N° 172 - La Contre

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La Contre-Réforme Catholique au XXI e siècle
IL EST RESSUSCITÉ !
N o 172 - Février 2017
Rédaction : frère Bruno Bonnet-Eymard
Mensuel. Abonnement : 30 €
DEU X IÈM E SU PPLIQU E
A U PA P E F R A N Ç O I S
Maison Saint-Joseph, le 2 février 2017,
en la fête de la Présentation.
Très Saint Père,
À votre prédécesseur, le pape émérite Benoît XVI,
des amis communs demandèrent un jour, alors qu’il
n’était encore que le cardinal Ratzinger, en charge de
la Congrégation pour la doctrine de la foi auprès du
pape Jean-Paul II, pourquoi il ne répondait jamais aux
suppliques de l’abbé de Nantes. Le cardinal répondit
que c’était une « question de principe ».
Sachant que vous faites profession d’un principe
contraire, et que nous vous voyons chaque jour
répondre à toutes les plus humbles sollicitations, et
« À la fin mon Cœur Immaculé triomphera. » ( 13 juillet 1917 )
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n’ayant cependant reçu aucun accusé de réception de
votre part, je conclus que l’on n’a pas jugé opportun,
au Vatican, de vous remettre ma supplique du 4
octobre 2016.
À moins que l’annonce d’une indulgence plénière,
accordée à partir du 26 novembre dernier, à l’occasion
de l’année jubilaire que vous avez impérée, ne soit
votre réponse. Nous vous en sommes très reconnaissants,
Très Saint Père, mais cela ne suffit pas.
Je me permets donc de revenir à la charge, mais
par la voie publique, espérant que mon cri jeté à la
Face de Dieu dans le désert vous parviendra, Dieu
voulant, afin que vous vous rendiez aux volontés très
précises de Notre-Dame de Fatima.
Très Saint Père,
Nous sommes entrés dans l’année du centenaire
des apparitions de Notre-Dame de Fatima descendue
du Ciel sur notre terre en 1917, au cœur de la
Première Guerre mondiale, pour livrer une « bataille
décisive » aux enfers qu’elle a montré aux trois petits
voyants. Sœur Lucie précisait quarante ans plus tard :
« Une bataille décisive est une bataille finale où l’on
saura de quel côté est la victoire, de quel côté est la
défaite. » (au Père Fuentes, le 26 décembre 1957 )
Pour remporter cette victoire, la Reine du Ciel
a confié aux trois petits voyants, Lucie, François
et Jacinthe, au cours de sa troisième apparition, le
13 juillet 1917, son intention de venir demander
la consécration de la Russie à son Cœur Immaculé
et la communion réparatrice des premiers samedis.
« Si on écoute mes demandes, disait-elle, la Russie se
convertira et on aura la paix. Sinon, elle répandra ses
erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et
des persécutions contre l’Église. »
C’est le spectacle que nous offre le monde aujourd’hui, Très Saint Père, parce qu’ « On » n’a pas
encore écouté les demandes de la Reine du Ciel.
Pourtant, le président actuel de la Russie a déclaré
dans son discours du jeudi 1er décembre 2016, prononcé dans la salle des fêtes du Kremlin :
« Nous ne voulons nous opposer à personne, nous
n’en avons pas besoin, ni nous, ni nos partenaires et
la société mondiale. À la différence de certains de nos
collègues internationaux qui voient dans la Russie un
adversaire, nous ne cherchons pas et n’avons jamais
cherché d’ennemis. Nous avons besoin d’amis. »
Le président Poutine s’est même déclaré « prêt » à
coopérer avec Donald Trump, jugeant « important de
normaliser et commencer à développer » les relations
russo-américaines.
Pour que ces déclarations d’intentions pacifiques
soient suivies d’effet, il faut et il suffit, Très Saint
Père, que vous consacriez la Russie au Cœur Immaculé de Marie. Vous n’avez qu’un mot à dire !
Faute de quoi, quatre jours après la trêve signée le
31 décembre 2016 par l’entremise du président Poutine
entre Bachar el-Assad et une partie de l’opposition
syrienne, cette trêve était déjà menacée ! Sans attendre
la réunion prévue à Astana, au Kazakhstan, à la fin
du mois de janvier, autour de la table diplomatique.
Cependant, il est significatif, Très Saint Père, que
la prochaine étape pour régler la question syrienne
soit prévue sans la moindre participation d’un pays
occidental. En effet, en juillet 1946, l’écrivain américain William Thomas Walsh, interrogeait sœur Lucie :
« Notre-Dame vous a-t-elle dit certaines choses se
rapportant aux États-Unis d’Amérique ? »
Elle me lança un regard plutôt surpris, raconte
celui-ci. « Son sourire, légèrement ironique, suggérait
que, peut-être, les États-Unis n’étaient pas aussi
importants que je me l’imaginais, dans la marche
générale de l’univers.
– Non, dit-elle doucement. Jamais Notre-Dame n’a
mentionné votre pays ; mais je désirerais qu’on dise
des messes à mon intention aux États-Unis. ” Je le lui
promis, et elle m’assura qu’elle prierait pour moi. »
En ce début de l’année mariale, Russes et Turcs
sont alliés pour la paix en Syrie, Israéliens et Américains renouent depuis l’investiture de Donald Trump,
lui-même se montrant favorable à un rapprochement
avec Vladimir Poutine ; une seule personne est au
centre de cette nouvelle géopolitique, c’est vous, Très
Saint Père, à qui Notre-Dame demande de consacrer
la Russie à son Cœur Immaculé.
Russes et Turcs étaient à couteaux tirés sur
le dossier syrien depuis qu’un avion arborant les
cocardes de la Turquie, pays membre de l’Otan, avait
abattu un appareil russe ; casus belli, s’il en est !
« Cas d’une guerre » ouverte capable d’entraîner les
grandes puissances dans le chaudron du Proche-Orient.
Je ne sais si Votre Sainteté a lu la troisième
partie du Secret de Notre-Dame de Fatima confié
aux voyants le 13 juillet 1917. À ma connaissance,
vous n’en avez jamais parlé. Elle rapporte une vision
d’Apocalypse où « un Ange avec une épée de feu à la
main gauche » se tient « à gauche de Notre-Dame ».
Cette épée « scintillait, émettait des flammes qui paraissaient devoir incendier le monde, mais elles s’éteignaient
au contact de l’éclat que, de sa main droite, Notre-Dame
faisait jaillir vers lui. »
Cette intervention de la Vierge Marie fut manifeste en 2013, l’année de votre avènement. Le lundi
9 septembre, à l’initiative diplomatique de Vladimir
Poutine, l’Occident renonçait à bombarder la Syrie,
moyennant la destruction des armes chimiques de
Bachar el - ­
Assad. Mais c’était le fruit du chapelet
récité en votre présence, à votre initiative, Très Saint
Père, place Saint-Pierre le samedi 7 septembre, premier
samedi du mois, et vigile de la Nativité de Marie.
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En septembre 2015, l’intervention militaire russe
en Syrie a de nouveau sauvé le régime de Bachar
el-Assad et changé le cours de la guerre. Vingt-six
missiles kalibr, tirés de la mer Caspienne, ont détruit
onze cibles de l’État islamique en Syrie... C’était le
7 octobre, en la fête de Notre-Dame du Rosaire !
En décembre 2016, c’est encore la Russie qui a
été l’instrument de l’Immaculée Conception écartant de
sa main virginale l’épée de feu, par un renversement
des alliances... miraculeux ! Erdogan était complice de
l’État islamique, s’en voyant déjà le sultan, à condition de renverser Bachar el-Assad à Damas ! Mais
en plus de la menace grandissante d’un Kurdistan
indépendant, capable de briser l’unité territoriale de
la Turquie, Erdogan a dû faire face à un coup d’État
dramatique le 15 juillet. On a dit que la CIA avait
ourdi le complot pour abattre Erdogan en soudoyant
Fethullah Gülen et sa secte islamiste, ancienne alliée
de l’AKP , le précédent parti présidentiel.
Ce qui est sûr, c’est que les services russes ont
tiré le président turc de ce très mauvais pas. Depuis,
Erdogan et Poutine ont mené de conserve, avec l’Iran,
des négociations de paix en Syrie avec les « rebelles »,
qui ont abouti... le 8 décembre 2016, en la fête de
l’Immaculée Conception !
Touchant l’Iran, le plan d’action global ( PAGC )
conclu le 14 juillet 2015 avec les puissances du
groupe 5 + 1 ( États-Unis, Russie, Chine, France,
Royaume-Uni et Allemagne), est entré en vigueur le
16 janvier 2016. L’Agence internationale de l’énergie
atomique ( AIEA ) vérifie et contrôle la mise en œuvre
par l’Iran des engagements pris. Celui-ci semblait
donner toute satisfaction et cependant le lancement
d’un missile par l’Iran remet peut-être en cause le
PAGC . Et de toute façon, le maintien de ce régime
de sanctions, même si elles sont suspendues, pénalise
les relations économiques de Téhéran avec le reste du
monde, les banques hésitant à travailler avec l’Iran.
À l’encontre du risque d’escalade entre Washington et Téhéran, et pour donner une prédominance
médiatrice à la Russie, pays chrétien, sur la puissance
musulmane perse, votre intervention, Très Saint Père,
par sa consécration au Cœur Immaculé de Marie,
serait décisive.
De même, en ce qui concerne la Corée du Nord
qu’aucun accord international ne contrôle lorsque son
leader affirme que son pays en est « aux dernières
étapes avant le lancement test d’un missile balistique
intercontinental ». C’est l’héritage, en ligne directe,
des « erreurs de la Russie ». Le “ seul antimissile ” qui
tienne, en ce péril extrême, est... encore et toujours
la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de
Marie ! Il n’y a pas de plus pressante intention de
prière à donner à notre pèlerinage jubilaire.
La paix du monde dépend de vous, Très Saint
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Père, de vous seul, de votre obéissance au Cœur
Immaculé de Marie. L’acte de consécration de la
Russie au Cœur Immaculé de Marie ne sera pas une
ingérence dans les affaires de ce pays, mais un acte
de pure obéissance à la Très Sainte Vierge, à qui la
Russie est confiée depuis mille ans. Notre-Seigneur
l’a dit à Lucie qui lui demandait pourquoi « il ne
convertirait pas la Russie sans que sa Sainteté fasse
cette consécration ».
Notre-Seigneur répondit : « Parce que je veux que
toute mon Église reconnaisse cette consécration comme
un triomphe du Cœur Immaculé de Marie, afin d’étendre
ensuite son culte et placer, à côté de la dévotion à mon
Divin Cœur, la dévotion à ce Cœur Immaculé.
– Mais, mon Dieu, dis-je, le Saint-Père ne me
croira pas, si vous ne le mouvez vous-même par
une inspiration spéciale.
– Le Saint-Père ! Priez beaucoup pour le Saint-Père.
Il la fera, mais ce sera tard. Cependant le Cœur Immaculé de Marie sauvera la Russie, elle lui est confiée. »
Dans vos vœux à la Curie romaine, Très Saint
Père, vous vous êtes plaint de la « résistance cachée »
et « malveillante » que vous percevez dans les rangs
de vos propres collaborateurs, suscitée par « le démon
qui inspire des mauvaises intentions, souvent dans des
habits d’agneau ». Vous ne pouviez mieux dire pour
qualifier la « résistance cachée » et « malveillante »
aux volontés de la Très Sainte Vierge elle-même, telle
que cette résistance s’est manifestée lors du Congrès
international [anti ] marial organisé par la PAM I à
Fatima en septembre 2016. On la perçoit jusque dans
le communiqué qui annonce votre volonté d’accorder
l’indulgence plénière aux pèlerins de Fatima. Le texte
précise que cette indulgence est « christologique ».
C’est pourquoi « le diocèse de Leiria-Fatima recommande de participer activement à une célébration ou
à une prière, en l’honneur de la Vierge Marie, de
prier le Notre Père, de réciter le Credo, et d’invoquer
la Vierge Marie ». Nous retrouvons ici cette maligne
omission du chapelet, âprement discutée au Concile
et finalement ratifiée dans la Constitution conciliaire
Lumen gentium (n o 68 ). C’est vraiment une victoire
du diable contre « la Femme » descendue du Ciel à
six reprises, il y a cent ans, tous les treize du mois,
de mai à octobre, pour demander « qu’on récite le
chapelet tous les jours ».
Vos prédécesseurs, de Jean XXIII à Benoît XVI,
ont éludé la consécration de la Russie et la dévotion
réparatrice au Cœur Immaculé de Marie. Sous votre
pontificat, “ on ” élude le chapelet !
Autant dire qu’on vous prive du seul et ultime
moyen que Dieu vous offre de mener à bien la
gigantesque “ réforme ” que vous avez entreprise pour
le salut de l’Église et du monde. Absit !
frère Bruno de Jésus - Marie.
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C ON T R E - R ÉVOLU T ION M A R I A LE (2)
par frère Bruno de Jésus-Marie
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DÉSIR DU MARTYRE
Juillet 1936 : les milices révolutionnaires s’emparent de Pontevedra, puis de Tuy où le palais
épiscopal est assailli. Mais le 26, Tuy est libérée par
les forces nationalistes. Sœur Lucie resta au couvent
avec quatre autres sœurs volontaires. Elles vécurent
quelque temps dans le grenier, gardées par un soldat,
parce que la maison était occupée par une garnison
militaire. C’est elle qui rassurait ses compagnes. On
aurait dit que la peur n’entrait pas dans son cœur !
Elle avait reçu l’ordre de ne jamais sortir sans être
accompagnée par un soldat. Mais quand elle devait
aller au jardin chercher quelque chose dont elle avait
besoin, elle disait sans cérémonie à la sentinelle : “ Je
dois aller au jardin. Si vous voulez venir avec moi,
venez ; sinon, je n’ai pas peur. ” Et la sentinelle, pour
obéir à la consigne, la suivait.
En juillet 1936 , sœur Lucie livre au Père Aparicio
ses sentiments intimes : « Malgré la proximité de
tant de tempêtes et de dangers, le Bon Dieu veillait
sur mes sœurs, de sorte que nous pouvons dire que
nous sommes passées par l’eau et le feu, et que
nous en sommes sorties saines et sauves. Grâce à
Dieu, jusqu’à présent, nous n’avons encore rien eu
à souffrir de plus que quelque peur.
« En vérité, je ne me suis pas affligée un seul
moment ; en partie à cause de la confiance que
j’avais dans les Saints Cœurs de Jésus et de Marie,
et de la joie que je ressentais d’aller m’unir à eux
dans le Ciel. Mais il me semble bien qu’ils ne me
voulaient pas là-haut maintenant. Ils veulent que je
leur offre le sacrifice d’attendre la conversion de cette
nation. Et je ne m’effrayais pas, peut-être en partie
aussi par ignorance de toute la gravité du péril dans
lequel nous nous trouvions.
« Maintenant, nous sommes dans l’attente de ce
qui arrivera. Nous nous confions à Notre-Seigneur,
à la protection du Cœur Immaculé de Marie qui,
bientôt, nous accordera des jours de paix et de tranquillité. S’il n’en est pas ainsi, je suis prête. Et rien
ne me sera plus agréable que de donner ma vie pour
Dieu, afin de lui payer en quelque manière le don de
sa vie pour moi ; je reconnais cependant être indigne
d’une si grande faveur. »
Le Père Aparicio, né le 14 février 1879, entré dans
la Compagnie de Jésus le 8 septembre 1895, ordonné
prêtre le 1er juillet 1912, était le confesseur des sœurs
Dorothées lorsqu’elles reçurent Lucie comme novice à
Tuy, le 24 octobre 1925. Lucie partit pour Pontevedra
le jour suivant, puis revint à Tuy le 16 juillet 1926.
Elle commença à se confesser au Père Aparicio
comme les autres religieuses. Il la comprit si bien
qu’elle lui ouvrit toute son âme.
Dans une lettre du 15 août 1936, elle lui redit
son désir du martyre :
« Je désire beaucoup et demande à notre Bon Dieu
et au Cœur Immaculé que ces jours de retraite soient
le point de départ d’un véritable progrès spirituel
et d’une offrande de moi-même toujours plus totale
et complète à notre Bon Dieu. Je veux me donner
aux Cœurs de Jésus et de Marie et Les aimer, non
seulement pour moi, mais aussi pour tous ceux qui
demeurent dans les rangs des persécuteurs de ces
Sacrés Cœurs et de leurs lois. Pour ceux qui, en
même temps que la vie temporelle, veulent obstinément perdre l’éternelle.
« Qu’ils sont beaux ces jours de fervente retraite
pour nous préparer à ce que le Seigneur veut de
nous. Ah ! que je voudrais le martyre ! Je ne mérite
pas cette grâce, mais je la désire et l’espère de la
divine Miséricorde. »
Et dans son carnet personnel, elle écrit :
« Je passai à Pontevedra les premiers mois de la
révolution communiste, prête à accepter le martyre
si Dieu voulait m’en faire la grâce, mais Il m’a
réservé un autre martyre, guère plus facile parfois :
c’est le lent martèlement du renoncement qui crucifie
et immole, comme le frottement continuel d’une lime
sourde consume dans l’usure continuelle de la vie
qui s’est donnée pour toujours, et redit : Ce que
tu voudras, Toi, mon Dieu et mon Seigneur ! “ Si
quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à lui-même,
qu’il prenne sa croix et qu’il me suive. ” ( Mc 8, 34 )
« Oui ! c’est le programme tracé par Dieu pour
mon chemin, renoncer à tout, à moi-même. À la
dernière place, celle que personne ne convoite, où il
n’y a pas d’illusion, ni vanité, à rester là par Amour,
ignorée, inconnue, oubliée, c’est mieux que d’être
persécutée par la jalousie, l’envie, l’ambition, c’est
ne rien avoir que les autres puissent désirer, c’est ne
pas avoir un poste, passer inaperçue dans le silence
et dans l’ombre ! C’est Te suivre, Bon Jésus, dans
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l’anéantissement de l’Hostie sainte, du Tabernacle
abandonné, dans l’outrage et le sacrilège prolongé à
travers les âges jusqu’à la consommation des siècles.
C’est le renouvellement permanent de mon oui . »
RÉPANDRE LA DÉVOTION
DES CINQ PREMIERS SAMEDIS
Malgré les troubles de la guerre d’Espagne, le
martyre n’était pas la vocation de sœur Lucie. En
1936, sa mission ne faisait que commencer. À force
d’insister, de prier, de se sacrifier, elle obtint de son
évêque, l’évêque de Leiria, qu’il écrive lui-même au
Saint-Père, le pape Pie XI, en mars 1937, pour lui
exposer les deux grandes demandes de Notre-Dame :
la consécration de la Russie et l’approbation de la
dévotion réparatrice des premiers samedis du mois.
Cette requête de Mgr da Silva parvint au Pape
deux semaines après la publication de son encyclique Divini Redemptoris , condamnant le communisme
athée et persécuteur comme « un fléau satanique ».
Le 8 avril, le Saint-Siège accusait réception... et ne
donnait aucune suite aux demandes du Ciel !
Alors, la seconde guerre prédite le 13 juillet
1917, vingt ans auparavant, aura lieu. Le signe
avant-coureur d’une « lumière inconnue », annoncé par
la Sainte Vierge dans son “ secret ” du 13 juillet,
brilla dans la nuit du 25 janvier 1938. Au matin
du mercredi 26 janvier, on pouvait lire à la une
des journaux : « Une aurore boréale exceptionnelle
a sillonné, hier soir, le ciel de l’Europe occidentale. » Sœur Lucie contempla avec ses compagnes à
Tuy, en Espagne, ce spectacle grandiose et étonnant
qu’elle seule pouvait expliquer, tant à son évêque
qu’au chanoine Galamba, à sa supérieure, à ses
confesseurs. À savoir que Dieu nous prévenait que
« sa justice était prête à frapper les nations coupables »,
écrit sœur Lucie dans son Troisième Mémoire , le
31 août 1941. « Et c’est pourquoi je me mis à demander avec insistance la communion réparatrice des premiers samedis et la consécration de la Russie. »
Plus d’un an s’était écoulé depuis que Mgr da
Silva avait transmis au pape Pie XI la demande de
la consécration de la Russie, et Rome n’avait toujours
pas répondu.
Le 6 février 1939, sœur Lucie écrit :
« Dans une communication intime, Notre-Seigneur
m’a fait connaître que le moment de grâce dont il
m’avait parlé en 1938 allait finir. La guerre, avec toutes
les horreurs qui l’accompagnent, commencera bientôt [...].
La guerre se terminera lorsque la justice de Dieu sera
apaisée. »
« Dans une autre communication, Notre-Seigneur
m’a dit, vers mars (ou mai ) 1939 : “ Demande, insiste
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de nouveau pour qu’on divulgue la communion réparatrice des premiers samedis en l’honneur du Cœur Immaculé de Marie. Le moment approche où les rigueurs de
ma justice vont punir les crimes de plusieurs nations.
Quelques-unes seront anéanties. À la fin, les rigueurs
de ma justice tomberont plus sévèrement sur ceux qui
veulent détruire mon règne dans les âmes. ” »
Le cardinal Cerejeira témoignera que l’imminence
de la guerre avec sa violence et son extension,
avait été communiquée par sœur Lucie à l’évêque
de Leiria sept mois avant son déclenchement : « En
effet, disait‑il, j’ai eu en main la lettre du 6 février
1939 où la voyante disait imminente (elle a écrit
éminente) la guerre prédite par Notre-Dame » et
promettait au Portugal sa protection « grâce à la
consécration à son Cœur Immaculé faite par l’épiscopat portugais ».
Le 14 février 1939, sœur Lucie écrit à sa mère :
« Maman chérie,
« J’ai reçu la lettre de D. Maria Francisca, dans
laquelle elle me disait que vous étiez très affligée
à cause de moi. Moi, grâce à Dieu, je vais bien.
J’ai de la peine de vous savoir en mauvaise santé.
Combien je compatis à vos douleurs ! Ah ! que ne
donnerais-je pas pour pouvoir aller vous soulager !
mais c’est un sacrifice que notre Bon Dieu nous
demande afin de sauver les âmes. Que le Bon Dieu
nous demande tout ce qu’Il veut, mais qu’Il convertisse les pauvres pécheurs. Nous serons heureuses au
Ciel d’avoir souffert pour Lui sur la terre. Ne vous
attristez pas de la croix que Notre-Seigneur vous
envoie. C’est pour que votre récompense soit plus
grande dans l’éternité. Alors, nous jouirons de la
félicité de notre Bon Dieu, dans la mesure où, ici-bas,
nous aurons souffert, unis à ses douleurs et à ses
amertumes, et nous sommes bien heureuses d’avoir la
grâce de pouvoir L’aimer en souffrant. En lisant cela,
ne pensez pas que je souffre beaucoup. Non ! Je n’en
suis même pas digne.
« Ah ! Si seulement le Seigneur voulait bien m’associer à sa Croix et se servir de mon rien pour
sauver beaucoup, beaucoup d’âmes ! Demandez-Lui
cette grâce pour moi [...]. »
Le 19 mars 1939, sœur Lucie écrit au Père
Aparicio qui est parti pour le Brésil le 9 novembre
1938 :
« J’ai reçu, il y a quelques jours, la lettre de
votre Révérence, dans laquelle vous m’appreniez la
mort de votre bon père. Aussi je m’empresse de venir
vous présenter mes condoléances très affligées. Je sais
par la mort du mien, dont je me souviens encore
avec douleur, combien cette peine est grande. Mais
c’est notre Bon Dieu qui ainsi nous communique une
part de sa croix. Qu’il soit béni pour tout. Je ne
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manquerai pas d’offrir quelques-unes de mes pauvres
prières pour son repos éternel.
« Je vous remercie pour l’intérêt que vous prenez
à toutes mes affaires. Tout comme toujours. Je n’ai
pas encore parlé avec la Révérende Mère provinciale. Il me semble qu’elle est bien disposée.
J’ai envoyé à sa Révérence la petite page sur
la Communion réparatrice des premiers samedis,
que votre Révérence m’a envoyée de Lisbonne. Sa
Révérence l’a apportée à Mgr l’évêque de Porto,
pour demander la permission de la faire imprimer
et publier. Son Excellence a accordé la permission
désirée et a voulu garder la petite page. Notre
Révérende Mère provinciale m’a écrit alors pour en
demander une autre, et moi, comme je n’en avais
pas, j’ai écrit une carte postale à Braga, place
Sainte-Thérèse, pour demander la faveur que l’on
m’en envoie une ou plus de Sardão. Je ne sais pas
si l’on a satisfait à ma demande, ni si c’était là
qu’il fallait demander.
« De la pratique de cette dévotion unie à la consécration au Cœur Immaculé de Marie, dépend la guerre
ou la paix du monde. C’est pourquoi je désirais tant sa
propagation et surtout aussi parce que telle est la
volonté de notre Bon Dieu et de notre si chérie
Mère du Ciel ... »
Au Brésil, le Père Aparicio propagea du nord au
sud la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Le
20 juin 1939, Sœur Lucie lui écrit de nouveau pour
l’avertir du péril imminent :
« Je vous remercie et suis très reconnaissante des
photographies que vous m’avez envoyées, comme de
l’imprimé. J’ai eu plaisir à voir combien la nouvelle
demeure de votre Révérence est jolie. Voilà qui est
bien pour dissiper les regrets de notre belle terre,
que vous devez avoir. La chaleur doit se faire sentir
maintenant. Combien je pense à votre Révérence à
ce sujet !
« Quelle source de mérites pour le Ciel vous
avez là ! Ce sont des âmes sans nombre que vous
allez donner à notre Bon Dieu avec tous ces
sacrifices ! Je vous envie. Combien de fois je me
suis offerte et j’ai demandé à aller en Afrique et
Notre-­
Seigneur ne veut pas de moi. À peine votre
Révérence a ouvert la bouche, aussitôt on l’a
acceptée. Patience. À vrai dire, pour cela aussi je
ne vaux pas l’argent du voyage. J’accepte l’humiliation de mon rien, à la place du sacrifice que je ferais
en y allant. Par ici, tout est comme toujours. Le
mois dernier, la jeunesse catholique féminine a tenu
ici, à la maison, sa réunion de tous les centres du
diocèse, sous la présidence de Mgr l’Archevêque. Le
collège de Póvoa est venu ici en grande sortie. Ils
étaient à peu près cent et plus. J’ai dû m’enfermer
à clé et, même ainsi, je ne me suis pas échappée.
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Patience ! Je vois que c’est cela que le Seigneur
veut de moi.
« Je ne me souviens pas si j’ai déjà répondu à
la dernière lettre de votre Révérence, à laquelle était
jointe la copie de la feuille sur les cinq samedis. La
copie, je l’ai envoyée à notre Révérende Mère provinciale qui m’a fait dire qu’elle va essayer d’obtenir
la permission pour la faire imprimer.
« Notre-Dame a promis de remettre à plus tard le
fléau de la guerre, si cette dévotion était propagée et
pratiquée. Nous la voyons repousser ce châtiment dans
la mesure où l’on fait des efforts pour la propager. Mais
je crains que nous ne puissions faire davantage que ce
que nous faisons, et que Dieu, mécontent, lève le bras
de sa miséricorde et laisse le monde être ravagé par
ce châtiment, qui sera comme il n’y en a jamais eu,
horrible, horrible .
« Pour la santé, c’est ainsi : tiens et ne tombe pas.
Il faut beaucoup souffrir pour Dieu et je ne suis pas
généreuse. Ne manquez pas de prier toujours pour
moi, j’en ai grand besoin. Dans mes pauvres prières,
je ne manque pas de prier pour votre Révérence.
« Servante indigne, Marie Lucie de Jésus, religieuse de Sainte-Dorothée. »
Le Père Aparicio fut tellement saisi par cette lettre
qu’il la lut à tous les membres de sa communauté.
Et le Pape ? Il n’en tint aucun compte !
Le 10 août, le Père Aparicio notait : « La façon
dont sœur Lucie affirme et pronostique les événements
m’a impressionné. Elle ne doute pas, et elle parle
catégoriquement comme quelqu’un qui voit les événements futurs. Je pense même que Notre-Dame les lui
a fait connaître. »
Sœur Lucie ne cessait de faire le siège de son
évêque. Au début de l’été, à la suite d’un décollement
de la rétine, Mgr da Silva est hospitalisé à Lisbonne
et son état est un temps très alarmant. Interprétant
son épreuve comme un avertissement divin, l’évêque
prend la décision de recommander prochainement la
dévotion réparatrice au Cœur Immaculé de Marie.
Il était tard, mais il ne sera jamais « trop tard » pour
faire la volonté de Dieu. Aujourd’hui encore... diffusons
notre “ petite feuille ” sur les cinq premiers samedis.
Et prions pour le Saint-Père dont dépend la paix des
âmes en ce monde et en l’autre, selon qu’il fera
ou non la consécration de la Russie demandée par
Notre-Dame.
LA CONSÉCRATION,
ESPÉRANCE DE SŒUR LUCIE
En ce dimanche 1er janvier 2017, premier jour de
la semaine et du centenaire de Fatima, nous trouvons
dans une lettre de sœur Lucie au Père Gonçalves
l’expression parfaite de nos sentiments.
FÉV. 2017
No 172 - P. 7
Le Père Gonçalves, né le 2 février 1894, de la
Compagnie de Jésus, était supérieur de la résidence
des jésuites à Tuy en 1929. Il venait quelquefois
dans la chapelle des sœurs Dorothées. Sœur Lucie
lui confia la grande théophanie trinitaire du 13 juin.
Il avait transmis au pape Pie XII la demande de
consécration de la Russie en avril 1940, espérant
que le Saint-Père pourrait l’accomplir en mai.
« Tuy, le 15 juillet 1940.
« Révérend Père,
« Avec reconnaissance, je vous remercie de votre
dernière lettre. Elle a dû se croiser avec la mienne
que, j’espère, vous aurez reçue.
« Quant à la consécration de la Russie, elle ne
s’est pas faite au mois de mai comme votre Révérence
l’espérait. Elle doit se faire, mais pas tout de suite.
Dieu l’a ainsi permis maintenant afin de punir le monde
de ses crimes. Nous l’avons bien mérité. Ensuite il écoutera nos pauvres prières.
« Cependant j’ai une peine
cela ne soit pas fait. Pendant ce
se perdre ! C’est Dieu, pourtant
Mais en même temps, il montre
ne pas être écouté.
immense de ce que
temps, tant d’âmes vont
qui permet tout cela.
une si grande peine de
« Si je ne me trompe, il a toujours la même disposition d’accorder la grâce promise. Ah ! si l’on pouvait
satisfaire ses désirs ! Je ne cesse de prier et de me
sacrifier à cette intention, et je vous remercie infiniment de vos prières et de vos sacrifices dans ce
même but. Vous donnerez ainsi satisfaction au Cœur
de notre si chère Mère du Ciel, qui ne manquera pas
de vous en récompenser. »
Dans sa lettre du 18 août 1940 au même Révérend
Père Gonçalves, elle continue d’insister :
« J’en suis au troisième jour de la retraite, et Dieu
n’a pas voulu me donner la joie de la faire sous
votre direction. Patience ! D’ailleurs, cette espérance
ne m’a jamais animée, car ce n’est pas le chemin
par lequel Dieu me conduit. Il préfère d’ordinaire le
sacrifice, et, dans l’état où se trouve le monde, ce qu’il
désire ce sont des âmes qui, unies à Lui, se sacrifient et
prient. Ah ! si je pouvais satisfaire ce désir si ardent
de son Divin Cœur ! Mais malheureusement elles
sont bien nombreuses les infidélités par lesquelles
je réponds aux inspirations de sa grâce. Maintenant,
plus que jamais, il a besoin d’âmes qui se donnent sans
réserve. Et comme le nombre en est petit ! À ce sujet,
priez pour moi, car j’en ai bien besoin...
« Je suppose que Notre-Seigneur sera satisfait qu’il
y ait quelqu’un pour s’intéresser à la réalisation de
ses désirs auprès de son Vicaire sur la terre. Mais
le Saint-Père ne les accomplira pas maintenant. Il
doute de la réalité et il a raison. Notre Bon Dieu
pourrait, par le moyen de quelque prodige, démontrer clairement que c’est Lui qui le demande, mais
il utilise ce délai pour exercer sa justice en punissant le
monde de tant de crimes et pour le préparer à un retour
à Lui plus complet.
« La preuve qu’il nous donne, c’est la protection
spéciale du Cœur Immaculé de Marie sur le Portugal,
eu égard à la consécration qui Lui a été faite. Ces
personnes dont vous me parlez ont raison d’avoir
peur. Tout cela nous serait arrivé si nos prélats
n’avaient pas répondu aux demandes de notre Bon
Dieu et tellement imploré du fond du cœur sa miséricorde et la protection du Cœur Immaculé de notre
bonne Mère du Ciel.
« Mais notre patrie a encore beaucoup de crimes
et de péchés, et comme c’est maintenant l’heure de la
justice de Dieu sur le monde, il faut que l’on continue
à prier.
« C’est pourquoi je crois qu’il serait bon d’inculquer aux fidèles, en même temps qu’une grande
confiance dans la miséricorde de notre Bon Dieu et dans
la protection du Cœur Immaculé de Marie, la nécessité
de la prière accompagnée de sacrifices, surtout de ceux
qu’il est nécessaire de faire afin d’éviter le péché.
« C’est la demande de notre bonne Mère du Ciel
en 1917, qui est sortie avec une tristesse et une
tendresse inexprimable de son Cœur Immaculé : “ Que
l’on n’offense plus Dieu Notre-Seigneur, car il est déjà
trop offensé ! ” Quel dommage que l’on n’ait pas
médité sur ces paroles et mesuré toute leur portée !
« Cependant, ne cessez, toutes les fois que vous
le pourrez, de profiter des occasions de renouveler
notre demande auprès du Saint-Père, afin de voir si
nous pourrions abréger ce moment. J’ai beaucoup de
peine au sujet du Saint-Père et, par mes pauvres prières
et mes sacrifices, je demande beaucoup pour Sa Sainteté.
« Je vous supplie de ne pas m’oublier au Saint
Sacrifice. Dans mes pauvres prières, vous ne serez
pas oublié non plus.
« Je suis votre très humble servante. Marie-Lucie
de Jésus. »
PATIENCE !
Le 1er septembre 1940, elle écrit au Père Aparicio
qui était parti pour le Brésil, le 9 novembre 1938 :
« Le Cœur Immaculé de Marie est mon refuge,
surtout dans les heures les plus difficiles. Là, je suis
toujours en sécurité. C’est le Cœur de la meilleure
des mères ; il est toujours attentif et il veille sur la
dernière de ses filles. Combien cette certitude m’encourage et me réconforte ! En elle, je trouve force
et consolation. Le Cœur Immaculé est le canal par
lequel Dieu fait jaillir sur mon âme la multitude de
ses grâces. Aidez-moi à en être reconnaissante et à
correspondre à tant de miséricordes.
FÉV. 2017
« Dernièrement, plusieurs personnes importantes
ont parlé au Saint-Père de la consécration du monde et
de la Russie au Cœur Immaculé de Marie. Sa Sainteté
s’est montrée très favorable, mais il semble qu’il ne
le fera pas pour le moment. Ah ! qui me donnera que
ce moment [d’attente] soit abrégé et que Sa Sainteté
élève en fête principale de première classe, dans l’Église
Universelle, la fête en l’honneur du Cœur Immaculé de
Marie. Priez pour tout cela, pour la gloire de notre
bon Dieu et de notre bonne Mère du Ciel.
« Je vous demande de daigner me bénir et prier
pour moi. »
LE « SIGNE D’ EN - BAS ».
En 734 avant Jésus-Christ, le prophète Isaïe fut
envoyé par Dieu à Achaz, roi de Jérusalem, qu’assaillait une coalition des rois de Damas et de Samarie. Il
n’y a rien de nouveau sous le soleil ! « Demande donc
à Yahweh un signe pour toi, issu des profondeurs du shéol
ou bien des hauteurs de là-haut. » ( Is 7, 11 )
Achaz, incrédule, refusa. Isaïe répondit à cette
« résistance malveillante » que le pape François dénonce aujourd’hui au sein de la Curie ! par la prophétie de la Vierge qui doit enfanter un fils auquel
elle donnera le nom d’Emmanuel, ce qui signifie
« Dieu avec nous » ( Is 7, 14 ).
Plus de vingt-cinq siècles après, il a été donné à
Lucie, ­François et Jacinthe de contempler « ce signe »
de la Vierge, issu des hauteurs de Là-Haut : « Je suis
du Ciel ! » ( 13 mai 1917 ), et maîtresse « des profondeurs du shéol » qu’Elle a ouvert sous leurs yeux le
13 juillet 1917.
Ce jour-là, la Vierge ouvrit les mains, d’où « le
reflet de sa propre lumière parut pénétrer la terre,
raconte Lucie, et nous vîmes comme un océan de feu.
Plongés dans ce feu nous voyions les démons et les
âmes des damnés.
« Celles-ci étaient comme des braises transparentes, noires ou bronzées, ayant formes humaines.
Elles flottaient dans cet incendie, soulevées par les
flammes qui sortaient d’elles-mêmes, avec des nuages
de fumée. Elles retombaient de tous côtés, comme les
étincelles dans les grands incendies, sans poids ni
équilibre, au milieu des cris et des gémissements de
douleur et de désespoir qui horrifiaient et faisaient
trembler de frayeur.
« C’est à la vue de ce spectacle que j’ai dû
pousser ce cri : “ Aïe ! ” que l’on dit avoir entendu
de moi.
« Les démons se distinguaient des âmes des damnés
par des formes horribles et répugnantes d’animaux
effrayants et inconnus, mais transparents comme de
noirs charbons embrasés.
« Cette vision, écrit Lucie, ne dura qu’un moment,
No 172 - P. 8
grâce à notre bonne Mère du Ciel qui, à la première
apparition, nous avait promis de nous emmener au
Ciel. Sans quoi, je crois que nous serions morts
d’épouvante et de peur. »
LE « SIGNE D’ EN - HAUT ».
Le 13 octobre, ouvrant les mains, Notre-Dame
les fit se réfléchir sur le soleil et, pendant qu’Elle
s’élevait, le reflet de sa propre lumière continuait à
se projeter sur le soleil. Tous purent le regarder sans
avoir mal aux yeux. On aurait dit qu’il s’éteignait
et se rallumait. Il lançait des faisceaux de lumière,
de-ci, de-là, et peignait tout de différentes couleurs :
les arbres, les gens, le sol, l’air.
Soudain, le soleil eut quelques secousses puis se
mit à danser, à tournoyer sur lui-même. Il s’arrêta
puis recommença par deux fois. Il semblait une roue
de feu qui allait tomber sur la foule. À un moment, il
parut vraiment se détacher du ciel et s’avancer sur la
terre. Ce fut un instant terrible. On criait : « Ô Jésus !
Nous allons tous mourir ! Notre-Dame, au secours ! »
Finalement, le soleil s’arrêta, et tous poussèrent
un soupir de soulagement. Les vêtements trempés de
pluie avaient séché en un instant. La Sainte Vierge
avait ainsi multiplié les merveilles, en Mère attentive
et bienfaisante. Le miracle annoncé par les enfants
avait eu lieu. Tous avaient vu. Et la mère de Lucie
déclara : « Maintenant, on ne peut pas ne pas y
croire ; car le soleil, personne ne peut y toucher. »
Ainsi, le 13 mai, ils ont vu le “ signe ” issu des
hauteurs de là-haut, et le 13 juillet, le “ signe ” issu
des profondeurs du shéol. L’un et l’autre à l’initiative
de la Vierge Marie.
LE « SIGNE » DE LA TERRE .
Troisième “ signe ”. En juillet 1941, après avoir
corrigé le livre du Père Galamba sur Jacinthe , sœur
Lucie laisse parler son cœur en s’adressant à l’évêque
de Leiria, Mgr José Correia da Silva :
« Excellentissime et Révérendissime
Seigneur Évêque,
« Jacinthe était très impressionnée par certaines
choses révélées dans le Secret et, dans son amour
pour le Saint-Père et pour les pécheurs, elle disait
souvent : “ Pauvre Saint-Père ! J’ai tant de peine pour
les pécheurs ! ”
« Si elle était en vie actuellement, alors que ces
choses sont tellement proches de se réaliser, combien
plus serait-elle impressionnée ! Si seulement le monde
connaissait le moment de grâce qui lui est encore concédé,
et faisait pénitence !
« Le temps passe, les âmes ne meurent pas, l’éternité [ où sont maintenant « les âmes des cadavres » pour
FÉV. 2017
No 172 - P. 9
lesquelles le Saint-Père prie en traversant la grande
ville à moitié en ruine ] demeure ! »
Et voici l’interprétation de la vision du “ troisième
secret ”, signe avant-coureur de la fin des temps :
« Je vois, dans la Lumière immense qu’est Dieu, la
terre secouée trembler devant le souffle de sa Voix :
villes et villages ensevelis, rasés, engloutis ; des montagnes de gens sans défense. Je vois des cataractes entre
tonnerres et éclairs, les fleuves et la mer débordent et
inondent, et les âmes qui dorment du sommeil de la
mort ! Les hommes continuent à machiner des guerres,
des ambitions, la destruction et la mort !
« Je sens en moi un mystère de Lumière, mystère
qui vient de la foi, Dieu présent, Dieu en moi, et
moi perdue dans la Lumière comme une petite goutte
d’alcool jetée dans la flamme et qui devient flamme
avec elle, lui attribue une autre facette, un faible
reflet, et trouve en elle la force, la grâce, la vie, la
paix, l’Amour !
« Mystère de foi, d’espérance, de certitude, de
justice, de miséricorde et d’Amour ! Dieu éternel,
Dieu immense, Lumière incréée, miroir sur lequel tout
passe, où tout se reflète, qui pénètre tout, auquel rien
n’échappe ! Miroir de l’éternelle sagesse, de l’éternelle puissance, de l’immense volonté, de l’infinie
Bonté, Patience et Amour !
« Oui, Dieu est patient, il attend, Dieu est bon, il
pardonne, Dieu est amour, il nous aime !
« Mais il veut, il demande, il exige notre correspondance, notre soumission, notre fidélité ! Dieu est le
Seigneur, et moi son humble servante. »
LES DERNIERS TEMPS
Les années passent, sœur Lucie entre au Carmel.
En décembre 1957, elle disait au Père Fuentes :
« Père, la Très Sainte Vierge ne m’a pas dit que
nous sommes dans les derniers temps du monde, mais
Elle me l’a fait voir pour trois motifs :
« Le premier parce qu’Elle m’a dit que le démon
est en train de livrer une bataille décisive avec la
Vierge, et une bataille décisive est une bataille finale
où l’on saura de quel côté est la victoire, de quel
côté la défaite. Aussi, dès à présent, ou nous sommes
à Dieu ou nous sommes au démon ; il n’y a pas de
moyen terme.
« Le second parce qu’Elle a dit, aussi bien à mes
cousins qu’à moi-même, que Dieu donnait les deux
derniers remèdes au monde : le saint Rosaire et la
dévotion au Cœur Immaculé de Marie, et ceux-ci
étant les deux derniers remèdes, cela signifie qu’il n’y
en aura pas d’autres.
« Et le troisième, parce que toujours dans les
plans de la divine Providence, lorsque Dieu va châtier le monde, il épuise auparavant tous les autres
recours. Or, quand Il a vu que le monde n’a fait
cas d’aucun, alors comme nous dirions dans notre
façon imparfaite de parler, Il nous offre avec une
certaine crainte le dernier moyen de salut, sa Très
Sainte Mère. Car si nous méprisons et repoussons cet
ultime moyen, nous n’aurons plus le pardon du Ciel,
parce que nous aurons commis un péché que l’Évangile appelle le péché contre l’Esprit-Saint, qui consiste
à repousser ouvertement, en toute connaissance et
volonté, le salut qu’on nous offre.
« Souvenons-nous que Jésus-Christ est un bon
Fils et qu’il ne permet pas que nous offensions et
méprisions sa Très Sainte Mère. Nous avons comme
témoignage patent l’histoire de plusieurs siècles de
l’Église qui, par des exemples terribles, nous montre
comment Notre-Seigneur Jésus-Christ a toujours pris
la défense de l’honneur de sa Mère. »
On peut remarquer que sœur Lucie a été avertie
par les événements qu’elle a vécus « que nous
sommes dans les derniers temps du monde ». Les
signes cosmiques de la “ danse ” du soleil dans le
Ciel et de sa chute, et de l’ébranlement de la terre.
Que devons-nous faire ? D’abord y croire. Ensuite,
c’est très simple :
« Il y a deux moyens pour sauver le monde : la
prière et le sacrifice.
« Et donc il y a le saint Rosaire. Regardez, Père,
la Très Sainte Vierge, en ces derniers temps que
nous vivons, a donné une efficacité nouvelle à la
récitation du Rosaire. De telle façon qu’il n’y a
aucun problème, si difficile soit-il, temporel ou surtout
spirituel, se référant à la vie personnelle de chacun
de nous, de nos familles, que ce soient des familles
qui vivent dans le monde ou des communautés religieuses, ou bien à la vie des peuples et des nations,
il n’y a aucun problème, dis-je, si difficile soit-il, que
nous ne puissions résoudre par la prière du saint
Rosaire. Avec le saint Rosaire nous nous sauverons, nous
nous sanctifierons, nous consolerons Notre-Seigneur et
obtiendrons le salut de beaucoup d’âmes.
« Et donc, ayons la dévotion au Cœur Immaculé
de Marie, notre Très Sainte Mère, en la considérant
comme le siège de la clémence, de la bonté et du
pardon, et comme la porte sûre pour entrer au Ciel. »
« L ’ ÉTOILE DU MATIN ».
L’Épiphanie de notre temps, particulièrement de
cette année 2017 commençante, c’est Fatima, dont elle
marque le centenaire. Le « pouvoir sur les nations »,
qu’annonce la visite des mages, Jésus-Christ l’a reçu
de son Père dès sa naissance, selon la prophétie du
psalmiste : « Demande et je te donnerai les nations
pour héritage, et pour domaine les extrémités de la
terre. » ( Ps 2, 8 )
FÉV. 2017
Il le demandera et recevra pour prix de son
sacrifice au lendemain duquel il pourra dire à ses
Apôtres, avant de remonter auprès de son Père :
« Tout pouvoir m’a été donné au Ciel et sur la terre.
Allez donc, de toutes les nations, faites des disciples. »
( Mt 28, 18-19 )
« Tu les feras paître avec un sceptre de fer, et
comme vase de potier tu les fracasseras » ( Ps 2, 9 ),
annonçait le psalmiste. Jésus, envoyant ses Apôtres
en mission, se contentera de dire : « Allez donc, de
toutes les nations, faites des disciples, les baptisant au
nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et leur apprenant à observer tout ce que je vous ai prescrit. »
Mais l’ordre de « les faire paître avec un sceptre
de fer » demeure et se conjugue dans l’Apocalypse
avec cette promesse : « Je lui donnerai l’Étoile du
matin » :
« Le vainqueur, celui qui restera fidèle à mon service
jusqu’à la fin, je lui donnerai pouvoir sur les nations.
C’est avec un sceptre de fer qu’il les mènera comme on
fracasse des vases d’argile ! Ainsi moi-même j’ai reçu
ce pouvoir de mon Père. Et je lui donnerai l’Étoile du
matin. Celui qui a des oreilles, qu’ il entende ce que
l’Esprit dit aux Églises ! » ( Ap 2, 26 -29 )
« Je lui donnerai l’Étoile du matin » est l’accomplissement d’une autre prophétie que celle du
psaume, celle de Balaam, beaucoup plus ancienne
que celle du psalmiste : « Je le vois, mais non pour
maintenant », disait ce prophète païen, « l’homme au
regard pénétrant » ( Nb 24, 3 ), « je l’aperçois, mais
non de près ».
Cet oracle remonte au temps de Moïse, et il
annonce, pour un avenir éloigné, l’avènement de la
dynastie de David, sous la double image du sceptre
et de l’étoile :
« Un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre
se lève, issu d’Israël. Il frappe les princes de
Moab. » Le voisin arabe détesté ( Nb 24, 17 ).
L’étoile qui guida les mages vers Bethléem, aux
jours de la naissance de Jésus, fils de David, a
donc accompli cette prophétie de Balaam, le païen.
Mais quand on lit attentivement le récit de saint
Matthieu, on constate que l’étoile qui conduit les
mages accomplit aussi la prophétie d’Isaïe que saint
Matthieu vient de citer :
« Voici que la vierge est enceinte. Elle va enfanter un
fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. » ( Is 7, 14 )
En effet, ce miracle d’une Vierge enfantant le
Messie était offert au roi Achaz comme un “ signe ”
céleste : « Demande donc à Yahweh un signe pour toi,
issu des profondeurs du shéol ou bien des hauteurs de
là-haut. » ( Is 7, 11 )
Le récit de saint Luc fait aussi allusion au
“ signe ” de la Vierge Mère. L’ange du Seigneur
No 172 - P. 10
dit aux bergers : « Cela vous servira de signe : vous
trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché
dans une crèche. » ( Lc 2, 12 )
Mais ce que la composition de saint Matthieu
ménage admirablement, c’est la “ conjonction ” des
deux “ signes ” : celui de la Vierge et celui l’étoile
resplendissant « au-dessus de l’endroit où était l’Enfant », lorsque les mages arrivent à Bethléem : « À la
vue de l’astre, les mages se réjouirent d’une très grande
joie. Entrant alors dans la maison, ils virent l’Enfant
avec Marie sa Mère. » ( Mt 2, 9-11 )
Cette conjonction, comme disent les astronomes –
et les mages étaient des astronomes ! – entre l’Étoile,
l’Enfant et sa Mère, révèle que « l’étoile » annoncée
par Balaam, et le « signe » issu des hauteurs de
là-haut annoncé par Isaïe à Achaz, étaient inséparablement la figure du Messie et de sa Mère.
« L’Étoile du matin », c’est Elle ! Il faut qu’Elle
resplendisse avant que « le Soleil de justice » ne
se lève à l’horizon. Et pour que nul n’en ignore,
l’étoile brille entre la ceinture et le bas de sa robe, à
Fatima. Aux questions pressantes du R. P. McGlynn,
chargé de sculpter la statue destinée à la façade de
la basilique de la Cova da Iria, Lucie ne pouvait
répondre combien cette étoile avait de rayons... mais
elle était bien là !
Ah ! cette étoile est un mystère sans fond. Elle
résume à elle seule toute la gloire et la puissance de
la Sainte Vierge, capable de dissiper les ténèbres qui
nous enveloppent, car sa lumière resplendit aussi bien
dans les hauteurs des Cieux d’où Elle est issue, que
dans la profondeur des abîmes où Elle projette la
lumière de ses mains afin de l’ouvrir aux yeux des
enfants, mais où elle rejettera Lucifer, pour accomplir
la prophétie d’Isaïe :
« Comment es-tu tombé du Ciel, astre du matin (en
latin : “ Lucifer ” ), fils de l’aurore ? Comment as-tu
été jeté à terre, toi qui subjuguais toutes les nations ?
Toi qui disais en ton cœur : “ Je monterai aux cieux,
au-dessus des étoiles de Dieu, j’érigerai mon trône. ” »
( Is 14, 12-13 )
Comment ? Frappé par le « sceptre de fer » !
Pour l’heure, Lucifer exerce ses ravages dans
la Cité sainte, où le pape Paul VI lui a élevé un
trône, le 7 décembre 1965, en proclamant que nous
avons « nous aussi, plus que quiconque, le culte de
l’homme qui se fait Dieu ».
Depuis, l’Église catholique, romaine, dévastée
par cette apostasie, est « une grande ville à moitié en
ruine », comme dit la troisième partie du Secret de
Fatima, traversée par « un Évêque vêtu de Blanc » qui,
« affligé de douleur et de peine, priait pour les âmes des
cadavres qu’il trouvait sur son chemin », car ces âmes
sont immortelles.
FÉV. 2017
Mais elle est aussi cette « Église de Philadelphie »
à qui le ­
Seigneur fait savoir : « Puisque tu as gardé
la parole de ma patience, à mon tour je te garderai de
l’heure de l’épreuve qui va fondre sur le monde entier
pour éprouver les habitants de la terre. Mon retour
est proche : tiens ferme ce que tu as, pour que nul ne
ravisse ta couronne. » ( Ap 3, 10 -11 )
Et comment « tenir » en cette effroyable tempête ? Un seul moyen :
« Regardez l’Étoile, invoquez Marie, si pure espérance pour ceux qui La prient ! Au long de la route,
conservez toujours son nom sur vos lèvres, ultime
secours. En La suivant, vous ne vous égarez pas ; en
La priant, vous ne désespérez pas ; si Elle vous soutient, vous ne tombez pas ; si Elle vous protège, vous
ne craignez pas. Même en quittant la terre, quand
l’âme s’enfuit, regardez l’Étoile, invoquez Marie ! »
UN MODÈLE DE VIE CHRÉTIENNE
En attendant la consommation de l’Histoire, quelle
conduite tenir ? Je ne puis mieux faire que de vous
proposer l’exemple des familles dos Santos et Marto...
à imiter comme eux-mêmes ont imité la Sainte
Famille de Nazareth. Manuel et Olimpia Marto,
parents de François et de Jacinthe, étaient non pas
superficiellement mais profondément ­chrétiens. C’est
pourquoi la paix et la joie régnaient dans leur foyer.
Ils enseignaient à leurs enfants les vérités de la foi
comme un dogme infaillible, dès l’âge le plus tendre.
Le soir, après le dîner, Manuel entonnait la prière
et tous suivaient le chef de famille.
Les cousins dos Santos n’étaient pas moins exemplaires. Antonio, le frère d’Olimpia Marto, était bon
chrétien, fidèle à ses devoirs religieux, honnête et
travailleur. Quant à Maria Rosa, c’était une “ femme
en or ”. Antonio et Maria Rosa eurent six enfants.
En 1917, l’aînée, Marie des Anges, vingt-six ans, est
déjà mariée. Puis viennent Thérèse, vingt-quatre ans,
Manuel, vingt-deux ans, le seul garçon de la famille,
Gloria, vingt ans, et Caroline, quinze ans. Lucie avec
ses dix ans est la benjamine. Elle est née le Jeudi
saint, 28 mars 1907, et elle fut baptisée le 30 mars,
dans l’église paroissiale de Fatima, alors que les cloches annonçaient la Résurrection de Notre-Seigneur.
Elle avait donc dix ans en 1917, au moment des
apparitions.
Maria Rosa menait ses enfants avec une grande
fermeté, ce qui n’empêchait pas la bonne joie chrétienne de régner au foyer. Chaque soir, elle leur
lisait une vie de saint, quelque passage de l’Ancien
Testament ou de l’Évangile : « Pour moi, disait-elle,
il n’y a rien de mieux qu’une lecture tranquille dans
ma maison. Les livres nous apportent de si belles
choses ! Et la vie des saints, quelle beauté ! » Elle
No 172 - P. 11
ne manquait pas de leur apprendre le catéchisme et
ne les laissait pas aller jouer avant qu’ils ne sachent
bien leur leçon.
Voici ce que Maria Rosa affirmait au curé d’Olival qui l’interrogeait sur son époux : « Il était bon
chrétien, catholique pratiquant et travailleur, même
jeune. C’est pourquoi je l’ai aimé et épousé. Il a
toujours été très fidèle à ses devoirs religieux et
civils et nous aimait beaucoup, moi et ses enfants.
Quand je lui dis que Dieu allait nous donner un
septième enfant [ Lucie], il répondit : “ Ne t’afflige
pas. C’est une bénédiction de Dieu. Ce n’est pas pour
cela que le pain manquera dans le tiroir ni l’huile dans
la cruche. ” »
Antonio dos Santos était un homme courageux
et très bon. C’est avec grande émotion que, dans
son cinquième Mémoire , sœur Lucie a évoqué ses
largesses et ses charités.
Cette vie laborieuse des paysans d’Aljustrel était
rythmée et éclairée par la succession des grandes
fêtes liturgiques, et les trois petits voyants bénéficièrent d’une incomparable éducation chrétienne.
« Durant le mois de Mai et le mois des Morts, et
pendant le Carême, raconte Marie des Anges, nous
récitions tous les jours le chapelet, auprès du foyer,
ou dans la salle. Et quand nous sortions les brebis,
notre mère nous recommandait toujours d’avoir notre
chapelet dans la poche : “ Vous réciterez là-bas le chapelet en l’honneur de Notre-Dame, après avoir mangé,
nous disait-elle, et quelques Pater en l’honneur de
saint Antoine, pour ne pas perdre les brebis ”... Et nous
ajoutions toujours quelques Pater pour les âmes de
nos parents défunts. Le matin, avant de nous lever,
et le soir, avant de nous coucher, après avoir récité
l’Acte de contrition et quelques Pater , elle ne nous
laissait pas oublier notre ange gardien...
« Elle voulait que nous fussions humbles et travailleuses. Et malheur à nous si elle nous surprenait
à mentir ! C’était même une des choses pour lesquelles elle était le plus sévère. Le moindre mensonge faisait intervenir aussitôt le manche à balai.
« Elle nous apprit la dévotion aux choses de
l’Église, et surtout au Très Saint-Sacrement, à peine
avions-nous commencé à ouvrir les yeux. »
Antonio, le père de Lucie, la chérissait et Lucie,
qui lui était très attachée, fut aussi marquée par la foi
profonde de son père et son âme vraiment religieuse :
« Quand les cloches de l’église paroissiale sonnaient l’Angélus , mon père cessait le travail. La tête
découverte, il récitait trois Ave Maria et revenait à
la maison. En attendant le souper, il s’asseyait, s’il
faisait beau, sur un banc de pierre qui était dans la
cour, adossé au mur de la cuisine ou, sinon, près de
la cheminée. Avec moi sur les genoux, il s’occupait
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à me raconter des histoires, et m’apprenait des cantiques régionaux, des fados, des petits couplets, etc.
entendu le bon Père Cruz lui dire, après sa première
confession, à l’âge de six ans :
« Ma mère était toute à sa besogne. De temps
en temps, quand elle passait près de nous, elle
disait : “ Qu’est-ce que tu apprends à la petite ? Si tu
lui apprenais le catéchisme ! ” Alors mon père disait :
“ Nous allons faire la volonté de ta mère ! ”
« Il prenait ma petite main dans la sienne pour
m’apprendre à tracer sur mon front, ma bouche et
ma poitrine, le signe de Croix. Puis il m’apprenait
à réciter le Notre Père , l’Ave Maria , le Credo , le
Confiteor , l’Acte de contrition , les Commandements de Dieu , etc. Et lorsque nous étions tous réunis
pour le dîner, il me faisait répéter ce que j’avais
appris et, tout content, il se tournait vers ma mère et
lui disait : “ Tu vois ! C’est moi qui le lui ai appris ! ”
« “ Ma fille, ton âme est le temple du Saint-Esprit.
Garde-la toujours pure pour qu’Il puisse continuer son
action divine en elle. ” En écoutant ces paroles, je
me sentis pénétrée de respect pour moi-même et je
demandai au bon confesseur comment je devais faire.
“ À genoux, là, aux pieds de Notre-Dame, demande-lui
avec beaucoup de confiance qu’elle prenne soin de ton
cœur, qu’Elle le prépare pour recevoir demain dignement
son Fils chéri, et qu’elle le conserve pour Lui seul. ” »
« En souriant, ma mère répondait : “ C’est parce
que tu es un très brave homme. Il faut toujours continuer
comme cela. ”
« Et mon père répondait : “ Dieu m’a donné la
meilleure femme du monde. ” Cela me faisait penser
que ma mère était la meilleure femme du monde,
et quand les autres enfants venaient jouer avec moi
dans notre cour, je leur demandais : “ Est-ce que ta
mère est bonne ? La mienne est la meilleure du monde. ”
« Quelquefois, mon père m’emmenait sur l’aire ;
il s’asseyait sur les sièges qui se trouvaient autour,
pour prendre l’air frais, c’était très agréable. Il
pointait un doigt vers le ciel et me disait : “ Regarde,
là-haut, c’est Notre-Dame et les petits anges ; la lune,
c’est la bougie de Notre-Dame ; les étoiles, celles des
anges qu’eux et Notre-Dame allument et viennent poser
aux fenêtres du ciel pour éclairer, la nuit, notre chemin.
Le soleil que tu vois se lever tous les jours, là-bas,
derrière la montagne, c’est la bougie de Notre-Seigneur,
qu’il allume tous les jours pour nous réchauffer et pour
nous éclairer durant notre travail. ”
« C’est pourquoi je disais aux autres enfants que
la lune était la bougie de Notre-Dame, les étoiles,
celles des anges, et le soleil, celle de Notre-Seigneur.
Je sais bien que tout cela est enfantin, mais cela
nous apprend à lever les yeux vers le Ciel où nous
savons que se trouvent Dieu notre Père, la Mère
bénie qu’il nous donna pour veiller sur nous, les
anges qu’il créa et destina à nous guider et à nous
conduire sur les chemins de la vie. »
Ti Marto avait bien remarqué la richesse de son
caractère :
« Elle était très expansive, racontait-il, très franche
et très fine, très affectueuse, même avec son père :
“ Mon papa par-ci ! mon papa par-là ! ” Ah, Jésus ! quelle
fille que celle-là ! Je le “ futurais ” bien déjà : “ Toi, tu
seras ou très bonne ou très mauvaise ! ” »
Mais elle avait déjà choisi, depuis qu’elle avait
Le lendemain, après avoir reçu « la Divine Hostie »,
elle lui adressa sa supplique : « “ Seigneur, faites de
moi une sainte, conservez mon cœur pur pour Vous seul ! ”
Il me sembla alors que le Bon Dieu me dit au
plus profond de mon cœur ces paroles très distinctes : “ La grâce qui t’est donnée aujourd’hui demeurera
vivante en ton âme et y produira des fruits de vie éternelle. ” Je me sentis, de cette manière, transformée
en Dieu.
« Lorsque se termina la cérémonie religieuse il
était presque 1 heure de l’après-midi parce que les
prêtres venus du dehors étaient arrivés en retard, et
à cause de la longueur du sermon et de la rénovation des promesses du baptême. Ma mère vint me
chercher, très affligée, croyant que j’étais tombée de
faiblesse. Je me sentais tellement rassasiée du Pain
des Anges qu’il me fut impossible de prendre aucun
aliment. Je perdis depuis lors le goût et l’attraction
que j’avais commencé à ressentir pour les choses du
monde, et je ne me sentais à mon aise que dans
un lieu solitaire où je pouvais alors me rappeler les
délices de ma première communion. »
RÉCITEZ LE CHAPELET !
Voici ce qu’écrivait sœur Lucie le 4 avril 1970,
à un de ses neveux prêtres :
« Que votre apostolat, comme celui de tous nos
frères et sœurs missionnaires, soit pour les âmes la
lumière de la foi qui les guide sur le chemin de la
Vérité, de l’espérance et de l’amour ! Cette lumière
dont nous parle le Seigneur dans son Évangile :
“ Vous êtes la lumière du monde et le sel de la terre. ”
« Il est nécessaire pour cela de ne pas se laisser
entraîner par les doctrines des contestataires désorientés... La campagne est diabolique . Nous devons
faire front, sans nous mettre en conflit. Nous devons
dire aux âmes que, maintenant plus que jamais, il
faut prier pour nous et pour ceux qui sont contre nous !
Nous devons réciter le chapelet tous les jours .
C’est la prière que Notre-Dame a le plus recommandée,
comme pour nous prémunir, en prévision de ces jours
de campagne diabolique ! Le démon sait que nous nous
sauverons par la prière. Aussi est-ce contre elle qu’il
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mène sa campagne pour nous perdre. Maintenant que
le mois de mai va commencer, récitez le chapelet
tous les jours. Ne craignez pas d’exposer le Saint-­
Sacrement et de dire le chapelet en sa présence.
« Il est faux de dire que cela n’est pas liturgique,
car les prières du chapelet font toutes partie de la sainte
Liturgie ; si elles ne déplaisent pas à Dieu lorsque
nous les récitons en célébrant le Saint-Sacrifice,
de même, elles ne Lui déplaisent pas si nous les
récitons en sa présence, lorsqu’il est exposé à notre
adoration. Au contraire, c’est la prière qui Lui est la
plus agréable, car c’est par elle que nous le louons le
mieux.
« “ Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit ”,
c’est la prière dictée par le Père aux Anges pour
qu’ils chantent près de la Crèche du Verbe fait
chair : “ Gloire à Dieu... ”
« “ Notre Père qui êtes au Cieux... ” C’est la prière
enseignée par Jésus-Christ à l’humanité : “ Quand vous
voulez prier, dites : Notre Père qui êtes aux Cieux... ”
« Et l’Ave Maria, qu’est-ce sinon une louange
et une prière adressée à Dieu ? “ Ave Maria, pleine
de grâce, le Seigneur est avec vous. ” Comme si nous
disions : Je vous salue, Marie, non pas pour vous
mais à cause du Seigneur qui habite en vous
et vous a choisie comme Sanctuaire vivant pour
enfermer son Verbe, Dieu et homme véritable ! Je
m’agenouille en votre présence parce que vous êtes
le premier Temple vivant habité par la Très Sainte
Trinité ! Béni soit le fruit de vos entrailles, parce que
ce Fruit est Jésus, Fils de Dieu. Je L’adore en vous,
comme dans un Tabernacle ; je Le loue, comme
dans l’Hostie dont vous êtes la custode ! Et, puisque
vous êtes une custode vivante, Mère de Dieu et
notre Mère, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.
« Si nous lui donnons son vrai sens, quelle prière
plus eucharistique pouvons-nous réciter ? Ce n’est
pas réciter à l’étourdie, ni répéter en vain les
mêmes paroles. L’Évangéliste nous dit qu’au jardin
des Oliviers, Jésus-Christ a prié son Père pendant
trois heures en répétant toujours les mêmes paroles :
“ Père ! S’il est possible, éloigne de moi ce calice mais
que ne soit pas faite ma volonté mais la Tienne. ”
« Or, pendant la récitation, nous ne restons pas
trois heures à répéter les mêmes paroles. Et, finalement, Dieu, Créateur de tout ce qui existe,
a ordonné que tous les êtres créés se conservent
moyennant une continuelle répétition des mêmes
actes, des mêmes mouvements, des mêmes sons.
Les astres tournent toujours de la même façon,
la terre autour du même axe ; le soleil répand
sa lumière et ses rayons de la même manière ;
les plantes poussent, donnent leurs fleurs et leurs
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fruits, chacune selon son espèce, tous les ans de la
même manière, etc., et ainsi de tous les êtres qui
existent. Nous-mêmes, nous vivons, nous respirons
et aspirons en répétant toujours le même fonctionnement organique. Et ainsi de tout le reste. Et il
n’est encore arrivé à personne de dire que c’est
une manière de vivre dépassée ! Pourquoi la prière
que Dieu nous a enseignée et tant recommandée
­serait-elle dépassée ?
« Il est facile de reconnaître ici la ruse du démon et
de ses s­ectateurs qui veulent éloigner les âmes de Dieu en
les éloignant de la prière. C’est dans la prière que les
âmes rencontrent Dieu et c’est dans cette rencontre
que Dieu se donne aux âmes et leur communique ses
grâces, ses lumières, ses dons. C’est pourquoi on leur
fait tant la guerre !
« Ne vous laissez pas tromper. Éclairez les âmes
qui vous sont confiées et récitez avec elles le chapelet tous les jours. Dites-le à l’église, dans les
rues, sur les chemins et les places. Si cela vous est
possible, parcourez les rues en priant et en chantant
le chapelet avec le peuple ; et finissez dans l’église
en donnant la bénédiction avec le Très Saint-Sacrement. Cela en esprit de prière et de pénitence pour
demander la paix pour l’Église, pour nos provinces
d’outre-mer, pour le monde. »
MYSTIQUE MARIALE EUCHARISTIQUE ET TRINITAIRE .
Dans une lettre du 12 avril 1970, à doña Maria
Teresa da Cunha qui fut, avec le Père Demoutiez, à
” de Notre-Dame,
l’origine de la “ Route mondiale en 1947, sœur Lucie répond qu’elle ne peut pas
apporter son soutien à la campagne que sa correspondante entreprend en faveur du chapelet ; elle ne
dit pas pourquoi. Mais nous savons que la campagne
du Père Dhanis a abouti à de sévères consignes
romaines contre sœur Lucie. Cependant, elle accompagne son refus de vues théologiques profondes et
de pointes polémiques contre les erreurs propagées
par les progressistes :
« Chère Marie-Thérèse,
Pax Christi.
« Notre Mère ne peut donner la permission que
vous désirez. Mais aussi n’est-elle pas nécessaire. Je
ne dois pas me mettre en évidence. Je dois demeurer
dans le silence, dans la prière et dans la pénitence.
C’est de cette manière que je peux le plus et que je
dois vous aider. Il est nécessaire que tout apostolat ait
ce fondement comme base ; et telle est la part que le
Seigneur a choisie pour moi : prier et me sacrifier pour
ceux qui luttent et travaillent dans la Vigne du Seigneur
et pour l’extension de son Royaume.
« C’est pour ce motif que mon nom ne doit pas
paraître. À sa place, il est beaucoup plus efficace
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que vous vous serviez du nom de Notre-Dame, en
suggérant le mouvement comme “ accomplissement ” du
Message, en présentant comme argument l’insistance
avec laquelle Notre-Dame a demandé et recommandé
que l’on récite le chapelet tous les jours. Elle a
répété cela dans toutes ses apparitions, comme pour
nous prémunir contre ces temps de désorientation diabolique, pour que nous ne nous laissions pas tromper
par de fausses doctrines et que, par le moyen de la
prière, l’élévation de notre âme vers Dieu ne s’amoindrisse pas.
« Il est sûr que ce n’est pas pendant la célébration de la Liturgie sacrée ou le Saint-Sacrifice de la
Messe que l’on doit réciter le chapelet. Il doit y avoir
un temps pour la Sainte Messe et un temps pour le
chapelet : nous pouvons prendre part à une chose
sans délaisser l’autre. Le chapelet est, pour la plupart
des âmes qui vivent dans le monde, comme le pain
spirituel de chaque jour ; et les priver ou leur enlever
cette prière, c’est-à-dire rabaisser dans leurs esprits
l’estime qu’ils en ont et la bonne foi avec laquelle
ils la récitaient, c’est, au point de vue spirituel la
même chose ou pire encore [ leur supprimer le pain
nécessaire à la vie physique] ; d’autant que le spirituel
est supérieur au matériel. Je veux dire : c’est comme
si, au point de vue matériel, on privait des personnes
du pain nécessaire à leur vie physique.
« Malheureusement, en matière religieuse, le peuple,
dans sa majeure partie, est ignorant et se laisse
entraîner où on le porte. De là, la grande responsabilité de celui qui a la charge de le conduire. Et nous
sommes tous les conducteurs les uns des autres, car
nous avons le devoir de nous aider mutuellement à
marcher sur le bon chemin.
« En plus de ce que j’ai dit, il sera bon que l’on
donne à la prière du chapelet un sens plus réel que
celui qu’on lui a donné jusqu’ici, de simple prière
“ mariale ”. Toutes les prières que nous récitons dans
le chapelet sont des prières qui font partie de la
Liturgie sacrée ; et plus qu’une prière adressée à
Marie, elle est adressée à Dieu :
• Le Notre Père nous fut enseigné par JésusChrist qui disait : “ Eh bien ! priez ainsi : Notre Père
qui êtes au Cieux... ”
• “ Gloire au Père, au Fils, au Saint-Esprit... ” C’est
l’hymne que les Anges envoyés par Dieu chantèrent
pour annoncer la naissance de Son Verbe, Dieu fait
homme.
• L’Ave Maria , bien compris, n’en est pas moins
une prière adressée à Dieu : “ Ave, Maria, gratia plena,
Dominus tecum ” : Je vous salue, Marie, parce que le
Seigneur est avec Vous ! Ces paroles sont dictées par
le Père à l’Ange, cela est certain, quand Il l’envoya
sur la terre saluer Marie par ces mots.
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« Oui ! L’Ange est venu dire à Marie qu’Elle est
pleine de Grâce, non par Elle-même mais parce que
le Seigneur est avec Elle !
« “ Vous êtes bénie entre les femmes et béni est le
fruit de vos entrailles, Jésus ” : ces paroles, avec lesquelles Élisabeth salua Marie, lui furent dictées par
l’Esprit-Saint. L’Évangéliste nous dit : “ En entendant la salutation de Marie, Élisabeth... fut remplie de
l’Esprit-Saint. Élevant la voix, elle s’exclama : Tu es
bénie entre toutes les femmes et béni est le fruit de tes
entrailles. ” Oui ! Parce que ce fruit est Jésus, vrai
Dieu et vrai Homme !
« Ainsi cette salutation est une louange à Dieu :
Tu es bénie entre les femmes, parce que le fruit de
tes entrailles est béni ; et parce que tu es la Mère
de Dieu fait homme, en toi nous adorons Dieu, comme
dans le premier Tabernacle, dans lequel le Père enferma
son Verbe ; comme premier Autel, ton Sein ; premier
Ostensoir, tes bras, devant lesquels les Anges, les bergers,
les rois s’agenouillèrent pour adorer le Fils de Dieu fait
Homme ! Et parce que toi, ô Marie, tu es le premier
Temple vivant de la Très Sainte Trinité où habitent le
Père, le Fils et l’Esprit-Saint. “ L’Esprit viendra sur toi
et la force du Très-Haut étendra sur toi son ombre. C’est
pour cela même que le Saint qui va naître doit s’appeler
Fils de Dieu. ” ( Lc 1, 35 )
« Et maintenant que tu es un Tabernacle, un
Ostensoir, un Temple vivant, la demeure permanente
de la Très Sainte Trinité, Mère de Dieu et notre
Mère, “ prie pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à
l’heure de notre mort ”.
« Il est certain que saint Paul dit qu’il n’y a
qu’un seul Médiateur auprès du Père. Oui ! Comme
Dieu, il n’y en a qu’un seul, c’est Jésus-Christ. Mais
le même Apôtre demande qu’on prie pour lui et
nous recommande de prier les uns pour les autres :
l’Apôtre pourrait-il donc ne pas croire que la prière
de Marie fut aussi agréable à Dieu que la nôtre ?
C’est la désorientation diabolique qui envahit le monde
et trompe les âmes ! Il est nécessaire de lui faire front ;
et pour cela, vous pourrez vous servir de ce que je
vous dis ici. Mais comme d’une chose venant de vous,
sans dire mon nom ; comme quelque chose qui vous
vient au courant de la plume. Et, en vérité, cela est
vôtre à cause de notre qualité de membres du Corps
Mystique du Christ, tout est nôtre, car tout vient de
la Tête, le Christ-Jésus.
« Et en restant à ma place, je prie pour vous et
pour tous ceux qui vont travailler avec vous, pour
que ce soit une campagne qui rende beaucoup de
gloire à Dieu, apporte beaucoup de lumière et de
grâce aux âmes, la paix à la Sainte Église et au
monde ensanglanté par les guerres.
« Peut-être serait-il bon de présenter cette campagne, non seulement comme un accomplissement du
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Message mais encore comme une campagne de prière
et de pénitence pour la paix dans le monde, la Sainte
Église, et le Portugal dans ses provinces d’outre-mer.
Pour que le Portugal qui a tant de dévotion pour
l’Eucharistie et Marie, soit le premier à reconnaître
que la récitation du chapelet n’est pas seulement une
prière mariale mais aussi une prière eucharistique.
Pour cela, rien ne doit empêcher qu’il puisse être
récité devant le Très Saint-Sacrement. Nous en avons
pour preuve l’indulgence plénière que le Saint-Père
Pie XI avait accordée à ceux qui réciteraient le chapelet devant le Très Saint-Sacrement ; et récemment
la même indulgence a de nouveau été accordée par
Sa Sainteté Paul VI.
« Il est donc nécessaire de réciter le chapelet dans
les villes, les bourgs et les villages, par les rues et
les chemins, en voyage ou à la maison, dans les
églises et les chapelles ! C’est une prière accessible
à tous et que tous peuvent et doivent faire. Nombreux
sont ceux qui n’assistent pas chaque jour à la prière
liturgique de la Sainte Messe : s’ils ne disent pas leur
chapelet, quelle prière feront-ils ? Et sans prière, qui
se sauvera ? ! “ Veillez et priez afin de ne pas entrer en
tentation. ”
« Il est donc nécessaire de prier et de prier toujours.
C’est-à-dire que toutes nos activités et tous nos travaux
soient accompagnés d’un grand esprit de prière, car c’est
dans la prière que l’âme rencontre Dieu ; et c’est dans
cette rencontre que l’on reçoit grâce et force, même lorsqu’elle est accompagnée de distractions. Elle apporte toujours aux âmes une augmentation de foi, ne serait-ce
que par le souvenir momentané des mystères de
notre Rédemption rappelant la naissance, la mort
et la Résurrection de notre Sauveur ; et Dieu saura
décompter et pardonner ce qui touche à la faiblesse
humaine, son ignorance et son insuffisance.
« Quant à la répétition des Ave Maria , ce n’est
pas une chose arriérée, comme on veut le faire
croire. Toutes les choses qui existent et ont été
créées par Dieu, se maintiennent et conservent par
le moyen de la répétition, toujours continuée, des
mêmes actes. Et il n’est encore arrivé à personne
de traiter de suranné le soleil, la lune, les étoiles,
les oiseaux et les plantes, etc., parce qu’ils tournent,
vivent et poussent toujours de la même manière ! Et
ils sont plus anciens que la récitation du chapelet !
Pour Dieu, rien n’est ancien. Saint Jean dit que
les Bienheureux, dans le Ciel, chantent un cantique
nouveau en répétant toujours : “ Saint, Saint est le Seigneur, Dieu des Armées ! ” Il est nouveau parce que,
dans la lumière de Dieu, tout apparaît dans un
éclat neuf !
« Je vous embrasse très fort, toujours en union
de prières.
« Sœur Lucie, indigne carmélite déchaussée. »
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LA DÉVOTION RÉPARATRICE
POUR CONSOLER NOTRE-DAME
Mère Cunha Matos a été supérieure à Tuy du
30 octobre 1944 au 10 décembre 1946. Sœur Lucie
lui écrit le 14 avril 1945 :
« Je me souviens toujours de la grande promesse
qui me remplit de joie : “ Je ne te laisserai jamais seule.
Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te
conduira à Dieu. ”
« Je crois que cette promesse n’est pas pour
moi seule, mais pour toutes les âmes qui veulent se
réfugier dans le Cœur de leur Mère du Ciel et se
laisser conduire par les chemins tracés par elle...
Il me semble que telles sont aussi les intentions du
Cœur Immaculé de Marie : faire briller devant les
âmes encore ce rayon de lumière, leur montrer encore
ce port de salut, toujours prêt à accueillir tous les
naufragés de ce monde...
« Quant à moi, tout en savourant les fruits délicieux de ce beau jardin, je m’efforce d’en faciliter
l’accès aux âmes, pour qu’elles y rassasient leur faim
et leur soif de grâce, de réconfort et de secours. »
Mère Cunha Matos avait ce zèle : tous les premiers samedis, les 12 et 13 des mois de mai à octobre, et lors de toutes les fêtes de Notre-Dame, elle
parcourait la maison, rayonnante de joie, en portant
sa statue et en chantant le cantique “ Le treize mai ”.
C’était jour de fête ! C’est ce que Dieu veut étendre
au monde entier : « établir » un culte public, solennel
et stable, donc liturgique, reconnu, exalté et répandu
par la hiérarchie elle-même, ne se réduisant pas à
une dévotion privée, qui peut naître puis disparaître.
Loin de contredire l’unique médiation du Cœur de
Jésus, la dévotion au Cœur Immaculé de Marie est le
seul chemin qui y conduit :
« Nous voyons ainsi que la dévotion au Cœur
Immaculé de Marie s’établira dans le monde par
une véritable consécration qui est conversion et don total.
Comme, par la consécration, le pain et le vin se
transforment en Corps et en Sang du Christ, qu’il a
puisés, comme tout son être humain, dans le Cœur de
Marie. C’est de cette manière que le Cœur Immaculé
sera pour nous le refuge et le chemin qui mène
jusqu’à Dieu.
« Nous formerons alors le cortège de ce nouveau
lignage créé par Dieu, en puisant la vie surnaturelle à
la même source fécondante, le Cœur de Marie qui est la
Mère du Christ et de son Corps mystique. Si bien que
nous deviendrons véritablement les frères du Christ,
selon ses propres paroles : “ Ma Mère et mes frères, ce
sont ceux qui écoutent la Parole de Dieu et la mettent
en pratique. ” ( Lc 8, 21 ) »
La dévotion au Cœur Immaculé de Marie est
désormais le gage certain du salut.
FÉV. 2017
Et pour sauver les âmes de l’enfer, « Dieu veut
établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé », a dit la Vierge de la Cova da Iria. L’affliction
de Notre-Dame marqua profondément Lucie. Elle en
fit la confidence, au début des années quarante, au
Père Humberto Pasquale :
« Ce qui m’est resté le plus gravé dans l’esprit
et dans le cœur, ce fut la tristesse de cette Dame
lorsqu’elle nous montra l’enfer ! Si la vision de l’enfer
avait duré un instant de plus, nous serions morts de peur
et d’épouvante. Cependant, une chose m’a encore plus
impressionnée, ce fut l’expression douloureuse du regard
de Notre-Dame ! Si je vivais mille ans, je la conserverais toujours gravée dans mon cœur. »
Ainsi, la dévotion au Cœur Immaculé est le moyen
que le Sacré-Cœur de Jésus a conçu dans sa Sagesse
pour mettre le comble à la fois à sa Miséricorde
infinie pour nous autres pécheurs, et à son premier
amour, unique et incomparable, pour la Très Sainte
Vierge Marie ! En effet, le pouvoir donné par Dieu
au Cœur Immaculé de Marie de sauver les âmes
de l’enfer constitue le premier acte et aujourd’hui
l’ultime grâce de l’économie de la Rédemption.
Cependant, face à l’enfer, notre très chéri Père
Céleste nous offre le Cœur Immaculé de Marie
« avec une certaine crainte », comme le dira sœur
Lucie au Père Fuentes. C’est le renouvellement en
Marie des grâces de la nouvelle et éternelle Alliance,
mais cette ultime grâce, c’est « avec une certaine
crainte » que nous l’offre le Père Céleste parce que
« si nous méprisons et repoussons cet ultime moyen de
salut, nous n’aurons plus le pardon du Ciel ».
Enfin, la dévotion au Cœur Immaculé de Marie
n’est pas seulement l’ultime recours des plus grands
pécheurs en perdition, elle est en vérité le chemin
le plus sûr et le plus rapide qui mène à la sainteté.
L’exemple des trois voyants en est une preuve
éclatante et un appel à le suivre.
NOTRE - DAME EN GR AND CHAGRIN .
C’est le 10 décembre 1925, à l’âge de dix-huit
ans, que sœur Lucie reçut la mission de répandre
la dévotion réparatrice des cinq premier samedi du
mois. De la bouche de l’Enfant-Jésus et de la Sainte
Vierge :
« La Très Sainte Vierge lui apparut et, à côté
d’elle, porté par une nuée lumineuse, l’Enfant-Jésus.
La Très Sainte Vierge mit la main sur son épaule et
lui montra, en même temps, un Cœur entouré d’épines
qu’elle tenait dans l’autre main.
« Au même moment, l’Enfant lui dit : “ Aie compassion du Cœur de ta Très Sainte Mère, entouré des épines
que les hommes ingrats lui enfoncent à tout moment, sans
qu’il y ait personne pour faire acte de réparation afin de
les en retirer. ”
No 172 - P. 16
« Ensuite, la très Sainte Vierge lui dit : “ Vois, ma
fille, mon Cœur entouré d’épines que les hommes ingrats
m’enfoncent à chaque instant par leurs blasphèmes et
leurs ingratitudes. Toi, du moins, tâche de me consoler
et dis que tous ceux qui, pendant cinq mois, le premier
samedi, se confesseront, recevront la sainte Communion,
réciteront un chapelet, et me tiendront compagnie pendant
quinze minutes en méditant sur les quinze mystères du
Rosaire, en esprit de réparation, je promets de les assister
à l’heure de la mort avec toutes les grâces nécessaires
pour le salut de leur âme. ” »
Visite renouvelée le 15 février 1926, où Jésus lui
demande :
« As-tu demandé l’ Enfant - Jésus à notre Mère du
Ciel ?
« L’Enfant se tourna vers moi et me dit :
– Et toi, as-tu révélé au monde ce que la Mère du
Ciel t’a demandé ?
« Et, ayant dit cela, il se transforma en un enfant
resplendissant. Reconnaissant alors que c’était Jésus,
je lui dis :
« Mon Jésus ! Vous savez bien ce que m’a dit mon
confesseur dans la lettre que je vous ai lue. Il disait
qu’il fallait que cette vision se répète, qu’il y ait
des faits pour permettre de croire, et que la Mère
supérieure ne pouvait pas, elle toute seule, répandre
la dévotion dont il était question.
– C’est vrai que la Mère supérieure, toute seule, ne
peut rien, mais avec ma grâce, elle peut tout. Il suffit que
ton confesseur te donne l’autorisation et que ta supérieure
le dise pour que l’on croie, même sans savoir à qui cela
a été révélé.
– Mais mon confesseur disait dans sa lettre que
cette dévotion ne faisait pas défaut dans le monde,
parce qu’il y a déjà beaucoup d’âmes qui Vous
reçoivent chaque premier samedi, en l’honneur de
Notre-Dame et des quinze mystères du Rosaire.
– C’ est vrai, ma fille, que beaucoup d’ âmes commencent, mais peu vont jusqu’au bout et celles qui
persévèrent le font pour recevoir les grâces qui y sont
promises. Les âmes qui font les cinq premiers samedis
avec ferveur et dans le but de faire réparation au Cœur
de ta Mère du Ciel me plaisent davantage que celles qui
en font quinze, tièdes et indifférentes. »
Après cette apparition du 15 février 1926, Lucie
sentit un mélange de bonheur indescriptible et de
douleur vive, en voyant Dieu tellement offensé. Elle
aurait « voulu souffrir tous les martyres pour faire
réparation au Cœur Immaculé de Marie, ma Mère
chérie, et, une par une, lui retirer toutes les épines
qui le déchirent, mais je compris que ces épines
sont le symbole des nombreux péchés commis contre
son Fils, qui transpercent le Cœur de la Mère. Oui,
puisque à cause d’eux beaucoup d’autres enfants se
perdent éternellement. »
FÉV. 2017
No 172 - P. 17
Lucie ne parvenait pas à répondre aux désirs de
Jésus et Marie du fait de l’opposition de son confesseur Mgr Pereira Lopes. Elle lut la lettre de ce
dernier à Jésus, après la communion et lui dit :
« Ô mon Jésus ! Moi, avec votre grâce, la prière,
la mortification et la confiance, je ferai tout ce que
l’obéissance me permettra et ce que vous m’inspirerez ; le reste, faites-le vous-même. »
« Le reste », à savoir la diffusion de cette dévotion
dans toute l’Église.
Par ailleurs, le chanoine Formigão note :
« Lucie a toujours été gaie et joviale, et encore
aujourd’hui après sa profession religieuse, sa simplicité, ses bonnes dispositions et sa joie intérieure
qui rayonne sur son visage enchantent toutes les
personnes qui l’approchent. Les visions dont elle fut
favorisée, non seulement n’ont pas nui à son état
moral, mais elles ont contribué à l’élever au-dessus
de la vie ordinaire jusqu’au sommet de la perfection
particulièrement achevée de la vie religieuse. »
Pour ce qui est d’elle, tableau brossé par le
chanoine Formigao, premier “ directeur spirituel ” des
voyants après l’apparition du 13 septembre 1917
qui forgea sa confiance inébranlable en la vérité du
témoignage des enfants :
« Je viens de rentrer d’Espagne. J’ai assisté à
la profession de Lucie, qui a eu lieu le 3, jour de
la fête de la petite sainte Thérèse. À cause de la
panne de la voiture dans laquelle il roulait pour
aller prendre le train, Mgr dom José da Silva n’a
pas présidé la fête, qui a été charmante. La petite
est toujours la même, comme vous l’avez connue.
Elle est douée d’une simplicité et d’une humilité
admirables. Quelle profonde piété, à la fois remarquable et si joyeuse ! Quel extraordinaire esprit
d’obéissance ! Quel amour du sacrifice et de la
mortification ! La veille, alors qu’elle avait déjà
terminé sa retraite, j’ai été l’unique personne à qui
l’on accorda la permission de lui parler et d’être
seul à seule avec elle. Ce furent des heures d’ineffable joie spirituelle ! Je ne les oublierai jamais.
« J’avais su déjà il y a quelques mois, par une
lettre de la maîtresse des novices, qu’elle avait
été l’objet d’une nouvelle révélation. Voici de quoi
il s’agit : Notre-Seigneur est profondément mécontent
des offenses que l’on fait à sa Très Sainte Mère et il
ne peut plus les supporter davantage. À cause de ces
péchés, de ces outrages et blasphèmes, qui font tant
souffrir son Cœur de Fils très aimant, beaucoup d’âmes
sont tombées en enfer et d’autres sont en danger de
se perdre. Notre-Seigneur promet de les sauver, dans la
mesure où l’on pratiquera cette dévotion, avec le but
de faire réparation au Cœur Immaculé de notre Très
Sainte Mère : Dévotion réparatrice au Cœur Immaculé
de Marie. Durant cinq mois... » Suit le texte de la
grande promesse.
« Le Père Mateo est venu intensifier la dévotion
au Sacré-Cœur de Jésus, maintenant Lucie vient
intensifier la dévotion au Cœur Immaculé de Marie,
qui en est le complément nécessaire. Par ces deux
dévotions réparatrices, les offenses que l’on fait au
Fils et à la Mère sont ainsi réparées, comme il est
absolument juste. Hier après-midi, j’ai couru à Porto
en automobile pour faire connaître cette dévotion qui
a été accueillie avec le plus grand enthousiasme... »
Comme en 1917, le Dr Formigão allait être, pour
les apparitions de Pontevedra, l’un des apôtres de
la première heure. Ce 3 octobre 1928, sœur Lucie
lui offrit une image de Notre-Dame sur laquelle elle
écrivit au verso :
« Je prie pour faire connaître et aimer le Cœur
Immaculé de notre très Sainte Mère et pour qu’on Lui
fasse réparation. Je n’oublie jamais de prier pour votre
Révérence de qui je suis la servante toute dévouée en
Notre-Seigneur. Sœur Marie-Lucie des Douleurs. »
Et, sur une autre image, pour Antonia, la sœur
du chanoine, elle écrivit :
« Je prie pour aimer beaucoup le Cœur Immaculé
de notre très Sainte Mère et pour que vous vous
efforciez de Le consoler.
« Votre amie qui ne vous oublie jamais auprès de
Jésus au Saint-Sacrement, sœur Lucie de Jésus. »
Aussitôt après la profession de sœur Lucie, le
chanoine Formigão entreprit des démarches auprès de
Mgr da Silva. Il apporta à l’évêque une petite lettre
rédigée par Lucie à son intention :
« Excellentissime et Révérendissime Monseigneur
l’évêque,
« Si je ne me trompe, le Bon Dieu, dans son infinie
miséricorde, se plaint de ne pouvoir supporter plus longtemps les offenses qui se commettent contre l’Immaculée
Conception de la Très Sainte Vierge. Il dit qu’à cause
de ce péché, un grand nombre d’âmes tombent en
enfer, et il promet de les sauver dans la mesure où
l’on pratiquera la dévotion suivante, avec l’intention
de faire réparation au Cœur Immaculé de notre Très
Sainte Mère. Je viens donc, excellentissime et révérendissime Seigneur, avec l’approbation de mon confesseur et de ma très révérende Mère supérieure, et
pour satisfaire aux désirs de Notre-Seigneur, demander
humblement à votre Excellence révérendissime de bien
vouloir lui accorder son approbation. »
Et Lucie exposait la grande promesse.
Mgr da Silva n’avait aucune objection sérieuse
l’empêchant d’approuver la dévotion des premiers
samedis. Peu après, le chanoine Formigão écrivait :
« Mgr dom José da Silva, avec lequel je suis
allé m’entretenir à Braga sur ce sujet, m’a autorisé
à propager dès maintenant, en privé, cette dévotion
FÉV. 2017
réparatrice. Il la promulguera sous peu dans un
document public et officiel, en la recommandant et
en l’indulgenciant. »
C’était une promesse qui manifestait un accord de
principe. Malheureusement, elle ne fut pas tenue.
Lucie ne désespère pas. Elle écrit au Père Aparicio
le 4 novembre 1928 :
« J’espère que notre Bon Dieu daignera inspirer à
son Excellence révérendissime une réponse favorable,
et que, parmi tant d’épines, je cueillerai cette fleur,
en voyant encore sur cette terre le Cœur maternel de
la Très Sainte Vierge aimé et honoré. C’est maintenant mon désir parce que c’est aussi la volonté de
Dieu. La plus grande joie que j’éprouve est de voir
le Cœur Immaculé de notre si tendre Mère connu,
aimé et consolé, par le moyen de cette dévotion. »
L’AIMABLE DÉVOTION RÉPARATRICE
Le 1er novembre 1927, sœur Lucie écrit à madame
Filomena Morais de Miranda, sa marraine de confirmation, qui la visitait souvent à Vilar et lui procurait
tout ce dont elle avait besoin :
« Je viens aujourd’hui vous remercier de votre
aimable petite lettre à laquelle j’aurais déjà dû
répondre depuis longtemps, mais j’espère que vous
me pardonnerez mon silence prolongé.
« J’ai été bien contente de savoir que vous aviez
fait le voyage de Lourdes sans encombre et que, aux
pieds de notre chère Mère du Ciel, vous n’ayez pas
oublié ma pauvre âme, moi non plus je n’oublierai
pas ma bonne marraine dans mes humbles prières.
« Je ne sais si vous avez déjà connaissance de la
dévotion réparatrice des cinq samedis au Cœur Immaculé
de Marie. Comme elle est encore récente, j’ai pensé
à vous la recommander, car elle a été demandée par
notre très chère Mère du Ciel et Jésus a manifesté
le désir que cette dévotion soit pratiquée. Aussi, me
semble-t-il que vous serez heureuse, chère marraine,
non seulement de la connaître, et de donner à
Jésus la consolation de la pratiquer, mais aussi
de la faire connaître et embrasser par beaucoup
d’autres personnes.
« Elle consiste en ceci : durant cinq mois, le
premier samedi, recevoir Jésus - Hostie, réciter un
chapelet, tenir compagnie à Notre-Dame pendant
quinze minutes en méditant les mystères du Rosaire,
et faire une confession. Celle-ci peut se faire quel­
ques jours avant, et si dans cette confession antérieure on a oublié d’avoir l’intention [ demandée ],
on peut offrir la confession suivante, pourvu que
le premier samedi on reçoive la sacrée communion en état de grâce, avec l’intention de réparer
les offenses faites à la Très Sainte Vierge et qui
affligent son Cœur Immaculé.
No 172 - P. 18
« Il me semble, ma bonne marraine, que nous
sommes heureuses de pouvoir donner à notre très
chère Mère du Ciel cette preuve d’amour, car nous
savons qu’elle désire qu’elle lui soit offerte. Quant
à moi, j’avoue que je ne me sens jamais aussi heureuse que lorsque arrive le premier samedi. N’est-il
pas vrai que notre plus grand bonheur est d’être tout
entières à Jésus et à Marie et de les aimer, eux seulement, sans réserve ? Nous voyons cela si clairement
dans la vie des saints... Ils étaient heureux parce
qu’ils aimaient et, nous, ma bonne Marraine, nous
devons chercher à aimer comme eux, non seulement
pour jouir de Jésus, ce qui est le moins ­
important,
– car si nous ne jouissons pas de Jésus ici-bas, nous
jouirons de Lui là-haut –, mais pour donner à Jésus
et Marie la consolation d’être aimés.
« Et si nous pouvions faire en sorte qu’ils se
voient aimés mais sans savoir de qui et qu’ainsi,
en échange de cet amour, ils puissent sauver beaucoup
d’âmes ! alors, je crois que je serais tout à fait
heureuse. Mais puisque nous ne pouvons pas cela,
aimons-Les au moins pour qu’Ils soient aimés.
« Adieu, ma bonne marraine, je vous embrasse
dans les très Saints Cœurs de Jésus et Marie.
« Marie Lucie de Jésus. »
Dans une lettre non datée, sœur Lucie écrit :
« Voici ma manière de faire les méditations sur
les mystères du rosaire, les premiers samedis :
« Premier mystère, l’Annonciation de l’ange Ga­
briel à Notre-Dame. Premier préambule : me représenter, voir et entendre l’Ange saluer Notre-Dame
avec ces paroles : “ Je vous salue Marie, pleine de
grâce ”. Deuxième préambule : je demande à NotreDame qu’elle infuse dans mon âme un profond sentiment d’humilité.
« Premier point : Je méditerai la manière dont le
Ciel proclame que la Très Sainte Vierge est pleine
de grâce, bénie entre toutes les femmes et destinée à
être la Mère de Dieu.
« Deuxième point : L’humilité de Notre-Dame, se
reconnaissant et se disant l’esclave du Seigneur.
« Troisième point : Comment je dois imiter NotreDame dans son humilité, quelles sont les fautes
d’orgueil et de superbe dans lesquelles j’ai le plus
l’habitude de déplaire à Notre-Seigneur, et quels
sont les moyens que je dois employer pour les
éviter, etc.
« Le deuxième mois, je fais la méditation du
deuxième mystère joyeux. Le troisième, du troisième
et ainsi de suite, en suivant la même méthode pour
méditer. Quand j’ai terminé ces cinq samedis, j’en
commence cinq autres et je médite les mystères
douloureux, ensuite les glorieux, et quand je les ai
terminés, je recommence les joyeux. »
FÉV. 2017
L
No 172 - P. 19
LA LITURGIE DE LA SA I NTE V IERGE
ES deux premiers mots de la dévotion réparatrice
sont Ave Maria , que notre Père traduit par un
cri de son cœur d’enfant : « Je vous aime, ô Marie ! »
en ajoutant : « Celui qui commence à se désintéresser
de cette invocation entre dans la zone des dangers :
attention, serpents ! »
Tandis que, depuis des siècles, le peuple de
Dieu, les pèlerins particulièrement, personnification de
l’Église en marche vers le Ciel, ont reçu les 150 Ave
du Rosaire comme prière parallèle aux 150 Psaumes
des moines.
Sœur Lucie a bien expliqué, à maintes reprises,
que cette manière de prier la Vierge Marie est aussi
parfaite, à son niveau, parce qu’on passe par Marie
pour aller à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, au fil
des chapelets déroulant toute vie en circumincessante
charité, avec ses trois étapes : joyeuse, douloureuse
et glorieuse.
Au commencement, Marie apprend qu’elle va
devenir la Mère de Jésus. Plutôt que le récit de la
création, redoutable et singulièrement souillée par le
péché originel dès le premier pas, l’Angélus est le
commencement de la révélation : « Réjouissez-vous,
Marie, pleine de grâce. » Au fil des mystères joyeux
associés aux heures de la journée, tout est grâce pour
l’enfant qui repose sur le sein de sa mère, tout est
douceur, caresse, amour qui nous viennent de Marie,
parce que Jésus est notre Rédempteur par la grâce de
Marie Corédemptrice.
Ensuite viennent les Mystères douloureux par lesquels nous méditons l’œuvre du Fils de Dieu qui
nous sauve, par la médiation du Cœur Immaculé de
Marie. On ne la quitte pas. On la suit au pied de la
Croix, transpercée du glaive des sept douleurs d’un
Cœur très maternel que nous voulons consoler.
Les mystères glorieux anticipent sur la joie du
Ciel, vers lequel le moine et le pauvre laïc regardent
humblement, en songeant qu’il n’est peut-être pas loin.
La pratique du chapelet a été instituée dans nos
familles par une volonté de Notre-Dame de Fatima,
sans passer par l’Église hiérarchique. À chacune de
ses apparitions, elle a dit : « Récitez le chapelet tous les
jours. » Ce n’est pas un “ devoir ”, mais c’est plus mobilisant parce qu’il le faut pour obtenir toute grâce et le
Paradis au jour de la mort. Voilà que par cette simple
phrase, le chapelet a court-circuité toutes les liturgies pesantes que seuls les moines peuvent pratiquer.
C’est libre, mais c’est nécessaire, puisqu’il s’agit
d’une volonté de la Mère de Dieu, et du moyen premier du règne de Dieu dans nos cœurs. Nonobstant
notre tiédeur, médiocrité, lâcheté.
Pourquoi est-ce nécessaire ? Parce que Dieu le
veut ! C’est nécessaire par une volonté de bon plaisir
de notre très chéri Père Céleste, qui nous est signifiée
avec insistance depuis cent ans. Non par des raisons
intellectuelles ou morales ou ascétiques, mais par un
impératif catégorique de notre Souverain Seigneur,
transmis par notre Souveraine. Si Dieu l’a dit, ou
l’a fait dire par la Sainte Vierge, c’est qu’il le veut,
sans explication, mais il faut y répondre par foi,
espérance, amour, vertus théologales faisant retour à
Dieu sans obstacle, ni aide, par le mouvement de la
circumincessante charité. Il n’y a rien d’autre à comprendre que « cela fait plaisir au Bon Dieu ».
Cependant, à mesure que la créature se prête à
cette servitude, le temps de la récitation du chapelet
se trouve raccourci, l’énigme du sens de cette récitation se change en une lumière diffuse, produisant un
début de paix et de bonheur céleste. C’est le fruit de
cette méditation de saint Ignace que nous voyons à
l’œuvre dans le cœur de sœur Lucie et qu’elle s’efforce d’enseigner à ses correspondants (supra, p. 18 ).
Quand saint Louis-Marie Grignion de Montfort
couvre de baisers sa petite statue de la Sainte Vierge
sculptée par lui-même, cette expression de sa dévotion
est une véritable communion qui n’est autre que la
communion des saints. Par les leçons de saint Ignace
le dévot de Marie en vient à voir, entendre, odorer,
savourer, toucher la Sainte Vierge, Jésus-Christ luimême. C’est le début d’une très amoureuse piété et
d’un grand progrès spirituel parce que Dieu créateur
et miséricordieux permet qu’au moment où le fidèle
manifeste sa dévotion, celle-ci aille plus loin que luimême, atteigne l’objet de son adoration, de sa piété,
de sa dévotion. C’est l’apprentissage du Ciel.
SŒUR LUCIE PARLE
Outre plusieurs lettres sur le chapelet, notamment
en 1969-1970, pour soutenir la vigoureuse campagne
conduite par des Portugais, prêtres et laïcs, pour la
défense du chapelet, sœur Lucie rédigea une petite
feuille volante, où son nom ne figure pas, mais
à laquelle l’évêque de Leiria, Mgr Joao Venancio,
accorda l’imprimatur le 13 mai 1971. En réponse
à une demande présentée par le clergé pour que le
chapelet soit déclaré « prière officielle de l’Église »,
la Conférence épiscopale de la métropole n’osa pas
transmettre cette demande à Rome. Mais en publiant
ce texte dans son livre Uma vida ao serviço de
Fatima ( Porto, 1973, p. 388 ), le Père Martins dos
Reis note que sœur Lucie a dû recevoir « une
assistance très particulière d’En-Haut pour écrire
ce qu’elle écrit et comme elle l’écrit... » L’abbé de
Nantes, notre Père, se disait « stupéfait de la richesse
de ces commentaires. »
FÉV. 2017
PETIT TRAITÉ DE SŒUR LUCIE SUR LE CHAPELET.
« Récitez le chapelet tous les jours pour obtenir
la paix pour le monde et la fin de la guerre. »
( 13 mai 1917 )
Toutes les âmes de bonne volonté peuvent et
doivent réciter le chapelet tous les jours. Elles
peuvent le réciter dans une église, que le très
Saint-Sacrement soit exposé ou qu’il demeure dans
le Tabernacle. Elles peuvent aussi le réciter en
famille, comme en particulier, sur les chemins ou en
voyage. La prière du chapelet est la plus accessible
à tous, aux riches comme aux pauvres, aux savants
comme aux ignorants. Elle doit être comme le pain
spirituel de chacun. Par le moyen des mystères que
nous remémorons à chaque dizaine, elle nourrit et
augmente dans les âmes la foi, l’espérance et la
charité.
L’abbé de Nantes, notre Père, observait une
« avancée hardie » dans cette « égalisation de la
prière à Marie avec la prière au Saint-Sacrement ».
Bien plus : « Voilà que la prière à Marie est comme
l’Eucharistie, le pain spirituel de chacun. »
« Je veux... que vous récitiez le chapelet tous les
jours. » ( 13 juin 1917 )
Nous devons réciter le chapelet tous les jours, car
nous avons tous besoin de prier et nous y sommes
obligés. Si nous ne nous sauvons pas par l’innocence,
il faut que nous nous sauvions par la pénitence. Pour
cela, que le petit sacrifice quotidien de la récitation
du chapelet, que nous offrons à Dieu, soit uni à cette
prière de supplication : “ Notre Père qui est aux Cieux...
Pardonnez-nous nos péchés comme nous pardonnons à
ceux qui nous ont offensés. ” “ Sainte Marie, Mère de
Dieu, priez pour nous pécheurs, maintenant et à l’heure
de notre mort. ”
« Il se fait comme un réajustement de la piété
en face du rousseauisme, du laxisme, de l’humanisme moderne optimiste, un axe ramené vers le
sacrifice, vers la Passion, vers le mystère de notre
Rédemption à nous, créatures souillées par le péché
et menacées de l’enfer. Pour nous défendre de ce
danger, Notre Père et Sainte Marie, Mère de Dieu,
sont comme mis à égalité . »
« Je veux... que vous continuiez à réciter le chapelet
tous les jours. » ( 13 juillet 1917 )
Notre-Dame insiste et nous demande la persévérance dans la prière. Il ne suffit pas de prier un
jour ; il faut prier toujours, tous les jours avec foi,
avec confiance, car tous les jours nous faisons des
fautes et tous les jours nous avons besoin de recourir
à Dieu en lui demandant de nous pardonner et de
nous secourir.
No 172 - P. 20
« Je veux que vous continuiez à réciter le chapelet
tous les jours. » ( 19 août 1917 )
Notre-Dame insiste parce qu’elle connaît notre
inconstance dans le bien, notre fragilité et notre
indigence ; et, comme une Mère, elle vient à notre
rencontre pour nous donner la main et soutenir notre
faiblesse sur le chemin que nous devons suivre pour
nous sauver. Ce chemin est celui de la prière, c’est
là que nous rencontrerons Dieu. C’est pourquoi elle
nous a demandé de dire à la fin de chaque dizaine :
“ Ô mon Jésus, pardonnez-nous, sauvez-nous du feu de
l’Enfer, conduisez toutes les âmes au Ciel, surtout celles
qui en ont le plus besoin. ” C’est-à-dire celles qui se
trouvent en danger de damnation.
« Continuez à réciter le chapelet pour obtenir la
fin de la guerre. » ( 13 septembre 1917 )
Par cette insistance, Notre-Dame nous indique qu’il
nous est grandement nécessaire de prier pour obtenir
la grâce de la paix entre les nations, dans les peuples,
dans les familles, les foyers, les consciences et entre
Dieu et les âmes.
Ce n’est que lorsque la lumière, la force et la
grâce de Dieu pénétreront les âmes et les cœurs que
nous parviendrons à nous comprendre vraiment et
mutuellement, à nous pardonner, à nous secourir ; voilà
l’unique moyen pour arriver à une paix véritable et
juste. Mais pour l’obtenir, il est nécessaire de prier !
« Je veux... que l’on continue à réciter le chapelet
tous les jours. » ( 13 octobre 1917 )
En effet, le chapelet est la prière qui doit nous rapprocher quotidiennement de Dieu. Cette prière n’est pas
exclusivement mariale ; plus encore, elle est une prière
biblique et eucharistique, adressée à la très Sainte
Trinité. À chaque dizaine, nous récitons le “ Gloire
au Père, au Fils et au Saint-Esprit ”, et le “ Notre Père ”
que le Christ nous a enseigné comme prière afin que
nous nous adressions avec confiance au Père. Et nous
récitons aussi l’“ Ave Maria ” qui est aussi une louange
et une supplication à Dieu par la médiation de Marie :
“ Ave Maria, pleine de grâce, le Seigneur est avec Vous,
Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit
de vos entrailles est béni. ” Ainsi nous saluons Marie,
dans le mystère de notre Rédemption, mystère que Dieu
a opéré en Elle et par lequel Marie a été constituée
Mère de Dieu, Mère de l’Église et Mère des hommes.
C’est pourquoi Marie a été le premier Tabernacle
dans lequel le Père a enfermé son Verbe ; le premier
Ostensoir et le premier Autel où le Seigneur est resté
pour toujours exposé à notre adoration et à notre amour.
Imprimatur : Leiria, 13 mai 1971.
+ Jean, Évêque de Leiria.
frère Bruno de Jésus-Marie.
FÉV. 2017
CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2 016
No 172 - P. 21
DE SA I N T GR É G OI R E À L ’ A N M I LLE
L ’ ESSOR DE L A CHR ÉTIENTÉ
par frère Grégoire de l’Annonciation
D
ANS sa conférence sur saint Augustin, notre
Père nous a montré comment ce grand docteur
de l’Église avait posé les bases théoriques et théologiques de la nouvelle civilisation dans son œuvre
majeure, La Cité de Dieu . Conformément à la prophétie de saint Jean dans l’Apocalypse , il expliquait
en 410 que l’Empire romain s’écroulait sous les coups
d’Alaric et de ses Wisigoths parce qu’il était demeuré
idolâtre et persécuteur des chrétiens. Mais il ajoutait
que Dieu voulait susciter d’autres pouvoirs politiques
qui, eux, seraient ouvertement chrétiens.
Or, au cinquième siècle, l’Église devait faire face
aux mille complications politiques et doctrinales que
suscitèrent certains empereurs de Constantinople, qui
tombaient souvent dans l’hérésie et persécutaient
l’Église catholique. Et cependant, celle-ci reconnaissait
leur pouvoir légitime, ce qui n’était pas pour simplifier sa situation. Même en période de paix, Rome
devait se méfier de la prétention impériale à supplanter la primauté et l’autorité du Pape en s’ingérant
dans les questions ecclésiales.
En Occident, l’Église devait en même temps
faire face à la double difficulté d’une part d’une
civilisation romaine décadente, minée par l’idolâtrie,
la corruption des mœurs et la misère, et d’autre
part des grands obstacles qu’elle devait attendre des
barbares, tous bons ariens (sic ! ), qui déferlèrent sur
l’Italie en vagues successives. Si les Huns, en 451,
et les Vandales trois ans plus tard, avaient épargné
Rome, impressionnés par son évêque le pape saint
Léon, les guerres menées par l’armée de l’empereur
Justinien contre les Goths, de 535 à 565, tout en
libérant l­’Italie de la menace barbare, la laissèrent
exsangue, pillée, r­avagée. Trois ans après, les Lombards envahissaient à leur tour les territoires du
nord de l’Italie, de sorte que les régions où s’exerçait encore l’autorité de l’empereur de Constantinople apparaissaient comme des îlots comprenant
Gênes, Ravenne, où se trouve l’exarque ou représentant de l’empereur, Rome et l’Italie du Sud avec
la Sicile, la Corse et la Sardaigne, les communications entre ces îlots étant très difficiles, puisqu’ils
étaient cernés par les Lombards.
Ces invasions successives et les dévastations qui
les accompagnaient ne laissaient pas présager l’avènement de la société prédite par saint Augustin !
En novembre 589, à ces difficultés s’ajoutèrent
des cataclysmes et une peste qui firent croire la fin
du monde imminente. Ce n’était que la fin d’un
monde cependant, car ce fut au cours des quatorze
années qui ont suivi que l’Église catholique s’est
affermie, organisée et a retrouvé sa force missionnaire, permettant ainsi d’aménager les bases de
ce que saint Augustin prévoyait et appelait de ses
vœux : la Chrétienté.
Or, tout cela fut rendu possible par l’action d’un
Romain, d’un saint Pape et Docteur de l’Église : saint
Grégoire le Grand.
I. LE PONTIFICAT DE SA I NT GR ÉG OIR E LE GR A N D
HÉRITIER DE LA CIVILISATION ROMAINE ET FILS DE L ’ ÉGLISE .
Saint Grégoire est né vers 540 en Italie, d’une
grande famille patricienne et chrétienne de Rome qui
avait donné plusieurs saints à l’Église : le pape saint
Félix III, sainte Sylvie, mère de saint Grégoire, ainsi
que deux de ses tantes qui furent des religieuses
exemplaires. Cette noble famille est une des rares
encore aisées à n’avoir pas fui la guerre dévastatrice
entre Grecs et Goths en se réfugiant à Constantinople auprès de l’empereur.
Lorsque le pouvoir impérial est rétabli à Rome,
Grégoire doit avoir douze ans. Les écoles rouvrent
et bientôt il « s’abreuve assidûment, suivant ses
propres expressions, à ces eaux profondes et limpides qui nous viennent du bienheureux Ambroise et
du bienheureux Augustin ».
Pour le service de sa patrie qu’il aime et pour
laquelle il veut se dévouer, il entame une carrière
de fonctionnaire qui le mènera à trente-trois ans au
poste de préfet de Rome avec à sa charge la police,
les finances et le ravitaillement de la ville qu’il
administre avec un ordre tout romain. Ces hautes
compétences lui serviront plus tard à diriger l’Église.
Pourtant, Grégoire aspirait à la vie contemplative,
car c’est une âme mystique qui veut se mettre pleinement au service de Notre-­
Seigneur. « Alors que
FÉV. 2017
mon esprit s’efforçait de ne servir le monde que du
dehors, une multitude de préoccupations – nées du
souci même de ce monde – m’assaillirent au point
de m’y retenir, non plus seulement du dehors mais,
ce qui est plus grave, par l’âme. » Un jour, la voix
du Divin Maître fut plus forte et il se décida à
tout quitter pour Le suivre. « Fuyant après réflexion
tous ces embarras, je gagnai le havre d’un monastère. » Il en fonda six sur les propriétés familiales
de Sicile et transforma sa demeure de Rome en un
monastère qu’il dédia à saint André Apôtre et où il
se fit moine. Ce furent cinq années de joie parfaite
pour notre saint qui y pratiqua l’ascèse et la pénitence... au point de ruiner sa faible santé.
Très vite, le pape Pélage II, qui connaissait ses
talents, l’ordonna diacre et en fit son apocrisiaire,
c’est-à-dire nonce, auprès de l’empereur Tibère II
puis de Maurice dans le but d’obtenir une aide
plus importante dans la lutte contre les Lombards.
Toujours accompagné de ses moines, auxquels il
commenta le Livre de Job , Grégoire découvrit le
monde de la “ nouvelle Rome ”, comme on appelait
alors Constantinople. Le faste des églises et des
palais, bien sûr, mais surtout les embarras financiers
de l’empereur qui ne put répondre à la demande du
Pape, l’asservissement du clergé à l’empereur, les
grandes difficultés liées à l’hérésie monophysite, et
enfin les prétentions du patriarche de Constantinople,
toujours désireux de supplanter la primauté du saint
Siège. Grégoire eut d’ailleurs l’occasion de polémiquer violemment contre lui, parce qu’il s’était mis en
tête de nier le dogme de la résurrection de la chair.
Bref, cette mission de sept ans fut providentielle,
car elle permit à saint Grégoire de comprendre l’atmosphère de Constantinople.
Trois ans après son retour en Italie, des cataclysmes, des ouragans, des tremblements de terre
jetèrent partout la consternation. En novembre 589,
le Tibre déborda, ruinant les édifices et renversant les
greniers de l’Église où était conservé le froment pour
les pauvres. Des cadavres de serpents noyés et rejetés
sur la rive provoquèrent une épidémie de peste. Les
victimes étaient innombrables. L’une des premières fut
le pape Pélage II. L’Église n’avait plus de chef en un
moment où la direction d’un Pontife sage et ferme
était devenue si nécessaire.
SON PONTIFICAT : IL AFFERMIT L ’ ORGANISATION
DE L ’ ÉGLISE, LA RECENTRE VERS L ’ OCCIDENT ET
LANCE LA CHRÉTIENTÉ .
Tous se tournèrent vers l’abbé de Saint-André,
qui fut unanimement élu malgré ses résistances. Sa
première prédication fut pour appeler son peuple
à la pénitence publique, car, « après avoir péché
tous ensemble, il faut que nous pleurions aussi tous
ensemble le mal que nous avons commis ».
No 172 - P. 22
Lorsqu’il passa devant le môle d’Hadrien en tête
d’une grande procession de supplication, portant
solennellement l’image de la Très Sainte Vierge, on
entendit des anges chanter les premières phrases d’une
hymne inconnue, le Regina Cæli , auquel le SaintPère répondit : « Ora pro nobis Deum. » Puis, on vit
l’archange saint Michel remettre au fourreau son épée
de feu, et le fléau cessa. Par son intercession, la Très
Sainte Vierge faisait cesser le châtiment et présidait
l’œuvre qu’allait entamer saint Grégoire. Il fut sacré
évêque le 3 septembre 590 malgré sa grande tristesse
de quitter son monastère, dont il gardera toujours la
nostalgie. Ce qui ne l’empêchera pas de se révéler
dès les premiers jours un chef énergique et décidé.
L’ampleur de son action durant ses quatorze années
de règne est immense et capitale, car, sans calcul
aucun de sa part, il lance les principes et fondements
de la Chrétienté.
D’abord, qu’est-ce que la Chrétienté ? Prenons les
150 Points de la Phalange rédigés par notre Père,
qui sont incontournables pour étudier cette période.
La Chrétienté, c’est « le monde évangélique, libéré
de la tutelle de Satan et tout entier régi par la
loi du Christ » ( Point 29 ). C’est le monde où est
implantée la loi du Christ, l’Église. L’Église n’est
pas simplement une communauté spirituelle, un pur
lien religieux sans aucun support matériel, sans institution sociale. Non ! Elle assume toutes les réalités
de la vie terrestre. Par elle, les familles, les peuples,
les royaumes trouvent la vie. Les institutions de
ces royaumes qui sont catholiques et ces royaumes
eux-mêmes constituent une partie de la Chrétienté. Et
toutes les nations chrétiennes, ce monde chrétien qui
évolue à l’ombre de la Croix et de l’Église, constituent LA Chrétienté. La Chrétienté est une œuvre de
pure charité, car elle soutient tout entier l’action de
l’Église qui travaille au salut des âmes.
Or, saint Grégoire va, durant son pontificat, jeter
les principes de cette œuvre magnifique de Chrétienté qui va se développer ensuite durant des siècles
pour atteindre son apogée aux onzième, douzième
et treizième siècles. Comment cela ? Les 848 lettres
et les nombreuses autres œuvres écrites que nous
conservons de saint Grégoire nous permettent de nous
faire une très bonne idée de son action pontificale.
Eh bien ! D’abord, il va libérer son peuple « de la
tutelle de Satan », et pour cela il enseigne son peuple,
par ses Homélies sur les Évangiles qui marqueront tout le Moyen Âge et dont nous lisons encore
des extraits dans nos matines, aujourd’hui. Dans un
autre genre, il fera publier ses Dialogues avec son
secrétaire dans lesquels il fait le récit de nombreux
miracles opérés par des saints contemporains. Ainsi
montre-t-il que Dieu assiste toujours son Église,
puisqu’Il donne le pouvoir des miracles à ses saints
mais pas aux hérétiques. C’est l’esprit de La Cité
FÉV. 2017
de Dieu de saint Augustin, mais dans un style très
populaire qui sera à la base de la Légende dorée de
Jacques de Voragine au treizième siècle.
Il faut aussi attirer la grâce et montrer l’exemple
aux gens, alors il favorise la vie monastique qui, de
tout temps, a été le fondement de la renaissance
de l’Église. Il voyait dans le moine le serviteur de
l’Église romaine et le vainqueur du paganisme. Saint
Grégoire avait gardé son habit religieux après son
sacre, et il avait commencé par remplacer les laïcs
de la cour pontificale par les religieux les plus saints
et les plus savants pour en faire ses conseillers. Il ne
se contentera pas de cela mais influencera de façon
décisive l’essor du tout jeune ordre bénédictin qui
était venu trouver refuge à Rome après les invasions
lombardes. Saint Benoît, que l’on appelle le père du
monachisme occidental, après quarante-cinq ans de vie
religieuse avait écrit en 540 une règle de vie monastique d’une grande sagesse et d’un équilibre encore
inégalé. Saint Grégoire aimait particulièrement ce saint
dont il avait raconté la vie et connu certains de ses
premiers disciples. Comprenant que cette Règle serait
un réel soutien pour la vie religieuse et pénétrerait les
moines de la plus pure moelle des conseils évangéliques, il la déclare solennellement inspirée de Dieu.
En même temps, il en voyait la puissance civilisatrice car cette Règle avait le grand avantage de
survivre aux supérieurs des monastères, et de prolonger leur influence de génération en génération. C’est
pourquoi il fit tout son possible pour les protéger :
« La charge que nous avons précédemment remplie
comme chef d’un monastère nous a appris combien
il est nécessaire de pourvoir à la tranquillité des
moines ; et comme nous savons que la plupart d’entre
eux ont eu à souffrir beaucoup d’oppressions et de
passe-droits de la part des évêques, il importe à notre
fraternité de pourvoir à leur repos futur » et il fait
de l’abbaye un sol libre, inviolable, beaucoup plus
dégagé de l’autorité de l’évêque qu’autrefois. Remarquons que c’est exactement ce que souhaitait notre
Père pour notre Ordre !
Il gouverne l’Église, à commencer par les évêques
qu’il surveille infatigablement parce qu’ils ont charge
d’âmes et que ce sont eux les colonnes de leur cité.
À cette époque, les évêques à élire étaient obligatoirement pris sur place et n’étaient pas toujours instruits.
Pire, la simonie était une plaie très répandue. Il
s’agissait du trafic des charges ecclésiastiques, ainsi
appelé depuis que Simon le magicien avait tenté
d’acheter les pouvoirs du Saint-Esprit à saint Pierre,
comme on le lit dans les Actes des Apôtres ( 8, 18 ).
Cela n’avait pas plu à saint Pierre, et cela n’a pas plu
non plus à son successeur, saint Grégoire, qui écrit
dès septembre 590 sa Règle Pastorale , véritable
code de la vie cléricale où il explique ce que représente le poids de la charge épiscopale « pour que
ceux à qui elle n’est pas échue ne la recherchent
No 172 - P. 23
pas inconsidérément, et que ceux qui l’ont recherchée
inconsidérément tremblent de l’avoir obtenue ».
Ainsi, il apprend à ses évêques à avoir une vraie
vie spirituelle et à se comporter envers leur troupeau
comme le Bon Pasteur : « Qu’il se fasse connaître tel
que ses fidèles n’aient pas de confusions à lui révéler
les secrets de leur cœur, et que ces petits, quand ils
sont aux prises avec les flots des tentations recourent
au conseil de leur pasteur comme au sein d’une
mère. » Tout empreint de l’esprit de la Règle de
saint Benoît , ce livre sera tout de suite répandu dans
l’univers catholique et aura un profond retentissement,
si bien que, encore au neuvième siècle, tous les
évêques de la Gaule prêteront serment sur la Règle
Pastorale de saint Grégoire. Parallèlement, il lutte
contre le donatisme, très présent en Afrique, et tente
de réconcilier avec l’Église les évêques demeurés
schismatiques après la crise nestorienne.
Donc, première chose en Chrétienté, que la grâce
puisse agir ! Ensuite, sans calcul de sa part, la charité
presse ce Pape au cœur d’or à se préoccuper du détail
de la vie quotidienne : il « assume les réalités de la
vie terrestre ».
Il organise le patrimoine de saint Pierre qui est le
premier noyau des États pontificaux, et qui regroupait
toutes les donations faites au Saint-Siège, en particulier les propriétés rurales. Cela permettait à l’Église
de subvenir à ses propres besoins et de venir en aide
à des milliers d’indigents et de réfugiés. C’est le Pape
seul qui assurait l’alimentation de Rome en temps de
guerre et de famine. Ce patrimoine, il l’organise avec
son génie tout romain précisant à ses intendants qu’il
est le bien des pauvres.
Il essayait en même temps d’adoucir le sort des
colons, cette classe d’hommes différents des esclaves
et des hommes libres et attachés aux terres pontificales, détruisant les abus réalisés à leur encontre :
« Nous ne voulons pas que les coffres de l’Église
soient souillés par des gains sordides... Faites lire aux
paysans dans toutes les métairies ce que j’ai écrit,
et qu’ils en reçoivent des copies authentiques, afin
qu’ils sachent se défendre avec notre autorité contre
toute violence. » De plus, sans bouleversement, il
transformait l’esclavage antique en servage, saisissant
toutes les occasions pour rappeler les esclaves à une
condition libre.
Tout cela, il l’accomplit avec une santé très défaillante, presque continuellement alité les six dernières
années de sa vie, et dans une situation extrêmement
difficile où il doit à la fois lutter contre les Lombards,
c’est-à-dire organiser les tours de garde, envoyer
des troupes en renfort des Grecs pour harceler les
ennemis, encourager la résistance des autres cités,
etc., mais aussi faire face parfois à ses propres alliés,
en particulier celui qui aurait dû le plus l’aider,
l’exarque qui, pourtant, dit-il « nous a plus nui que
le glaive des Lombards. Oui, les ennemis qui nous
FÉV. 2017
tuent paraissent plus doux que les juges de la république [ Constantinople ], qui nous navrent le cœur par
leur méchanceté, leurs rapines et leurs tromperies. »
Les calomnies dont il était l’objet étaient rapportées
à Constantinople et l’empereur y prêtait facilement
l’oreille, si bien qu’il accusa le Pape de trahison en
594 et de nouveau en 595 lorsque celui-ci fut acculé
à signer un traité de paix avec les Lombards. Alors,
le Pape comprit qu’il était inutile d’insister pour se
justifier et obtenir un soutien qu’on ne voulait pas
lui donner. Il voyait bien que l’ancien Empire romain
était appelé à disparaître et tourna désormais les yeux
vers l’Occident, sans rompre toutefois avec l’Orient.
C’est un tournant capital dans le développement
de la Chrétienté, car les événements, – en fait la
Providence –, forcent saint Grégoire à se tourner vers
les rois barbares d’Espagne, de Gaule et de Bretagne,
plus dociles, et donc à augmenter l’influence de
l’Église pour instaurer un début de Chrétienté plus
vaste, avec d’autres peuples. L’ensemble sera plus tard
une force, un contrepoids contre Constantinople qui
deviendra un membre mort.
Les Wisigoths ariens d’Espagne venaient tout juste de
se convertir après le martyre du prince Herménégilde
et grâce au zèle de saint Léandre, l’ami intime de
saint Grégoire, qui avait obtenu le retour à la vraie
foi du roi Récarède, frère d’Herménégilde. Voyant
l’excellent esprit du souverain, le Pape lui envoie
des lettres de direction qu’Hincmar de Reims trouvera
si belles qu’il les enverra lui-même à Charles le
Chauve deux cent cinquante ans plus tard comme un
résumé complet des devoirs des rois : « Il faut aussi
qu’à l’égard de tes sujets, ton gouvernement soit
tempéré par une grande modération, de peur que la
puissance n’aveugle ton esprit. Car un royaume est
bien gouverné quand l’orgueil du commandement ne
domine point dans l’âme du roi. »
En Gaule, il explique à Childebert son rôle de
Roi catholique et souligne le rôle de modèle qu’a la
nation franque sur les autres nations : « Autant la dignité royale est au-dessus des autres hommes, autant
votre royaume l’emporte sur les autres royautés des
nations. C’est peu d’être roi quand d’autres le sont,
mais c’est beaucoup d’être catholique, quand d’autres
n’ont point de part au même honneur. » Il espérait
aussi beaucoup de la reine d’Austrasie, Brunehaut,
No 172 - P. 24
qui fera beaucoup pour extirper le paganisme des
campagnes. Surtout, elle sera d’un grand soutien pour
la mission que saint Grégoire enverra en 597 sur la
terre des Angles..
Les Bretons, catholiques, avaient été chassés de
leur territoire par les Anglo-Saxons païens que saint
Grégoire avait toujours voulu évangéliser. Avant même
d’être Pape, il avait acheté des esclaves angles pour
les catéchiser, en faire des moines, et bientôt, des
missionnaires. En 597, il envoya des frères de son
ancien monastère, saint Augustin et quarante autres
moines, pour prêcher l’Évangile au roi de Kent,
Ethelbert ( marié à une descendante de sainte Clotilde,
Berthe ). Il finit par se convertir, et des milliers de
sujets à sa suite. Ce fut une grande consolation pour
saint Grégoire qui écrivit à saint Augustin : « S’il y
a plus de joie au Ciel pour un pécheur pénitent que
pour quatre-vingt-neuf justes, quelle joie n’y aura-t-il
pas pour tout un grand peuple qui, en revenant à
la foi, fait pénitence de tout le mal qu’il a fait ? Et
cette joie, c’est toi qui l’auras donnée au Ciel. »
Mais c’était aussi le Pape qui avait suivi pas à pas
les missionnaires dans leur périlleux voyage, relevé
leur courage, réglé toutes les difficultés par ses instructions, programmé l’établissement de l’Église dans
cette île. De même que pour Récarède et Childebert,
il expliqua à Ethelbert ce qu’il devait faire pour plaire
au Roi du Ciel, donnant en exemple Constantin et
sainte Hélène et invoquant l’appui du bras séculier
pour aider à l’évangélisation de reste du pays. Ainsi
si une législation chrétienne allait pénétrer peu à
peu en Angleterre, ce fut l’œuvre de saint Augustin
de Cantorbéry et de saint Grégoire que l’on appelle
d’ailleurs l’Apôtre de l’Angleterre.
Saint Grégoire mourut le 12 mars 604 de la ma­
ladie qui le paralysait depuis longtemps. Le « Consul
de Dieu », comme le désignait son épitaphe, avait
achevé de donner à l’Europe chrétienne les fondements
de sa figure définitive : « À la base, les évêchés et les
monastères, plus haut, les monarchies nationales, et
par-delà tous les espaces, la papauté. » ( Georges de
Nantes, toute notre religion , p. 61). Ses successeurs
n’auront plus qu’à suivre la ligne déjà tracée pour
établir cette Chrétienté dans les nations fidèles. Nous
verrons que la plus belle fleur en fut le lys de France.
Mais cela ne fut pas sans peine...
II. DE SA I NT GR ÉG OIR E À L ’ EMPIR E CA ROLI NGIEN
L ’ EMPIRE D’ ORIENT DE PLUS EN PLUS RÉTICENT.
Pour faire partie de la Chrétienté, il faut d’abord
être catholique et docile aux papes. Constantinople ne
voulut pas se soumettre. Livrée à ses ennemis extérieurs et intérieurs, elle se perdit. Voyons les prémices
de sa chute tragique.
D’abord vis-à-vis de l’extérieur. En effet, en 614,
les Perses, conduits par Chosroês II, envahissent la
Palestine, ravagent Jérusalem et emportent la Sainte
Croix.
À partir de 622, il faudra dix ans à l’empereur
Héraclius pour réussir à repousser et écraser les
FÉV. 2017
Perses. Finalement, il rapporte victorieusement la
Sainte Croix sur ses épaules à Jérusalem. Les études
de frère Bruno sur le Coran nous ont appris que
c’est très probablement lors de cette invasion perse
que l’auteur du Coran lança pour la première fois ses
bandes contre les chrétiens de Jérusalem. C’est dire
qu’à peine l’empereur avait-il ramené la paix sur ses
frontières, un danger bien plus grave se préparait.
Car les ennemis extérieurs de l’Empire byzantin
vont profiter de ses failles internes. En effet, les
grandes hérésies des siècles précédents ont laissé le
territoire soumis aux Grecs divisés en de multiples
groupements hérétiques opposés les uns aux autres
et par-dessus tout au catholicisme. Sur toute la rive
sud et est de la Méditerranée se côtoient des catholiques, des ariens, des marcionites, des docètes, des
donatistes, des sabelliens, des gnostiques, et enfin des
monophysites jacobites, coptes ou arméniens, ceux
que le pape François est allé visiter récemment. Par
détestation de la doctrine catholique en même temps
que du joug byzantin, des velléités d’indépendance
menaçaient l’Empire de dislocation.
No 172 - P. 25
coup les successeurs d’Honorius comprirent l’hérésie
et la condamnèrent fermement, ce qui valut le martyre
au pape saint Martin I er, en 655.
La querelle fut finalement résolue en 680 par
le troisième concile de Constantinople convoqué
par Constantin IV et le pape saint Agathon qui
condamnèrent solennellement tous les fauteurs de
l’hérésie et avec eux le pape Honorius, « car il avait
suivi en tout l’opinion de Sergius et confirmé ses
dogmes impies ». Plus tard, le pape Léon II confirmera cette condamnation d’Honorius « qui a omis de
garder pure cette Église apostolique mais a permis,
par une trahison perfide, que l’immaculée [ l’Église ]
fût souillée ». Première condamnation d’un Pape sur
un point doctrinal.
Toute cette affaire montre assez combien l’Orient
s’épuisait en sanglantes querelles plutôt que de s’unifier autour de la vraie foi défendue normalement par
le Pape. Sanglantes querelles, car les persécutions
furent violentes de la part des monothélites, le martyre
de saint Martin I er et de saint Maxime le Confesseur
en sont la preuve.
Pour tenter de remédier aux divisions théologiques avec les monophysites qui professaient une
seule nature dans le Christ et qui constituaient la
faction hérétique majoritaire sur le territoire, Héraclius et le patriarche de Constantinople Sergius, se
croyant plus intelligents que le Pape et les saints
unis à Rome, reviennent sur les décisions du concile
de Chalcédoine et décident que dorénavant on ne
parlerait plus que d’une seule volonté dans la personne du Christ. Or c’était, par manière de conciliation, formuler une hérésie de plus, le monothélisme,
qui scandalisait la masse des fidèles et à leur tête
saint Sophrone de Jérusalem.
En plus, par ses multiples divisions doctrinales,
l’Empire byzantin préparait un terreau favorable à
l’hérésie ismaélite qui deviendra l’islam. Cette hérésie qui commençait alors à se répandre sera l’instrument de la colère de Dieu contre Constantinople..
Comprenons la portée de cette nouvelle hérésie :
elle contredisait la vérité du dogme selon laquelle le
Christ a deux natures, une humaine et une divine, et
donc, deux volontés, une humaine et une divine. Dans
son agonie, ces deux volontés s’opposent en Jésus, et
c’est précisément son combat (agôn) de vouloir à la
fois échapper aux souffrances de sa Passion, volonté
humaine, et obéir à son Père en mourant pour nous
sur la Croix, volonté divine. Si l’on nie l’existence de
cette volonté humaine, Jésus est un être qui ne peut
pas comprendre nos combats à nous.
En 638, les arabes occupent Jérusalem ; en 643,
Alexandrie, et en 704, l’Afrique du Nord est totalement occupée quand tombe Ceuta sur le détroit de
Gibraltar. Ce sont encore des renseignements obtenus
par trahison des juifs et de chrétiens apostats, rien de
nouveau sous le soleil ! qui leur permirent de passer
en Espagne wisigothique en 711 et de l’occuper aux
neuf dixièmes avec une facilité déconcertante. À
l’Ouest, seule l’intervention de Charles Martel mettra
un coup d’arrêt à leur invasion à Poitiers en 732,
tandis qu’à l’Est, Constantinople bloque le passage
de l’Europe chrétienne après les assauts ratés de 673
et 717. Il n’empêche : cette invasion prive la Chrétienté de tout le pourtour sud-méditerranéen de l’Asie
mineure à l’Espagne et est une grave menace pour la
survie de la Chrétienté jusqu’aujourd’hui.
Sollicité de juger la question par saint Sophrone,
le pape Honorius eut la faiblesse d’écouter Sergius
qui conseillait de ne point trancher le débat, ce qui
en l’occurrence servait l’hérésie. Il imposa même
le silence à saint Sophrone, qui mourut peu après.
En 638, Sergius pouvait faire publier par l’empereur
l’Ecthèse , profession de foi hérétique qui faisait
de l’humanité du Christ un instrument passif de sa
divinité, ce que tous les évêques d’Orient acceptèrent.
Un an après, Sergius et Honorius moururent. À ce
Car les arabes vont bien vite trouver des complicités chez les juifs et chez certains hérétiques
ou schismatiques qui souhaitaient se débarrasser
de la présence des Byzantins catholiques. Ainsi du
patriarche copte Benjamin qui avait été éjecté de son
siège par l’empereur et qui négocia avec les arabes
l’appui de son peuple en échange de la restitution des
biens de l’Église monophysite.
Cette catastrophe ainsi que la politique religieuse
de Constantinople réticente à l’autorité de Rome, augmentée par la suite de la querelle iconoclaste de 726
à 842, achèvent de tourner les Papes vers l’Occident
qui, lui, continue de se christianiser. C’est l’avenir !
FÉV. 2017
LA CHRISTIANISATION DE L’ EUROPE .
LES FRANCS AU SECOURS DE LA PAPAUTÉ .
Comment cette Chrétienté s’est-elle constituée ? En
reprenant les principes de saint Grégoire : évangéliser,
attirer la grâce, former les peuples, montrer l’exemple
par le monachisme, bannir les hérésies, établir des
institutions catholiques...
Cette christianisation en profondeur des peuples
déjà évangélisés reposa en premier lieu sur le clergé
séculier. Comme saint Grégoire pour Rome, les
évêques firent tout dans leurs diocèses. Au moment
de la décadence de l’Empire romain et des invasions
barbares, les évêques avaient en effet pris la fonction
des préfets et rempli le rôle de défenseurs de leur
cité. Peu à peu, la hiérarchie de l’Église avait assumé
tout l’ordre romain, d’autant plus que, très souvent,
les évêques étaient issus de nobles familles romaines
qui avaient occupé de hauts postes dans l’administration, comme saint Ambroise ou saint Hilaire. D’autre
part, les paroisses rurales s’étaient beaucoup développées depuis le quatrième siècle où elles apparurent
pour la première fois et elles devinrent véritablement
les cellules de base du pays, permettant davantage de
faire pénétrer l’Évangile dans les mœurs.
Les pèlerinages sur les tombeaux des saints se
développèrent, comme sur celui de saint Martin de
Tours, le convertisseur des Gaules, et parfois ces
saints prirent une part visible à la christianisation de
la société, comme en 708 où saint Michel apparut à
saint Aubert et lui ordonna de lui dédier un oratoire
sur le futur mont Saint-Michel.
Simultanément se développait le monachisme, en
particulier l’œuvre des bénédictins dont les vœux de
stabilité et d’obéissance et l’application au travail
manuel seront à la base des gigantesques travaux
de défrichement qui rendirent les terres propres à la
culture. C’est ainsi que peu à peu s’établirent autour
des monastères des villages ou des bourgs qui profitaient à la fois du rayonnement spirituel de l’abbaye,
de sa protection en cas de périls et de son activité
écologique. La régularité de la vie bénédictine dans le
service divin, sa facilité d’adaptation, par exemple par
rapport à la Règle de saint Colomban ( un très grand
missionnaire irlandais qui avait fondé des dizaines
de monastères de l’Irlande à l’Italie, mais sous une
Règle beaucoup plus sévère ) font affluer les vocations
de ceux qui cherchent à mener une vie plus parfaite,
même dans les familles royales, et mènent à la constitution d’un clergé régulier.
Mais l’œuvre missionnaire elle-même sera véritablement œuvre de moines, preuve que ces termes ne
sont pas contradictoires ! Saint Grégoire, nous l’avons
vu, avait compris que la grande œuvre d’évangélisation des masses barbares, pour perdurer, ne pouvait
plus se faire uniquement sur des initiatives individuelles de missionnaires, mais devait devenir œuvre
No 172 - P. 26
d’Église, c’est-à-dire soutenue par le Pape et, dans
la mesure du possible, par une nation chrétienne.
Ainsi avait-il obtenu la conversion de l’Angleterre
par saint Augustin avec le soutien des Francs. À son
tour, l’Angleterre devint un foyer d’ardents moinesmissionnaires dont saint Boniface fut peut-être le plus
bel exemple.
Après vingt-cinq ans de vie religieuse, ce bénédictin anglais de trente-deux ans reçut la permission
de partir pour la Germanie et la Frise afin d’y
convertir les barbares. Mais il passa d’abord par
Rome en 718 pour obtenir le consentement du pape
saint Grégoire II qui le sacra évêque et fit de lui
son légat pour organiser l’Église en Germanie. Il y
appliqua la méthode conseillée un siècle plus tôt par
saint Grégoire à saint Augustin de Cantorbéry, c’està-dire la fondation de monastères, mais cette fois-ci
avec un plus fort soutien des Francs, en particulier
Charles Martel, maire du palais des Mérovingiens
décadents. « Sans le patronage du prince des Francs,
écrira-t-il, je ne puis ni gouverner les fidèles de
l’Église ni défendre les prêtres ; je ne puis même
pas, sans l’ordre qu’il maintient et la crainte qu’il
inspire, empêcher les pratiques païennes et l’idolâtrie
allemande. » Mais les Francs eux-mêmes bénéficieront
de l’action de saint Boniface qui réforma vigoureusement le clergé à partir de 742 par une série de
conciles sauveurs préludant à la réforme carolingienne.
Le prestige de l’Église et son influence en France
nous apparaissent clairement lorsque Pépin le Bref,
fils de Charles Martel, plutôt que de renverser de
lui-même Childéric III, fait appel au pape saint
Zacharie pour lui demander « s’il ne serait pas
mieux que celui-là fût et s’appelât roi qui avait la
puissance, plutôt que celui qui était dénué du pouvoir
royal ». En 751, saint Zacharie envoya saint Boniface
sacrer Pépin, qui fut ensuite oint par l’ensemble des
évêques de France. L’Église présidait au changement
de dynastie.
On voit bien là comment l’Église et les princes
heureusement concertés travaillent au progrès de
l’Évangile. Les missionnaires ne peuvent pas faire
leur travail sans l’appui d’un bras armé. Et de son
côté, le roi a besoin de l’Église et du Pape qui
garantissent aux sujets que le roi gouverne au nom
de Dieu.
Un lien très étroit se forma dès lors entre la
nouvelle dynastie et le Saint-Siège. En 750, les
Lombards profitèrent de l’impuissance de l’empereur
d’Orient pour envahir les possessions byzantines et
s’approchèrent dangereusement des terres du patrimoine de saint Pierre. Le pape Étienne II, après
avoir lancé un appel resté sans réponse à Constantin
Copronyme, s’adressa à Pépin le Bref qui engagea
des actions militaires. Les armées franques taillèrent
en pièces les Lombards et, contrairement à l’usage
germanique, restituèrent au Pape les terres conquises.
FÉV. 2017
C’est la célèbre donation de Pépin, événement capital
qui fit définitivement naître l’État pontifical en 756.
Le Roi Très Chrétien venait de manifester son rôle
de défenseur du pouvoir spirituel de la papauté qui
reconnaissait à ses « très chers Francs » le nom de
« nation sainte, sacerdoce royal ». Par leurs bras se
poursuivent les Gesta Dei per Francos. C’est reconnaître d’une part que la dynastie nouvelle est bien
dans la descendance spirituelle de Clovis, et d’autre
part que la France a une vocation supérieure à celle
des autres monarchies. Elle est bien fille aînée de
l’Église, et de la Chrétienté.
L ’ EMPIRE CAROLINGIEN .
En 774, Charlemagne intervient à son tour dans
le nord de l’Italie en faveur du pape Léon III et
s’empare du titre de roi des Lombards et de la couronne de fer. Il confirme et amplifie la donation de
son père et prendra toujours à cœur son devoir de
protéger Rome.
Ses multiples expéditions victorieuses contre les
Saxons, les Slaves, les Mongols et les Sarrasins et
l’établissement de marches militaires le long des frontières rassurent la Chrétienté. Son royaume est aussi
vaste que l’Empire romain de jadis. C’est un roi très
glorieux, très habile et réputé d’une sagesse encore
inégalée chez les Francs. C’est pourquoi le pape
Léon III restaure en sa faveur la dignité impériale et
le couronne avec magnificence à Rome en la nuit de
Noël de l’an 800, se soustrayant de ce fait au protectorat de Constantinople, ce qui ne sera pas apprécié
des Byzantins. De cette façon, la papauté recentre
définitivement son action de l’Orient à l’Occident.
« Mais reconstituer l’Empire n’était pas une bonne
chose. Par la force de l’habitude l’Église a conservé
l’idée d’un Empire universel chrétien dont l’empereur
serait la réplique temporelle du Pape. Mille ans de
déceptions seront nécessaires pour que l’Église comprenne de son Seigneur, par la leçon des événements,
qu’il lui faut renoncer à l’utopie d’un Empire chrétien,
trop dangereux pour sa liberté à elle et la liberté des
peuples. » ( Point 61 des 150 Points de la phalange ).
En attendant, Charlemagne, qui en réalité n’attachait pas beaucoup d’importance à sa couronne
d’empereur, s’occupe de l’organisation intérieure de
l’Église, de sa hiérarchie, de son culte, de ses biens,
de ses œuvres d’assistance et d’éducation et même de
ses discussions théologiques. Mais il le fait la plupart
du temps avec une discrétion admirable, dans le but
de remplir sa mission d’aide respectueuse et dévouée
à l’Église, mission qu’il définissait ainsi :
« Mon rôle est, avec le secours de la bonté divine,
de défendre la sainte Église du Christ contre les
attaques des infidèles au-dehors, et de la soutenir
au-dedans par la profession de la foi catholique. »
Parce qu’il reconnaît la supériorité absolue du pouvoir
spirituel et parce qu’il se soumet lui-même de tout
No 172 - P. 27
son cœur à la souveraineté de l’Église, une magnifique renaissance religieuse se développera au cours
de ses quarante-cinq années de règne.
L’une des plus importantes réformes dirigées par
l’Église fut la restauration et la diffusion de la vie
canoniale par saint Chrodegang, évêque de Metz, qui
réussit à grouper autour de sa cathédrale le clergé de
sa ville épiscopale et à l’organiser en communauté
religieuse selon une vita canonica. À son exemple, des
évêques de France, d’Italie, d’Angleterre, d’Allemagne,
instituèrent des chapitres de canonici, chanoines, dans
leurs cathédrales, ce que Charlemagne aurait voulu que
tous les évêques de l’Empire appliquent.
De son côté, saint Benoît d’Aniane, qui avait servi
dans les armées de Charlemagne et qui avait par la
suite décidé de se consacrer au service de Dieu, refit
fleurir la sainteté dans les monastères bénédictins
qui s’étaient relâchés, ce qui, avec le concours de
Charlemagne, fut la cause d’un mer­
­
veilleux développement de la vie monastique.
L’influence sociale de ces monastères sera immense,
puisqu’ils seront les foyers de grands progrès dans
les domaines de l’agriculture, de l’industrie, du commerce, des sciences et des arts. Frère Pierre nous a
déjà montré l’exemple de l’architecture, prenons celui
de l’industrie. Des ateliers de cordonniers, de selliers,
de forgerons, d’orfèvres, de parcheminiers sont d’abord
institués à l’intérieur des monastères pour pourvoir
aux besoins de ceux qui les habitent. Mais bientôt,
les abbés remarquent les profits qu’ils peuvent tirer
d’une production à grande échelle et organisent en
dehors de l’enceinte de leur abbaye de véritables
bourgs industriels.
Les artisans y sont groupés en corporations et en
confréries dont chacune a son saint patron. Celles-ci
sont des institutions charitables et des sociétés d’assurance mutuelle dont les membres s’engagent par serment à faire des aumônes et à s’entraider dans le cas
de perte de leurs biens. Ainsi toute la société voisine
est peu à peu touchée par l’influence du monastère.
Il faudrait aussi expliquer l’influence immense des
monastères dans le domaine de la pensée, car ils
conservent toute la tradition des anciens et la prolongent. C’est toute la Chrétienté qui se développe
aux bas échelons de la société. À partir du moment
où l’empereur ou le roi s’occupe de Jésus-Christ et
de son Église, Celui-ci s’occupe du reste, et c’est le
développement merveilleux d’une société catholique
qui va droit au Ciel !
Charlemagne va influencer la vie de l’Église de
façon décisive dans les domaines les plus variés. Il
faudrait mentionner les réformes engagées dans la vie
liturgique, comme le développement du plain-chant ( le
grégorien ), la prédication ( dont il ordonne qu’elle soit
donnée en langue usuelle pour le petit peuple ), les
écoles épiscopales, monastiques ou paroissiales, etc.
C’en est au point, explique notre Père, qu’on put
FÉV. 2017
No 172 - P. 28
croire un moment que « le pouvoir temporel aurait
plus à soutenir la religion, à diriger l’Église et à
y assister le pouvoir pontifical qu’il n’aurait à en
être lui-même aidé ». Mais « l’immédiat avenir de
la dynastie allait démentir de telles chimères. C’est
l’Église encore qui devait porter à bout de bras cette
monarchie carolingienne, très chrétienne de nom,
trop barbare de fait pour durer. » ( CRC n o 198, mars
1984, p. 11 ) Et cela sera encore une grande leçon
pour l’avenir de la Chrétienté : l’Église doit subsister seule universelle dans le concert des empires,
nations, peuples et villes de la Chrétienté.
III. LA CHR ÉTIENTÉ DI V ISÉE
LA DÉCADENCE DE L ’ EMPIRE .
Charlemagne mourut en 814 et son fils Louis le
Pieux accéda à la couronne. Mais il fit l’erreur de ces
dynasties d’origine franque de partager l’Empire entre
ses quatre fils qui se rebellèrent bientôt contre leur père
et se disputèrent entre eux. L’un d’eux mort en 838,
la division de l’Empire fut consommée en 843 par le
traité de Verdun : Charles le Chauve obtient la partie
occidentale qui sera la France, Louis le Germanique, la
partie orientale qui deviendra l’Allemagne, et Lothaire
a l’Italie et, en plus, une bande de territoire resserrée
entre les deux possessions de ses frères qu’on nommera
la Lotharingie ou Lorraine. De cette division naîtront
des guerres qui continueront pendant plus d’un siècle
avec, en 858, la première guerre franco-allemande.
Sur les ruines de l’Empire, la féodalité ne cesse
de grandir. Elle était devenue une nécessité de fait
avec les incursions des Vikings qui se multiplièrent
à partir de 841. Par les embouchures de la Seine et
de la Loire, ils s’avançaient jusqu’à Paris et jusqu’à
Tours, refoulant les populations affolées vers le Midi.
D’autres pénétrèrent par le Rhône et faisaient de la
Camargue leur quartier général, d’où ils partiront en
860, associés aux Sarrasins, pour piller la ville de
Pise et dévaster le littoral italien.
Comprenons que contrairement aux barbares du
cinquième siècle qui se déplaçaient avec femmes et
enfants pour s’installer sur de nouveaux territoires, les
Normands débarquant de leurs drakkars n’étaient que
des pillards sanguinaires dont le but était de détruire
et voler les richesses des villes et villages qu’ils attaquaient. Ensuite, ils retournaient dans leurs pays et y
préparaient de nouvelles expéditions. N’étant pas fixés
sur un territoire, les quelques tentatives de conversion
furent des échecs.
D’autre part, n’ayant ni armées permanentes ni
forteresses à elle, la royauté fut incapable de défendre
les populations et en particulier les plus pauvres. Les
seigneurs, et parfois les évêques ou les abbés, devenaient leur seul recours, chaque château fort devenant
le salut d’un canton. Mais cette formation spontanée
de la hiérarchie féodale peut devenir aussi cause de
désagrégation lorsqu’elle n’est pas contrôlée, régulée
par le roi. Dans le contexte de cette guerre fratricide des princes carolingiens, elle encourageait les
ambitions, les convoitises, les rivalités des seigneurs, au
détriment de la cohésion nationale et du pouvoir royal.
Même si l’Église parvenait à sauvegarder l’ordre
social par la prédication et par la hiérarchie fortement disciplinée et respectée qu’elle maintenait parmi
ses membres, l’anarchie était dans l’Empire. Pendant
que les Francs se querellaient entre eux, les Sarrasins
multipliaient eux aussi leurs razzias sur les côtes de
Provence et d’Italie et le pape G
­ régoire IV lui-même
dut prendre en charge la défense de Rome et de ses
environs, Lothaire, roi d’Italie se refusant à le faire.
Saint Léon IV organisa lui aussi la défense de Rome
avec une alacrité admirable, et ce d’autant plus qu’il
avait à supporter en même temps les oppositions
tantôt sourdes, tantôt ouvertes de Lothaire et de son
fils Louis II. Simultanément, il travaillait aussi pour
la sainte Église en faisant tout son possible pour la
préserver de la corruption du siècle et en pénétrant la
hiérarchie de l’esprit de l’Évangile.
En effet, les plus grandes familles de l’aristocratie
italienne s’étaient introduites dans la cour pontificale,
depuis que les États du Saint-Siège représentaient
une force temporelle importante, et les intrigues se
multipliaient, en particulier au moment des élections
pontificales où ces grandes familles tentaient de façon
plus ou moins violente d’imposer leurs candidats.
SAINT NICOLAS I e r ET LE SCHISME DE PHOTIUS .
C’est à cette époque que deux grandes crises
éclatèrent qui forcèrent l’Église à mieux définir les
rapports entre les deux pouvoirs, spirituel et temporel.
Saint Nicolas I er, qui devient pape en 858, aura à
s’occuper de la première qui faillit emporter l’Orient
dans le schisme. L’empereur d’Orient Michel III
avait un favori, le César Bardas, qui se vit un
jour reprocher son inconduite publique par le saint
patriarche de Constantinople, Ignace. Irrité, Bardas
obtient de l’empereur un décret d’exil contre lui et
désigne Photius pour le remplacer. Celui-ci n’était
qu’un laïc, mais devant les perspectives d’honneur
et de carrière qui s’ouvraient soudain devant lui,
il accepta la proposition et reçut en quelques jours
tous les saints ordres. L’injustice flagrante commise
à son égard, doublée bientôt des mensonges et des
faux serments de Photius, pousse saint Ignace à faire
appel au Pape. Plein de ruses, Photius clame son
innocence, charge Ignace, corrompt les légats que le
Pape a envoyés pour faire la lumière sur cette affaire
et convoque un pseudo-concile pour déposer Ignace,
avec l’autorisation de Nicolas I er assure-t-il. Malgré
FÉV. 2017
toutes ces machinations, la vérité éclate. Les injures
et les menaces de Michel III et la pseudo-déposition du Pape par Photius n’y feront rien, Nicolas I er
tiendra bon.
Le résultat est que, par cette crise, il établit avec
clarté la primauté de l’évêque de Rome. D’abord sur
le pouvoir temporel : le devoir incombe aux souverains, affirme-t-il à l’empereur, de ne pas s’ingérer
dans les affaires intérieures de l’Église et de la protéger dans la libre extension de son autorité spirituelle.
Mais, à l’encontre de Photius, il établit aussi la triple
primauté pontificale : dans le ministère, « l’Église
romaine est la mère de toutes les Églises » ; dans le
magistère, il invoque son droit d’intervention suprême
dans les questions de doctrine ; et dans le pouvoir
disciplinaire, il est à la tête du gouvernement général
de l’Église. Finalement, en 867, Michel III sera renversé et assassiné, tandis que Photius sera disgracié
par le nouvel empereur qui renoue avec Rome.
Dix ans plus tard, à force d’intrigues et de
mensonges, Photius parviendra à revenir sur le siège
de Constantinople et proclamera son opposition à
l’addition du Filioque dans le Credo , prétexte qui
lui permettra de justifier son orgueilleuse ambition de
faire valoir la primauté de Byzance sur Rome. On le
comprend, ce schisme, même s’il ne dura que dix ans,
préludera à celui de 1054.
LE SIÈCLE DE FER . LA QUERELLE DES INVESTITURES .
Une autre crise commence au neuvième siècle et
nous montre que les nations n’ont pas à dominer le
monde, comme l’Église doit le faire, et qu’il faut
établir une distinction claire des deux pouvoirs. C’est
la “querelle des Investitures”.
De 867 à 962, la papauté sombre dans cette
période que sept siècles plus tard, le cardinal Baronius, dans ses Annales , a appelée « siècle de fer,
pour sa grossièreté et sa stérilité en toute sorte de
bien ; siècle de plomb, pour l’abomination du mal qui
l’inonde ; siècle de ténèbres pour le manque d’écrivains [...]. Des princes temporels, des tyrans même,
s’emparant du Siège apostolique, y ont introduit des
monstres hideux. »
Résultat d’une recherche incessante de la domination de la papauté par les grandes familles aristocratiques italiennes, dont nous passerons sur les détails.
Remarquons toutefois un point d’une grande importance : c’est que, aussi scandaleuse qu’ait pu être
la morale de certains Papes, jamais ils ne tentèrent
de justifier leur mauvaise conduite par une doctrine
erronée. Toutefois, cela poussera finalement le pape
Jean XII à faire une erreur qui ne se terminera pas
aussi bien qu’avec Charlemagne : il sacre Otton I er
de Germanie empereur d’Occident en 962, pensant y
trouver un protecteur de la papauté. C’est le début du
Saint Empire romain germanique... hégémonique, précisait notre Père, car tout de suite après son couron-
No 172 - P. 29
nement, le nouvel empereur d’Occident montrera son
ambition de dominer le monde chrétien et donc de
devenir le suzerain du Saint-Siège. C’est le début de
la “ querelle des Investitures ” où l’empereur prétendra
en somme confisquer l’élection pontificale et faire du
Saint-Siège un simple évêché de Germanie. Notre
Père signalait souvent que c’était là une très grande
différence entre la monarchie française carolingienne
tout de même latine, volontiers soumise à l’Église, et
la monarchie germanique, quelque peu barbare, qui va
chercher à la dominer.
Frère Bruno nous montrera bientôt comment, dans
sa sagesse, l’Église a su répondre à ce problème par
“ l’augustinisme politiqueˮ ou la “ théorie des deux
glaivesˮ.
LES PRÉMICES DE LA RÉFORME DE L ’ ÉGLISE : CLUNY.
Cependant, au milieu de ces multiples difficultés
que traversait la Chrétienté, quelques événements
importants annonçaient sa renaissance.
D’abord, il ne faut pas perdre de vue que durant
toute cette période sombre des neuvième et dixième
siècles, l’Église poursuit heureusement l’évangélisation
des pays du nord et de l’est de l’Europe : en 826,
le roi du Danemark reçoit le baptême ; en 863, c’est
Boris, duc de Bulgarie ; en 954, Olga de Russie et
en 966, la conversion du duc Mieszko de Pologne.
Si bien qu’en l’an 1 000 toute l’Europe sera passée
sous le joug léger de l’Évangile, jusqu’à l’Islande et
le Groenland.
Quant aux Normands, les troupes de Rollon furent
défaites sous les murs de Chartres grâce à l’intervention miraculeuse de la Très Sainte Vierge, sa sainte
Tunique ayant servi de palladium. À ce coup, ils
acceptèrent de signer un traité de paix avec Charles le
Simple et l’évêque de Rouen en 911. Ce fut le traité
de Saint-Clair-sur-Epte, dont une des clauses les obligeait à se convertir en échange de leur installation sur
le futur duché de Normandie. Cependant, les attaques
d’autres Vikings continuèrent sur les territoires de la
Chrétienté jusqu’au onzième siècle.
D’autre part, en France, l’Église conservait le trésor de la « religion royale », merveilleusement exprimée, au milieu du neuvième siècle par l’archevêque
Hincmar de Reims, l’un des plus puissants génies
politiques de notre histoire, comme le montra notre
Père (cf. CRC n°198, mars 1984 ). Elle est l’expression juridique d’une tradition séculaire selon laquelle
le sacre royal, en France, tire sa force et sa légitimité dans l’événement de Reims de l’an 496, lors
du baptême de Clovis : l’onction royale pour lui et
tous ses successeurs, prédestination divine qui situe
la nation franque au-dessus de toutes les autres
monarchies et donne à son Roi un caractère quasi
sacerdotal, ce que la liturgie du sacre souligne merveilleusement.
FÉV. 2017
No 172 - P. 30
Mais quand, pendant un siècle, la dynastie des
Carolingiens n’en finira plus de mourir dans une
affreuse anarchie, l’autorité déterminante de l’Église
saura trancher en faveur d’un changement de dynastie :
Hugues Capet, comte de Paris dont la famille s’est
particulièrement illustrée contre les Normands, est
sacré en 987. Avec cette nouvelle dynastie royale et
l’assistance continuelle de l’Église, dans une parfaite
concertation, la France féodale et chrétienne va s’organiser, se discipliner, s’épanouir pour devenir bientôt
le joyau de la Chrétienté.
Enfin, en 909, un autre événement capital montre
que toute renaissance morale d’un pays ne peut passer
que par une renaissance religieuse, et, comme ce
sont les moines qui s’appliquent le plus à vivre les
préceptes évangéliques, par une renaissance monastique. Guillaume le Pieux, duc d’Aquitaine et comte
d’Auvergne, fait don au saint abbé Bernon d’une
terre dans le Mâconnais pour y édifier un monastère.
Ainsi naissait l’abbaye de Cluny, dont une clause
de la charte de fondation sera capitale : l’exemption.
Alors que tant d’abbayes, depuis Charles Martel,
sont considérées comme des biens de famille et par
là soumises aux seigneurs ou aux évêques féodaux,
ce qui entraînait bien des ennuis, l’abbaye de Cluny
est proclamée dès sa naissance libre de toute autorité
Elle ne relèvera que de Rome, aura pour défenseur
le Pape, et pour propriétaires les apôtres saint Pierre
et saint Paul. « Coup de génie politique, explique
notre Père dans ses Mémoires et récits , qu’inspirait
un sentiment très fort de la suprématie universelle du
Pontife romain, grâce auquel Cluny va prendre la tête
de la renaissance bénédictine par toute la Chrétienté
et devenir, pour l’an mille, cette forêt de piliers et
de colonnes qui soutiendront l’édifice prestigieux
de l’ordre féodal et royal, plus que français, moins
qu’impérial, européen. »
En effet, les successeurs de saint Bernon, les
saints Odon, Mayeul et Odilon, abbés réputés pour
leurs vertus, leur science et leur intelligence, s’attachent à pleinement restaurer la vie monastique
dans l’application exacte et stricte des vœux religieux, de la clôture et de l’opus dei. À partir de
932, Odon et ses successeurs se voient attribuer par
le Pape la mission de réformer tous les monastères
infidèles à la Règle où l’on fera appel à eux. Très
vite, ils deviendront aussi les conseillers avisés des
puissants qui les chargeront de régler leurs conflits,
en France, en Germanie, en Italie, et ils en profiteront pour étendre leur réforme monastique dans ces
pays. L’influence des moines clunisiens culminera
lorsque l’un des leurs finira à la tête de la Chrétienté et y rétablira l’ordre de façon magnifique au
siècle suivant.
CONCLUSION
Toute cette étude illustre magnifiquement la phrase
de Notre-Seigneur dans l’Évangile : « Cherchez le
Royaume de Dieu et sa justice et le reste vous sera donné
par surcroît. » ( Mt 6, 33 ) Depuis sa fondation, au cours
de son œuvre d’évangélisation, sous la direction de
l’Esprit-Saint, « l’Église n’a cessé de prêcher aux
peuples la soumission aux autorités dont la légitimité
vient de Dieu, même si elles sont païennes, injustes
ou cruelles, explique notre Père dans les 150 Points
de la Phalange . C’est cette si étonnante loyauté
des chrétiens envers les pouvoirs qui leur a valu,
souvent après bien des persécutions, estime, respect
et enfin liberté. Dans la même mesure où les rois
commençaient de reconnaître l’Église et coopéraient
avec elle au règne du Christ, à la défense de la foi
et au salut des âmes [ “ Cherchez le Royaume de Dieu
et sa justice ” ], celle-ci leur apportait son concours
éclairé, formant avec eux une alliance de plus en
plus étroite et féconde. Elle les aidait dans leur rôle
humain d’ordre et de paix [ “ et le reste vous sera donné
par surcroît ” ]. » ( Point 54)
C’est ce que nous avons vu pendant ces cinq
siècles qui fondent la Chrétienté. Restait toutefois à
établir le juste équilibre dans les relations entre le
pouvoir spirituel et le pouvoir temporel, ce qui sera
l’œuvre d’un autre très grand Pape, saint Grégoire VII
au onzième siècle.
Mais élevons encore nos regards, et voyons comment
opère au cours de cette période l’Esprit-Saint, Âme de
l’Église, selon ce qu’explique notre Père :
« Dans le mélange indissociable des volontés
divines et des œuvres humaines de son histoire,
mélange de bien et de mal, l’Église, sous l’infaillible assistance “ biologique ” du Saint-Esprit, opère
un discernement instinctif parfait, par une lente
épuration de ce qu’elle a vécu, rejetant ce qui était
péchés et erreurs de l’homme, retenant et canonisant en revanche ce qui venait de l’Esprit-Saint
pour enrichir ses trésors, orienter sa tradition. Ainsi
constamment mêlée de vérité et d’erreur, de bien
et de mal, constituée de saints et de pécheurs, elle
ne subsiste et progresse à travers les siècles qu’en
se purifiant de toute souillure et de tout mal, en
reconnaissant comme des dons du Saint-Esprit par
une divination qui lui est propre, le beau, le bon,
le vrai qui font de ses traditions et de sa Tradition,
car c’est tout un, une norme exemplaire pour le
présent et pour les siècles à venir. » ( Point 30 )
C’est ce que nous verrons peu à peu se réaliser
jusqu’au point culminant de la Chrétienté médiévale
du dixième au quinzième siècle et que nous verrons
refleurir lorsque arrivera demain le triomphe du Cœur
Immaculé de Marie, Reine de la Chrétienté.
frère Grégoire de l’Annonciation.
LA LIGUE
C
No 172 - P. 31
« POU RQUOI TAR DE R E NCOR E ? ALLON S ! »
ETTE objurgation, frère
Bruno ne se contente
pas de l’adresser de mois en
mois au Saint-Père, il ne cesse
de lui montrer à la lumière
des événements et des hommes
qui font l’actualité, l’urgence
d’obéir enfin aux demandes
de Notre-Dame de Fatima (cf.
Deuxième supplique au Saint-Père , supra, p. 1-3 ).
Puisque seule cette obéissance de la foi peut renouveler les bénédictions de l’Alliance, faire redescendre
la grâce capitale du Christ sur son Église, et par elle
donner la paix au monde, pourquoi François, à qui ces
bénédictions tiennent tant à cœur, tarde-t-il encore ?
VISION DE DAMAS, VISION DE FATIMA .
Parce qu’il se trouve dans une situation analogue
à Saul de Tarse après sa vision de Damas. Dans
cette immense lumière qui est Dieu, celui-ci venait
de voir un homme, ce Jésus qu’il persécutait! Pour ce
pharisien, fils de pharisien, c’était folie sur folie ! Or,
il ne pouvait douter de sa vision ! mais même après
qu’Ananie lui eut ouvert les yeux, il n’osait y croire
et demeurait prostré. Ananie le secoua alors par cette
apostrophe : « Pourquoi tarder encore ? Allons ! reçois
le baptême et purifie-toi de tes péchés en invoquant son
nom. » ( Ac 22, 16 )
La vision de Fatima suscite chez les Souverains
Pontifes, un émoi, un scandale – surtout depuis
Vatican II – semblable à celui éprouvé par Saul de
Tarse sur le chemin de Damas : Est-ce Dieu possible ?
Au lieu d’un homme qui se montre et qui parle du
sein de cette immense lumière qui est Dieu, c’est
une Femme qui apparaît, parle, ordonne. Les apparitions et les messages de Fatima sont véridiques, et
ne sont d’ailleurs que l’illustration, l’actualisation,
l’accomplissement d’un mystère révélé dans la Sainte
Écriture, et qui se déploie du livre de la Genèse
( Gn 3, 15 ) à celui de l’Apocalypse ( Ap 12 ). Mais
qui croit encore aujourd’hui, après cinquante ans de
Concile, que la Vierge Marie est l’Immaculée Conception, créée par Yahweh, bonne première, « avant ses
œuvres les plus anciennes » (cf. Pr 8, 22-26 ) ? En
apôtre de l’Évangile de Notre-Dame de Fatima, frère
Bruno retransmet et explicite ( cf. Contre-Révolution mariale ( 2 ), supra, p 4-19 ) le témoignage de la
messagère de l’Immaculée, sœur Lucie. Son héroïque
sainteté sera un jour reconnue, et renverra au néant
toutes les contrefaçons qui lui furent préférées...
Dans sa conférence d’Actualités : Sœur lucie
messagère du ciel , notre frère Prieur montrera, une
fois de plus, qu’au-delà des apparences, les enseigne-
ments et la mission de l’humble messagère de Fatima
viennent en renfort de tout ce qui, aujourd’hui, se fait
de bien dans l’Église et dans le monde. Mais encore
faut-il que le Saint-Père fasse appel à ce renfort s’il
veut gagner la guerre que le Démon livre au genre
humain... Pourquoi après plus de soixante-dix ans,
sœur Lucie et ceux qui prolongent son témoignage
n’arrivent-ils pas à faire comprendre aux souverains
Pontifes que Dieu les veut apôtres d’un « aggiornamento » et d’une « nouvelle évangélisation », qui
« renouvelle la face de la terre » : Fatima ! En plus
de la désertification de l’Église, cette résistance à la
volonté de Dieu est cause de guerres sans fin, dont
les victimes se calculent maintenant par dizaines de
millions ?! Depuis 1930, les successeurs de Pierre
n’ont que quelques paroles à dire pour arrêter ce
massacre, et aucun d’eux ne s’y est vraiment résolu,
exception faite de Jean-Paul I er qui a été assassiné avant de réaliser son vœu ?! Pourquoi le pape
­François, qui semblait vouloir obéir à Notre-Dame de
Fatima, le 13 octobre 2013, en a-t-il été empêché ?
ALLIANCE EN MARIE IMMACULÉE OU PACTE CONCILIAIRE ?
C’est en raison d’un mystère d’iniquité parfaitement démasqué par le pape saint Pie X. Condamné
par lui, mais en vain, hélas ! il s’est imposé à la
faveur du concile Vatican II. Le signe de cette désorientation diabolique, le caractère de ce « culte de
l’homme » qui s’oppose à Dieu, c’est l’abaissement
de « la Femme », l’Immaculée Vierge Marie. Vatican II
( absence du mot Immaculée Conception dans Lumen
Gentium ) a voulu la faire descendre de la première
place où Dieu l’a placée, pour la ravaler au niveau
commun d’une simple « fille d’Adam ». Jean XXIII et
Paul VI, lui disputaient même son titre de « Mère de
Dieu » auquel ils préféraient la protestante appellation :
“ Mère de Jésus ”. Alors, « Médiatrice de toutes grâces »,
« Corédemptrice », c’était, pour reprendre l’expression
même de Paul VI rien de moins qu’une désorientation « damnosa », « condamnable ». Et on ne s’étonne
plus de voir un évêque douter de l’Assomption, ni
un théologien romain ne plus croire en l’Immaculée Conception. Le pape François est donc écartelé
entre son amour de la Madone, et l’impératif catégorique, antimarial, du pacte conciliaire. Obéir vraiment
à Notre-Dame de Fatima, c’est bien évidemment
“ trahir ” Vatican II, c’est aussi et surtout se montrer
« serviteur du Christ ! »
Pauvre papa Francesco, il doit être confronté à
mille et mille difficultés... En plus de « beaucoup
prier » pour lui – ce à quoi nos amis de l’Ouest se
sont tout particulièrement dévoués lors leur pèlerinage
FÉV. 2017
No 172 - P. 32
à Pontmain, le 29 janvier – ce mois-ci, l’article de
frère Grégoire ( cf. De saint Grégoire à l’an mille :
l’essor de la chrétienté , supra, p. 20 -30 ) est bien
fait pour l’encourager. Que saint Grégoire le Grand
lui vienne en aide !
PÈLERINAGE À PONTMAIN
Les fidèles d’entre les fidèles étaient à 9 heures à
saint Ellier-du-Maine. Après la joie des retrouvailles,
frère Thomas introduisit fort bien le pèlerinage en
situant l’apparition de Pontmain dans le cycle des
grandes apparitions mariales du dix-neuvième siècle :
« De la Rue du Bac et de la Médaille miraculeuse, la
Sainte Vierge a retenu ici, à Pontmain, le geste de ses
mains étendues et l’ovale qui l’entoure, mais surtout
la joie de son Cœur à répandre ses grâces et à venir
au secours de ses enfants qui la prient. De La Salette,
ce sont ses pleurs qui disent le chagrin de son Cœur.
Pontmain, disait frère Gérard, c’est le Mystère de la
compassion de Marie, aux portes du Ciel. Quant au
lien avec les apparitions de Lourdes, il est ténu, mais
non moins certain, puisque l’Immaculée est apparue
le mois précédent, le 2 décembre, au général de
Sonis qui gisait, blessé, sur le champ de bataille de
Loigny après la charge héroïque qu’il avait conduite
à la tête des zouaves pontificaux. Ici, à Pontmain, la
Vierge porte sur son Cœur la petite croix rouge de
ces mêmes vaillants soldats du Pape. À Pontmain, la
Sainte Vierge ne pose pas les pieds sur notre terre,
Elle reste dans le ciel, comme un “ signe grandiose ”,
les étoiles l’entourent et la servent comme leur Souveraine. Elle sourit aux enfants qui la contemplent,
mais Elle est aussi “ dans les douleurs de l’enfantement ” ( Ap 12 ), et c’est de nuit, la nuit de l’épreuve,
car Elle a reçu mission de faire face au Dragon et
de reconquérir son peuple par la miséricorde et la
tendresse de son Cœur maternel. La rue du Bac, La
Salette, Lourdes, Pontmain, autant d’apparitions qui
nous révèlent l’amour du Cœur Immaculé de Marie
pour la France, la certitude que nous avons qu’elle
nous sauvera finalement, à une condition : “ Mais priez
mes enfants, mon Fils se laisse toucher ”. »
La procession se mit en place et nous partîmes
pour Pontmain en chantant le chapelet aux intentions du pape François. Avant la messe de 10 h 30,
le recteur fit demander frère Benoît. C’était pour le
saluer et lui indiquer que notre groupe prendrait place
dans le chœur, derrière le maître-autel. Belle cérémonie, honnête sermon sur l’Évangile des Béatitudes,
prononcé par un oblat de Marie Immaculée camerounais, chapelain et assistant du recteur.
UN PRÊTRE SELON LE CŒUR IMMACULÉ DE MARIE .
Après la messe, nous nous retrouvons tous, deux
cents petites et grandes personnes dans l’église paroissiale de Pontmain. Là, frère Benoît évoqua l’attachante
figure de l’abbé Michel Guérin ; ne retenons que sa
déclaration d’amour à ses paroissiens le 24 novembre
1836, elle fait rêver : « C’est Dieu qui a tout fait, Il
veut que je sois à vous sans partage ; désormais c’est
avec vous à la vie à la mort. Vous pouvez compter sur
l’absolue fidélité de votre pasteur. » Moins d’un an plus
tard, il affiliait sa paroisse à l’Archiconfrérie du Très
Saint et Immaculé Cœur de Marie fondée en 1836
par l’abbé des Genettes en l’église Notre-Dame des
Victoires à Paris.
Frère Benoît nous montra que ce zélé petit curé
avait compris les desseins de Dieu sur l’Église et la
France. Intelligence surnaturelle pleine d’onction, c’est
par des pratiques de dévotion ou par l’ornementation
de son église que l’abbé Guérin instruisait ses paroissiens et les faisait communier, collaborer au dessein
tout marial de Dieu. La Vierge Marie en fut si touchée
qu’elle a calqué la mise en scène de son apparition
sur les dévotes pratiques de la religion catholique et
royale de son curé. Après avoir évoqué sur site ces
correspondances, frère Benoît conclut ainsi :
« Ce tout jeune prêtre en consacrant sa paroisse
au Cœur Immaculé de Marie a été récompensé par
le Ciel. Tel est le figuratif de ce que nous attendons
du Saint-Père. Si le pape François voue son pontificat
à Notre-Dame de Fatima, s’il obéit aux demandes
de son Cœur Immaculé, il fera des merveilles pour
sa paroisse qu’est l’Église entière. En ce lieu sacré,
nous allons à nouveau supplier le Ciel, “ le tanner ”
en relisant, au nom de frère Bruno, la Supplique
( cf. Il est ressuscité , n o 171, janvier 2017, p. 1-2 )
qu’il a adressée au Cœur Immaculé puisque le SaintPère semble ne pas entendre le cri que le Ciel lance
à la terre pour son salut. »
UN CURÉ, SA PAROISSE, ET LA SAINTE VIERGE .
Repas très fraternel ensuite dans une superbe
grande salle communale, fort bien sonorisée, puis
conférence de frère Benoît sur l’œuvre de l’abbé
Guérin : Une paroisse vitrine du Cœur Immaculé
de Marie . Les deux parties de cette instruction interpellèrent et passionnèrent nos amis, tant elles étaient
figuratives de notre triste aujourd’hui avec son église
« à moitié en ruine », et les sanglants lendemains qui
nous attendent en France.
En 1836, Pontmain n’est ni une paroisse ni une
commune ; son église est littéralement en ruine.
Les paroissiens avaient cependant encore un peu de
religion, car ils étaient restés fidèles à la récitation
du chapelet. « La foi n’y est pas morte, une bonne
volonté de faire le bien subsiste. Seulement il y a
négligence très grande pour approcher des sacrements
au moins aux fêtes principales, même à Pâques. Il
se trouve encore un certain nombre qui n’ont point
approché des sacrements depuis des dix à vingt et
trente années et plus. Cependant, avec la grâce de
FÉV. 2017
Dieu il y a tout espoir d’en ramener une grande
partie. “ Je puis tout en celui qui me fortifie. ” »
Ce bon cœur va mobiliser ses paroissiens pour
reconstruire son église, à commencer par les bancs,
pour que les fidèles assistent nombreux aux offices
religieux ( messe, chemin de Croix, adoration du
Saint-Sacrement, mois de Marie, chant des litanies de
la Sainte Vierge, vêpres, etc.), sans oublier les processions festives, ainsi que l’instruction de la doctrine
chrétienne, trois soirs par semaine. L’abbé note dans
son diaire : « Cent cinquante à deux cents personnes
se trouvent à cet exercice. » Autant dire presque
tout le village, qui, avec les habitants des alentours,
compte cinq cents âmes. C’est donc le règne de la
grâce que ce curé instaure, et c’est à la Vierge Marie,
la Mère de la Divine grâce, qu’il confie ce dépôt :
« Rien sans Marie, tout par Marie ». Il aime sa Reine
et veut que ses paroissiens l’honorent et l’aiment
aussi. Voilà pour la vie surnaturelle. Quant au temporel, on pourrait aisément démontrer que ce bon Père
fut à la petite échelle de sa paroisse un fondateur de
Chrétienté ; c’était un homme de gouvernement et il
s’y entendait pour traiter avec l’Administration, quand
il s’agissait des intérêts de l’Église ou de ses paroissiens. Sous la houlette de ce Bon Pasteur, P
­ontmain
devint le modèle de toutes les paroisses. Tout le
monde allait à la messe dominicale, et sans exception
tout le monde s’approchait de la Table sainte durant
les fêtes pascales. Telle était la réalité de Pontmain à
l’époque où la guerre de 1870 éclata.
LA FR ANCE CHRÉTIENNE DANS LA GUERRE .
Le bon curé Guérin multipliait les prières publiques,
réunissant ses paroissiens, matin et soir, lors de l’Angélus . À l’école des sœurs, d’heure en heure s’élevaient
aussi des suppliques ardentes. On y chantait le cantique
de pénitence Mon doux Jésus, enfin voici le temps de
pardonner à nos cœurs pénitents, alterné avec le Parce
Domine. Mais c’est surtout le célèbre chant Mère de
l’Espérance, de l’archiconfrérie de Saint-Brieuc que
le curé aimait à faire chanter en renfort de ses plus
ferventes exhortations : « Mes bien-aimés frères, oui,
prions, prions beaucoup, faisons pénitence. Mais que
rien n’abatte notre courage. Espérons, espérons, la
miséricorde viendra, elle viendra par Marie. »
La Sainte Vierge vint en effet, et si elle choisit le
Ciel de Pontmain, ce ne fut cependant pas à la seule
prière de son curé. L’originalité de la conférence de
frère Benoît fut de nous démontrer que la France
chrétienne entière était en prière, en corps constitués,
entraînée par ses prêtres et ses évêques.
Sous la motion du Saint-Esprit, les évêques multipliaient les amendes honorables et faisaient des vœux,
comme à Laval, à Rennes ou à Lyon. Si cet élan de
piété jaillissait de Notre-Dame des Victoires à Paris,
No 172 - P. 33
la confrérie de Notre-Dame d’Espérance à SaintBrieuc n’était pas en reste ; son cantique, Mère de
l’Espérance, était sur toutes les lèvres. À la demande
du fondateur de cette archiconfrérie, le chanoine
Prud’homme, l’évêque de Saint-Brieuc, Mgr Augustin
David, sollicita ses confrères, à la manière surnaturelle
d’un évêque “ defensor civitatis ” :
« Notre héroïque Bretagne ne donne pas seulement
son sang à la défense du pays ; elle est agenouillée depuis quatre mois dans ses sanctuaires les plus
vénérés, priant avec sa foi héréditaire la Reine du
Ciel, et sa glorieuse mère sainte Anne. La chapelle
de Notre-Dame d’Espérance, bâtie à Saint-Brieuc
par la piété des fidèles du monde catholique et le
dévouement d’un pieux chanoine dont j’envoie la
lettre à Votre Grandeur, est assiégée chaque jour par
de nombreux pèlerins. Notre ambition serait de nous
sentir unis à vos prières, Monseigneur, et à celles
de vos diocésains pendant les six derniers jours de
la présente année ( 1870 ) et les trois premiers de
l’année nouvelle. Cette union, avec tant de nobles
âmes, nous serait douce et précieuse, il nous semble
qu’elle obtiendrait du Cœur de Dieu ce que nos supplications isolées n’ont jusqu’ici pu obtenir. Chaque
jour, on réciterait l’Ave maris Stella suivi de l’invocation : Notre-Dame d’Espérance, sauvez la France
et priez pour nous ! Dans le cours de la neuvaine,
on ferait une communion et une légère aumône pour
nos pauvres soldats français prisonniers ou blessés. La
pensée des douleurs du Souverain Pontife ne se séparerait pas dans nos prières de celle de la France... »
À Paris, le 17 janvier une neuvaine est annoncée
à l’église Notre-Dame des Victoires. Le vicaire de la
paroisse, l’abbé Amodru évoque les tristesses et les
souffrances de la défaite, l’humiliation qui en résulte
pour la France ; puis, comme transporté hors de luimême, il s’écrie : « Notre-Dame des Victoires nous
garde et nous défend. Une pensée se présente en ce
moment à mon esprit. Nous allons tous publiquement
et solennellement supplier la Très Sainte Vierge de
nous venir en aide, et nous ne franchirons pas le
seuil de ce saint temple consacré à sa gloire sans
lui avoir non moins solennellement promis de lui
offrir un cœur d’argent qui apprendra aux générations futures qu’aujourd’hui, entre 8 et 9 heures
du soir , tout un peuple s’est prosterné aux pieds de
Notre-Dame des Victoires et a été sauvé par elle ! »
Le curé applaudit à cette proposition de son vicaire,
et les assistants transportés d’enthousiasme se pressèrent dans les bureaux de l’Archiconfrérie pour offrir
leur obole.
Quant à l’autre grand sanctuaire national, celui de
Notre-Dame d’Espérance de Saint-Brieuc, consacré
aux intérêts de la France depuis 1848, le saint abbé
Prud’homme faisait, à l’heure même de l’Apparition,
le vœu d’offrir à la Vierge Marie un superbe étendard
FÉV. 2017
si l’invasion s’arrêtait. Il l’invoquait comme l’abbé
Guérin en tant que Patronne de la France. Lui aussi
avait pour habitude d’allumer chaque jour pendant la
messe quatre bougies autour de la statue de la Sainte
Vierge ; mais à Saint-Brieuc, en face de la chaire,
était suspendu un crucifix rouge, surmonté d’un écriteau blanc !...
SUR LES TR ACES DE L ’ABBÉ GUÉRIN .
Après cette conférence très applaudie, frère Benoît
nous emmena réciter le chapelet dans la grange
Barbedette, illustrant chaque dizaine par un épisode
de la vie de cette sainte famille.
Le chapelain camerounais qui nous fit visiter
ensuite le presbytère nous consola par sa touchante
admiration du curé Guérin : « Il s’est donné à ses
paroissiens : “ à la vie à la mort ”, comme un époux.
Avec la paroisse, c’est comme dans le mariage... »
Il évoqua son œuvre en employant un vocabulaire
moderne ( dignité, promotion...) qui ne consonait guère
avec la profondeur de la dévotion mariale du saint
curé – désorientation conciliaire oblige –, mais cela
n’altérait pas notre communion profonde...
Au cimetière, devant le tombeau de l’abbé Guérin,
frère Benoît évoqua les souvenirs que les voyants
avaient gardé de lui ; souvenir très édifiant aussi de
la châtelaine, madame Morin, la bienfaitrice de toutes
les œuvres de son curé ; évocation aussi des petits
voyants et de Victoire Barbedette... Nous étions sous
le charme particulier de Pontmain, tout comme la
Sainte Vierge, qui souriait de plaisir en voyant tous
ses enfants, bons chrétiens, francs-catholiques, simples
et loyaux, sans artifices (cf. Jn 1, 47 ). La charité du
Bon Dieu allait et venait du Ciel sur la terre, et de
la terre au Ciel... Bienheureuse vision de paix...
Les enfants de nos familles avaient eu eux aussi,
grâce au dévouement des frères et des sœurs, leurs
instructions, leurs jeux. En fin d’après-midi, nous
nous retrouvâmes tous dans l’église paroissiale pour
recevoir des mains du recteur et de son chapelain, la
Bénédiction du Saint-Sacrement. Le cher sanctuaire du
saint curé Guérin retentit encore du chant qui touche
le Cœur Immaculé de Marie : Mère de l’Espérance,
protégez notre France...
La journée s’acheva dans de joyeuses conversations et le traditionnel excellent goûter offert par nos
dévoués amis D. Puis tous se promirent de revenir
l’année prochaine.
LA CH A NDELEUR À SA INT-PA R R ES
S’il est un rendez-vous CRC que les amis ne
manquent pas, c’est bien celui-ci. La fin de semaine
des 4 et 5 février coïncidant avec la solennité de
la belle fête de la Présentation de l’Enfant-Jésus au
Temple et avec la traditionnelle Journée champenoise,
No 172 - P. 34
c’est donc deux et trois centaines de “ Champenois ”,
enfants du pays ou adoptés par lui, petits et grands,
qui rallièrent la maison Saint-Joseph.
En ce premier samedi du mois 4 février, fête de
sainte Véronique et donc un peu du Saint Suaire,
il s’agissait aussi de consoler le Cœur Immaculé de
Marie. Messe en son honneur à 11 h 30, et homélie
pour son service puisque frère Bruno nous lut sa
Deuxième supplique au pape François . Instant sacré,
émotion, car l’on se disait : « Ah ! si le Saint-Père la
lisait... » Notre frère a tellement bien noué ce mois-ci
les attendus du retour de la foi dans l’Église et de la
paix dans le monde, que François comprendrait enfin,
que la « question de principe » qui s’oppose au Bon
Plaisir de Dieu et à la « gigantesque “ réforme ” qu’il
a entreprise pour le salut de l’Église et du monde »,
se nomme Vatican II...
L’ÉVANGILE DE JÉSUS ÉCLAIRÉ PAR LES PSAUMES .
Cette prédication revenait à notre bienheureux Père,
avec la participation de frère Gérard pour introduire et
conclure les conférences de retraite, chacune illustrant
un verset du “ Notre Père ”. La première conférence
eut lieu après le chapelet et avait pour titre : Sicut
in Cælo et in terra . Notre Père poursuivit sa prodigieuse étude comparée de la Loi de Moïse et de la
Loi évangélique.
Au début de sa vie publique, heureux au milieu
de son peuple, Jésus formule une morale pour “ temps
calme ”, celle attirante des Béatitudes. Ensuite, Jésus
« s’est pour ainsi dire affolé » ; après l’échec de sa
prédication en Galilée, il va prêcher une « morale
tragique » pour des temps dramatiques semblables
à ceux évoqués par le psaume 140. Il annonce sa
Passion, et puisque tout doit se terminer par sa mort
et sa résurrection, son disciple doit prendre sa croix,
ne pas s’enorgueillir, redevenir comme un petit enfant,
sans ambition ( cf Lc 18 ; Mt 19 ), mais surtout il doit
fuir la richesse. Notre Père insistera beaucoup sur
cette aversion de Jésus pour la richesse. Conclusion
de cette magnifique conférence : « Rappelons-nous
seulement que nous sommes les soldats d’un être qui
est sans cesse en combat contre des forces adverses.
Il importe que le soldat soit bien armé et ne soit
retardé par rien pour suivre Jésus, prendre sa croix, la
porter chaque jour, renoncer à sa vie pour la gagner.
Morale austère, morale magnifique, car la récompense,
c’est d’être avec Jésus chaque jour et dans l’éternité. »
Après un goûter fort convivial, dernière conférence
de retraite de cette journée. Panem nostrum quotidianum da nobis hodie ( I ) . « L’histoire du monde,
c’est la quête du pain ; on le retrouve au centre du
mémorial nouveau comme de l’ancien. » À la lumière
de nombreux psaumes, notre Père nous montra les
deux facettes du mémorial juif : la glorieuse – trop –
FÉV. 2017
No 172 - P. 35
de « la divine épopée d’Israël » conduite par Yahweh,
qui n’en recevait en retour qu’une constante infidélité
et perpétuelle rébellion de son peuple, autre facette.
Ensuite, notre Père établit un prodigieux parallèle
entre la vie de Jésus et le psaume 77. Avec Jésus,
le nouveau Moïse, commence une nouvelle Histoire
sainte. L’Évangile est maintenant pour nous le mémorial des merveilles de Dieu, accomplissement de celles
racontées dans le livre de l’Exode. Les juifs trouvaient dans ces faits le motif de leur confiance, tout
comme nous, qui mettons notre foi et notre espérance
en Jésus qui fonde l’Église, met saint Pierre à sa tête,
puis nous donne, à nous aussi, la manne, notre pain
quotidien, la sainte Eucharistie.
Le lendemain matin, notre Père continuera cette
même conférence Panem nostrum quotidianum da
nobis hodie ( 2 ) en abordant au fil de l’Évangile les
oppositions rencontrées par Jésus. Comme dans l’Histoire
Sainte, des rebelles vont se dresser : c’est le terrible
affrontement du Christ et des pharisiens. Conférence
haletante, c’est Jésus qui parle, qui invective ; notre Père
lui prête sa voix, entre eux c’est une communion parfaite.
L ’ ÉVANGILE DE MARIE SELON SŒUR LUCIE DE FATIMA .
La prédication de frère Bruno consista à nous faire
goûter les correspondances profondes qui unissent les
“ faits et dits ” de Notre-Dame de Fatima ou de sa
messagère, ceux de l’Évangile analysés à la lumière
de la plus exacte science exégétique et, troisièmement,
les intuitions mystiques et théologiques d’un homme
d’Église : notre bienheureux Père. « Le fil triple ne
rompt point. » ( Qo 4, 12 )
Samedi en fin d’après-midi, le quart d’heure de
méditation : Dans l’intimité de la Sainte Famille :
Tout sur le chapelet, si petit et si simple, si grand
moyen finalement pour plaire à Dieu, le bien servir,
puis sauver son âme à « l’heure de notre mort... »
Dimanche à l’oraison : Pour aller au ciel, notre
purification et lors du sermon de la messe : Notre
purification : Paroles d’or de sœur Lucie sur la souffrance, le purgatoire, la dévotion réparatrice au Cœur
Immaculé de Marie. La messe de la Sainte Vierge
c’est le chapelet, nous dit un jour notre bienheureux
Père, ravi de cette “ lumière ” reçue. Lors du sermon de
clôture, frère Bruno nous fit partager cet enthousiasme.
Bienheureux lecteur d’Il est ressuscité , vous ne
perdez rien pour attendre, vous trouverez ces sermons
dans le prochain numéro, et donc de quoi embraser
votre dévotion au Cœur Immaculé de Marie...
LES ACTUA LITÉS
Tout ce qui touche de près ou de loin à Fatima
est lumineux et puissant d’une lumière d’intelligence et d’une puissance de salut pour l’Église et
pour le monde, plus que jamais actuel, frère Bruno
le démontre dans sa conférence d’actualité : Sœur
Lucie, messagère de Notre-Dame, fille chérie de
l’Église . Le procès diocésain en vue de sa béatifi-
cation se conclura solennellement le 13 février 2017,
en l’anniversaire de son « dies natalis ». Ensuite, « les
décisions de Rome touchant sa béatification jugeront
Rome, comme la condamnation de Jésus jugeait et
condamnait les autorités de Jérusalem ». Le pape
Jean-Paul I er disait que sœur Lucie était « une fille
chérie de l’Église ». Elle l’est et le sera toujours, frère
Bruno va en donner la preuve.
Les exhortations surnaturelles et très précises de la
sainte à son neveu Manuel, jeune séminariste ( lettre
du 13 octobre 1940 ), sont vraiment le vademecum du
prochain Synode sur « les jeunes, la foi et le discernement vocationnel », l’antidote au culte de l’homme
qui empoisonne les hommes d’Église depuis Vatican II,
le bon secours du pape François. Le rappel du rôle
de sœur Lucie dans le redressement de son pays, et
son soutien du président Salazar ? C’est évoqué ici,
comme un mémorial des merveilles que Dieu serait
tout disposé à reproduire, si le Saint-Père obéissait
à Notre-Dame, et si cette obéissance était mise en
œuvre aussi par les évêques de chaque nation...
« VOTEZ POUR FR ANÇOIS FILLON DÈS LE PREMIER TOUR ! »
Frère Bruno fait le point et la vérité sur le lynchage médiatique dont est victime monsieur François
Fillon. C’est une entreprise menée au profit du “ bobo ”
Emmanuel Macron, par François Hollande, Gaspard
Gantzer, le petit « chargé d’com » du président de
la République, et le directeur du gros-gras “ Canard
”, Michel Maillard. « Problème : il n’y a
enchaîné rien d’illégal dans ce dossier. Madame Fillon a été
collaboratrice de son mari, mais c’est tout à fait légal.
De plus, les revenus ont été déclarés aux impôts.
« Même La Croix doit faire écho à l’indignation
du bon peuple :
« “ Nous voilà en plein procès d’intention : on ne
peut travailler honnêtement en famille ? Et pourtant,
des PME sont dirigées par mari et femme (et l’un
dépendant de l’autre...), des femmes d’artisan travaillent avec leur mari ( facture, administratif...), même
chose dans des couples de médecins, d’agriculteurs,
etc. Réglementer, réduire les libertés est vraiment un
sport national, même si on fait semblant de croire
au “ Liberté, Égalité, Fraternité ”, affiché sur nos
édifices publics ! La confiance, ça n’existe plus ? »
( La Croix du vendredi 3 février 2017, p. 6 )
« François Fillon, poursuit frère Bruno, a un plan
d’ensemble très complet, une stratégie et des priorités pour le mettre en œuvre, méthodiquement. Avec
la vaste expérience d’un homme d’État accompli, du
FÉV. 2017
No 172 - P. 36
courage pour parler un langage de vérité et prendre
les mesures nécessaires au bien commun : Il faut
évidemment voter pour lui dès le premier tour. Malgré
notre “ droite ”, la plus bête du monde, qui fait déjà
campagne contre lui ! Et ainsi, travaille pour la
gauche, avec le Front national !
« Comme Aymeric Chauprade a fini par le comprendre au point de quitter le FN en octobre 2015 :
“ Le FN devient de plus en plus socialiste et n’apporte
aucune solution sur les questions de civilisation et de
valeurs. C’est une impasse. ” Aujourd’hui, Chauprade
revendique de vraies convergences avec François
Fillon sur ses sujets de prédilection, à savoir les
questions internationales, la défense, ou tout ce qui
concerne les enjeux maritimes ( Valeurs actuelles du
12 janvier 2017 ). »
« La France en péril a plus que jamais besoin
d’un chef catholique », ce sera une des intentions de
notre pèlerinage du 25 mai prochain, « pèlerinage de
supplication et d’offrande de nous-mêmes pour être
prêts à mener une vraie Croisade catholique, royale
et communière, qui aboutira, “ si Dieu le veult ”, par
la prière de Marie Immaculée ! »
LA PAIX DANS LE MONDE .
En attendant que le Saint-Père la fasse advenir
du simple souffle de sa bouche, en Syrie, dans le
tumulte des combats et la confusion des partis en
guerre, la Russie poursuit son œuvre pacificatrice. Elle
a réussi à y associer la Turquie en plus de l’Iran ;
et même si les négociations d’Astana entre le gouvernement de Bachar et les groupes rebelles syriens
sont difficiles, une certaine sagesse domine ces débats.
Longue citation d’une chef d’entreprise syrienne aux
prises avec mille difficultés, qui nous fait admirer le
courage des Syriens loyaux à Bachar el-Assad ; joie
aussi d’entendre Mgr Jacques Behnan Hindo, archevêque syro-catholique de Hassaké-Nissibi, soutenir la
politique du président Syrien, et nous mettre en garde
contre un “ islam modéré ” : « Cela n’existe pas ! »
Le président américain Donald Trump en est
convaincu ; il travaille de son côté en parfait accord
avec le Premier ministre israélien, d’une part pour
lutter plus efficacement contre l’État islamique, et
d’autre part pour négocier la paix avec l’Autorité
palestinienne, mais directement, en « tête à tête », et
non plus par des conférences internationales. Si Trump
sait où il va lorsqu’il rompt avec la délocalisation
mondialiste en rapatriant son industrie automobile, son
récent désaccord avec Poutine à propos du lancer de
missile iranien, inquiète...
LES NOUVEAUTÉS DU MOIS
DVD : achat 7.50 E.
AUDIO – CASSETTES : location (uniquement) 1.50 E .
CD : achat 5 E.
Ajouter le prix du port. La durée de la location est de deux mois.
♦ Conférences mensuelles à la maison Saint-Joseph. Janvier 2017
● ACT. 1917 - 2017 : l’ ultime affrontement.
1 DVD – 1 cassette – 1 CD.
● L 159. M gr Freppel, 1880 - 1886 .
Présentation du tome iii.
1 DVD – 1 cassette – 1 CD.
● S 158. E ntrées au bordj.
Visite à la crèche 2016 .
1 DVD – 1 cassette – 1 CD.
♦ Camp -retraite de la Communion phalangiste 2016 .
Janvier 2017
● P C 7 9 . M i l l e a n s d e C h r é t i e n t é . 5 . L’ É g l i s e d e s m a rt y r s .
6 . P o u r q u o i P o ly e u c t e ?
1 cassette – 1 CD.
● THe 10. Polyeucte martyr, de Corneille.
1 DVD.
CROISADE ET COLONISATION .
Tels sont les moyens proportionnés d’une lutte
victorieuse contre “ l’État islamique ”. Les djihadistes
chassés de Libye refluent vers le sud, dans une zone
qui rend leur extermination moins compliquée qu’en
Irak ou en Syrie.
En attendant qu’on la veuille vraiment, frère Bruno
nous fait admirer l’œuvre coloniale des soldats de
l’opération BARKHANE, héritiers du savoir-faire de
leurs aînés d’Algérie française.
Pour rendre cette Croisade française victorieuse,
il faut et il suffit que le Pape obéisse à la Sainte
Vierge. Comme cette dernière le disait en mai 1952
à sœur Lucie :
« Fais savoir au Saint-Père que j’attends toujours
la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé.
Sans cette consécration, la Russie ne pourra se
convertir , ni le monde avoir la paix. »
frère Philippe de la Face de Dieu.
Directeur de la publication : Frère Gérard Cousin. Commission paritaire 0318 G 80889.
Impression : Association La Contre-Réforme Catholique.
F - 10 260 Saint-Parres-lès-Vaudes. – http ://www.site-crc.com
ABONNEMENT 30 €, étudiants 18 €, soutien 60 €.
POUR LES PAYS D’EUROPE 36 €, AUTRES PAYS 60 €, par avion 70 €.
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