2 PLUS LA PRESSE MONTRÉAL DIMANCHE 29 OCTOBRE 2006 llllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllllll PLUS PHOTO CHRISTIE JOHNSTON, COLLABORATION SPÉCIALE En plus d’occuper les emplois les moins valorisants, les « opprimés » indiens sont l’objet d’abus quotidiens. L’humiliation en est la forme la plus courante. Les intouchables ont disparu ! Dans la Constitution indienne, le statut d’intouchable a disparu depuis 1947. Mais dans la vraie vie, celle des villes et des villages de l’Inde d’aujourd’hui, ils représentent toujours 17 % de la population. Nettoyeurs de toilettes, de carcasses d’animaux, balayeurs de rue : une grande majorité d’entre eux sont toujours confinés à des emplois abjects dont personne ne veut. Mais pour combien de temps ? Depuis 50 ans, les intouchables se battent pour briser leurs chaînes et la lutte pour leurs droits fait trembler l’Inde. LAURA-JULIE PERREAULT ENVOYÉE SPÉCIALE INDE DELHI — Semaine d’initiation au plus prestigieux institut médical de l’Inde, cet automne. Un étudia nt en classe ter m ina le demande à un nouveau de première année, issu d’une famille d’intouchables, de s’asseoir à côté d’un étudiant brahmane. L’étudiant brahmane est assis sur une chaise. Pour l’intouchable, ce sera par terre. Puis on l’oblige à répéter à voix haute : « Je suis d’une classe inférieure. » Quelques jours plus tôt, un autre étudiant a été accueilli dans sa nouvelle résidence étudiante par un graffiti. Le mot dérogatoire « sheddu », utilisé pou r se moquer des castes inférieures, avait été écrit en grosses lettres sur la porte de sa chambre. Se confiant à une journaliste sous le couvert de l’anonymat, les deux jeunes hommes ont décidé de briser le silence sur les gestes d’intimidation que leur ont fait subir leurs pairs du All Indian Institute of Medical Services. Leur dénonciation en a attiré beaucoup d’autres : les plaintes ont vite aff lué de collèges et d’universités des quatre coins de l’Inde. Tous rapportaient qu’ils avaient été reçus avec mépris pa r leurs collègues de castes supérieures. Da n s les ét abl issements d ’é d u c a t io n s u p é r ie u r e q u e fréquente l’élite indienne, les étudiants des basses castes sont faciles à détecter. Leurs noms de famille indiquent le travail que pratiquaient leurs ancêtres : ba layeu rs de pla nchers, nettoyeurs de toilettes, transporteurs de cadavres... La couleur de leur peau, souvent plus foncée, fait le reste. Démocratisation controversée Les jeunes montrés du doigt pour avoir fait des gestes d’humiliation ont nié en bloc les accusations. Mais sur le campus du All India Institute of Medical Sciences (A II MS), ils sont devenus des héros aux yeux de plusieurs. place depuis 50 ans, la majorité d’entre eux demeurent aux plus bas échelons de la société. Selon de récentes statistiques, près de la moitié des dalits sont illettrés, alors que, dans les castes supérieures, plus de 70 % des gens savent lire et écrire. Un système de quotas, qui établit une discrimination positive, a été instauré dans les années 50. « Les gens des castes inférieures sont en train de nous dépasser à cause des lois, laisse tomber Shariva, étudiante de deuxième année à l’AIIMS. Nous devons leur donner la possibilité de faire concurrence aux autres, notamment en fondant de bonnes écoles primaires partout, mais Encore aujourd’hui, près de la moitié des dalits (mot qui a remplacé le terme « intouchable ») sont illettrés, alors que, dans les castes supérieures, plus de 70 % des gens savent lire et écrire. Un grand nombre d’étudiants de castes supérieures ne digèrent pas la politique gouvernementale qui oblige toutes les universités à réserver 15 % de leurs admissions aux dalits, terme qui signifie opprimé et qui a remplacé le terme intouchable dans la bouche des principaux intéressés depuis les années 50. Malgré des mesures mises en nous ne devons pas leur donner le trophée avant qu’ils ne l’aient mérité », poursuit-elle, sous le regard approbateur de trois de ses amies. La veille de notre rencontre au café en plein air du campus, Shariva et la majorité des étudiants de médecine de l’AIIMS ont élu un candidat en faveur de l’abolition des quotas à la tête du conseil étudiant. « Ces étudiants qui disent qu’ils sont victimes de discrimination depuis qu’ils sont arrivés sur le campus racontent n’importe quoi. Tout le monde a droit à des plaisanteries. Ça fait partie de la vie étudiante », affirme Kumar Harsh, cet étudiant élu. L’organisation nationale qui était derrière sa campagne de politique étudiante, Jeunesse pour l’égalité, soutient que les quotas ne font qu’empirer les préjugés basés sur les castes et dénonce le fait que ces passedroits profitent aux enfants des dalits les plus instruits et non pas aux pauvres villageois. Le lot des dalits L’attitude des étudiants de médecine ne surprend pas le moins du monde le Dr Uma ka nt . Lu i-même issu d’une famille d’intouchables, il a bénéficié des quotas pendant ses études universitaires. I l est conva i nc u qu ’i l n’au ra it ja ma is pu fa i re son doctorat sans ce coup de pouce. « J’avais très bien réussi l’examen d’entrée et donc, au début, l’administration de l’université m’avait mis su r la liste u niverselle, sans quota. Quand je me suis présenté à l’entrevue d’admission, ç’a été une autre affaire. Je me suis fait rejeter sans bonne raison. J’ai dû me IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIII Le remède pour guérir la discrimination : la conversion L AU R A -J U L I E P E R R E AU LT « Vous n’êtes dorénavant plus des hindous. Dites que vous ne vénérerez plus de dieux et de déesses hindous, que vous ne mettrez plus les pieds au temple », a demandé cette semaine un moine bouddhiste à 90 0 0 h i ndous, rassemblés da ns le principal parc de Nagpur, ville située au centre de l’Inde. Habillés de blanc de la tête aux pieds, les 9000 Indiens se sont exécutés. Ils ont tourné le dos à Brahma pour adopter Bouddha. En I nde, aucune télévision ne s’est déplacée pour couvrir l ’événement . Auc u n j ou r na l non plus. Les conversions de ce gen re, au ssi s pe c t ac u la ires soient-elles, sont monnaie coura nte. Pour échapper à la tyrannie du système de castes, beaucoup d’Indiens, issus des strates inférieures de la société et particulièrement les intouchables, ou dalits, décident de renier leur foi. C e t te s e m a i ne s e u le me nt , 30 000 fermiers ont fait la même chose dans l’État du Karnataka. Une petite cérémonie a eu lieu à Hyderabad , u ne des v illes les plus prospères de l’ I nde. La plupart choisissent de marcher dans les pas de Bouddha. D’autres dans ceux de Jésus. Dans des piscines improvisées, ils sont baptisés à la chaîne. « Je ne mourrai pas hindou » L a date c hoisie pou r cette cérémonie n’est pas a nodine. E n o c tobre 19 5 6 , le D r R ao A mbed ka r, leader i ntouc hable et père de la Constitution indienne, a été l’instigateur de la première grande conversion au bouddhisme. Si x a n s plu s tôt , ce m i l i- tant des droits de la personne avait réussi à faire abolir par la Constitution le statut d’intouchable. Mais à la veille de sa mort, il avait décidé de rejeter la religion de ses ancêtres, source d’oppression pour lui et les siens. « Je suis peut-être né hindou, ma is je ne le mou r ra i pas », ava it-i l prom is ma i ntes fois ava nt de faire le gra nd saut. Cette semaine ma rque le 50 e anniversaire de ce geste lourd de sens. « Se convertir, ce n’est pas seulement faire un pied de nez au x bra h mins qui se croient supérieurs de naissance, c’est aussi réaliser soi-même que les castes ne sont qu’une prison inventée par nous-mêmes », a dit à La Presse Nandu Ram, étudiant rencontré dans un bar de Delhi. Une ciga rette à la main, il pense maintenant changer son nom de fa m ille, lié au d ieu Rama, pour celui du Bouddha, Siddhartha Gautama. Une tradition de conversions Bien ava nt d ’embra sser le bouddhisme, préféré aux autres religions parce qu’il est originaire de l’Inde, les intouchables ont longtemps choisi d’adhérer à l’islam. Les premières conversions ont eu lieu en 1200. Selon la Campagne nationale pour les droits des dalits, 78 % des quelque 1 2 0 m illions de musu l ma ns indiens ont des origines dalites. Les chrétiens ne sont que 3 % de la société, mais ont à 90 % des ancêtres intouchables.