INTERPRETATION ET MOT DE L‘AUTEUR
SO FULL OF SHAPES IS FANCY
THAT IT ALONE IS HIGH FANTASTICAL
Si plein de formes est le fanstasme
Qu'il est fantasmatique au suprême degré
Le sous-titre énigmatique de la comédie, ce qu’on voudra, sonne comme une formidable
promesse de subversion et de mascarades que notre « très élisabéthaine » distribution
prolongera. Car on ne peut pas croire que le titre ne cacherait que le raffinement d'une de ces
romances où l'on assiste à la rencontre entre de jeunes gens que tout – âge, naissance, fortune
– voue l'un à l'autre.
Le début de la pièce pourrait pourtant nous laisser croire qu'il ne s'agit que de cela, une
comédie aristocratique. Tout nous porte à croire qu'un simple délai dû au deuil d'Olivia vient
différer la rencontre avec Orsino, mais qu'elle aura lieu. Et elle aura lieu, mais nous attendrons
cinq actes ! Orsino, comme il se doit, a passé les quatre actes de la comédie à entretenir une
cour d'amour ponctuée de refus cruels. « Retourne auprès de cette reine de cruauté »,
demande-t-il à Césario. Son attente, il l'a trompée en écoutant narrer ou chanter l'amour triste.
Feste, le clown–le bouffon, capable d'entonner les airs les plus lestes et les canons les plus
tonitruants quand il est auprès de Sir Toby et Sir Andrew, chante pour Orsino la complainte la
plus désolée de son répertoire où la mort est donnée par « la plus cruelle des beautés ». Tandis
que Viola conte une tragédie du néant, l'histoire d'une soeur qui « languit de tristesse ». Une
complicité imprévue avec le jeune page envoyé par le hasard des tempêtes a bien donné à
Orsino l'occasion d'explorer d'autres notions de psychologie amoureuse, toutes aussi
traditionnelles d'ailleurs, celles que l’on échange « entre hommes », avertis par des siècles de
misogynie. Face à la constance réclamée par l'amour courtois, que dire de l'inconstance et des
fragilités du coeur féminin, demande-t-il, prenant le page Césario qui est un homme joué par
une femme jouée par un homme, c'est-à-dire Viola (sa future épouse) à témoin ?
Qu'espérer des humeurs qu'on prête aux amants, « instables et versatiles » et qu'il a reconnues
pour siennes en écoutant la musique qu'il aime, confie-t-il encore à ce même page qui,
décidément, saura tout de « son âme secrète » ? Mais il pourra s'extasier enfin naïvement au
début de l'acte V, ses vœux seront comblés : « Voici venir la comtesse : maintenant le ciel
marche sur la terre ».
Mais le paradis espéré se révèlera un enfer, ce qui s'annonçait comme le dénouement
attendu d'une comédie sentimentale tournera à la tragédie.
L'amant idéal se découvre deux fois trompé : Olivia, la « dame » qui est un homme qui est une
femme (!) de la tradition courtoise aurait dû, si elle aimait jamais, n'aimer que lui. Voici
qu'elle appelle maintenant du nom d'époux qui lui revient son page préféré, Césario. Page
ingénu qu'il découvre libertin après avoir mis en lui toute sa confiance. Des amants
s'aimaient donc, mais pas ceux que l'on attendait.
La subversion sera plus radicale encore. Olivia, cette femme jouée par un homme qui tombe
amoureuse à contresens de la tradition admise, ne s'est-elle pas de surcroît déclarée
doublement contre nature ? On le voit, Shakespeare est bel et bien notre contemporain.
D'abord, Olivia avoue ses sentiments avant même que l'amant n'ait déclaré son désir, ce qui
devrait « clouer son honneur au pilori ». Mais surtout, en découvrant le trouble de ses sens en
présence d'un beau jeune homme dont les perfections, « subtiles et invisibles », sont venues «
se glisser dans ses yeux », certes, mais qui n'en est pas moins une femme (dans la pièce !),