et de droit à Londres.
En 1918, il participa à la conférence sur les défavorisés à Nagpur, en Inde, ce qui fut le point
de départ de son engagement en faveur d’Indiens discriminés. En 1923, il créa l’association Ihitakarini
Sabha afin d’améliorer les conditions économiques et d’exposer les doléances des classes
défavorisées. Grâce à ses efforts, le corps législatif de Bombay décréta que « tout individu quelle que
soit sa caste, avait le droit de vivre en société, de fréquenter les écoles et d’accéder aux fontaines et
puits publics ». En 1929, il défendit la nécessité de séparer les électorats pour les classes défavorisées.
Dans les années 30, il forma le Parti Travailliste Indépendant et, en 1942, fut nommé au
Conseil exécutif du gouvernement général de l’Inde. Après l’indépendance, en 1947, il fut appelé à
présider le Comité de rédaction de la nouvelle constitution de l’Inde. Sous son impulsion, le
gouvernement adopta l’article 17, abolissant l’intouchabilité et interdisant sa pratique.
Dans les années 40, le Docteur B.R Ambedkar s’était converti au bouddhisme après avoir
abandonné l’hindouisme en 1935 ; nombreux furent alors les Dalits qui suivirent son exemple pour
exprimer leur refus du système social hindou qui les discriminait. Aujourd’hui encore, la plupart des
mouvements luttant pour la défense des Intouchables, dits « ambedkaristes » se réfèrent à ses idées et
ses écrits.
Une tentative de définition juridique de « l’Intouchable »
L’intouchabilité est issue d’un concept
religieux traditionnel d’exclusion et apparaît
comme une référence à un concept social
tacite. C’est pourquoi une définition
juridique générale et impersonnelle n’a
jamais véritablement vu le jour malgré
plusieurs tentatives officielles.
La première d’entre issue du recensement de
1911 définit les Intouchables selon 10 critères
tangibles voire prosaïques .
D’après le recensement de 1911 sont considérés
comme Intouchables les individus qui :
-
n’ont pas la suprématie des brahmines
ne reçoivent pas la « bénédiction » des
Brahmanes ou d’autres Gourous hindous
ne sont pas soumis à l’autorité des Veda
ne vénèrent pas les dieux hindous
ne reçoivent pas le culte d’un bon Brahmane
n’ont pas recours à un prêtre brahmine
n’ont pas accès aux temples hindous
sont « polluants »
enterrent leurs morts (les Hindous de caste les
immolent)
mangent du boeuf
5
Cette définition presque simpliste, au moyen de critères pragmatiques, augure de la difficulté
qu’aura à naître une définition véritablement pertinente.
En effet, certains Intouchables revendiquent leur appartenance à une cinquième varna ;
d’autres se disent Shudra ; et presque tous considèrent les membres des castes ou des jatis plus basses
que la leur comme leurs « Intouchables ». De même, toute personne est … intouchable pour un
Brahmine durant le déroulement de la « pudjah » (culte) ; ou encore les femmes, même de haute caste,
sont encore souvent considérées comme « chandali » (impures) pendant leurs menstruationsPar
ailleurs, l’intouchabilité de certaines jatis varie en fonction de leur situation géographique. C’est le
cas de la communauté des pécheurs qui sont intouchables sur la côte Est et touchables sur la côte
Ouest et au Sud (excepté dans une partie du Tamil Nadu). Enfin, on peut être pur, riche et lettré et
devenir intouchable si on a commis un acte dont la gravité est susceptible de compromettre le bon
déroulement de son karma…
La complexité de cette structure, établie par strates successives au cours de l’histoire indienne, est à
garder à l’esprit pour saisir les difficultés auxquelles se sont heurtées les tentatives contemporaines de
réforme du statut des Intouchables.
L’abolition constitutionnelle de l’Intouchabilité
L’article 17 de la Constitution indienne de 1947 dispose que « l’intouchabilité est abolie et
sa pratique, sous quelque forme que se soit, est interdite. »
Il est complété par les articles 15 ; 23 ; 29 ; 325 ; 330 ; 332 ; 334 ; 335 ; 338 ; 340 ; 341… qui
renforcent l’abolition de l’intouchabilité dans une optique positive établissant que toute
discrimination au motif de la religion, de la race, de la caste et du sexe est condamnée et que
toute victime d’une telle discrimination bénéficie d’une protection constitutionnelle.
La constitution n’apportant cependant pas de véritable éclairage juridique sur la notion
d’intouchabilité, ces articles semblent impuissants à l’égard de nombreuses situations. Il faut attendre
une évolution importante du droit positif en faveur des Dalits et une jurisprudence de principe de 1993
de la Cour Suprême pour véritablement cerner l’amplitude de la notion d’intouchabilité en droit à
travers l’expansion de ses effets légaux et jurisprudentiels.
La notion en elle-même ne connaît cependant pas d’explication autonome, indépendante de
ses répercussions in concreto, ce qui interdit toute systématisation théorique pour l’interprétation des
lois concernant les Dalits.
Citoyens bénéficiantd’un statut particulier.
Les ex-Intouchables font avant tout partie de l’ensemble des citoyens indiens. A ce titre, leurs
droits découlent des principes d’Egalité et de Liberté, clefs de voûte de tout Etat démocratique.
Par ailleurs, les ex-Intouchables bénéficient d’un statut particulier. Ils sont membres de
catégories répertoriées dans la Constitution afin de se voir octroyer des avantages transitoires socioéconomiques et politiques fondés sur la nécessité de rétablir une certaine justice sociale.
Ce statut permet de mettre en place des politiques dites de quotas au Parlement, dans l’Administration
et dans le domaine de l’Education nationale (« the Policy of Reservations » d’une part ; des lois et
différentes mesures réglementaires de protection contre la perpétuation de la pratique de
l’intouchabilité («the Atrocities ») d’autre part.
Ces catégories juridiques dans lesquelles sont présents les ex-Intouchables sont au nombre de
trois : les « Scheduled Castes » ( SC), les « Scheduled Tribes » (ST) et les « Other Backward
Classes » (OBC).
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 Les SC renferment la majorité des ex-Intouchables. Toutefois, d’autres « backward classes »
appartiennent également à cette catégorie, sans pour autant être assimilables à des ex-Intouchables.
Par ailleurs, certains ex-Intouchables qui ne sont toujours pas répertoriés dans une « catégorie
constitutionnelle » cherchent à devenir officiellement membre des SC (ou à défaut des OBC):
c’est notamment le cas des Dalits non-hindous.
 Les ST concernent les « Adivasis » ; ce sont les plus anciens habitants de la péninsule indienne qui
survivent en tribus et qui pratiquent des religions non hindoues. Les ST représentent ainsi une
population très particulière au sens ethnologique, vivant de façon nomade ou dans des
communautés territoriales spécifiques et retirées. Cette catégorie comportant quelques jatis d’exIntouchables et ses membres étant victimes de discriminations identiques à celles que subissent
l’ensemble des Dalits, les droits octroyés aux ST sont souvent similaires à ceux des SC, bien que
leur statut juridique diffère.
 Enfin, les OBC visent une population se situant au bas de l’échelle sociale, mais mal définie.
Cette catégorie concerne notamment certains ex-Intouchables répertoriés ni dans les SC, ni dans
les ST.
D’un point de vue sociologique, l’appellation « SC » ne modifie pas fondamentalement la
condition d’un ex-Intouchable, du moins dans le cadre des ses relations sociales avec les membres des
castes supérieures, l’Intouchabilité étant indissociable de la jati. Elle contribue cependant à faire
évoluer de façon positive les représentations que les SC ont d’elles-mêmes. Avec l’attribution d’un
statut juridique particulier qui les fondent à se révolter contre les discriminations, les SC ont acquis un
sens nouveau de leur propre respect, et ce, même si les applications concrètes de ce statut en matière
de discrimination demeurent sporadiques et parcimonieuses.
La catégorie constitutionnelle des SC.
En effet, l’intouchabilité se pratique au sein même des SC et les symptômes de cette forme
d’intouchabilité sont identiques à celle pratiquée par les castes supérieures vis-à-vis des exIntouchables (pratiques concernant notamment l’utilisation de l’eau, les échanges d’aliments).
D’autre part, une des principales lacunes de cette appellation est la discrimination religieuse
qu’elle implique. En effet, à l’origine, l’article 341 de la constitution disposait expressément que
« toute personne professant une religion différente de l’Hindouisme ne pouvait être admise comme
membre des SC » et était donc écartée du bénéfice des mesures protectrices. Or, il existe en Inde de
nombreux ex-Intouchables convertis à d’autres religions – Sikhisme, Bouddhisme (dans le sillage du
Dr Ambedkar), Islam ou Christianisme – qui, appartenant à des jatis considérées comme Intouchables
par le reste de la communauté, subissent les même discriminations que les autres.
Ce constat a fait naître deux amendements à la Constitution qui ont modifié puis supprimé le
paragraphe 3 de l’article 341. Plus exactement, c’est le décret présidentiel dit « Constitution Order,
1950 » - qui avait établi le paragraphe 3 de la constitution - qui a connu deux évolutions majeures. Il a
été amendé une première fois en 1956 : les ex-Intouchable convertis au Shikhisme ont été inclus dans
les SC, puis une deuxième fois en 1990 en faveur des ex-Intouchables convertis au Bouddhisme. En
d’autres termes, les ex-Intouchables relevant de l’Islam et du Christianisme restent exclus de la
catégorie des SC.
Une identité juridique de convention aux limites nombreuses
Le statut de SC constitue donc à bien des égards une identité juridique bancale dont les limites
quant à l’amélioration de la situation des Dalits se manifestent à plusieurs niveaux.
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Les SC forment une catégorie socio-culturellement hétérogène et économiquement extrêmement
défavorisée. Ses contours juridiques ne sont ainsi pas définis de façon suffisamment précise pour
permettre une application efficiente.
Tous les ex-Intouchables n’y sont pas répertoriés pour autant.
Certains ex-Intouchables demeurent exclus des mesures de discrimination positive initialement crées
spécialement pour eux. Seuls les ex-Intouchables hindouisés peuvent être assimilés à des SC, seuls
susceptible d’être protégés des discriminations que tous les Dalits subissent.
Finalement, malgré l’établissement d’un droit relativement remarquable à l’encontre de
l’intouchabilité, la création d’un statut SC imparfait fait du droit un facteur d’évolution
cruellement diminué face à l’inquiétant paradoxe qui fait de l’Inde un Etat dit « démocratique »
reconnaissant les Droits de l’Homme tout en sélectionnant ses titulaires !
Une nouvelle génération de mouvements dalits.
Une loi à elle seule ne saurait toutefois modifier instantanément des mentalités et des
comportements vieux de plus de 2000 ans. Malgré l’abolition constitutionnelle de l’Intouchabilité, la
lutte contre les discriminations quotidiennes devait se poursuivre
C’est pourquoi, après le décès du Dr Ambedkar en 1956 de nombreux mouvements Dalits ont
pris conscience qu’il fallait continuer de lutter sur le plan politique ou social pour revendiquer une
situation économique et une place dans la société plus juste et plus digne.
Une nouvelle génération de mouvements dalits a ainsi vu le jour dans les années 70, à côté de
ceux des écologistes, des féministes et des paysans pauvres comme celui des Dalits Panthers qui a
voulu créer un raz de marée révolutionnaire. Mais en voulant inclure dans leur lutte tous les opprimés
(politiques, économiques, et victimes des religions), ils ont provoqué des dissensions dans leur propre
mouvement. D’autres mouvements sont nés dans la même période, comme par exemple celui des
« Naxalites » paysans pauvres en Andra Pradesh et au Bihar, pour avoir accès à la terre.
Tous ces mouvements de contestation ont fait de la lutte des Dalits le symbole de révolte de masse.
De fait, le mouvement s’exprimait sous de multiples facettes, allant de la résistance contre les
« atrocités » à une aspiration au pouvoir politique, et pouvant se traduire par les armes comme par les
bulletins de vote. Ainsi, si le mouvement Dalit a connu une certaine unification dans les années 80
(lorsque les Dalits, les Other Backward Classes, les paysans, les femmes, les écologistes se sont
regroupés autour de ce qui constituait alors le National Front) force est de constater que ce
mouvement Dalit est aujourd’hui confronté au phénomène de segmentation – le National Front se
trouve notamment en désaccord avec une partie importante du mouvement anti-caste.
Nonobstant les difficultés rencontrées, les différentes formes d’action menées par ces
mouvements ont permis d’obtenir quelques mesures en faveur des Scheduled Castes telles que :
-
les réservations de postes pour les castes défavorisées au Parlement et dans les
Assemblées Régionales
les réservations d’emplois dans l’administration et la fonction publique
des mesures visant à favoriser le développement économique ou l’accès à l’éducation.
Bien qu’ayant eu quelques retombées positives, ces mesures restent très largement
insuffisantes et révèlent l’un des paradoxes de la loi indienne : alors que l’intouchabilité est, en
principe, abolie, il est nécessaire, pour bénéficier des dispositifs susmentionnés de justifier de son
appartenance à une Scheduled Castes au moyen d’un certificat accordé par l’administration.
L’autre paradoxe est que ces mesures ne sont pas étrangères à la pérennisation du système de castes,
car la classification des castes et leur inscription dans la législation contribua à les figer.
La montée de la violence ; nouvelle facette du phénomène de discrimination.
8
L’oppression des Dalits se double d’un autre phénomène dont ils pâtissent également. On
assiste en effet, en Inde, à la montée du "communalisme", c'est à dire des idéologies et des
violences à l'encontre des minorités religieuses.
La destruction de la mosquée
d'Ayodhya en 1992 instrumentalisée par le
BJP et les violences intercommunautaires
qui s'en sont ensuivies en sont un des
exemples les plus spectaculaires. Mais les
violences contre la minorité musulmane (le
Sangh Parivar) ne sont désormais plus les
seules : les chrétiens sont eux aussi devenus
les cibles privilégiées de ces mouvements.
Bien que ces violences soient
dirigées contre les minorités religieuses et
non spécifiquement contre les Dalits, les exIntouchables sont parmi les premiers à être
touchés car ils se sont convertis en masse
(à l’instar du docteur Ambedkar) pour tenter
d’échapper au carcan discriminatoire que la
religion hindoue impose à leur égard.
L’augmentation des déchaînements
de violence ne concerne pas seulement les
non-hindous. Les violences contre les Dalits
ont aussi tendance à s'accroître ces derniers
temps et leur caractère violent est de plus en
plus marqué.
Dès 1997, "La Commission Nationale des SC/ST a observé que les crimes et les atrocités à
l'encontre de SC/ST sont en hausse et dans de nombreux cas les mesures nécessaires pour appréhender
tout de suite les coupables ne sont pas prises ni celles qui visent le soulagement et la réhabilitation des
victimes. Les atteintes aux droits humains commises à l’encontre des Dalits restent de la sorte
impunies dans la plupart des cas car les policiers refusent souvent d’enregistrer leurs plaintes. De
nombreux éléments tendent à prouver qu’il existe un accord tacite entre les hautes castes et la police
en ce qui concerne les violences infligées aux Dalits.
Le renforcement du mouvement Dalit .
Mais les efforts passées en matière de formation, de mobilisation portent leurs fruits.
Malgré les divisions, les manques de ressources humaines et financières, les multiples
obstacles, le mouvement Dalit prend de l’ampleur, s’étoffe, occupe des espaces nouveaux
(politique notament) en s’appuyant sur ses propres organisations ; Ongs, mouvements
populaires, syndicats .
Les alliances avec les autres mouvements sont encore difficiles et laborieuses. Elles sont
d’autant moins aisées que la montée de ce mouvement revendicatif, perçue comme une
menace par les hautes et moyennes castes, entraîne une augmentation du nombre de conflits
entre castes et une répression souvent violente envers les Dalits.
Dans un contexte de tensions intercommunautaire très vives, et de radicalisation du
mouvement ultra-nationaliste hindou, l’émergence du mouvement dalit est ardue et douloureuse.
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Par ailleurs, le gouvernement indien fait la sourde oreille estimant avoir accompli sa part de
réforme.
Mais une étape capitale est franchie avec le lancement en 1998 de la campagne « Les droits des dalit
sont des droits de l’Homme » au niveau national. Il s’agissait de sensibiliser la population dans son
ensemble et les autorités à la cause des Dalits afin de faire appliquer la législation en vigueur.
Les arguments cohérents, pratiques, sérieux de la campagne, basés sur des faits réels vont conquérir
les plus ouverts en Inde. Le succés de celle ci dépasse bientôt en 2000 le contexte national et gagne
l’Asie pour devenir internationale. La campagne aura permis la collecte de 2,5 millions de signatures
en faveur de la cause dalit.
La tenue de la Troisième Conférence Mondiale des Nations Unies contre le Racisme prévue à
Durban du 31 Août au 7 Septembre 2001 s’offre comme une opportunité à pouvoir continuer les
efforts de sensibilisation et de mobilisation des forces ouvertes à la Justice.
La cause Dalit sur la scène internationale
La recherche des appuis à la cause des Dalits a nécessité un travail important d’information et
de sensibilisation. En effet, le système des castes n’est pas un sujet auquel la communauté
internationale est vraiment sensibilisée. Le fait que la plupart des mouvements sociaux et intellectuels
indiens (y compris les plus progressistes), de même que la diaspora indienne dans le monde aient bien
souvent nié vigoureusement toute persistance du système des castes et de l’intouchabilité n’est pas
étranger à cette situation.
D’autre part, les discriminations engendrées par le système des castes sont dénoncées dans la
Constitution et la législation indienne, offrant ainsi sur la scène internationale une image fallacieuse et
par conséquent, d’autant plus difficile à combattre.
Ce qui explique que la mise sur agenda au niveau international de la question de l’intouchabilité ait été
laborieuse.
Les Nations Unies : des avancées positives mais timides
Depuis le début des années 60, les Nations Unies se sont particulièrement penchées sur la lutte
contre les discriminations raciales, en particulier contre l’apartheid en Afrique du Sud.
Le 21 décembre 1965, l’assemblée générale des Nations Unies adopte la Convention
Internationale pour l’élimination de toute forme de discrimination raciale, instrument entré en
vigueur le 4 janvier 1969, et qui compte actuellement 157 Etats pour lesquels il a force juridique.
Selon l’article 1er de cette convention, « l'expression “discrimination raciale” vise toute distinction,
exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale
ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la
jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité des droits de l'homme et des libertés
fondamentales dans les domaines politique, économique, social et culturel ou dans tout autre domaine
de la vie publique. ».
En vertu de ce texte, les États parties sont tenus de garantir le droit de chacun à l’égalité devant la loi
afin d’empêcher les actes de discrimination pratiqués non seulement par leurs propres représentants,
mais aussi par des personnes privées.
Cette Convention a établi un Comité pour l’Elimination des discriminations raciales
(CERD) la première institution visant à l’élaboration d’un traité concernant les droits de l’homme. Ce
comité supervise la mise en œuvre de la Convention, en vérifiant, par le biais des rapports soumis par
les Etats,que les obligations contractées par ces derniers en vertu de la Convention sont respectées.
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Cependant, moins d’un tiers des 157 États parties ont reconnu au Comité le droit de recevoir et
d’examiner des communications émanant de particuliers ou de groupes de particuliers qui affirment
être victimes d’une discrimination raciale. Il est important que tous les États reconnaissent sa
compétence sur ce point. À cet effet, il leur suffit de faire une déclaration aux termes de l’article 14.
C’est une démarche importante qui favorise l’application effective des droits de cette Convention au
bénéfice des victimes de la discrimination raciale dans le monde entier.
Deux conférences mondiales pour combattre le racisme et les discriminations raciales se
sont tenues à Genève en 1978 et en 1983 ; elles se sont principalement penchées sur la problème de
l’apartheid, excluant de fait la question des Dalits.
Par ailleurs, les Nations Unies ont successivement adopté trois Décennies Internationales
contre le racisme et les discriminations raciales (1973-1982 ; 1983-1992 ; 1994-2003) et ce n’est
qu’au début de la troisième que les organisations Dalits (en particulier le Ambedkar Centre for Justice
and Peace) et leur réseau international d’appui (notamment Human Rights Watch, et le Conseil
Œcuménique des Eglises) ont commencé à attirer l’attention des Nations Unies et de la communauté
internationale sur les Droits des Dalits.
La Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies a, en outre, nommé en 1993 un
Rapporteur spécial sur les formes contemporaines de racisme, discriminations raciales, xénophobie et
intolérances qui y sont liées.
En 1996, diverses organisations dalits et internationales ont attiré l’attention du rapporteur
spécial du CERD. Celui-ci a rendu compte de la question de manière constante dans ses rapports
annuels. Le rapport de 1999 pose ainsi la problématique essentielle :
« Compte tenu de la complexité de la question, le Rapporteur avait entrepris de consulter le
Gouvernement indien, de procéder à des recherches documentaires et d’examiner la position du
CERD sur la question. En somme, il s’agissait de se demander si le système séculaire des castes en
Inde, générateur de plusieurs millions d’intouchables, pouvait être assimilé à la discrimination
raciale. »
Le gouvernement indien : de la réticence au déni
L’Inde, en tant que membre des Nations Unies, a accepté depuis 1945 l’obligation, stipulée
par la Charte des Nations Unies de 1945, de travailler à la réalisation des droits humains et des libertés
fondamentales pour tous, sans distinction de race, sexe, langue ou religion. Elle a également ratifié la
Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée par les Nations Unies en 1948.
Le rapporteur du CERD a cependant dû prendre acte du fait que le Gouvernement
indien s’oppose à ce que les discriminations de caste soient couvertes par la Convention, faisant
valoir que « le terme “caste” dénote une distinction sociale et de classe qui n’est pas fondée sur la
race. Cette notion a ces origines dans la division fonctionnelle de la société indienne […]. Les
communautés qui relèvent de la catégorie des castes “énumérées” (scheduled classes) sont propres à
la société indienne et à son évolution historique. La race n’a jamais été un élément du processus
d’identification et de détermination des communautés qui font parties des castes énumérées. Il s’agit
d’une arriération du point de vue social et économique et du point de vue de l’éducation, et non d’une
“race” séparée. »
Le Gouvernement indien se prévaut par ailleurs des diverses mesures constitutionnelles et
législatives prises en faveur des scheduled castes et met en avant la création d’une Commission
nationale sur les castes et tribus énumérées dont le but est de veiller au suivi de ces mesures.
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Les étapes et les argumentations pour l’inclusion du système de caste.
Au vu des éléments évoqués, le Rapporteur spécial rappelle que le CERD a déclaré depuis
1996 que « la situation des castes et tribus défavorisées relève de la convention internationale sur
l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale » (CERD/C/304. add.13,§14).
Lors de sa séance du 27/11/96. LE CERD, discutant sur la base du rapport présenté par l’Inde,
avait en effet estimé que malgré les mesures de discriminations positives, « le problème fondamental
du système de castes n’en demeure pas moins. La société indienne se compose de groupes ethniques
différents et l’argument selon lequel les principales distinctions sont fondées sur la langue, la caste,
la religion ou les caractéristiques régionales, et non sur la race, est inacceptable ». Le CERD a alors
considéré que le « fait que les castes et les tribus soient déterminées par l’ascendance les fait relever
directement de l’article premier de la Convention. »
La Commission des Droits de l’Homme a agit en tant que Comité préparatoire pour cette Conférence
Mondiale. Deux réunions de ce Comité ont été prévues à Genève. La première s’est tenue du 1 er au 5
mai 2000. Le Gouvernement indien y a obtenu que la question du système des castes et des Dalits ne
soit pas inscrite à l’agenda de la Conférence de Durban. La deuxième – et dernière - qui s’est tenue du
30 juillet au 10 août, toujours à Genève n’a pas connu d’avancée significative par rapport à la première
à ce niveau.
Une nouvelle possibilité d’ouverture
Cependant, une ouverture fût possible du côté d’un autre organe des Nations Unies. En effet,
en août 2000, la sous-commission des Nations Unies pour la promotion et la protection des Droits
de l’Homme a voté une résolution sur « les discriminations sur les bases du travail et de la
descendance », se référant ainsi aux éléments fondamentaux du phénomène des discriminations de
caste. Constatant que les discriminations de ce type étaient encore en vigueur dans diverses régions du
monde, malgré les mesures constitutionnelles, législatives et administratives prises par certains
gouvernements pour tenter d’abolir ces pratiques, la sous-commission a exprimé sa préoccupation et a
déclaré que cette forme de discrimination était prohibée par les lois internationales des droits de
l’homme.
Elle a donc décidé de nommer un de ses membres, M. Rajendra K.W. Goonesekere, avocat des droits
de l’homme sri-lankais, afin de préparer un document de travail sur la question pour sa prochaine
session en août 2001.
Il s’agit là d’une opportunité rare de soulever la question des discriminations de caste dans
l’optique d’une mise sur agenda, juste avant la Conférence de Durban, au niveau des organisations
internationales. Cela concernerait l’Inde, mais plus largement l’Asie du Sud, ainsi que le Japon et
l’Afrique de l’Ouest, et cette précision est d’importance afin que cette démarche ne soit pas réduite à
une attaque du gouvernement indien. Nonobstant l’absence de moyens financiers et logistiques à
disposition de la sous-commission pour mener à bien ce travail, il faut espérer que cet effort aboutira
effectivement à des mesures concrètes et constructives.
Conclusion
Le fonctionnement de la communauté internationale en matière de Droits de l’homme est tel
que l’on peut véritablement – au risque d’être taxé d’incongruité – parler de rivalité entre les causes.
Le processus de mobilisation de l’opinion internationale est en effet indissociable de celui d’une
focalisation préalable, réduisant ainsi continuellement le champ médiatique et le rendant de plus en
plus impénétrable pour les causes « oubliées ».
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