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LA PRESSE MONTRÉALDIMANCHE 29OCTOBRE2006
2PLUS
PHOTOCHRISTIEJOHNSTON,COLLABORATION SPÉCIALE
Enplusd’occuperlesemplois lesmoinsvalorisants,les « opprimés»indiens sontl’objetd’abusquotidiens.L’humiliationen estlaformelapluscourante.
LAURA-JULIE PERREAULT
ENVOYÉESPÉCIALE
INDE
DELHI —Semained’initiationau
plus prestigieux institutmédi-
calde l’Inde,cetautomne.Un
étudianten classeterminale
demande àunnouveaude pre-
mièreannée,issu d’une famille
d’intouchables,de s’asseoiràcôté
d’unétudiantbrahmane.L’étu-
diantbrahmane est assissurune
chaise. Pour l’intouchable,cesera
parterre. Puison l’oblige àrépé-
teràvoixhaute: « Jesuisd’une
classeinférieure.»
Quelquesjoursplus tôt,un
autreétudiantaétéaccueilli
danssanouvelle résidenceétu-
dianteparungraffiti. Lemot
dérogatoire « sheddu», utilisé
pour semoquerdescastes
inférieures,avaitétéécriten
grosseslettressurlaportede sa
chambre.
Seconfiantàune journaliste
sous le couvert de l’anonymat,les
deux jeuneshommesontdécidé
de briserle silencesurlesgestes
d’intimidationqueleur ontfait
subirleurspairs duAll Indian
Instituteof MedicalServices.
Leur dénonciation en aattiré
beaucoupd’autres:lesplaintes
ontviteaffluéde collègeset
d’universitésdesquatrecoinsde
l’Inde.Tous rapportaientqu’ils
avaientétéreçus avecmépris
parleurscollèguesde castes
supérieures.
Danslesétablissements
d’éducationsupérieureque
fréquentel’éliteindienne,les
étudiants desbassescastessont
facilesàdétecter.Leursnoms
de familleindiquentle travail
quepratiquaientleursancêtres:
balayeursde planchers,net-
toyeursde toilettes,transpor-
teursde cadavres... La couleur
de leur peau,souventplus fon-
cée,faitle reste.
Démocratisationcontroversée
Lesjeunesmontrésdudoigt
pour avoirfaitdesgestesd’hu-
miliationontnié en blocles
accusations.Maissurle campus
duAll IndiaInstituteof Medi-
calSciences(AIIMS), ilssont
devenus deshérosaux yeux de
plusieurs.
Ungrand nombred’étudiants
de castessupérieuresne digèrent
paslapolitiquegouvernementale
quioblige touteslesuniversités
àréserver15%de leursadmissi-
onsaux dalits,terme quisignifie
oppriméetquiaremplacéle
terme intouchable danslabouche
desprincipaux intéressésdepuis
lesannées50.
Malgrédesmesuresmisesen
placedepuis50ans,lamajorité
d’entre eux demeurentaux plus
baséchelonsde lasociété. Selon
de récentesstatistiques,prèsde
lamoitié desdalits sontillettrés,
alors que, danslescastessupé-
rieures,plus de 70%desgens
saventlireetécrire. Unsystème
de quotas,quiétablitune discri-
minationpositive, aétéinstauré
danslesannées50.
«Lesgensdescastesinférieu-
ressonten train de nous dépasser
àcausedeslois,laissetomber
Shariva,étudiantede deuxième
année àl’AIIMS.Nous devons
leur donnerlapossibilitéde
faireconcurrenceaux autres,
notammenten fondantde bonnes
écolesprimairespartout,mais
nous ne devonspasleur donner
le trophéeavantqu’ilsne l’aient
mérité», poursuit-elle, sous le
regardapprobateur de troisde ses
amies.
La veillede notrerencontre
aucafé en pleinairducampus,
Sharivaetlamajoritédesétu-
diants de médecinede l’AIIMS
ontéluuncandidaten faveur de
l’abolitiondesquotasàlatêtedu
conseilétudiant. « Cesétudiants
quidisentqu’ilssontvictimesde
discriminationdepuisqu’ilssont
arrivéssurle campus racontent
n’importequoi.Tout le monde
adroitàdesplaisanteries.Ça
faitpartie de lavie étudiante»,
affirme KumarHarsh, cetétu-
diantélu.
L’organisationnationale qui
étaitderrièresacampagnede
politiqueétudiante, Jeunesse
pour l’égalité, soutientqueles
quotasne fontqu’empirerles
préjugésbaséssurlescasteset
dénoncele faitquecespasse-
droits profitentaux enfants des
dalits lesplus instruits etnonpas
aux pauvresvillageois.
Lelotdes dalits
L’attitude desétudiants
de médecinene surprend
pasle moinsdumonde le
DrUmakant.Lui-même
issud’une familled’intou-
chables,il abénéficié des
quotaspendantsesétudes
universitaires.
Ilest convaincuqu’il
n’auraitjamaispufaireson
doctoratsanscecoupde pouce.
«J’avaistrèsbienréussil’exa-
mend’entrée etdonc,audébut,
l’administrationde l’université
m’avaitmissurlalisteuni-
verselle,sansquota.Quand je
me suisprésentéàl’entrevue
d’admission, ç’aétéune autre
affaire. Jeme suisfaitrejeter
sansbonne raison.J’aidûme
Les intouchablesontdisparu!
Dans laConstitutionindienne,le statutd’intouchable adisparudepuis 1947.Mais dans la
vraie vie,celle des villes etdes villagesdel’Inded’aujourd’hui,ils représententtoujours 17%
de lapopulation. Nettoyeurs detoilettes,decarcasses d’animaux, balayeurs derue:
une grandemajoritéd’entre eux sonttoujours confinésàdes emploisabjectsdontpersonne
ne veut.Mais pourcombiendetemps ?Depuis 50ans,lesintouchablesse battentpour
briserleurs chaînes etlalutte pourleurs droits faittremblerl’Inde.
LAURA-JULIE PERREAULT
«Vous n’êtesdorénavantplus
deshindous.Ditesquevous ne
vénérerezplus de dieux etde
déesseshindous,quevous ne
mettrezplus lespiedsautem-
ple», ademandé cettesemaine
unmoinebouddhisteà9000
hindous,rassemblésdansle
principalparcde Nagpur,ville
située aucentrede l’Inde.
Habillésde blancde latêteaux
pieds,les9000 Indienssesont
exécutés.Ilsonttourné le dosà
Brahmapour adopterBouddha.
EnInde,aucune télévision
ne s’est déplacée pour couvrir
l’événement.Aucunjournal
nonplus.Lesconversionsde
cegenre, aussispectaculai-
ressoient-elles,sontmonnaie
courante. Pour échapperàla
tyrannie dusystèmede castes,
beaucoupd’Indiens,issusdes
stratesinférieuresde lasociété
etparticulièrementlesintou-
chables,oudalits,décidentde
renierleur foi.
Cettesemaineseulement,
30 000 fermiers ontfaitlamême
chosedansl’ÉtatduKarnataka.
Une petitecérémonie aeulieu
àHyderabad, une desvilles
lesplus prospèresde l’Inde.
La plupart choisissentde mar-
cherdanslespasde Bouddha.
D’autresdansceux de Jésus.
Dansdespiscinesimprovisées,
ilssontbaptisésàlachaîne.
«Jene mourraipashindou»
La datechoisie pour cette
cérémonie n’est pasanodine.
Enoctobre1956,le DrRao
Ambedkar,leaderintoucha-
ble etpèrede laConstitution
indienne,aétél’instigateur de
lapremièregrande conversion
aubouddhisme.
Sixansplus tôt,cemili-
tantdesdroits de lapersonne
avaitréussiàfaireabolirpar
laConstitutionle statutd’in-
touchable.Maisàlaveillede
samort,il avaitdécidéde reje-
terlareligionde sesancêtres,
sourced’oppressionpour luiet
lessiens.
«Jesuispeut-êtrené hindou,
maisje ne le mourraipas»,
avait-ilpromismaintesfois
avantde fairele grand saut.
Cettesemainemarquele 50e
anniversairede cegestelourd
de sens.
«Seconvertir,cen’est pas
seulementfaireunpied de nez
aux brahminsquisecroient
supérieursde naissance, c’est
aussiréalisersoi-mêmequeles
castesne sontqu’une prison
inventée parnous-mêmes», a
ditàLa PresseNanduRam, étu-
diantrencontrédansunbarde
Delhi.
Une cigaretteàlamain,il
pensemaintenantchangerson
nomde famille, liéaudieu
Rama,pour celuiduBouddha,
SiddharthaGautama.
Une tradition deconversions
Bienavantd’embrasserle
bouddhisme,préféréaux autres
religionsparcequ’il est origi-
nairede l’Inde,lesintouchables
ontlongtempschoisid’adhérer
àl’islam.
Lespremièresconversionsont
eulieuen 1200.Selon laCam-
pagnenationale pour lesdroits
desdalits,78 % desquelque
120 millionsde musulmans
indiensontdesoriginesdalites.
Leschrétiensne sontque3%
de lasociété, maisontà90%
desancêtresintouchables.
Leremèdepourguérir
ladiscrimination:laconversion
Encoreaujourd’hui,près delamoitié des dalits
(motquiaremplacé le terme «intouchable ») sont
illettrés,alors que,dans les castes supérieures,plus
de70 %des genssaventlire etécrire.
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