Dossier pédagogique :
TWELFTH NIGHT LA NUIT DES ROIS,
OU CE QU’ON VOUDRA
de William Shakespeare
Une production e collectif / utopia
Coproduction Théâtre Alchimic
Mise en scène & traduction originale d’Eric Devanthéry
Interprétation : (la distribution des double-rôles est encore en cours)
Pierre Banderet, Adrian Filip, Xavier Loira, Florian Sapey, Bartek Sozanski
Lumières & scénographie : Philippe Maeder
Costumes : Valentine Savary
Au Théâtre Alchimic du 1 au 20 décembre 2015
Avenue Industrielle 10, 1227 Carouge
Avec le soutien de la Ville de Genève, de la Loterie romande
Contact : Eva Kiraly eva.kiral[email protected] 076 382 20 82
RÉSUMÉ
BUT THAT’S ALL ONE, OUR PLAY IS DONE
AND WE’LL STRIVE TO PLEASE YOU EVERYDAY
Mais c’est égal, notre pièce est finie
Et on espère vous plaire toujours
Une tempête provoque le naufrage d'un navire venant de Messine qui transporte Viola et son
jumeau Sebastian. Les deux jeunes gens survivent au naufrage mais échouent à deux endroits
différents de la côte d’Illyrie, chacun croyant qu'il a perdu son jumeau. N'étant plus sous la
protection de son frère, Viola se déguise en homme et se présente à la cour d’Orsino sous le
nom de Césario. Le duc lui offre de devenir son page et la charge de plaider sa cause auprès
d’Olivia. Cette ambassade ne plaît guère à Viola, secrètement amoureuse du duc, mais ravit
Olivia qui est immédiatement séduite par cet homme. Arrive Sebastian dont l'extraordinaire
ressemblance avec Césario trompe Olivia. Après une série de quiproquos auxquels participent
un quatuor de comiques, Sir Toby, Sir Andrew, le Clown Feste et Maria, Viola révèle sa
véritable identité. Elle épouse le duc, Sebastian épouse Olivia, et Maria épouse Sir Toby...
ALL WELL THAT ENDS WELL !
Tout est bien qui finit bien !
Les personnages d’Olivia et de Viola travestie en Césario, dans la production de La nuit des rois (1968).
Photographie d’André LeCoz, tirée de l’article de Robert Ayre, « Pellan versus the Bard », Canadian Art, vol. 3,
4, juillet 1946, p. 162-165.
LE THÉÂTRE ET SES DOUBLES, NOTES POUR LE JEU
IF MUSIC BE THE FOOD OF LOVE, PLAY
Si la musique est nourriture d'amour, joue(z)
Twelfth Night commence par un si… manière d'instaurer un climat poétique propre à favoriser
l'exploration de ce que pourrait être l’amour – exploration par la comédie et les jeux de rôles.
Mais ce si initial souligne aussi d'entrée de je(u) la frontière ténue entre affirmation et
négation, entre appétit et nausée. Une entrée de jeu où Shakespeare donne à entendre à la fois
la plénitude d'un amour « immense comme la mer » et son vide que rien ne peut combler,
plaisir et déplaisir qu'une seule minute un naufrage sépare. C’est ce rapport au sentiment
amoureux que je veux explorer en proposant cette distribution exclusivement masculine. Je
veux que nous nous appropriions ce si à notre tour. Et si un homme jouait une femme qui joue
un homme… vertiges de l’interprétation.
Twelfth night, mise en scène Tim Caroll, Shakespeare’s Globe 2012
Réouverture du Globe Theatre Londres, avec une distribution masculine.
INTERPRETATION ET MOT DE L‘AUTEUR
SO FULL OF SHAPES IS FANCY
THAT IT ALONE IS HIGH FANTASTICAL
Si plein de formes est le fanstasme
Qu'il est fantasmatique au suprême degré
Le sous-titre énigmatique de la comédie, ce qu’on voudra, sonne comme une formidable
promesse de subversion et de mascarades que notre « très élisabéthaine » distribution
prolongera. Car on ne peut pas croire que le titre ne cacherait que le raffinement d'une de ces
romances où l'on assiste à la rencontre entre de jeunes gens que tout âge, naissance, fortune
voue l'un à l'autre.
Le début de la pièce pourrait pourtant nous laisser croire qu'il ne s'agit que de cela, une
comédie aristocratique. Tout nous porte à croire qu'un simple délai dû au deuil d'Olivia vient
différer la rencontre avec Orsino, mais qu'elle aura lieu. Et elle aura lieu, mais nous attendrons
cinq actes ! Orsino, comme il se doit, a passé les quatre actes de la comédie à entretenir une
cour d'amour ponctuée de refus cruels. « Retourne auprès de cette reine de cruauté »,
demande-t-il à Césario. Son attente, il l'a trompée en écoutant narrer ou chanter l'amour triste.
Feste, le clownle bouffon, capable d'entonner les airs les plus lestes et les canons les plus
tonitruants quand il est auprès de Sir Toby et Sir Andrew, chante pour Orsino la complainte la
plus désolée de son répertoire où la mort est donnée par « la plus cruelle des beautés ». Tandis
que Viola conte une tragédie du néant, l'histoire d'une soeur qui « languit de tristesse ». Une
complicité imprévue avec le jeune page envoyé par le hasard des tempêtes a bien donné à
Orsino l'occasion d'explorer d'autres notions de psychologie amoureuse, toutes aussi
traditionnelles d'ailleurs, celles que l’on échange « entre hommes », avertis par des siècles de
misogynie. Face à la constance réclamée par l'amour courtois, que dire de l'inconstance et des
fragilités du coeur féminin, demande-t-il, prenant le page Césario qui est un homme joué par
une femme jouée par un homme, c'est-à-dire Viola (sa future épouse) à témoin ?
Qu'espérer des humeurs qu'on prête aux amants, « instables et versatiles » et qu'il a reconnues
pour siennes en écoutant la musique qu'il aime, confie-t-il encore à ce même page qui,
décidément, saura tout de « son âme secrète » ? Mais il pourra s'extasier enfin naïvement au
début de l'acte V, ses vœux seront comblés : « Voici venir la comtesse : maintenant le ciel
marche sur la terre ».
Mais le paradis espéré se révèlera un enfer, ce qui s'annonçait comme le dénouement
attendu d'une comédie sentimentale tournera à la tragédie.
L'amant idéal se découvre deux fois trompé : Olivia, la « dame » qui est un homme qui est une
femme (!) de la tradition courtoise aurait dû, si elle aimait jamais, n'aimer que lui. Voici
qu'elle appelle maintenant du nom d'époux qui lui revient son page préféré, Césario. Page
ingénu qu'il découvre libertin après avoir mis en lui toute sa confiance. Des amants
s'aimaient donc, mais pas ceux que l'on attendait.
La subversion sera plus radicale encore. Olivia, cette femme jouée par un homme qui tombe
amoureuse à contresens de la tradition admise, ne s'est-elle pas de surcroît déclarée
doublement contre nature ? On le voit, Shakespeare est bel et bien notre contemporain.
D'abord, Olivia avoue ses sentiments avant même que l'amant n'ait déclaré son désir, ce qui
devrait « clouer son honneur au pilori ». Mais surtout, en découvrant le trouble de ses sens en
présence d'un beau jeune homme dont les perfections, « subtiles et invisibles », sont venues «
se glisser dans ses yeux », certes, mais qui n'en est pas moins une femme (dans la pièce !),
Viola sous les traits de Césario. Orsino lui-même, qui s'apprêtait au pire, au sacrifice de
l'agneau, n'avait-il pas révélé au passage que, dans son honneur outragé, il s'était plus
préoccupé de son page, « ce mignon que j'adore », que de la dame de ses pensées ? Quant à ce
séducteur, Césario, sommé de choisir entre l'épouse et le maître, ne le voit-on pas opter pour
Orsino, doublement du même sexe que lui ?
Je veux me jouer de ces paradoxes en cherchant la complicité amusée avec un public
conscient de ces Jeux de l'Amour et du Hasard ! J’espère susciter la rencontre entre ce
prodigieux poète baroque et le public, dans une cascade de jeu(x) où tout n'est que
mouvement et déséquilibre entre être et paraître et maîtrise du jeu des apparences.
Parce que cela nous permettra de révéler notre rapport à l’autre, à nos conventions et nos
carcans sociaux.
DISGUISE, I SEE THOU ART A WICKEDNESS
Déguisement, je vois ta perversion
Quand Shakespeare fait jouer Twelfth Night en 1601 ou 1602, il a depuis longtemps
accoutumé son public à ces agaceries infligées aux amants à leur insu alors même qu'ils se
croient les plus conformes au modèle idéal qu'ils se sont imposé de suivre. Depuis longtemps,
les spectateurs sont les complices amusés de ces égarements, comme dans Le Songe d'une nuit
d'été, La Comédie des erreurs ou encore Comme il vous plaira. Au cinquième acte,
Shakespeare joue avec la candeur de ses personnages comme il joue avec notre attente d'une
fin de comédie conforme aux bonnes moeurs. Il faudra l'une de ces coïncidences appelées à
juste titre « coups de théâtre » c'est bien le moins qu'on puisse attendre sur une scène
pour sauver ce dernier acte d'un dénouement fâcheux, voire scandaleux.
Tout sera finalement remis à l'endroit, mais non sans une dernière surprise « renversante »
pour les personnages en scène, et un dernier moment de complicité avec le public fasciné
jusqu'au bout par le jeu avec l'instabilité des apparences et les dévoiements de l'illusion
comique que produiront les comédiens.
I AM NOT WHAT I PLAY
Êtes-vous comédien ?
Olivia pose la question avec pertinence à l'acte I, intriguée par ce Césario qui récite si bien
son compliment de la part de son maître : « Êtes-vous comédien ? » Mais la réponse cryptique
de Viola ne l'a pas davantage éclairée : « Je jure que je ne suis pas ce que je joue ». A la fin,
avec pertinence encore, mais à son insu, Olivia reproche à Viola la peur « qui te fait étrangler
ta véritable identité » ! Et voilà que dans cette intrigue sentimentale qui tourne à l'aigre
réapparaissent à point nommé les personnages de la farce qu'on allait oublier. Sir Toby, Sir
Andrew, bouffons qui ne sont pas nommés comme tels mais qui en ont tous les traits. Non
que leur entrée dénoue quoi que ce soit : ils désignent encore ce même Césario- Viola qu'on
vient de décrire blanc de peur comme le « diable incarnationné » et qui leur aurait fendu le
crâne. On avance toujours plus loin, de quiproquo en quiproquo. Par cet épisode à la fois
burlesque et sanglant, en rupture de ton radicale avec la tragédie de la jalousie froide qui vient
de se jouer, Shakespeare accapare tout son monde à nouveau, personnages et public. Tous
pensaient avoir assisté au pire des dénouements, la séparation pour jamais d'Orsino et de
Viola. Viola elle-même nous y avait préparés par le récit fictif des malheurs d'une « soeur »,
autre mirage d'elle-même. La confusion des propos, le bégaiement grotesque d'un Sir Andrew,
l'ébriété querelleuse de Sir Toby, réclament toute notre attention pour tenter de trouver un
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