1. Problématique
Le management comporte une dimension psychologique incontournable. Néanmoins le
rapprochement entre pratique de management et psychologie est souvent fait, au point parfois
de les superposer, les confondre ou de les intervertir.
L’observation des organisations révèle une « demande psychologique » très conséquente de la
part des acteurs, mais confuse, en termes de reconnaissance, de réparation, de démesure
affective. On observe dans le même temps des pratiques de management maladroites, voire
malsaines, inaptes à prendre en charge ces difficultés, ou ayant tendance à les provoquer ou à
les amplifier. Alors que l’on essaie, dans les organisations, de faire l’activité, les régulations
psychologiques sont incessantes. En outre, les personnes affichent parfois des verrous
psychologiques difficiles à lever ou à comprendre ; tandis que les niveaux de maturité et
d’appréhension des problèmes par les personnes posent de sérieuses difficultés.
L’environnement externe se complexifie et provoque des phénomènes anxiogènes sur les
personnes, de perte de repères, de fuite. Certains acteurs externes jouent aussi des jeux de
propagande et de démagogie sur ces questions de mal être des acteurs, dans leur propre intérêt
ou par simple inconséquence.
L’histoire des concepts de la gestion et du management montre que la psychologie s’est
invitée dans les organisations, et qu’aujourd’hui encore de nombreux psychologues parlent
sur et des organisations, mais sans que la gestion, en tant que discipline constituée, ait
véritablement défini les bases d’une psychologie compatible avec son objet. Il résulte de cette
situation un certain nombre de difficultés qui ne permettent pas une meilleure compréhension
d’une dimension psychologique intégrée au management. Certains affirment que le manager
est un « psy » (Albert et Emery, 1998), ce qui est erroné pris au sens littéral. L’entreprise ou
l’organisation sont parfois montrées du doigt comme des lieux d’oppression, de pression, de
souffrance. Les acteurs des organisations se mettent parfois en situation de « demande de
thérapie » implicite ou explicite, et l’entreprise ne sait si elle doit y répondre ni comment le
faire.
Il se développe une psychologisation
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à outrance qui fait oublier à de très nombreux acteurs
internes et externes que l’organisation est un lieu de production et de performance. La sur-
écoute des problèmes humains, leur sur-médiatisation interne ou externe, mais plus encore les
confusions de registres entre management et psychologie affaiblissent l’humain par des
régressions, de l’aliénation, de l’infantilisation, et l’empêchent de s’autonomiser et de se
prendre en charge. La psychologisation peut même suggérer qu’il y a des problèmes là où il
n’y en avait pas avant qu’on en parle ! A vouloir tout écouter et tout expliquer, on peut finir
par conclure qu’il n’y a rien à faire. De là à entériner la résistance au changement il n’y a
qu’un pas. Dans une organisation, l’humain n’a pas besoin de caresses
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, il a besoin de manière
plus décisive d’accroître sa capacité à arbitrer et à négocier. C’est finalement toute la
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Ce terme est employé ici de manière péjorative pour désigner les discours ou les pratiques fondés sur des
principes de la psychologie, chargés de bonnes intentions, mais qui occultent, sciemment ou non, les nécessités
liées aux enjeux de survie-développement, de performance d’un collectif, dans l’intérêt de tous et de chacun.
L’empathie a tout prix et l’écoute complaisante sont deux aspects majeurs de la psychologisation : prise en
compte exclusive de l’individu au détriment des enjeux liés à son environnement plus global. La
psychologisation se détecte aisément lorsqu’il s’agit de passer des sentiments nobles à la discussion sur la qualité
et la productivité dans un collectif de travail.
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Cette formulation cynique fait référence aux demandes de compliments, de reconnaissances, de considération
qui confinent à la dépendance psychoaffective plus qu’à l’interdépendance adulte et affirmée.