Qu`arrive-t-il aux clients qui ne remboursent pas?

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Qu’arrive-t-il aux
clients qui ne
remboursent pas?
Une étude exploratoire des pratiques de microfinance
Novembre 2014
Auteur principal
Jami Solli
Contributeurs
Laura Galindo, Alex Rizzi, Elisabeth Rhyne,
and Nadia van de Walle
Les clients d'abord
en microfinance
Table des matières Remerciements ................................................................................................................................... 3 Acronymes ...................................................................................................................................... 4 Préface ................................................................................................................................................ 5 Introduction ........................................................................................................................................ 8 Quelles sont les responsabilités des IMF ? ..................................................................................... 9 1. Méthodes de recherche ................................................................................................................ 10 2. Questions analysées et plan des études de cas pays .................................................................... 12 Sélection des pays et comparaisons ............................................................................................. 13 Pérou ......................................................................................................................................... 14 Inde ........................................................................................................................................... 24 Ouganda .................................................................................................................................... 32 3. Conclusions transversales & recommandations ........................................................................... 40 L’infrastructure de marché influence le comportement des fournisseurs de services financiers 40 Conclusions : quelques points de débat ....................................................................................... 41 Les problèmes liés aux contrats de prêts .................................................................................. 42 Plus de flexibilité pour les clients en détresse .......................................................................... 42 Des saisies de garanties inappropriées ..................................................................................... 43 Le recours aux agents externes de recouvrement .................................................................... 44 4. Recommandations pour des actions communes .......................................................................... 46 Annexe 1 : Synthèse des réponses à l’enquête en ligne sur la gestion des impayés .................... 49 Annexe 2. Questions aux institutions financières ........................................................................ 51 Annexe 3 : Exemples d’expériences de médiation en cas de défaut de paiement ....................... 56 2 Remerciements Nous remercions sincèrement les 44 institutions de microfinance situées au Pérou, en Inde et en Ouganda, qui ont échangé avec nous, mais que nous ne pouvons citer spécifiquement. Voici la liste de ceux qui ont participé à l’étude, en dehors des IMF, et des experts pays qui ont partagé avec nous leurs connaissances et leur expertise en relecture des premières versions de ce rapport. Equipe d’Accion en Inde Radhika Agashe Deepak Alok Association of Microfinance Institutions of Uganda (AMFIU) Shweta Banerjee Isabelle Barres, Smart Campaign CONSENT, Ouganda Consumer Protection Advocacy Association, Ouganda Crisologo Caseres, ASPEC Direccion General de Endeudamiento y Tesoro Publico Instituto Nacional de Defensa de la Competencia y de la Proteccion de la Propiedad Intelectual Frances Sinha, EDA Rural Systems Equifax, Inde et Pérou Experian, Inde et Pérou Malcolm Harper High Mark Inde Valerie Kindt, Accion Ministerio de Desarroyo e Inclusion Social (Pérou) Alok Misra, M-­‐CRIL MoneyLife Foundation, Mumbai NABARD Girish Nair, IFC Lisa Nestor Gerardo Porras, Président, Camera di Commercio, Huancayo SBS Sentinel Pérou Sara Sotelo Girija Srinivasan N. Srinivasan Leah Wardle Flavian Zeija, université de Makerere Membres du Groupe de travail « Paroles de clients » : Jessica Schicks, Rafe Mazer, Alex Fiorello, Andrea Stiles, Christopher Linder, Elisabeth Rhyne, JD Bergeron, Jesila Ledesma, Jami Solli 3 Acronymes AMFIU ASPEC BOU MFIN NABARD PAR RBI SFNB SHG SBS Association of Microfinance Institutions of Uganda Asociacion Peruana de Consumidores y Usuarios Bank of Uganda Microfinance Institutions Network National Bank for Agriculture and Rural Development Portefeuille à Risque Reserve Bank India Société Financière Non Bancaire Self-­‐Help Group Superintendencia de Banca, Seguos y AFP 4 Préface A la Smart Campaign, campagne internationale visant à intégrer les Principes de protection des clients en microfinance, nous reconnaissons qu’il y a un besoin d’échanger, au niveau de l’ensemble du secteur, sur la question du sort réservé aux clients qui ne remboursent pas. Pour alimenter cette discussion, nous avons examiné comment les impayés sont pris en compte dans trois pays très différents mais, nous l’espérons, représentatifs – le Pérou, l’Inde et l’Ouganda. La question des impayés est problématique, parce qu’elle oppose la nécessité du prêteur de survivre en tant qu’institution, aux circonstances difficiles que rencontre le client défaillant. En tant que prêteur de microfinance, vous estimeriez qu’un client qui cesse de rembourser est : • Une menace potentielle pour la santé financière de l’institution ? • Quelqu’un à sanctionner pour faire un exemple, afin que les autres clients sachent que vous prenez cela au sérieux ? • Quelqu’un qui profite des bons emprunteurs qui, eux, remboursent à temps ? • Quelqu’un capable d’avancer plusieurs excuses, dont toutes ne sont pas crédibles ? • Ou encore, un cas à transmettre à une agence de recouvrement pour ne plus jamais s’en préoccuper ? Voilà le type de phrases par lesquelles les prêteurs définissent souvent les clients défaillants, auprès de qui ils envoient des agents de recouvrement chargés de faire leur possible pour récupérer l’argent. Les prêteurs dotés d’une conscience jugent cet aspect de leur activité dérangeante, mais inévitable. Plus d’un prêteur ayant débuté son activité avec une attitude compréhensive a réalisé bien vite que des stratégies flexibles ou « douces » conduisent à une hausse du risque. La perte d’un seul prêt est une menace faible, mais de nombreux impayés peuvent mener à la faillite. Si un prêteur a la réputation d’être conciliant, des impayés massifs peuvent s’étendre à l’ensemble du marché. Nous avons tous déjà constaté cela. Le point de vue du client défaillant peut être totalement différent. La plupart des clients en impayés graves connaissent une détresse financière, et sont souvent au beau milieu d’une crise dans leur vie. Un enfant, un parent, un conjoint malade imposent des soins médicaux coûteux. La récolte complète d’un autre emprunteur a été perdue après une sécheresse. Une cliente âgée s’est fait dérober tout son bien, au terme d’un voyage en bus de deux heures jusqu’au marché. Les clients en impayés sont probablement déjà très angoissés, parce que leur vie ne va pas comme ils l’entendaient. La conséquence du non-­‐remboursement ne sera peut-­‐être que l’un de leurs principaux soucis. Jessica Schicks a interviewé des clients au Ghana, qui ont expliqué qu’il leur fallait souvent faire des sacrifices considérés par eux comme « inacceptables » afin de pouvoir rembourser leurs prêts1. Ils sautent des repas, vendent des biens ou retirent leurs enfants de l’école, pour économiser sur les frais de scolarité. On se résout à de tels sacrifices lorsque l’on est en impayés, et il est possible de supposer que la plupart des mauvais payeurs ont déjà appliqué 1
Jessica Schicks, Overindedtedness of Microborrowers in Ghana (Washington DC : Center for Financial Inclusion, 5 des solutions de ce type. Alors qu’ils luttent pour rester à jour de leurs dettes, par exemple en prenant un autre prêt, le piège se referme encore davantage sur eux. Des gens ordinaires pris dans des situations difficiles ne sont pas des menteurs ou fraudeurs – du moins, pas avant que la crise ne les pousse à des décisions désespérées. Des clients comme ceux-­‐là ont besoin d’aide et de compassion. Nous avions toutes ces questions en tête lorsque nos équipes de recherche sont parties au Pérou, en Inde et en Ouganda pour échanger avec les dirigeants et le personnel des institutions de microfinance. Le constat que nous avons fait est vraiment saisissant, et rétrospectivement pouvait être attendu : la qualité du traitement des clients au cours du recouvrement dépend dans une certaine mesure des bonnes pratiques de chaque institution financière, mais dépend plus encore de l’environnement local. Des méthodes de recouvrement humaines peuvent être en place dans un pays disposant de trois atouts : de bonnes autorités de régulation, un bureau de crédit qui fonctionne bien, et une culture qui encourage le respect des dettes contractées. Si ces éléments sont faibles, ou si l’un d’eux manque, alors les prêteurs sont poussés à des pratiques brutales par les exigences du marché (notamment la nécessité de ne pas être le dernier à venir recouvrer la dette). Le contexte du recouvrement commence alors à ressembler à une jungle sans pitié. Ce que nous avons découvert en Ouganda est digne d’un monde à la Hobbes. Les emprunteurs qui ne peuvent rembourser s’enfuient dans une ville voisine ou changent de nom. Ils y parviennent, car il n’existe pas de pièce d’identité officielle ou de bureau de crédit permettant aux prêteurs de les retrouver. Parce qu’ils craignent la fuite des clients, les prêteurs sautent sur eux au premier paiement en retard – ou même le jour de l’échéance. Beaucoup contournent les procédures juridiques régulières. L’application de ces dernières est en effet peu probable – peut-­‐être le magistrat a-­‐t-­‐il été payé – et les prêteurs se précipitent donc pour saisir les garanties. Ils vendent le mobilier des maisons au bord des routes, ou le stockent dans des entrepôts pleins à craquer. Les mauvais payeurs ont souvent plusieurs créditeurs, et les prêteurs savent que s’ils n’agissent pas rapidement, un concurrent sera peut-­‐être arrivé le premier. Craignant les tactiques d’intimidation, les emprunteurs fuient dès qu’ils réalisent qu’ils ne peuvent rembourser, et c’est la spirale infernale. Aucune mesure de protection du client effective n’est là pour la stopper. De fait, la constitution du pays et la législation à l’appui d’un recouvrement rapide des dettes aggravent l’atmosphère de peur. En Ouganda, un emprunteur défaillant peut aller en prison – et nous avons réalisé que cette situation n’est pas rare. L’Inde est un exemple moins désastreux, mais un traitement très dur des clients peut y être appliqué aussi, avec souvent un recours à l’humiliation sociale. La plupart des microprêteurs en Inde offrent des prêts de groupes dans des villages ruraux. Des réunions sont organisées chaque semaine avec l’agent de crédit, où les membres du groupe sont assis pour assister au comptage de l’argent, tandis que les enfants entrent et sortent, et que les voisins rôdent dans les couloirs pour écouter. Les dettes impayées sont de notoriété publique. Qui plus est, les prêteurs comptent sur les groupes pour faire respecter le remboursement au cours des premières semaines de retard de paiement. Comme le groupe, voire le village toute entier, risque de ne plus accéder aux prêts par la faute d’un seul mauvais payeur, il n’est pas difficile d’imaginer la dure pression de groupe qui s’exerce sur ses membres. L’humiliation sociale peut être intense, et d’après des entretiens avec des clients dans d’autres contextes, perdre la face peut parfois affecter un individu pendant des années. 6 Au Pérou, la situation est considérablement meilleure. Le Pérou dispose de superviseurs compétents, dotés de pouvoirs de mise en œuvre et de règles sensées. Les prêteurs ne peuvent plus faire publiquement connaître les débiteurs en peignant des marques ou des mots en rouge sur les murs des maisons, comme ils le faisaient avant. Le recouvrement est une procédure privée, qui débute souvent par un simple rappel par téléphone ou texto. Le bureau de crédit du Pérou dispose de registres complets et à jour. Les emprunteurs savent que les prêteurs verront un impayé dans leur historique de crédit, et ils ont le souci de préserver leur bonne réputation. Les prêteurs savent que les emprunteurs sont au courant, et ils ont confiance dans le fait que peu de gens cesseront de rembourser délibérément. Lorsqu’ils peuvent faire confiance aux emprunteurs pour faire le maximum pour rembourser, les prêteurs n’ont pas besoin de techniques d’intimidation. Ils accordent quelques jours de délai aux clients. Ils négocient un accord à l’amiable. En convaincant les emprunteurs de l’importance de leur historique de crédit, les bureaux de crédit péruviens sont peut-­‐être les héros de cette histoire. Ils permettent aux prêteurs d’être plus humains. La Smart Campaign prend parti pour une approche humaine du recouvrement de prêts. Les éléments de cette approche semblent intuitifs : ne pas faire honte à des clients, ni les humilier. Leur parler en privé, avec respect. Ne pas les priver de leurs moyens de survie de base, de leurs outils de travail. Etre flexible, quand c’est possible. Et aider les clients défaillants à se réhabiliter sur la durée. Mais ces normes sont plus faciles à défendre qu’à appliquer. Pour commencer, nos collègues du secteur de la microfinance pourraient garder en tête que les clients en impayés sont aussi des gens contraints par des circonstances difficiles, qui ont sans doute besoin d’aide sur plusieurs plans. Les conclusions et recommandations de cette étude suggèrent plusieurs façons de renforcer les pratiques existantes. Mais pour créer un contexte dans lequel le système tout entier les encourage à traiter humainement leurs clients, les prêteurs devront travailler ensemble, avec l’aide de leurs propres investisseurs et avec les gouvernements, afin de mettre en place une supervision et des bureaux de crédit efficaces. Elisabeth Rhyne Directrice générale Center for Financial Inclusion d’Accion 7 « Il faut reconnaître que les pauvres vivent au bord du précipice, et tombent souvent dedans. » -­‐ Extrait du manuel de crédit d’une institution de microfinance indienne « Conserver la relation avec le client, voilà le but du recouvrement. » -­‐ un chargé de recouvrement péruvien Introduction Cette étude a été lancée pour explorer la façon dont les institutions de microfinance (IMF) traitent les clients de microfinance incapables de rembourser leur prêt. A l’origine de l’étude, il y a le constat d’un manque d’informations sur les mesures prises par l’IMF envers un emprunteur, lorsque ce dernier cesse de rembourser. En dépit des progrès du secteur de la microfinance pour faire de la protection du client une priorité, il est surprenant de voir le manque d’informations partagées sur ce qui se produit, lorsque la relation contractuelle entre prêteur et emprunteur se rompt. Alors qu’il existe de nombreuses études sur les causes du surendettement, il y en a bien moins sur ses conséquences. Une multitude de décisions sont prises entre le moment où l’IMF constate pour la première fois un impayé, et celui où elle détermine que la relation prêteur-­‐emprunteur est irrémédiablement rompue, lorsque la relation avec le client prend fin. La Smart Campaign a souhaité comprendre quelles décisions sont prises vis-­‐à-­‐vis du client par un fournisseur de services financiers tout au long du processus de défaut de paiement, ce qui motive ces décisions, et les implications en termes de protection du client. Les IMF offrent-­‐elles des conditions de remboursement flexibles, par une restructuration ou une remise de dette par exemple ? Le processus de recouvrement se poursuit-­‐il au delà de l’abandon de créance ? Quelles sont les procédures appliquées lorsque la garantie doit être saisie ? Sachant combien cette période peut être dommageable pour le client, nous nous sommes sentis obligés, à la Smart Campaign, d’essayer d’en savoir plus. Cette étude analyse de près les pratiques des IMF de trois pays cibles dotés de cadres légaux, d’autorités de régulation du marché, de bureaux de crédit et d’acteurs locaux variés. L’équipe de recherche a enquêté en profondeur dans trois marchés très différents, afin de questionner l’idée qui veut que la réaction des IMF face aux impayés soit universelle ou standard. Cette analyse tente de comprendre les pratiques, et de savoir si et comment ces dernières sont influencées par le contexte de marché, la réglementation ou les facteurs incitatifs qui guident les IMF. Le calendrier de l’étude coïncide avec une prise de conscience croissante du rôle fondamental de la protection du client pour la microfinance. Au cours des premières années de la microfinance, les institutions financières n’échangeaient pas ouvertement sur des pratiques internes sensibles, telles que le recouvrement ou le traitement des clients défaillants. A présent, la volonté de discuter de la gestion des impayés est plus forte, et cela est largement dû à l’émergence de codes de conduite du secteur, à plusieurs crises de remboursement très médiatisées, et au désir réel des IMF de savoir comment leurs pairs gèrent cette question. Néanmoins, l’équipe de recherche est extrêmement reconnaissante envers les participants de cette étude qui se sont montrés ouverts aux échanges sur leurs pratiques, et ont été confiants dans notre capacité à conserver leur anonymat. 8 Quelles sont les responsabilités des IMF ? L’intention de cette étude est d’amener les IMF à reconsidérer le traitement des clients défaillants, et plus particulièrement à définir des paramètres acceptables de traitement humain des clients au cours du processus de défaut de paiement. Les clients qui font face aux impayés peuvent très bien connaître la situation financière la plus précaire de leur vie, qui s’accompagne souvent d’un état mental tout aussi fragile. C’est pourquoi il appartient aux IMF de prendre soin de ces clients. Nous comprenons bien que traiter les clients avec attention peut être très compliqué en pratique, et bien sûr nous affirmons la nécessité pour les IMF d’avoir la capacité de recouvrer les prêts. Pour rester viables et pérennes, les IMF doivent pouvoir maîtriser leur PAR. Néanmoins, si une IMF ne traite pas avec soin un emprunteur défaillant, elle risque aussi de perdre un client. Et perdre beaucoup de clients défaillants n’est pas non plus une pratique pérenne. L’objectif du recouvrement est donc de préserver la relation avec le client (lorsque c’est possible). Quand un prêt n’est pas remboursé, une série de procédures de gestion assez standard entre en jeu. Les prêts en retards sont classés et gérés en fonction de la durée du retard de paiement. En fonction du cadre réglementaire local et de la politique de l’institution, cette dernière prend des mesures de provisionnement partiel ou total, et pour finir passe la créance en perte. Pourtant, dans le cadre d’un ensemble assez général de procédures, on constate un manque d’information sur les pratiques ou le comportement des IMF envers les clients défaillants au cours du processus. Si les Principes de protection des clients de la Smart Campaign proposent quelques références de base sur le sujet des impayés, il n’existe pas de directives exhaustives sur le traitement des clients à chaque étape du processus. En analysant la question des impayés, la Smart Campaign cible principalement le principe de Traitement respectueux et équitable des clients, qui englobe l’essentiel des conseils de la Smart Campaign concernant le recouvrement. Cependant, d’autres principes sont certainement pertinents, notamment Transparence, Confidentialité des données des clients et Mécanismes de résolution des plaintes. De plus, les impayés peuvent résulter de l’incapacité de l’IMF à mettre en œuvre le principe de Prévention du surendettement avant d’engager un prêt, surtout si ces impayés concernent un nombre significatif de clients. La possibilité que l’IMF prête trop peut contribuer aux impayés, ce qui soulève une autre question : les IMF ont-­‐elles la responsabilité implicite d’aider les clients surendettés qui ne peuvent plus rembourser ? Et, lorsque les clients sont surendettés, faut-­‐il appliquer aux IMF dotées d’une mission sociale une norme de comportement plus élevée que dans le cas d’institutions financières purement commerciales ? Dans cette étude, nous analysons si les IMF ont des méthodes en place pour venir en aide aux clients – refinancement, rééchelonnement, remise de dette ou encore conseil en endettement, par exemple. L’étude cherche également à savoir si des mesures sont prises pour protéger la vie privée des clients, étant donné le potentiel d’humiliation et de dégâts sociaux associé à l’annonce publique du défaut de paiement. Des informations concernant les politiques de gestion des impayés par l’IMF devraient être transmises au client au début de la relation (par ex. amendes, notification d’un retard de paiement à la centrale des risques, saisie de garantie, etc.) Si un client est conscient que s’il ne rembourse 9 pas, son terrain peut être saisi et vendu, il reconsidérera peut-­‐être sa décision d’emprunter. Enfin, au cours de la période sensible de retard ou défaut de paiement d’un client, ce dernier doit encore être traité équitablement et avec respect. Ainsi que l’on montré d’autres chercheurs, une réaction excessivement brutale à l’incapacité du client à rembourser peut en réalité aggraver la situation, à l’opposé d’une aide au recouvrement2. La Smart Campaign est à même de proposer un cadre utile pour définir une conduite de gestion des impayés acceptable. Cette étude est une contribution au débat public sur les politiques et pratiques de gestion des impayés, dans l’objectif d’un consensus international plus fort sur ce que serait un traitement équitable et respectueux. Si les conclusions de ce travail sont pertinentes pour les IMF, elles auront peut-­‐être davantage d’implications pour les acteurs au niveau du marché et du cadre réglementaire, ainsi que pour les organisations de défense du consommateur. 1. Méthodes de recherche Cette étude a été définie en échangeant avec le Groupe de travail « Paroles de clients » de la Smart Campaign, des professionnels du secteur de la microfinance réunis pour essayer de parvenir à intégrer la perspective et le point de vue du client dans la Smart Campaign. L’étude a débuté par une recherche documentaire sur la gestion des impayés, suivie d’un sondage informel par Internet auprès des IMF adhérentes de la Smart Campaign, sur leurs pratiques de gestion des impayés. Plus de 300 praticiens ont répondu, indiquant un réel intérêt pour ce sujet, ainsi qu’un souhait d’apprendre de bonnes pratiques en la matière (voir en annexe 1 une synthèse des résultats). L’enquête a permis d’identifier les thèmes et les pays de la prochaine phase du projet, une recherche de terrain dans trois pays de trois régions différentes : le Pérou, l’Inde et l’Ouganda. Ces pays ont été sélectionnés avant tout pour offrir une diversité, mais aussi en raison de la disponibilité d’IMF et d’acteurs prêts à s’engager dans cette étude. Avant chaque visite pays, nous avons aussi passé en revue le cadre légal et réglementaire concernant la protection du client, la conduite de marché des services financiers, et la législation concernant l’insolvabilité ou la faillite. De plus, nous avons mené des entretiens avec des chercheurs et professionnels travaillant dans les marchés ciblés, afin de mieux comprendre le contexte du pays. Un questionnaire détaillé a été élaboré en prévision des entretiens menés au cours des visites pays (voir en annexe 2). Ces entretiens dans les pays ont été réalisés entre novembre 2013 et mars 2014. Au total, l’équipe de recherche a interviewé 44 IMF ainsi que de nombreux superviseurs, bureaux de crédit, associations de microfinance, organisations de consommateurs, consultants du secteur et sociétés de recouvrement. Nous avons essayé d’inclure un large spectre d’IMF, des petites ONG nouvellement créées jusqu’aux grandes banques ayant des centaines de milliers de clients de microfinance. Bien sûr, nous n’avons interviewé que les IMF ayant accepté de participer et de parler sincèrement de leurs politiques et pratiques. Si de nombreuses personnes ont coopéré, un certain nombre d’IMF qui nous intéressaient n’ont pas souhaité nous parler. 2
Schick et Rosenberg déclarent : « une fois que les emprunteurs se retrouvent en difficulté, le recours à des pratiques de recouvrement abusives peut également aggraver leur situation », in J. Schick et R. Rosenberg, « Trop de microcrédits ? Une enquête sur la réalité du surendettement » Etude spéciale n°19. CGAP, septembre 2011. 10 Les entretiens avec les IMF ont été corroborés par triangulation auprès d’autres acteurs – chercheurs, organisations de consommateurs, autorités de régulations, bureaux de crédit, agences de recouvrement, et dans certains cas anciens employés d’IMF – afin de tenir compte d’autant de points de vue que possible. Sur ce plan nous avons trouvé les bureaux de crédit particulièrement accueillants, prêts à nous fournir des données, utiles pour comprendre le contexte local. Cette étude cible les IMF, avec l’objectif de comprendre les pratiques courantes des institutions vis-­‐à-­‐vis des clients ; c’est aussi une étude exploratoire. De ce fait, l’équipe de recherche n’a pas examiné les conséquences ou résultats des pratiques des IMF sur les clients. Nous espérons sincèrement que ce projet contribuera à lancer un dialogue dans le secteur, pour susciter davantage d’études sur la demande, permettant de comprendre les conséquences des impayés sur les clients. L’approche de cette étude présente plusieurs limites. En particulier, l’auto-­‐sélection d’IMF désireuses d’échanger avec l’équipe de recherche a probablement mené à un biais d’échantillonnage en faveur d’IMF ayant de meilleures pratiques que la moyenne. De plus, l’étude n’a pas pu vérifier sur le terrain les pratiques des IMF. Cependant, lorsque l’équipe de recherche a eu la possibilité de discuter avec du personnel de terrain ou des clients d’IMF, les résultats en ont toujours été très éclairants et parfois tout à fait inattendus. Pour la plupart des IMF, nous nous sommes tout d’abord entretenus avec la direction. Nous avons essayé de discuter avec un échantillon d’agents de crédit et de chargés de recouvrement, mais cela n’a pas toujours été possible. De ce fait, il est possible que l’étude n’ait pas relevé des incohérences entre les politiques souhaitées par la direction et inscrites dans leurs documents, et le comportement réel du personnel. Une autre limite, notamment au Pérou et en Ouganda, est que nous n’avons pas toujours pu obtenir des copies des politiques internes ou des contrats de prêt incluant des clauses pertinentes pour le recouvrement des impayés. Par exemple, des exemples de contrats de prêt n’ont été obtenus que pour cinq des 44 IMF participantes. Les contrats de prêt sont particulièrement utiles, car ils contiennent souvent des informations sur les procédures opérationnelles en cas de défaut de paiement. Néanmoins, si ces informations ne sont pas discutées avec les clients, ces derniers peuvent ne pas être au courant des implications de ces clauses de prêt. A titre d’exemple, nous avons lu un contrat de prêt précisant que l’IMF peut déclarer en défaut de paiement un emprunteur, si l’IMF dispose d’informations selon lesquelles le client pourrait être incapable de rembourser. Un autre contrat de prêt précisait qu’en cas de défaut de paiement, l’IMF pouvait saisir ou vendre la garantie du client dans impliquer les autorités officielles (en contradiction avec la législation existante visant à protéger les consommateurs). Un contrat de prêt, en Inde, liait également les héritiers d’un emprunteur (sans les signatures de ces héritiers en tant que garants). Malheureusement, il a été impossible d’obtenir plus de contrats de ce type. Une dernière limite est liée au fait que compte tenu des contraintes de temps, la plupart des entretiens ont eu lieu dans les capitales. Au Pérou seulement nous avons eu la possibilité de passer plusieurs jours à Huancayo, dans une région rurale montagneuse, et cela nous a permis d’identifier des différences de pratique. En Inde, nous avons été dans six villes, mais sommes restés pour les entretiens dans le contexte de prêts urbains. Cependant, en dépit de ces contraintes, ce projet est une enquête importante dans un domaine peu étudié des pratiques de microfinance. Les trois pays sélectionnés permettent des comparaisons et contrastes intéressants, liés aux différences de méthodologies de crédit, de cadres réglementaires, à l’existence ou non d’un bureau de crédit, à l’engagement des autorités 11 de régulation. Nous avons impliqué le secteur de la microfinance dès les premières étapes de planification, pour identifier les questions importantes et pertinentes pour les praticiens. Pour autant que nous le sachions, cette étude est l’une des premières à explorer le thème de la gestion des impayés en microfinance auprès d’un échantillon large d’IMF, et du point de vue du client. 2. Questions analysées et plan des études de cas pays Chaque revue pays est structurée autour des principales questions de recherche examinées. L’analyse suit un déroulement temporel, de la prévention précédant le prêt jusqu’au recouvrement après impayés, et à la fin de la relation avec le client. Les revues pays suivent en général le plan suivant : 1. Maturité du secteur, principaux acteurs, contexte de marché. Le comportement des IMF est le premier point ciblé par l’étude. Cependant, les politiques et actions des IMF sont fortement conditionnées par les normes, institutions et acteurs locaux. Chaque revue pays présente le contexte de marché de la microfinance et les principaux acteurs, notamment les autorités de régulation en protection du client et les systèmes d’information sur les crédits (bureaux de crédit). Les questions posées sont notamment : le pays possède-­‐t-­‐il une réglementation forte en protection des clients ? Comment est-­‐elle appliquée ? Le surendettement est-­‐il un souci sur ce marché ? 2. Prévention des impayés. Les actions prises par les IMF avant que le défaut de paiement n’ait lieu – par exemple, l’analyse du prêt et le processus d’approbation, la communication avec les clients, le suivi de la situation de ce dernier – influencent la fréquence et la gravité des impayés. Ces étapes fixent un cadre pour la gestion des impayés qui viendra ensuite. Les questions posées sont notamment : comment les bureaux de crédit influencent-­‐ils le processus d’approbation des prêts ? Avec quel degré de précision les IMF informent-­‐elles leurs clients de ce qui se passera en cas d’impayés ? Sur des marchés où l’endettement est élevé, les IMF prennent-­‐elles des mesures préventives, comme de limiter le nombre de prêts qu’un client peut obtenir auprès d’autres IMF ? 3. Gestion des retards de paiement et impayés à court terme. La gestion des impayés commence lorsque l’emprunteur ne rembourse pas une échéance programmée. En général, les IMF ont pour pratique de déclencher un programme d’actions progressives, en fonction du temps écoulé depuis l’échéance non payée. Au début, la probabilité que l’emprunteur rattrape son retard et paie ses échéances est bonne, mais elle diminue avec le temps. Dans ce rapport, nous définissons par créances en souffrance cette première partie du processus, souvent gérée de façon très routinière, mais ce qui nous intéresse surtout, c’est le défaut de paiement. Ce dernier est le moment clé pour l’IMF où les probabilités de recouvrer le prêt baissent, et où en conséquence l’IMF enclenche de nouvelles mesures, comme la saisie de garanties. Ces moments clés diffèrent d’une IMF à l’autre, et de fait, nous avons constaté que peu d’IMF font réellement une distinction de terminologie entre créances en souffrance et défaut de paiement. Les questions posées sont notamment : quand l’IMF estime-­‐t-­‐elle que l’emprunteur a des difficultés sérieuses ? Quand le cas est-­‐il transmis de l’agent de crédit vers l’équipe de 12 recouvrement ? L’IMF externalise-­‐t-­‐elle ce dossier à des agences de recouvrement externes ? En quoi les pratiques de l’IMF diffèrent-­‐elles, suivant qu’il s’agit de prêts individuels ou de groupe ? 4. Garanties et garants. Pour des impayés sérieux, des garanties peuvent être saisies, ou des garants convoqués. Ces processus sont en général orientés par le cadre légal, et les IMF ont aussi des règles et des procédures qui leur sont propres. Les questions posées sont notamment : quelles sont les règles en vigueur pour la saisie de garanties ? Cela implique-­‐t-­‐il une application de la loi, une intervention de la justice? 5. Restructuration, refinancement et remise de dette. Pour les prêts très en retard, la meilleure solution, aussi bien pour le prêteur que l’emprunteur, peut être de restructurer ou même refinancer, voire renoncer à une partie de la dette. Cependant, les IMF sont fortement incitées à éviter ce type de solutions, en particulier lorsqu’un laxisme apparent peut encourager d’autres emprunteurs à ne pas rembourser par tactique, ou si une politique de provisionnement obligatoire ou leur gestion du risque limitent l’usage de ces méthodes. Les questions posées sont notamment : les raisons pour lesquelles le client est en impayés (autrement dit, « il ne peut pas » ou « il ne veut pas ») déterminent-­‐elles la sévérité avec laquelle il est traité ? A quelle fréquence et quand l’IMF propose-­‐t-­‐elle une restructuration du prêt, un refinancement ou une remise de dette ? Existe-­‐t-­‐il une politique écrite, ou ces décisions sont-­‐elles laissées à la discrétion des employés ? 6. Après le défaut de paiement : recouvrement continu, médiation. Lorsque l’abandon de créances est constaté, la créance n’apparaît plus dans les comptes du prêteur. Cependant, la décision de l’IMF de passer le prêt en perte est souvent liée à une règle de comptabilité prudentielle ou à une obligation réglementaire, et n’est pas forcément le signe que l’IMF renonce à la dette. De ce fait, le prêteur peut continuer à tenter de recouvrer le prêt, et l’emprunteur n’est pas pour autant libéré de la perspective d’une visite ou d’un appel de recouvrement. Il risque de ne plus pouvoir emprunter auprès de la même IMF, ou d’autres IMF (si le défaut de paiement est mentionné à un bureau de crédit). En microfinance, la faillite n’est pas une option. Et dans la plupart des pays en développement, il n’existe pas de conseil en endettement ou de services de réhabilitation pour assister les clients en impayés. Les questions posées sont notamment : les IMF poursuivent-­‐elles le recouvrement après l’abandon de créance et si oui, sur quelle durée ? Quelles sont les conséquences à long terme du défaut de paiement pour l’emprunteur ? Combien de temps ce défaut de paiement apparaîtra-­‐t-­‐il dans les registres du bureau de crédit ? Des services de conseil en endettement sont-­‐ils disponibles auprès des IMF, des organisations de consommateurs ou de conseillers en endettement financés par l’Etat ? Sélection des pays et comparaisons L’équipe de recherche a sélectionné trois marchés où nous nous attendions à des pratiques variées de la part des IMF, outre des cadres légaux et des stades de développement du marché différents. Analyser trois pays seulement n’est pas représentatif de l’ensemble des pratiques du secteur de la microfinance, mais permet néanmoins des comparaisons plus larges. Nous avons sélectionné un pays d’Amérique latine sous code civil (Pérou) et deux pays soumis à un régime juridique de « common law » (Inde et Ouganda). Le Pérou est un pays à revenu intermédiaire 13 supérieur, avec une croissance assez stable du PIB ; l’Inde a un revenu moyen inférieur avec une économie (récemment) stagnante et l’Ouganda est un pays à faible revenu. Les mécanismes de l’offre de microfinance sont différents dans chacun de ces trois pays. Au Pérou, les prêts individuels dominent, alors qu’en Inde les prêts de groupes sont le modèle le plus fréquent, et sont presqu’exclusivement destinés aux femmes. En Ouganda, les prêts de groupe et individuels coexistent, mais une majorité d’IMF interrogées préfèrent le prêt individuel. Une différence fondamentale entre ces pays est le niveau de maturité du secteur en termes d’information sur le crédit. Au Pérou, le secteur de la microfinance renseigne des bureaux de crédit privés depuis plus de 10 ans. Il existe quatre sociétés privées et un registre de données géré par l’Etat, au niveau de la supervision des secteurs bancaire et assurantiel et des fonds de pension (SBS). Les prêteurs de microfinance réglementés, et quelques IMF non réglementées, renseignent ces bureaux de crédit. En Inde, l’échange d’informations sur le crédit en microfinance n’existe que depuis quelques années, et doit encore s’étendre à l’ensemble du marché notamment aux groupes d’entraide ou « self-­‐help groups ». En Ouganda, sur 25 banques commerciales et trois institutions de microfinance collectant l’épargne, toutes renseignent un unique bureau de crédit, Compuscan, qui dispose aujourd’hui d’un monopole sur le secteur. Toutefois, il y a en Ouganda des milliers d’IMF non réglementées qui n’y contribuent pas. La réglementation du marché, et le type d’autorités de régulation contrôlant la conduite du marché, sont notablement différents dans ces trois pays. Le Pérou a une approche originale, deux institutions étant en charge de superviser le marché : SBS (autorité de supervision des secteurs bancaire et assurantiel, et des fonds de pension privés) et INDECOPI (institut national pour la défense de la concurrence et la protection de la propriété intellectuelle) – ce dernier n’étant pas spécialisé en services financiers mais chargé de la protection du consommateur pour tous les secteurs de biens et services. SBS contrôle aussi les pratiques de marché par des actions telles que la collecte de données et des enquêtes mystères. En Inde, l’autorité de régulation est la RBI (Reserve Bank of India), qui jusqu’à la crise de 2010 dans l’Andhra Pradesh n’a pas beaucoup investi dans la supervision du secteur de la microfinance. Récemment, la RBI a accepté de charger une association de microfinance de l’appuyer, en tant qu’organisation d’autorégulation (« self-­‐
regulatory organization »)3. De son côté, la banque centrale d’Ouganda (Bank of Uganda) ne supervise que les quelques IMF leaders et, même si elle a édicté des directives en protection du client, il ne semble pas qu’elle contrôle ou fasse respecter activement une bonne conduite de marché. Pérou Le Pérou dispose d’un secteur de la microfinance mature et bien réglementé. Depuis son démarrage dans les années 90, ce dernier s’est transformé en un secteur protéiforme couvrant jusqu’à 4,1 millions d’emprunteurs ; il inclut une large variété d’IMF, des petites ONG rurales aux grandes banques. Tableau 1. Données clés du secteur de la microfinance au Pérou 3
Au moment de cette publication, une organisation indienne, MFIN (Microfinance Institutions Network, réseau des IMF), a été officiellement reconnue en tant qu’organisation d’autorégulation pour les IMF sous forme de sociétés financières non bancaires en Inde. 14 IMF envoyant leurs données Environ 57 institutions y compris les banques réglementées, les financieras et IMF 4
au MIX collectant l’épargne ; des ONG non réglementées et des institutions réglementées -­‐ CRAC, CMAC, Cajas Municipales de Credito Popular, Cooperativas de Ahorro y Credito et EDPYME. Emprunteurs de MF, d’après 4 millions le MIX Autorités de supervision SBS – supervision de l’ensemble des services financiers INDECOPI – résolution des plaintes pour tous types de biens et services, y compris financiers Agences d’information sur Registre des données financières géré par la SBS. Quatre bureaux de crédit : Experian, le crédit Equifax, Sentinel et Certicom. Organisations contactées 12 IMF : 3 banques, 3 financieras, 5 ONG, 1 EDPYME pour l’étude 1 agence de recouvrement ; 3 bureaux de crédit ; 3 associations d’IMF (ASOMIF, COPEME et FPCMAC), 2 ministères et l’ASPEC (organisation de protection des consommateurs). Autorités de régulation. La responsabilité de la protection du client de services financiers est partagée en l’autorité principale de supervision des services financiers, SBS, et INDECOPI. D’après la loi sur le protection du consommateur, INDECOPI est en charge de son application dans tous les secteurs, ce qui inclut les services financiers, les règles de protection du consommateur et les droits de propriété intellectuelle. Pour sa part, SBS dispose de pouvoirs en termes de réglementation, d’application et de sanction pour un grand nombre de questions qui vont de la transparence à la qualité de service ; en revanche, elle n’a pas autorité pour trancher sur des cas individuels, excepté dans le cas de fonds de pension. SBS recueille les données de plaintes transmises par les institutions, qu’elle complète par des enquêtes mystères et le contrôle du secteur. Si chacune de ces institutions a son propre mandat légal, elles peuvent toutes deux superviser et sanctionner la conduite de marché du secteur financier. Au cours des entretiens, les praticiens étaient très conscients du rôle d’INDECOPI, qui sanctionne les mauvaises pratiques et impose des mesures correctives. En même temps, il leur était difficile de distinguer clairement les responsabilités respectives de SBS et INDECOPI. D’après ces praticiens, le processus de règlement des litiges d’INDECOPI est une très bonne alternative aux poursuites judiciaires, qui sont largement perçues par la plupart des praticiens comme peu efficace, coûteuses en temps et ressources. Le recours à la justice pour régler les litiges coûte aussi trop cher aujourd’hui pour que l’emprunteur type en microfinance puisse l’utiliser. Agences d’information sur le crédit. SBS gère un registre de données financières constitué à partir des informations collectées mensuellement auprès des institutions réglementées, qui précisent pour chaque client la dette globale, l’encours de prêt sain et douteux. Ce registre public conserve l’historique de crédit positif et négatif de tous les clients formels, et partage ces informations avec les bureaux de crédit privés et les prêteurs réglementés. Quatre bureaux de crédit privés sont actifs en microfinance. Ces bureaux de crédit couvrent toutes les institutions financières réglementées, ainsi qu’un nombre significatif d’institutions financières non réglementées. Les institutions non réglementées peuvent en effet adhérer à un bureau de crédit privé, mais non accéder directement au registre de SBS. 4
Christian Etzensperger, « The Role of Microfinance in Development », ResponsAbility Research Insight (mars 2012), et IMF ayant transmis leurs données au MixMarket.com pour 2013. 15 Si SBS exige des institutions réglementées qu’elles utilisent les informations du registre pour prévenir le surendettement, certaines institutions réglementées ont constaté que l’information reçue de SBS n’est pas toujours fournie dans les délais nécessaires pour répondre à cette exigence ; de ce fait, toutes les institutions collaborent aussi avec des bureaux de crédit privés. Les institutions réglementées remarquent que les bureaux de crédit privés offrent des analyses détaillées, des rapports dynamiques et des indicateurs spécialisés bien plus utiles que ceux du registre public. La concurrence entre bureaux de crédit les incite à proposer des informations plus complètes. Un représentant de bureau de crédit mentionne ainsi que « les institutions financières ne peuvent plus être considérées comme des clients qui veulent un reporting simple. Ces institutions cherchent à collaborer avec le bureau de crédit privé qui a la plus forte valeur ajoutée. » Avec autant de bureaux de crédit de grande qualité disponibles, les institutions péruviennes se voient facturer des coûts de reporting inférieurs à la moyenne régionale, et disposent d’informations dans des délais assez rapides5. Certains bureaux de crédit ont été particulièrement actifs pour collecter les données d’institutions non réglementées, en offrant des prix de reporting préférentiels à celles qui transmettent des informations de qualité dans les délais souhaités. Un bureau de crédit a ainsi annoncé qu’en 2005, il était parvenu à agréger les données sur les emprunteurs de 85% des institutions non réglementées. Ces dernières sont des acteurs du marché que les prêteurs réglementés ne peuvent se permettre d’ignorer. Un bureau de crédit privé mentionne avoir essayé d’établir un partenariat avec Copeme, pour motiver et former les IMF sur les manières les plus sûres et utiles d’utiliser leurs informations. De tels partenariats se sont développés dans le pays, avec pour conséquence une hausse du nombre de consultations des bureaux de crédit, ce qui a permis à terme de réduire le coût de consultation pour les clients, et parfois même de mettre en place des consultations mensuelles illimitées6. Un autre bureau de crédit indique qu’il s’intéresse même à développer des produits pour les clients des institutions financières. Tout cela donne une idée du niveau de concurrence existant, au Pérou, sur le marché de l’échange d’informations de crédit. De plus, les régions ont aussi des camaras de comercio (chambres de commerce), qui jouent un rôle important en enregistrant des avis de protêts concernant des billets à ordre et lettres de change non honorés, ce qui est une source d’information précieuse pour les bureaux de crédit. Certaines IMF mentionnent qu’elles informent les camaras sur les défauts de paiement par l’intermédiaire d’un notaire, en tant qu’agent de dépôt. Il s’agit d’un outil important pour suivre l’historique de crédit des agriculteurs et emprunteurs auprès de prêteurs tels que les caja rurales ou municipales. Globalement, le secteur de la microfinance dispose d’informations complètes – même si elles sont disséminées – et à jour, sur les emprunteurs et l’endettement de ces derniers ; l’existence d’informations sur le crédit aide à définir les pratiques de gestion des impayés. 5
Deux bureaux de crédit, expliquant le processus et les flux d’informations sur les prêts des clients, mentionnent qu’il y a encore une marge d’amélioration possible pour tous les bureaux de crédit (y compris le registre public), afin de combler les lacunes d’informations restantes. Pour en savoir plus, voir : MicroRate, « Public Credit Registries, Credit Bureaus, and the Microfinance Sector in Latin America », disponible sur www.microrate.com/media/downloads/2013/06/MicroRate-­‐Report-­‐Public-­‐credit-­‐registries-­‐credit-­‐bureaus-­‐and-­‐the-­‐
microfinance-­‐sector-­‐in-­‐Latin-­‐America-­‐v2.pdf 6
Ibid 16 Prévention des impayés Le marché péruvien du prêt en microfinance est dominé par les prêts individuels, la capacité de remboursement étant évaluée pour chaque client. Néanmoins, le marché est très concurrentiel et des préoccupations existent en termes de saturation. Deux bureaux de crédit proposent des rapports qui indiquent les zones à risque au Pérou, là où les niveaux d’endettement augmentent et où le marché montre des signes de saturation. Des rapports sur les informations de crédit sont disponibles, mais ne sont pas toujours utilisés avec prudence. De plus, si la SBS sanctionne les institutions qui n’utilisent pas ses informations, nous avons remarqué lors de notre travail de terrain que ces dernières ne sont pas toujours applicables. Deux IMF/ONG non réglementées se plaignent du fait que leur reporting sur les défauts de paiement reste ignoré des institutions réglementées, qui continuent de prêter à ces clients. Cette situation est confirmée par un représentant de bureau de crédit qui nous a montré un rapport de crédit choisi au hasard, indiquant qu’un client avait un impayé non résolu avec une caja, mais a obtenu par la suite un prêt d’un autre prêteur réglementé. Les agents de crédit et de recouvrement déclarent être conscients du fait que leurs clients ont des prêts multiples ; et en général, l’acceptation par l’IMF de clients ayant déjà des prêts multiples semble très libérale, en comparaison de la situation en Inde, où un individu ne peut pas dépasser un certain nombre de prêts. Trois IMF enquêtées indiquent que leurs politiques les autorisent à être le quatrième prêteur d’un client ; trois autres déclarent qu’elles peuvent être le cinquième prêteur, et deux d’entre elles envisagent une place de sixième prêteur dans des circonstances exceptionnelles. En comparaison des IMF d’Inde et d’Ouganda, les institutions péruviennes semblent davantage concernées par la prévention du surendettement, disposant de politiques explicites en la matière. En réalité, cela est exigé des institutions réglementées, même si les caractéristiques exactes de la politique de l’IMF reste à déterminer par cette dernière. La SBS a défini des indicateurs prudentiels de risque pour prévenir le surendettement, incluant l’exigence vis-­‐à-­‐vis des IMF de suivre leur portefeuille de petits emprunteurs sur une base annuelle, pour détecter des signes de pression de la dette et de surendettement7. La SBS précise aussi que le département du risque de chaque institution financière doit disposer d’un système de reporting trimestriel, prendre des mesures préventives et correctives, et rendre ces rapports disponibles pour la SBS. D’autres mesures ont été prises en complément, comme d’exiger des institutions qu’elles transmettent à leurs clients des informations essentielles comme le taux effectif annuel et les risques de non-­‐remboursement à échéance. Une IMF mentionne les mesures suivantes pour éviter le surendettement : 1) sa politique inclut une évaluation solide et réaliste des revenus du client ; 2) les responsables du suivi du crédit vont sur le terrain avec les agents de crédit ; 3) les agents de crédit bénéficient d’une période de formation étendue de six mois ; 4) l’institution peut intervenir en troisième prêteur pour les clients, mais seulement en deuxième sur les marchés saturés. Un responsable du recouvrement d’une autre grande IMF nous déclare qu’il n’y a « pas de mauvais clients, juste de mauvais prêts », et qu’en cas de défaut de paiement c’est probablement l’IMF qui est en cause. Pour cette raison, 7
Résolution SBS n°6941 de 2008, disponible sur www.sbs.gob.pe/.../0/0/jer/sf.../res_14353-2009.doc.
17 son institution consacre beaucoup d’attention à la prévention du surendettement, notamment en investissant dans un département de performance sociale, et en menant une étude sur le surendettement de ses clients de groupes, en partenariat avec une université locale. Un autre prêteur de type EDPYME mentionne que sa stratégie est d’être un « incubateur de talent » pour ses membres, attribuant les très faibles niveaux de non remboursement de son produit de prêt de groupe à cette stratégie. Pratiques standards pour les impayés à court terme Au Pérou, où les prêts individuels dominent, les IMF réagissent lorsque le retard de paiement est en moyenne d’une semaine à 15 jours après l’échéance. L’intervention standard d’une IMF commence par un simple appel téléphonique, un texto ou un email au débiteur, souvent à l’initiative de l’agent de crédit de ce client. Les IMF, notamment de grande taille, privilégient le contact téléphonique, en raison du coût non négligeable des visites à domicile ou sur le marché. Les plus grandes IMF ont en général des centres d’appels internes chargés de cette relance. De plus, la pratique courante des IMF péruviennes est que l’agent de crédit soit en charge du recouvrement jusqu’à un retard de 30 jours. Plusieurs contacts interviewés au sein d’IMF soulignent que si les agents de crédit n’avaient pas la responsabilité de recouvrer les paiements en retard, ils n’auraient plus conscience de la réalité, à savoir que certains prêts tournent mal. De plus petites ONG, actives en milieu rural, mentionnent qu’elles peuvent s’abstenir d’agir au cours de la première semaine de retard, car, comme l’explique une institution de prêt à l’agriculture, il est possible que l’emprunteur ait simplement un problème de transport, ou une multitude de raisons n’ayant rien à voir avec sa capacité ou sa volonté de payer. Pour effectuer un remboursement, un client peut devoir faire un long voyage jusqu’à l’agence. Ce même voyage, à l’opposé, rend coûteuse une visite de l’agent de crédit. Une ONG intervenant à Huancayo indique qu’une visite à un seul client peut facilement prendre plus d’une heure ; de ce fait, rendre visite à seulement deux ou trois clients peut largement occuper un agent de crédit toute une journée. Nous faisons l’hypothèse, comme indiqué dans la dernière section, que l’une des raisons de la réponse assez lente des IMF péruviennes aux premiers paiements en retard est qu’elles disposent d’un reporting sur les prêts efficace et complet. Les IMF font remarquer qu’au cours du processus de recouvrement, elles annoncent au client que s’il ne rembourse pas, il aura un historique de crédit négatif, et que les clients sont conscients des implications que cela aura. Les pratiques incluent des brochures avertissant le client qu’il n’aura plus accès à des prêts auprès d’autres grandes IMF, s’il ne rembourse pas la dette en cours. Par ailleurs, quand les IMF apprennent que leurs clients ont de multiples prêts, elles peuvent se montrer plus contraignantes. Un agent de crédit explique ainsi que sa stratégie de recouvrement est d’avoir une relation plus forte et persuasive avec ses clients que les autres prêteurs – afin que le client rembourse l’institution de l’agent de crédit en premier, aux dépends des autres prêteurs. Si le retard de paiement se poursuit, presque toutes les IMF envoient un agent de crédit rendre visite au client. Six IMF ont mentionné un délai de 30 jours comme limite pour cette étape. Pour plusieurs de ces IMF, 30-­‐60 jours de retard marque aussi le moment où la responsabilité du recouvrement passe de l’agent de crédit au département du recouvrement. Deux IMF précisent qu’elles considèrent que 90 jours est un délai critique pour le recouvrement ; au-­‐delà, la probabilité de recouvrer un jour la dette diminue significativement. 18 Pour les plus petites IMF péruviennes qui n’externalisent pas le recouvrement des prêts, l’agent de crédit est en général responsable du suivi du retard, parfois même jusqu’à 90 jours. Généralement, après un mois, l’agent de crédit rend visite au client, accompagné d’employés plus haut placés, par exemple un analyste crédit ou un responsable d’agence. Une IMF explique qu’elle utilise une stratégie « du bon et du méchant» pour obtenir le remboursement, avec au moins deux employés participant à la visite. Au Pérou, un système traditionnel de recouvrement fondé sur l’humiliation publique recourait aux hombrecitos amarillos, qui suivaient le client aux alentours de chez lui ou sur son lieu de travail avec des pancartes humiliantes ou en annonçant publiquement des informations personnelles et la dette due. D’après la loi 29571 (article 62), les règles de bonne conduite en recouvrement interdisent l’usage de méthodes de recouvrement dégradant la réputation d’un client, violant sa vie privée au domicile ou affectant ses activités professionnelles ou son image auprès de tiers8. Les IMF mentionnent que ce type de conduite ne se produit plus, en raison de la forte réglementation de conduite du marché appliquée aujourd’hui, qui se traduit aussi par des sanctions d’INDEDOPI ou de SBS. Garanties et garants Une majorité d’IMF péruviennes interviewées offrent des prêts non garantis et sans garants. De plus, le débiteur doit apporter une attestation de domicile et en général, une simple facture suffit, car l’emprunteur dispose rarement d’un titre de propriété enregistré pour le lieu où il réside. Si l’emprunteur potentiel a une entreprise, il doit présenter ses registres financiers pour une période de six mois ou plus. La majorité des institutions réglementées que nous avons rencontrées n’offrent pas de prêts aux start-­‐ups. Si aucune loi n’interdit aux IMF d’exiger des garanties matérielles, et si des efforts notables ont été faits pour rendre le processus plus simple, la prise de garanties reste néanmoins lourde et coûteuse. Les petites IMF déclarent qu’elles ne peuvent se permettre de perdre du temps à enregistrer des titres de propriété, car elles perdraient des clients dans l’intervalle ; elles ne peuvent pas davantage vendre les garanties, car les tribunaux sont lents et les frais des notaires publics élevés. Certaines IMF demandent à l’emprunteur de signer une reconnaissance de dette ou titulos valor dans un objectif de persuasion morale. Les IMF préfèrent ces reconnaissances de dette à une injonction du tribunal, car il s’agit d’un processus plus rapide, et donc d’un mécanisme plus efficace pour assurer un remboursement. De plus, ces reconnaissances de dette peuvent plus facilement être escomptées contre un peu d’argent. Enfin, si un prêt n’est pas remboursé mais qu’une reconnaissance de dette existe, l’IMF peut l’enregistrer à la camara de comercio où, comme mentionné plus haut, les petites IMF peuvent procéder à une vérification avant d’approuver un prêt. Cependant, la menace d’une saisie de garantie est parfois une tactique de recouvrement. Un agent de crédit d’une financiera reconnaît qu’il note ostensiblement la présence de télés ou autres 8
Código de Protección y Defensa del Consumidor, loi nº 29571, chapitre III (Méthodes de recouvrement abusives), disponible sur : http://portal.andina.com.pe/EDPEspeciales/especiales/2010/setiembre/codigo_consumidor.pdf 19 biens au domicile de l’emprunteur, car ce dernier croit que le prêteur peut saisir ces biens – même s’il n’en a pas le droit, légalement, sans lancer de poursuites en justice. Sociétés de recouvrement et tribunaux Au Pérou, le recours à des sociétés de recouvrement externes est courant, en premier lieu pour les grandes IMF, financieras et banques par exemple. Trois grandes financieras et deux banques mentionnent qu’elles externalisent les créances douteuses à une société de recouvrement au-­‐delà de 90 à 180 jours. Une banque indique avoir créé sa propre société de recouvrement. Pour le représentant de la banque, ce choix est justifié par la nécessité de contrôler tout le processus de recouvrement. Une grande IMF sous forme EDPYME a récemment mené une étude pour savoir qui, de son personnel ou des agents de recouvrement externes, était le plus efficace. Les résultats ont été contrastés, aussi aujourd’hui certaines de ses agences externalisent le recouvrement tandis que d’autres gèrent cela en interne. Il existe quatre grandes sociétés de recouvrement au Pérou, et nous avons interviewé un cadre dirigeant d’une de ces sociétés, affirmant que le recouvrement est un secteur très rentable9. Selon ses informations, sa société a de multiples bureaux à Lima, 11 bureaux dans les provinces, 600 employés et 32 clients – principalement des banques, des cajas et financieras. Cette société a une part de marché d’environ un tiers, et on peut considérer que 20% de son activité correspond à de la microfinance. La société commence aussi de proposer de racheter les créances douteuses des IMF. D’après ce cadre, six IMF du Pérou, sur environ 70, cèdent leurs créances douteuses. En ouvre, les agences de recouvrement péruviennes proposent des services complémentaires, comme d’envoyer des rappels aux débiteurs (avant le retard de paiement) ou d’aider les ONG à localiser des clients dans les zones rurales reculées. Les IMF péruviennes non réglementées ont la possibilité d’informer les camaras de comercio régionales d’un mauvais crédit, lorsqu’il y a une procédure pour remplir un formulaire de plainte (protêt) concernant cette dette. Mais déposer ce protêt à la chambre de commerce impose d’avoir recours à un notaire, ce qui peut créer une difficulté pour l’IMF lorsque le débiteur vit dans une zone rurale si reculée qu’aucun notaire n’y est disponible. Déposer un protêt est aussi la première étape nécessaire pour lancer une action légale de recouvrement de dette. Toutes les personnes interviewées, néanmoins, reconnaissent qu’elles n’engagent presque jamais d’action en justice en raison du coût et de l’inefficacité des poursuites judiciaires. Un employé d’ONG indique que quatre à six ans se sont écoulés depuis leur dernier recours en justice, et que c’est sans doute à peu près la durée nécessaire pour obtenir une décision de justice. Il précise que déposer un protêt auprès de la camara de comercio est une alternative assez efficace au recouvrement, car c’est une mesure peu coûteuse pour faire pression sur le client. Restructurer ou ne pas restructurer ? 9
Un responsable de recouvrement d’une banque estime que les sociétés de recouvrement paient le prêt à 10% de sa valeur, et récupèrent jusqu’à 50%. 20 Peu d’IMF péruviennes déclarent analyser les impayés suivant la raison du non-­‐remboursement. Les trois institutions qui le font sont de petites ONG orientées développement. Dans un quatrième cas, la personne qui cherchait à analyser les causes des impayés était un employé de l’agence locale d’une banque commerciale. Cet employé se référait à un incident précis, qui avait obligé l’IMF à plus de compassion envers ses clients : plusieurs emprunteurs avaient vu leur commerce détruit dans un incendie de marché. La banque avait offert six mois supplémentaires pour payer. Cet employé a précisé que ces dernières années, la banque était de plus en plus consciente du besoin d’avoir davantage d’outils à sa disposition pour assister les bons clients. Elle autorise maintenant les clients qui ont remboursé à l’échéance à proposer des modifications de leur contrat, en termes de délai additionnel pour rembourser. Néanmoins, les institutions plus importantes, en général, ne font aucune distinction en fonction de la cause de l’impayé. Les grandes IMF cherchent à standardiser les processus et à réduire les coûts, avec l’appui de la technologie. Dans un exemple extrême, un cadre bancaire nous a expliqué que sa banque expérimentait un outil pour évaluer le risque de défaut de paiement à partir de caractéristiques de comportement de l’emprunteur, qui seraient corrélées avec les remboursements éventuellement non réalisés par le client. Armée de ces informations, la banque pourrait préventivement mettre fin à la ligne de crédit du client avant le retard de paiement. Ce cadre explique qu’un pilote précédent s’attachait à suivre les emprunteurs à prêts multiple et avait montré (sans surprise) que supprimer l’accès à la ligne de crédit provoquait un défaut de paiement. Cet exemple illustre la tendance de fond à standardiser tous les processus sur la base d’une analyse de données a priori. Au Pérou, si les institutions financières ne cherchent pas à déterminer les raisons des impayés, elles disposent en revanche de systèmes de restructuration de prêts. La restructuration est préférée au refinancement de prêt, qui apparaîtrait dans leurs rapports de crédit. Les IMF devraient alors faire passer le client de la catégorie « risque normal » à celle « difficultés potentielles »10. En conséquence, les institutions devraient provisionner davantage, et ce coût serait souvent transféré au client, par des taux d’intérêt plus élevés. Les praticiens indiquent que les clients semblent comprendre le risque « létal » que fait courir ce changement de catégorie. En 2009, la SBS a autorisé les banques à rééchelonner les prêts des clients qui risquent de faire face à des difficultés de paiement futures, sans pour autant les changer de catégorie de risque11. Le rééchelonnement est alors devenu un outil extrêmement utile pour gérer les cas de clients à jour sur leurs remboursements, mais confrontés à des difficultés de paiement imminentes. La plupart des IMF péruviennes déclarent être favorables au rééchelonnement, à l’allègement d’une part significative des intérêts, ou accepter une réduction du montant dû pour rembourser la dette. Les agents de crédit sont généralement incités financièrement à réduire les prêts douteux par une restructuration. Si huit institutions déclarent qu’elles accepteraient de restructurer ou refinancer un prêt en impayés, leur avis diffère sur le moment où elles envisagent cette restructuration de prêt. Pour 10
Superintendencia de Banca, Seguros y AFP, 2011. Términos e Indicadores del Sistema Financiero. Tiré de http://www.sbs.gob.pe/app/stats/Glosarios/Glosario(Abril2011).docx 11
Superintendencia de Banca, Seguros y AFP, 2009. Resolución SBS Nº 14353 – 2009. Tiré de http://www.sbs.gob.pe/repositorioaps/0/0/jer/sf_csf/res_14353-­‐2009.doc 21 certaines, la restructuration peut intervenir lorsque le retard de paiement sur le prêt atteint 61 jours ; d’autres mentionnent plutôt un retard de 90 à 120 jours. Six des huit IMF indiquent que dans le cadre de la négociation sur la restructuration du prêt elles peuvent aussi réduire, et occasionnellement abandonner, une portion importante de l’intérêt dû, même si le personnel de recouvrement tente de limiter les concessions faites. Lorsqu’elles évoquent les cas de restructuration, la plupart des IMF disent que leurs clients se sentent renforcés lorsqu’ils peuvent donner leur avis sur les nouvelles conditions de prêt. Restructurer améliore la relation entre client et prêteur, car les IMF ont la liberté de gérer les impayés au cas par cas, tant que cela reste dans le cadre des politiques de gestion du risque de crédit de l’institution. D’après les IMF, les clients sont très sensibles au fait que leur bonne réputation auprès du bureau de crédit n’est pas affectée. Les IMF-­‐ONG ont moins tendance que les autres à négocier une restructuration ou à offrir d’autres concessions. L’une d’elle indique qu’elle offre couramment une restructuration à 120 jours, en précisant que si l’emprunteur n’honore pas ce nouvel engagement, alors il se verra imposer de nouveau les termes du contrat précédent. Une autre ONG déclare qu’elle ne peut renoncer aux intérêts et pénalités que si le client solde sa dette en un paiement unique. Par exemple, l’IMF envoie parfois aux clients en impayés une offre de règlement des montants dus. L’employé interviewé donne comme exemple le cas d’un emprunteur en impayés dont la dette s’élevait à 2 278 soles ; l’IMF lui a proposé de régler sa dette pour 800 soles. Une autre IMF-­‐ONG mentionne qu’elle peut restructurer le prêt lorsqu’un grand nombre d’emprunteurs sont affectés par une catastrophe naturelle, donnant pour exemple la rouille du café. Dans un tel cas, l’IMF a refinancé tous les prêts des producteurs. Une seule IMF (offrant des prêts de groupe) déclare refuser catégoriquement toute restructuration de prêts en impayés. Une grande financiera mentionne que lorsque la restructuration a lieu, une large majorité des emprunteurs parviennent à mener à bien le nouveau contrat de prêt. L’employé d’une grande banque qui accorde des restructurations de prêt indique que les modalités de la restructuration ne sont pas ce qui compte le plus ; l’important est que le débiteur s’engage par écrit à respecter le nouveau contrat. Dans ce cas, dit-­‐il, on peut être sûrs que le client honorera son nouvel engagement. De plus, plusieurs IMF indiquent que si un client en impayés s’engage de nouveau à rembourser, et respecte les paiements par la suite, alors elles le considèreront comme un client solvable à l’avenir. Après le défaut de paiement : recouvrement continu, médiation Les institutions péruviennes déclarent poursuivre leurs efforts de recouvrement après l’abandon de créance, qui est obligatoire à 120 jours de retard ; et la dette non remboursée n’est jamais expurgée du registre du bureau de crédit. Les bureaux de crédit privés doivent expurger la dette après sept ans, mais le registre de crédit public conserve les données sur une durée illimitée. Une IMF seulement (une banque) précise qu’elle ne cherche pas à recouvrer après abandon de créance les prêts d’un montant inférieur à 20 000 soles (environ 7 145 US$). Une IMF-­‐ONG indique qu’elle n’efface la dette qu’en cas de décès de l’emprunteur. 22 Pour une majorité d’IMF péruviennes enquêtées, l’IMF cherche toujours à recouvrer, sans limite dans le temps, une financiera expliquant Un exemple pour le secteur de la microfinance ? que la direction fixe des objectifs annuels La prise en compte de l’insolvabilité des et des stratégies saisonnières de entreprises par INDECOPI recouvrement des impayés. Une EDPYME mentionne une prime au recouvrement L’agence péruvienne de protection du de dettes après abandon de créance. Tous consommateur, INDECOPI, a une division où les les employés (y compris le réceptionniste) personnes insolvables menant une activité sont autorisés à tenter de participer au commerciale peuvent négocier une restructuration recouvrement ; si ce dernier a lieu, ils avec leurs créditeurs, en tentant de définir un reçoivent une prime de 10% du montant échéancier de remboursement. Si un accord ne recouvré. peut être obtenu, le créditeur ou le débiteur peuvent encore déposer un dossier de faillite en Une autre ONG péruvienne indique que justice. Pour engager un processus d’insolvabilité les périodes de vacances sont auprès d’INDECOPI, les frais de dossiers sont de particulièrement favorables aux offres de 685 $US, et le processus tout entier coûtera règlement envoyées aux clients, car les 1 500 $US. Un représentant de la SBS précise que gens ont tendance à mettre de côté un cette procédure ayant sans doute été créée pour peu d’argent en prévision des congés. Un les petites entreprises, elle est pratiquement agent de crédit d’une autre ONG, dont le inconnue des personnes individuelles et des clients recouvrement se poursuit sans limite dans en microfinance. Nous sommes enclins à penser le temps, précise que la persévérance et aussi que sans un moyen de réduire les coûts et une attitude conciliante finissent par avoir frais, le service n’est pas pertinent pour le secteur raison de la résistance du client. Il indique de la microfinance. Néanmoins cette procédure, si que son crédit le plus en retard date d’il y elle faisait l’objet d’une tarification et d’une a 3 000 jours, mais qu’il passe toujours au diffusion adaptées, pourrait être utile aussi bien lieu d’activité du client. Il assure avoir aux IMF qu’aux clients. confiance dans le fait que le client paiera, Source : d’après l’entretien mené avec le procureur au bout du compte. Sara Sotela, novembre 2013. Quand nous avons demandé aux IMF péruviennes si elles proposaient une aide particulière aux clients surendettés (par ex., du conseil en endettement), une seule IMF-­‐ONG a indiqué être en discussion avec un professionnel spécialisé dans la conciliation, pour pouvoir ajouter des services de conseil financier. L’institution reconnaît que dans de nombreux cas d’impayés, un dysfonctionnement familial est aussi en cause. Lors de l’entretien, le responsable du recouvrement de la même ONG a précisé qu’il avait aussi eu une formation de travailleur social, et que ces compétences étaient utiles dans ce métier. Cette IMF est la seule de toute l’étude, sur les trois pays, a avoir mis en place un programme pour aider les clients surendettés. 23 Inde Tableau 2. Données clés du secteur de la microfinance en Inde IMF envoyant leurs données 12
au MIX Emprunteurs de MF, d’après 13
le MIX Autorités de supervision Organisation d’autorégulation Agences d’information sur le crédit Associations Organisations contactées pour l’étude 41 institutions comprenant les IMF sous forme de sociétés financières non bancaires (SFNB), ONG, sociétés Section25 et coopératives Environ 28 millions d’emprunteurs (caution solidaire de groupe seulement ; sans inclure les groupes d’entraide, dits self-­‐help groups ou SHG) Reserve Bank of India (RBI) – banques et SFNB NABARD – self-­‐help groups (SHG) et coopératives MFIN qui comprend 49 membres (en septembre 2014) High Mark, Equifax et Experian (prochainement) Sa-­‐Dhan pour les ONG, comprenant 155 membres 22 IMF : 17 SFNB ; 3 ONG et 2 sociétés Section 25 ; 3 bureaux de crédit, 1 réseau (MFIN) et la fondation MoneyLife (non lucrative, défense des consommateurs) Jusqu’à 30% des clients de la microfinance dans le monde sont indiens (il s’agit principalement de femmes), et l’Inde représente 7% du portefeuille mondial de la microfinance14. La microfinance indienne est caractérisée par une diversité de mécanismes de distribution et de types d’institutions : des sociétés financières non bancaires (SFNB) supervisées par la RBI (Reserve Bank of India), des ONG non supervisées, des sociétés Section 25, des fondations ou des coopératives. La plupart de ces institutions offrent des prêts en appliquant une méthodologie de garantie de groupe adaptée initialement de la Grameen Bank au Bangladesh. En outre, le modèle des groupes d’entraide ou self-­‐help groups (SHG) est aussi dominant ; dans ce modèle un groupe de 15 à 20 femmes est formé pour épargner et proposer des prêts au sein du groupe, avec plus tard un partenariat établi avec une banque pour l’épargne et le crédit. Le gouvernement, les ONG et les fédérations de SHG ont appuyé le développement de ce modèle, qui aujourd’hui crée un lien entre plus de 4,5 millions de groupes et le crédit formel15. Ces deux modèles s’appuient sur des groupes. Environ 40% de l’encours de prêt en microfinance est octroyé par le modèle de garantie de groupe, et 60 pour cent par les SHG16. A la suite de la crise de la microfinance de 2010 dans l’Andhra Pradesh (AP), au cours de laquelle une croissance rapide des prêts s’est traduite par du surendettement et un contrecoup politique, le secteur indien de la microfinance a connu une période de croissance lente. Néanmoins, plus récemment, un cadre réglementaire clarifié, un soutien clair de la RBI et une performance financière appréciable (en dehors de l’Andhra Pradesh) ont permis d’assurer l’arrivée de financements vers le secteur, permettant la croissance. En 2013-­‐2014, les IMF-­‐SFNB ont reçu en financement par dette un montant de 150,30 milliards de roupies (environ 2,5 milliards de $US), soit une hausse de 49% par rapport à 2012-­‐201317. Des données récentes du MFIN (réseau des IMF) montrent que le PAR des IMF-­‐SFNB du réseau (hors IMF sous processus de restructuration de dette) reste à moins de 1% de l’encours brut de prêts18. 12
IMF ayant renseigné le MixMarket en 2013. IMF ayant renseigné le MixMarket en 2013. 14
Arjun Kashyap et Anurag Kotoky, “Some Facts About Indian Microfinance Sector”, Thomson Reuters (28 oct. 2010). 15
Tara Nair et Ajay Tankha, Microfinance India: State of the Sector Report 2013 (Sage Impact, 2013). 16
Ibid., page 30. 17
MFIN, MFIN Micrometer, mai 2014. 18
MFIN, MFIN Micrometer, mars 2014. 13
24 La RBI (Reserve Bank of India) est la principale autorité de supervision du secteur, et suite à la crise de l’AP elle a affirmé un rôle plus actif de contrôle du secteur. Le parlement indien a aussi réagi à la crise, mais un projet de loi a traîné pour être finalement rejeté début 2014. Un projet de loi de microfinance est envisagé en Inde sous une forme ou une autre depuis au minimum 2006. NABARD, la banque publique de l’agriculture (sous tutelle de la RBI) supervise les coopératives financières et le programme de refinancement des SHG par les banques. Ces dernières années, la RBI a créé une catégorie d’IMF-­‐SFNB, et contrôle ces institutions sur des aspects tels que la tarification, les marges, les provisions, ou les méthodes de recouvrement, entre autres19. La RBI a par ailleurs requis l’application du « Fair practice code » (code de pratiques équitables) aux IMF-­‐SFNB, et exigé également que ces IMF soient membres d’au moins une société d’information de crédit20. Après la crise de l’AP, la RBI a fait voter de nouvelles règlementations limitant à deux le nombre d’institutions auprès desquelles un emprunteur peut s’endetter, une exigence applicable grâce au recours croissant aux bureaux de crédit. A ce jour, il existe deux principaux bureaux de crédit actifs en microfinance (High Mark et Equifax) et un troisième (Experian) se préparait à entrer sur le marché en date de notre visite pour l’étude, en décembre 2013. On compte plus de 130 millions de fichiers clients et un volume d’environ deux millions de requêtes par trimestre21. De plus, les efforts menés par des réseaux tels que MFIN et Sa-­‐Dhan pour améliorer la conduite du marché par un Code de conduite adopté conjointement ont été poursuivis par SIDBI, qui en 2011 a lancé un outil d’évaluation du Code de conduite. Dans cette dynamique, MFIN, qui bénéficie du statut particulier d’« organisation d’autorégulation », sera responsable de s’assurer que ses membres respectent la réglementation et le Code de conduite par des actions de supervision, d’enquête, d’application des règles, et des mécanismes de recours22. Néanmoins, ce rôle de supervision est très récent, et le mandat et les pouvoirs réels de MFIN restent à définir. Prévention des impayés Comme il est dit plus haut, le prêt de groupe aux femmes est le modèle dominant de la microfinance indienne, en partie du fait des restrictions en montant de prêt imposées par la RBI23, même si quelques institutions offrent du prêt individuel dans une moindre mesure. A ce jour, le montant moyen de prêt à un emprunteur indien est d’environ 15 000 roupies (soit 240 $US). Dans les modèles de microfinance indiens, la prise de décision et la pression du groupe ont été historiquement les principaux mécanismes permettant de prévenir les impayés. En général, on 19
Reserve Bank of India. Présentation de la nouvelle catégorie des SFNB -­‐ “Non Banking Financial Company-­‐Micro Finance Institutions” (NBFC-­‐MFIs) – Instructions. DNBS.CC.PD.No. 250/03.10.01/2011-­‐12, et modifications significatives en août 2012. http://rbidocs.rbi.org.in/rdocs/notification/PDFs/CC250021211.pdf 20 Reserve Bank of India Master Circular – Fair Practice Code. DNBS.CC.PD.No.266 /03.10.01/2011-­‐12. 1er juillet 2011. Disponible à : http://rbidocs.rbi.org.in/rdocs/notification/PDFs/26MFP010711F.pdf 21
Entretien avec MFIN, juillet 2014. 22
Reserve Bank of India, “Self – Regulatory Organization for NBFC-­‐MFIs – Criteria for Recognition”, disponible à : http://rbidocs.rbi.org.in/rdocs/content/pdfs/IEPR1066A1113_1.pdf 23
Reserve Bank of India . Présentation de la nouvelle catégorie des SFNB -­‐ “Non Banking Financial Company-­‐Micro Finance Institutions” (NBFC-­‐MFIs) – Instructions. DNBS.CC.PD.No. 250/03.10.01/2011-­‐12, et modifications significatives en août 2012. http://rbidocs.rbi.org.in/rdocs/notification/PDFs/CC250021211.pdf 25 demande aux groupes de s’assurer que les emprunteurs sont capables de rembourser. Le prêteur ne vérifie pas la capacité de chaque individu à rembourser24. Néanmoins, les systèmes d’information sur le crédit deviennent à présent un facteur important guidant les pratiques des IMF et le comportement des clients, même si ce phénomène est encore assez récent pour la microfinance indienne, et si seules les IMF-­‐SFNB ont l’obligation de transmettre leurs données de crédit. A ce jour, les informations sur plus de 130 millions de prêts ont été enregistrées25. MFIN exige de ses 49 membres qu’ils envoient leurs données au minimum aux deux bureaux de crédit principaux. Plus impressionnant, MFIN a fait évoluer ses exigences de reporting pour ses membres, d’une fois par mois à deux fois par mois, puis une fois par semaine. Si d’autres types d’institutions n’ont pas la même obligation de reporting, beaucoup d’institutions plus petites ont mentionné lors des entretiens qu’elles transmettaient des données et s’informaient auprès des bureaux de crédit. Les préférences entre Equifax et High Mark sont partagées et dépendent de critères tels que le format des informations, la fiabilité, le coût ou la dynamique institutionnelle. Malheureusement, les données des bureaux de crédit n’intègrent pas les prêts des banques aux membres des SHG, et une étude a montré que les emprunteurs des IMF ont souvent des prêts à la fois formels et informels auprès d’autres sources26. De plus, les bureaux de crédit sont confrontés au manque de carte d’identité nationale, même si un programme indien renommé, Aadhaar, délivre des cartes d’identification biométriques à des centaines de millions de personnes. Les institutions financières accueillent favorablement l’effet dissuasif des bureaux de crédit sur le défaut de paiement. Une IMF-­‐SFNB basée à Mumbai indique qu’elle informe régulièrement ses clients du fait que « chaque membre de groupe reçoit une mauvaise note en cas de défaut de paiement ». Une autre grande IMF-­‐SFNB note que les impayés sont rares, car les clients ont été informés dès le départ des implications d’un mauvais historique de crédit. Cette personne remarque que pour cette raison l’IMF ne s’embarrasse plus à restructurer les prêts, car avec le bureau de crédit, les anciens clients reviendront un jour rembourser leurs vieilles dettes. Une troisième institution explique qu’un petit pourcentage d’emprunteurs défaillants, dont les dettes ont déjà été rayées des comptes, sont revenus régler leur dette, car ils souhaitaient obtenir un prêt d’une autre institution et devaient pour cela supprimer l’impayé de leur historique. Ainsi, comme au Pérou, le fait que les clients soient sensibilisés à l’historique de crédit semble apporter une sécurité supplémentaire aux IMF, leur donnant un levier significatif pour agir auprès des clients défaillants et permettant de prévenir le surendettement des clients. De plus, les institutions, notamment au Bengale occidental, semblent se contrôler entre elles par le recours aux bureaux de crédit ; elles en appellent à leur réseau régional ou national lorsqu’un concurrent se met en position de « troisième prêteur », contrairement à la règle de la RBI. Cette dynamique n’est pas aussi apparente en Inde du sud. 24
La Smart Campaign a développé plusieurs outils sur les bonnes pratiques en termes de capacité de remboursement de l’emprunteur, ainsi qu’un exemple d’IMF en Inde qui suit la capacité de remboursement individuelle dans le cadre d’un mécanisme de garantie de groupe. 25
Données disponibles sur le site de MFIN : http://mfinindia.org/development/credit-­‐bureau/. Informations des IMF transmises à de multiples bureaux de crédit. 26
Doug Johnson, and Sushmita Meka, Access to Finance in Andhra Pradesh (IFMR LEAD, 2010). 26 Gestion des premiers retards de paiement : les groupes d’abord Aux premiers stades de retard de paiement, le mécanisme de caution mutuelle joue un rôle fort, et les premiers paiements en retard sont gérés en interne par les groupes. Ce mécanisme fonctionne réellement, aussi lorsqu’un membre ne peut honorer son échéance, les autres membres doivent assurer ce remboursement à sa place s’ils veulent accéder à des prêts à l’avenir. Les membres d’un groupe contribuent ainsi régulièrement pour l’un d’entre eux, et si les taux de PAR indiqués par les IMF restent extrêmement faibles, les impayés au sein du groupe sont en réalité souvent plus élevés. A titre d’exemple, une petite étude de 27 centres autour de Delhi a montré que 22% des clients étaient en impayés, alors que les IMF participantes annonçaient un défaut de paiement à zéro27. Sept des IMF indiennes de notre étude indiquent ne prendre aucune mesure à l’encontre d’un emprunteur en retard, tant que deux échéances au moins ne sont pas impayées (dans le cas d’échéances hebdomadaires), la plupart précisant qu’elles interviennent au bout de deux à quatre semaines. Une IMF interviewée explique que (comme les membres des groupes couvrent les paiements de chacun d’entre eux) « il est possible que nous ne découvrions même pas ce retard avant la deuxième ou troisième échéance en retard ». Bien sûr, on note aussi des variations. Deux IMF précisent qu’elles contrôlent la participation aux réunions de groupe, estimant qu’une absence en réunion équivaut à une échéance non honorée, et utilisent ce biais indirect pour collecter l’information sur le remboursement de chaque emprunteur. Une autre IMF mentionne qu’elle impose une visite du chef d’agence quatre jours après la première échéance manquée. Le personnel des IMF reconnaît être réticent à suivre ou intervenir dans le fonctionnement du modèle de caution solidaire de groupe, tant que le groupe continue de rembourser l’IMF à temps. Cela s’appuie sur les fondements du modèle, qui vise à réduire le risque et les coûts de transaction en déplaçant l’analyse, la sélection et le contrôle des emprunteurs de l’institution vers les membres du groupe28. Néanmoins, ce choix non-­‐interventionniste inclut des scénarios présentés lors d’entretiens avec les IMF où, d’après nous, les groupes agissaient de façon inappropriées, par exemple en saisissant les biens d’une cliente en retard ou en la retenant hors de son domicile. En adoptant une attitude de non-­‐interférence dans les dynamiques de groupe, les IMF semblent croire qu’elles suscitent une discipline de groupe, à laquelle les IMF indiennes font souvent référence. Un responsable d’IMF déclare que les groupes sont « notre première ligne de défense, et nous gérons les clients défaillants via le groupe. Si nous apprenons un cas d’abus d’un client par d’autres clients, nous n’intervenons pas. Cela se passe entre eux. » Un autre responsable d’agence d’une IMF dit que « plus ou moins » ils n’interviennent pas auprès des groupes, et qu’une intervention serait une décision au cas par cas. Lorsque nous demandons quel exemple de conduite pourrait amener à une intervention de l’IMF dans la dynamique du groupe, il cite un cas de plainte liée à une fraude. Si cette étude n’incluait pas d’entretiens directs avec des clients, quelques enquêtes ont mis en évidence de vraies difficultés au sein de groupes, pour l’emprunteur défaillant comme pour les membres de son groupe. Ces difficultés des membres de groupes qui remboursent pour les Mani Nandi, Incidence of Loan Default in Group Lending Programme (IMFR LEAD, 2010). Voir les éléments de discussion dans Gine et al., “Strategic Default in Joint Liability Groups: Evidence From a Natural Experiment in India”, version provisoire, novembre 2011. 27
28
27 emprunteurs défaillants ont pour conséquence une forte hausse du coût de l’emprunt et engendrent des difficultés sociales, de la rancœur et des tensions pour l’emprunteur défaillant29. Sachant que ces dynamiques internes au groupe ne sont pas suivies par les systèmes des IMF, il est peu probable que la direction de ces dernières prenne conscience ou adopte des mesures correctives en cas d’abus. Cependant, l’une des 22 IMF indiennes de l’étude a signalé que ses groupes n’étaient créés que dans un objectif de soutien moral, et qu’elle n’appliquait pas de garantie solidaire pour ses prêts de groupe. Au-­‐delà des groupes, le déclencheur de l’intervention de l’IMF elle-­‐même ne semble pas être le retard sur une échéance individuelle, mais la rupture de la garantie solidaire du groupe ; autrement dit, quand le groupe cesse effectivement de rembourser pour le membre défaillant. Cette rupture de la caution solidaire en cas de défaut de paiement semble être anticipée par certaines IMF indiennes, au-­‐delà d’un point donné. Plusieurs indiquent qu’elles considèrent cette garantie comme temporaire, et non permanente. Ce n’est pas une question que nous avons posée à toutes les IMF s’appuyant sur du prêt de groupe, mais il semble qu’il existe en pratique différentes versions de la garantie solidaire en Inde et d’un pays à l’autre, et ce point mériterait d’être étudié plus en détail. A un certain moment dans un cas de prêt impayé, en général lorsque plusieurs échéances manquées n’ont pas été remboursées par le groupe, en Inde l’agent de crédit rend visite à l’emprunteur, souvent accompagné par des supérieurs hiérarchiques – responsable d’agence, de région ou de zone. Ces premières visites sont comprises à la fois comme une opportunité de faire pression sur l’emprunteur, et de comprendre les raisons expliquant l’impayé. En conséquence, le prêteur s’appuie sur son personnel, les membres du groupe, les membres de la famille ou les voisins du client défaillant pour faire pression sur ce dernier en vue d’un remboursement, ce qui paraît empiéter sur le droit à la vie privée de l’emprunteur. Pour une IMF, il est normal qu’un groupe formé pour le recouvrement patiente cinq ou six heures au domicile d’une cliente, jusqu’à ce qu’elle rembourse. De fait, lors d’une réunion avec cette IMF, à la question « à quelle fréquence avez-­‐vous passé 5 à 6 heures au domicile d’un client défaillant ? », les 20 agents de crédit présents ont déclaré que cela se produisait jusqu’à une fois par semaine, parce que « certains emprunteurs sont régulièrement en retard pour rembourser ». Il est intéressant de noter qu’aucune IMF et aucun agent de crédit n’a mentionné l’utilisation du téléphone portable pour prendre contact avec le client défaillant, comme au Pérou, ce qui pourrait être une option moins coûteuse que d’attendre sur place plusieurs heures. Dans la période suivant la crise de l’AP, la RBI a imposé des restrictions sur les pratiques de recouvrement des SFNB, dans le but de corriger la conduite du marché. Il était précisé que les recouvrements devaient être réalisés sur le lieu de réunion du centre (là où les groupes se réunissent chaque semaine pour les opérations financières), et que le personnel des IMF ne devait pas rendre visite à l’emprunteur à son domicile ou sur son lieu de travail pour collecter les 29
Ibid, voir aussi Self Help Group Bank Linkage: Through the Responsible Finance Lens. A Study on State of Practice in SHG Bank Linkage in Madhya Pradesh, Bihar and Karnataka, IFMR Lead, 2013, publié par ACCESS-­‐Assist, sur les discussions des conflits intra-­‐groupes. De plus, les premiers résultats du projet “Paroles de clients” de la Smart Campaign et BFA au Pakistan ont mis à jour des dynamiques préoccupantes entre membres de groupes. 28 remboursements, à moins que le client n’ait manqué au moins deux réunions de suite30. Ces normes ont été revues et complétées dans le code de conduite du secteur, qui a interdit l’un des facteurs des recouvrements agressifs avant la crise de l’AP, la politique de « PAR zéro ». Le Code de pratiques équitables de la RBI contient aussi des restrictions concernant le recours à des agents de recouvrement externes, précisant notamment que « de manière générale, seuls les employés doivent agir pour le recouvrement dans les zones sensibles, et non des agents de recouvrement externes »31. Aucune des 22 institutions interviewées n’a déclaré recourir à des agents externes, ou être au courant de telles pratiques de la part de concurrents. Garanties et garants Comme mentionné plus haut, lors des dernières étapes du recouvrement, la hiérarchie de l’IMF – parfois même le PDG – rend visite au client. Ainsi que le déclare un cadre d’une IMF indienne, « personne ne respecte ou n’a peur du gars habituel (l’agent de crédit) que l’on voit tout le temps, mais quand les chefs arrivent, le chef d’agence par exemple, alors on rembourse plus volontiers ». Et, lorsque la direction le demande, le groupe est chargé par l’IMF de participer à la pression exercée sur la cliente défaillante et sa famille. De fait, la fonction du groupe a évolué : d’instrument de solidarité, il est devenu mécanisme de recouvrement. En dehors de la garantie apportée par les membres du groupe, les IMF comptent aussi sur les membres de la famille et les voisins pour trouver des solutions aux impayés. Deux institutions mentionnent spécifiquement la famille, l’une d’elles racontant comment un employé de l’IMF a convaincu une cliente en impayés de déménager chez sa mère, pour qu’elle puisse louer sa propre maison et rembourser ainsi son prêt. Cinq IMF indiennes indiquent que le concept de caution conjointe et solidaire s’étend, au-­‐delà du groupe, au niveau du centre (un centre regroupe jusqu’à 10 petits groupes, qui se réunissent chaque semaine pour leurs activités avec l’IMF). Une IMF mentionne même que la garantie touche l’ensemble du village jusqu’au niveau du grand panchâyat, impliquant que plusieurs centaines de personnes pourraient en réalité être considérées comme liées en tant que garant au prêt de chacune d’entre elles. La question de la garantie étendue est apparue assez tard dans notre étude, de ce fait nous n’avons pas eu la possibilité de la creuser en profondeur. Au moins quatre IMF déclarent tenir le centre pour solidairement responsable en cas de défaut de paiement au niveau du groupe, et une cinquième explique que si un groupe ne rembourse pas, le village tout entier serait en conséquence « radié » du crédit. Une autre encore indique recourir, au-­‐delà du niveau du village, au grand panchâyat ou à la fédération des SHG, dans un objectif de caution. De ce fait, même s’il ne s’agit pas d’une garantie directe, il y a néanmoins des conséquences négatives pour le village tout entier en cas d’impayés au niveau du groupe. Ces acteurs offrent un moyen de contrôle de la conduite des emprunteurs via la pression sociale de la communauté toute entière. Il n’y a pas de cas de recours légal contre un emprunteur défaillant de caution solidaire de groupe ; cependant une IMF exprime le sentiment, partagé par toutes les autres, que « se lancer dans une action légale, c’est jeter l’argent sain par les fenêtres, après avoir jeté le mauvais. » Les coûts pour engager un avocat et déposer plainte dépassent simplement l’intérêt du recouvrement 30
Reserve Bank of India, “Non-­‐Coercive Methods of Recovery” section of Fair Practice Code” DNBS.CC.PD.No.266 /03.10.01/2011-­‐12. 1er juillet 2011. Disponible à http://rbidocs.rbi.org.in/rdocs/notification/PDFs/26MFP010711F.pdf 31
Ibid. 29 potentiel dans presque tous les cas, exception faite des cas de fraude à grande échelle ou des « prêts fantômes »32. La seule IMF ayant intenté des poursuites légales contre des emprunteurs de groupes considère que l’intérêt est l’effet de démonstration visant seulement les clients défaillants qui peuvent, mais ne veulent pas payer. Le processus légal commence après la troisième échéance de groupe manquée ; si aucune solution n’est trouvée, il s’achève lorsque le client est convoqué par le tribunal du district. Ce même responsable d’IMF indique que les coûts financiers et non financiers d’une telle convocation sont très dissuasifs. Cinq mille procédures de ce type ont été initiées par cette IMF à l’encontre d’emprunteurs défaillants, sur la dernière année seulement. Rééchelonnement Une seule des 22 IMF contactées déclare que tous les prêts en impayés sont traités de la même façon, quelle qu’en soit la raison. Les autres institutions expliquent que lorsqu’elles sont informées du défaut de paiement, elles cherchent à en comprendre les raisons, précisant souvent qu’elles recourent au groupe pour vérifier si le non-­‐remboursement est volontaire. Lorsque l’impayé est motivé par de bonnes raisons, alors une pratique de paiement plus favorable au client est mise en place, comme d’étaler le remboursement sur un ou deux cycles supplémentaires, ou de rééchelonner. Certaines IMF ont même intégré cette flexibilité dans le produit ; une IMF du Bengale occidental donne au client l’option de choisir, sur les 50 semaines de remboursement d’un prêt, trois semaines définies comme des « vacances » de remboursement. Globalement néanmoins, très peu d’IMF disposent de politiques formelles pour gérer la façon dont elles négocient avec les clients défaillants. Un employé d’IMF indique qu’il n’existe que trois vrais motifs pour ne pas rembourser : la migration, la sécheresse (qui se traduit par la migration), et les urgences de santé. Dans ces circonstances, le responsable régional peut décider d’accorder un délai supplémentaire pour payer. Cependant, cette politique est définie ad-­‐hoc et non formalisée. Une institution mentionne le problème de l’évacuation de bidonvilles et des relogements forcés, procédés courants en Inde. Aucune des IMF n’a indiqué l’échec de l’activité professionnelle parmi les « vraies » raisons de ne pas rembourser un prêt. Une majorité d’institutions mentionnent que les catastrophes naturelles ou les urgences de santé mériteraient de prévoir des concessions, un différé par exemple, mais les mesures prises ne paraissent pas assez généreuses ou suffisantes par rapport à la gravité de la situation de l’emprunteur. Par exemple, une IMF déclare que lorsque la maison d’une cliente a brûlé, le responsable régional a pris la décision d’accorder à cette personne un délai supplémentaire pour rembourser : une semaine de plus. Une autre institution indique qu’en cas de défaillance liée à la mort de l’emprunteur, elle accorderait aux membres du groupe ou aux héritiers de l’emprunteur une semaine supplémentaire pour rembourser. En dépit du code de conduite du secteur qui impose « un produit/programme de restructuration du prêt approuvé par le conseil d’administration, pour venir en aide aux emprunteurs soumis à la pression du remboursement », les pratiques réelles semblent définies ad-­‐hoc et il n’existe pas de 32
Les demandes de poursuites sont enregistrées suivant le “Civil Procedure Code” et la section 138 du “Negotiable Instruments Act” – datant de la loi coloniale britannique, entrée en vigueur en 1881. 30 normes communes sur le rééchelonnement33. Il a été également difficile de déterminer les réels critères motivant les décisions de rééchelonnement, car une seule institution a donné des raisons explicites justifiant son refus de restructurer. Cette IMF était l’une des deux institutions n’acceptant en aucun cas la restructuration. Le responsable rencontré explique que l’IMF se contente d’abandonner la créance, sachant que le bureau de crédit incitera la plupart des clients à revenir régler leurs dettes, au bout du compte. Si le client a un historique de crédit négatif, il n’obtiendra pas de nouveau prêt auprès des autres institutions. Une autre grande IMF indienne explique qu’elle n’offre pas en général de restructuration, mais qu’elle l’a fait dans le passé dans des cas exceptionnels – par exemple lors de l’organisation des Jeux du Commonwealth, qui a entraîné l’éviction par le gouvernement de milliers d’habitants des bidonvilles. Une autre IMF indique que si elle n’autorise pas la restructuration de prêts en tant que telle, elle peut envisager de suspendre les intérêts dus au titre du prêt, ou, autre option, d’accorder un nouveau prêt pour permettre à l’emprunteur de « rattraper » ses remboursements. Huit autres IMF indiennes indiquent qu’elles autorisent la restructuration de prêts au cas par cas, l’une d’entre elles précisant que la décision doit être approuvée par « le siège ». De plus, le personnel de terrain, comme les agents de crédit ou même les responsables d’agences, n’ont en général pas le pouvoir d’autoriser le rééchelonnement. Après le défaut de paiement : poursuite du recouvrement et manque de médiation En Inde, s’il n’existe pas de directives strictes, la plupart des institutions passent en perte les créances après 365 jours. Beaucoup d’IMF interviewées indiquent qu’elles poursuivent leurs efforts pour contacter les débiteurs et recouvrer les prêts, bien après que ces derniers soient abandonnés comptablement. Ainsi que l’explique un praticien, « nous déplaçons simplement l’information dans un autre registre, mais nous n’utilisons même pas les mots abandon de créance -­‐ il n’y a pas de différence. » Une autre personne explique en entretien que l’IMF continue d’essayer de recouvrer, la plus ancienne dette concernée ayant été passée en perte en 2011, presque trois ans plus tôt. Néanmoins, toutes les IMF ne poursuivent pas ces anciennes dettes avec tant d’énergie ou indéfiniment. Une IMF indique que « cela n’en vaut pas le coup », et une autre explique que s’ils suspectaient une intention de frauder l’IMF, alors l’IMF considèrerait la pertinence d’une action en justice. Une troisième IMF indique que cette décision relève du conseil d’administration, en fonction de la probabilité du recouvrement. Après la crise de l’AP ou d’autres cas de défaut de paiement massif, les efforts de recouvrement se sont poursuivis, mais sur une base communautaire plus qu’individuelle. Une IMF du Bengale occidental indique qu’une équipe d’employés se rend chaque semaine dans une zone où des impayés généralisés ont eu lieu, pour définir si les clients seraient réceptifs au règlement des anciennes dettes dans leur région34. 33
Sa-­‐Dhan and MFIN, “Code of Conduct for Microfinance Institutions in India,” disponible à http://mfinindia.org/wp-­‐
content/uploads/2014/06/IndustryCodeofConduct.pdf 34
D’après nos sources, dans un certain nombre de districts frontaliers de l’Andhra Pradesh, les IMF ont réduit leur personnel après la crise de l’AP, et les emprunteurs se sont trouvés sans possibilité de rembourser les dettes en cours. Beaucoup de ces prêts étaient enregistrés en créances douteuses auprès des bureaux de crédit, mettant en cause l’accès futur de ces emprunteurs au crédit. Une institution contactée analysait la faisabilité d’un accord de partenariat avec l’IMF d’origine, dans l’objectif de collecter à sa place les dettes en cours. 31 L’arrivée des bureaux de crédit a changé la perception de l’intérêt de courir après les impayés à long terme ; en effet, lorsque le bureau de crédit est opérationnel, il est bien plus difficile pour les emprunteurs défaillant d’accéder à de nouveaux prêts. Une institution indienne indique qu’un petit pourcentage de débiteurs défaillants est revenu payer ses dettes en raison d’un historique de prêt négatif, parce que ces clients voulaient obtenir de nouveaux prêts. Certains clients cherchent à obtenir de l’IMF une lettre certifiant que la dette a été remboursée, afin de pouvoir obtenir un prêt d’une autre institution. Aucune des institutions contactées n’a mentionné d’efforts spécifiques, en interne ou via des tiers, pour assister leurs clients devenus surendettés. La banque de développement NABARD mentionne qu’elle a lancé début 2013 un projet de conseil en endettement à Hyderabad pour les personnes engagées dans des prêts multiples. Ce projet a conseillé aux débiteurs d’augmenter leur épargne, a considéré la façon dont ils pourraient accroître leurs revenus, et leur a dit qu’ils devraient rembourser les prêts à fort taux d’intérêt en premier. Mais il ne s’est pas engagé dans des efforts de médiation sur la dette avec les créanciers35. Par ailleurs, en 2009, la RBI a diffusé auprès des banques indiennes une démarche visant à créer des centres d’éducation financière et de conseil en endettement pour aider à apporter des conseils préventifs et « curatifs » auprès d’emprunteurs à bas revenus en difficulté. Ces centres pourraient, en théorie, assister les emprunteurs en détresse à négocier un plan de gestion de la dette, qui serait approuvé par un ou plusieurs créanciers36. Néanmoins, une évaluation de 2012 a montré que ces centres étaient sous-­‐utilisés et peu appuyés par les banques, sans atteindre la clientèle ciblée37. L’organisation de défense des consommateurs Moneylife Foundation, active à Mumbai, offre du conseil en endettement avant tout destiné aux emprunteurs des classes moyennes, une population distincte des emprunteurs de microfinance. Le fondateur de Moneylife, Sucheta Dalal, indique qu’ils offrent du conseil en endettement hebdomadaire avec un appui de la RBI et de la banque ICICI (mandatée par RBI pour participer, en raison de ses pratiques de recouvrement illégales dans le passé)38. Moneylife collabore maintenant avec Experian pour étendre significativement ses services de conseil en endettement, et les développer éventuellement dans d’autres villes. Ils souhaiteraient offrir ce type de conseil aussi aux clients de la microfinance, mais cela exigerait plus de temps et un budget significatif. Ouganda Stade de développement du secteur, principaux acteurs, contexte de marché Tableau 3. Données clés du secteur de la microfinance en Ouganda 35
Entretien avec le Dr. Suran, responsable du département de l’innovation du microcrédit, NABARD, 18 décembre 2013. 36
Tel que présenté dans le modèle des centres d’éducation financière et de conseil en crédit, 2009. 37
Reserve Bank of India. Financial Literacy Centres (FLCs) – Guidelines. RPCD.FLC.No.12452 /12.01.018/2011-­‐12. 6 juin 2012. Disponible à http://rbidocs.rbi.org.in/rdocs/notification/PDFs/CER590FL060612.pdf 38
KP Narayana Kumar , “Despite RBI Guidelines, Significant Number of Banks’ Recovery Agents Harass Defaulters in the Age-­‐Old Way,” The Economic Times, 21 juillet 2013. 32 IMF Clients de la MF Autorité de supervision Réseau Agence d’information sur le crédit Organisations contactées pour cette étude 4 institutions collectant des micro-­‐dépôts (MDI, « micro-­‐deposit institutions ») (catégorie III); 21 banques (catégorie II) ; 2 sociétés de crédit (catégorie II) & 2 100 IMF y compris les coopératives ou SACCO (en général non réglementées 39
« catégorie IV ») 40
550 000 emprunteurs Bank of Uganda (BoU) AMFIU -­‐ 134 membres Compuscan 10 IMF : 3 IMF réglementées ; 5 IMF non réglementées ; 2 SACCO 1 association de MF, AMFIU (Association of Microfinance Institutions of Uganda) ; une société privée de recouvrement ; ainsi que Compuscan et la BoU Le secteur de la microfinance formelle en Ouganda a démarré au début des années 1990, avec l’appui d’une poignée de bailleurs de fonds à des IMF telles que Uganda Women’s Finance Trust, FINCA et Pride. En 2010, on comptait plus de 2 000 IMF dans le pays, y compris les coopératives ou SACCO (Savings and Credit Cooperative Organizations)41. La microfinance en Ouganda comprend aujourd’hui à la fois des prêts de groupe et des prêts individuels, la moitié des institutions contactées indiquant qu’elles offrent des produits financiers de groupe. Le secteur semble avoir démarré principalement avec du prêt de groupe, en s’orientant ensuite vers les prêts individuels. Plusieurs IMF déclarent en entretien qu’elles tentent de « relancer » leur portefeuille de prêts de groupe42. Il n’existe pas en Ouganda de loi sur la protection du consommateur s’appliquant à tous les cas, ni d’autorité de régulation de la conduite de marché ayant un mandat spécifique de protection du client de services financiers pour les institutions qui ne sont pas sous supervision prudentielle. Depuis 2004, des projets de loi sur la concurrence et de loi sur la protection du consommateur, rédigés par la Commission de réforme des lois en Ouganda, attendent une approbation du conseil des ministres et une présentation au parlement. En 2011, la BoU a publié des directives sur la protection du client de services financiers, qui ne s’appliquent qu’aux institutions réglementées et à leurs agents43. Par exemple, ces directives indiquent que le comportement du fournisseur de services financiers ne doit pas être inéquitable, agressif, intimidant ou humiliant à l’encontre d’un client44. Néanmoins, ces directives ne s’appliquent qu’à une minorité d’institutions réglementées. La supervision de ces directives et des pratiques des institutions est faible, et l’application des directives assez faible. Le manque de protection légale et de sanctions, aussi bien pour les clients que pour leurs fournisseurs, renforce les mesures agressives et le manque de confiance de part et d’autre. 39
Solomon J. Kagaba et Julia Kirya, The State of Microfinance in Uganda 2012/2013 (AMFIU, 2013), disponible à http://www.amfiu.org.ug/images/docs/Studies/State%20of%20Microfinance%20in%20Uganda.pdf N.B. Sept institutions ont transmis leurs données au Mix en 2013. 40
IBID A 41
“Microfinance Mapping Project – Uganda,” disponible à http://ds.haverford.edu/wp/mappingmicrofinance/files/2012/07/Microfinance-­‐Mapping-­‐Project-­‐Uganda.pdf 42
Le dernier rapport MIX disponible est de 2012, qui indique que le PAR 30 est resté sous les 5% au cours des quatre dernières années. 43
Disponible à https://www.bou.or.ug/bou/bou-­‐
downloads/Financial_Literacy/Guidelines/2011/Jun/Consumer_Protection_Guidelines_June_2011.pdf 44
Disponible à : https://www.dfcugroup.com/consumer-­‐protection-­‐guidelines-­‐2011/ (ainsi que sur le site de la BoU). 33 L’information sur le crédit est nouvelle en Ouganda, et la couverture des crédits est loin d’être complète avec la présence d’un seul acteur actif, Compuscan, une société sud-­‐africaine. Cependant, quatre IMF réglementées seulement fournissent leurs données à Compuscan, alors qu’il existe des milliers d’IMF-­‐ONG et de SACCO non réglementées dans le pays, qui représentent l’essentiel du portefeuille de microfinance. Le système national de carte d’identité a été lancé en Ouganda au printemps 2014, et l’enregistrement est en cours au moment de la rédaction de ce rapport ; néanmoins Compuscan a créé une carte financière biométrique pour les usagers des institutions réglementées. Aujourd’hui, les coûts du reporting sur le crédit sont significatifs et souvent prohibitifs pour les IMF, un seul rapport coûtant environ 6 $US, bien davantage qu’au Pérou ou en Inde, où un rapport coûte moins de 1 $US. Les conseils locaux jouent un rôle intéressant dans le secteur de la microfinance ougandais. Ces conseils locaux ont été créés initialement par la NRA (National Resistance Army) de Yoweri Museveni, pour venir en aide aux combattants de la NRA. Suite à l’arrivée au pouvoir de Museveni en 1986, des conseils ont été mis en place dans chaque district. Ils sont responsables de l’éducation (maternelle et école), des soins de santé, des services de police et des pompiers, ainsi que d’autres services aux communautés. Les IMF ougandaises recourent aux conseils locaux pour les aider au recouvrement des dettes et servir de médiateurs, ainsi que comme source pour vérifier les données sur les biens et revenus des clients. Il existe deux organisations de consommateurs d’une taille significative -­‐ CONSENT et CPAU (Consumer Protection Association of Uganda). Si CONSENT ne travaille plus sur les questions de services financiers, cela a pourtant été le cas dans le passé, notamment sur la question de la transparence des prix. La protection du client de services financiers l’intéresse, mais CONSENT n’a pas aujourd’hui le budget nécessaire pour travailler sur ce sujet. L’association de microfinance, AMFIU, a publié un code de conduite du client et propose une gestion des réclamations au public, pour ses 134 institutions membres45. Prévention des impayés Le marché de la microfinance en Ouganda se caractérise par un très faible niveau de confiance entre prêteurs et emprunteurs, et notre conclusion est que cela résulte en partie du manque d’un cadre légal, réglementaire et d’information sur le crédit qui soit solide. Nous avons observé une spirale, le manque de confiance conduisant à des mesures brutales, à un manque de flexibilité et à un comportement opportuniste. De ce fait, les acteurs du marché étaient davantage prêts à évoquer leur incapacité à prévenir le défaut de paiement, plutôt que leurs stratégies de prévention réussies. Etant données la faible ampleur du reporting sur le crédit en Ouganda, et l’absence jusqu’à présent d’un système d’identification national, il est difficile pour les prêteurs de vérifier les données de base des clients. Non seulement il est impossible de vérifier l’encours de crédit d’un client, mais il peut être aussi compliqué de vérifier ne serait-­‐ce que l’identité de ce dernier. Le coût des rapports sur le crédit restreint leur usage, et dans la mesure où ces rapports excluent les institutions non réglementées, leurs informations sont au mieux partielles. Plusieurs IMF mentionnent qu’obtenir de faux documents d’identité – passeports compris – est très facile pour 45
Cf. www.amfiu.org.ug. 34 les clients (moyennant finance). Les prêteurs se battent pour remédier à ces lacunes d’information sur le crédit, à partir d’autres sources. De plus, pour beaucoup d’entre eux, ce problème est exacerbé par une analyse de crédit laxiste. D’après les consultants du secteur, les vérifications superficielles et les analyses restreintes avant d’accorder un prêt sont monnaie courante. Plus de la moitié des IMF interviewées estiment que leurs clients ont très certainement ou certainement recours à des prêts multiples. Un responsable d’IMF déclare que « zéro pourcent » de ses clients n’ont qu’un seul prêt avec son institution. L’existence d’un problème potentiellement grave de prêts multiples en Ouganda a été confirmé par une analyse réalisée en 2013 par Compuscan, qui après avoir analysé 534 dossiers clients d’une institution de microfinance réglementée, et collectant l’épargne, a confirmé que si ces clients n’avaient qu’un seul petit microprêt en cours avec l’institution de microfinance, ils disposaient également de montants de crédit bien supérieurs auprès d’autres institutions réglementées. En réalité, 83% des clients de l’échantillon de cette étude avaient un montant cumulé (microprêt et dettes auprès d’autres institutions) entre 1 000 et 10 000 $US. Compuscan a classé 40% de ces prêts comme étant à risque élevé, avec une probabilité de défaut de paiement46. La perception fréquente des IMF est que les clients empruntent souvent avec l’intention de frauder, et s’enfuient dès qu’ils font face à des difficultés de remboursement. Par exemple, plusieurs IMF et un détective privé/agent de recouvrement affirment que la fuite de l’emprunteur est liée à une majorité de cas de défaut de paiement. Lorsque les emprunteurs ougandais partent pour une autre ville, ils ont la possibilité effective d’esquiver leurs anciennes dettes et de s’endetter davantage, sans être découverts. La fuite d’emprunteurs a été également attribuée par différents acteurs, y compris des IMF et des groupes de clients, au manque de transparence des produits et aux prêts multiples. La combinaison de ces facteurs fait que des emprunteurs découvrent après coup qu’ils ne peuvent pas faire face à leur emprunt, et ils fuient dans des villes voisines ou dans leur village d’origine. Les pratiques de gestion des impayés sont fortement influencées par cette perception que le client peut fuir à tout moment. En retour, les emprunteurs défaillants croient que les IMF vont agir brutalement en cas d’impayé, quelle qu’en soit la raison, et pensent avoir pour seule option de fuir, lorsqu’ils ne peuvent rembourser. Comme nous le verrons dans la section suivante, ce climat de défiance limite les efforts des clients pour essayer de définir une solution avec l’IMF, notamment s’il s’agit de clients récents ayant un historique restreint au sein de l’institution. De plus, les emprunteurs sont influencés par leur connaissance des procédures civiles en Ouganda, qui permettent d’emprisonner les débiteurs défaillants pour une période allant jusqu’à six mois47. Il existe de nombreux exemples de systèmes pyramidaux, comme COWE, Frontpage, Dutch International et Team. Les responsables de COWE (Caring for Orphans Widows and the Elderly), prétendant être une IMF, ont obtenu de milliers de clients floués environ 7 millions de $US en dépôt, sans avoir d’agrément pour la collecte d’épargne. A ce jour, aucun coupable de cette affaire n’a été poursuivi avec succès, et les clients n’ont pas été remboursés. La BoU était conscience de ce système mais n’a pas réussi à en obtenir la fermeture ou à geler ses comptes en banque48. De telles expériences contribuent à un climat de défiance de la part des clients. 46
Le résumé de l’étude de cas est disponible à http://ciskenya.co.ke/wp-­‐content/uploads/2013/03/An-­‐Insight-­‐into-­‐
Multi-­‐Borrowing-­‐of-­‐Selected-­‐MDI-­‐Borrowers-­‐in-­‐Uganda.pdf 47
“Uganda Debts Summary Recovery Act, 1937”, disponible à www.ulii.org/ug/legislation/consolidated-­‐act/74 48
Entretien avec Flavian Zeija, faculté de droit de l’université de Makerere, février 2014. 35 Gestion des impayés et des retards à court terme Il y a des différences notables entre IMF ougandaises concernant le moment où elles contactent un client défaillant. Si deux prêteurs, sur le groupe de quatre analysés dans l’étude, permettent aux groupes de gérer les impayés au cours des quelques premières semaines de retard, les deux autres IMF contactent les emprunteurs en retard dans la première semaine. Tableau 4. IMF prêtant à des groupes en Ouganda : délai de prise de contact après une échéance non payée (versements hebdomadaires) IMF 1 IMF 2 IMF 3 IMF 4 2-­‐3 semaines 3 semaines 3 jours Dès l’absence en réunion Pour les IMF prêtant à titre individuel, les réactions sont plus rapides. Dès qu’une échéance est manquée, le personnel de l’IMF rend visite au client. Une IMF annonce qu’elle appelle les clients la veille du jour de l’échéance ; si un problème risque de survenir, une visite chez le client est prévue. D’autres IMF mentionnent que des mesures, incluant une visite sur le terrain, sont prévues à 3 et 7 jours de retard. Le délai de réaction de l’IMF à une échéance non payée est très probablement influencée par le fait de savoir que les clients jonglent entre de multiples prêts ; de ce fait, plusieurs agents de crédit font pression sur les clients pour obtenir un remboursement. Cela se traduit vraisemblablement par une mentalité guidée par le principe « le premier levé est le mieux servi ». Deux anciens cadres d’IMF disent qu’en raison des prêts multiples, dès que l’IMF entend parler d’une échéance non payée, les agents de crédit se précipitent chez le débiteur pour saisir ses biens avant que les agents de crédit d’autres institutions n’arrivent sur place. L’une des personnes interviewées appelle cette réaction « la course vers le bas de la pyramide ». Cette différence de délai de réaction suivant qu’il s’agit d’impayés individuels ou de groupe peut s’expliquer par le recours au groupe comme protection contre le défaut de paiement, et comme outil de recouvrement. Les IMF de prêt individuel, qui n’ont pas la garantie de groupe, se sentent probablement peu assurées de faire respecter leurs droits en tant que créanciers. Ainsi, il est compréhensible qu’elles réagissent plus rapidement à une échéance non payée. L’intervention des tiers Si aucune des IMF contactées ne mentionne le recours aux sociétés externes de recouvrement ou aux détectives privés, nous avons obtenu une version différente de la part d’une société de recouvrement. Ce détective privé/agent de recouvrement contacté pour l’étude déclare que six grandes IMF du pays sont clientes de sa société, y compris deux IMF participant à notre étude. Nous avons aussi contacté un responsable qui indique que les actions de recouvrements pour le compte de fournisseurs de services financiers se développent, en raison des fuites d’emprunteurs. Une autre stratégie courante de recouvrement en Ouganda est le recours aux conseils locaux. Plus de la moitié des IMF ougandaises contactées déclarent utiliser les conseils locaux pour les aider au recouvrement. Une IMF mentionne que le conseil local peut appeler la police pour l’aider à recouvrer les dettes. Une autre IMF indique qu’elle a besoin de l’accord du conseil local pour saisir les biens d’un emprunteur défaillant. Une autre encore déclare que la connaissance privilégiée 36 qu’a le conseil local de l’emprunteur est extrêmement utile en cas de recouvrement ; elle donne l’exemple d’un emprunteur défaillant prétendant être insolvable, alors qu’il détenait de nombreux biens locatifs. Le conseil local en ayant informé l’IMF, cette dernière a pu saisir les loyers perçus par le débiteur sur ses biens locatifs jusqu’à ce que la dette soit remboursée. Une IMF/ONG plus petite précise que le conseil local joue un rôle de médiateur important, en général en plaidant pour qu’un délai supplémentaire soit accordé au client pour rembourser. Les IMF/ONG déclarent qu’en échange des services des conseils locaux, elles offrent souvent aux membres de ces conseils des gratifications, crédit téléphonique ou déjeuner par exemple (« mais jamais de dîner »)49. Outre le conseil local, trois des plus grandes IMF ougandaises indiquent qu’elles ont recours à des juristes externes pour envoyer des lettres d’injonction aux clients défaillants, et qu’elles collaborent avec des huissiers et commissaires-­‐priseurs pour saisir et vendre les biens des débiteurs. Saisies de garantie et emprisonnement En Ouganda, les entretiens ont suscité des plaintes fréquentes sur la gestion des garanties, épargne comprise. Un projet de loi déposé au parlement vise à contrôler « le dépôt en garantie de biens personnels (terrains exclus) pour un emprunt ou une dette »50. Un mémorandum qui accompagne ce projet note qu’« en Ouganda, les biens personnels sont rarement utilisés pour garantir le remboursement d’une dette. Ce sont principalement les prêteurs individuels qui y ont recours, et non les banques. Les banques n’acceptent en général que les garanties foncières. La loi existante n’a donc jamais été beaucoup utilisée. » En tous cas, le manque de supervision de la conduite de marché permet aux IMF, et quelquefois aux membres des groupes, de confisquer aisément les biens personnels des débiteurs. De plus, en 2012, une réglementation des hypothèques a introduit quelques modifications à la création, l’enregistrement et l’application des hypothèques, appelant à des procédures claires pour les institutions financières souhaitant vendre les biens immobiliers d’un client. Les entretiens avec les IMF n’ont pas permis de préciser si ces dernières sont conscientes de cette loi et des actions qui contreviendraient à la réglementation, ni si les IMF sont contraintes ou incitées à respecter cette dernière. Une bonne partie des microcrédits ougandais ne sont pas garantis d’un point de vue légal strict, même si de nombreuses IMF prennent note des biens du ménage, qui sont souvent une exigence pour accéder aux microcrédits de groupe ou individuels. La propriété des biens utilisés en garantie peut être difficile à vérifier, sachant que cette propriété n’est pas appuyée par des documents écrits au moment de la demande de prêt. De plus, les titres de propriété pour des biens fonciers ou des voitures peuvent être des faux, et le registre des propriétés foncières ne fonctionne pas correctement. Dans certains cas, les conseils locaux peuvent avoir l’information nécessaire pour vérifier les titres fonciers et la propriété des biens. 49
Pour l’équipe d’enquête, une interprétation de cette déclaration est que le dîner est plus élaboré, et donc plus cher ; or il s’agit d’offrir une marque d’appréciation modeste. 50
“The Chattels Securities Bill of 2009”, disponible à www.ulii.org/ug/legislation/bill/2009/no-­‐12-­‐2009 37 Nous n’avons pas pu vérifier si la saisie de garanties est la norme pour une majorité d’IMF mais, si ce phénomène est systémique, il suggère que les IMF pensent avoir là une option viable pour assurer le remboursement. Dans les quatre contrats de prêt d’IMF que nous avons examinés, la pratique de saisie et de vente des biens non suivie d’un processus légal était évidente. Dans un cas, le contrat de prêt autorise l’IMF à saisir le terrain du débiteur, et étend les droits de l’IMF à « tous les biens de l’emprunteur et autres revenus de toute autre source, jusqu’à ce que la dette due soit entièrement remboursée ». Nous avons noté beaucoup d’autres exemples. Une IMF ciblant le financement de l’agriculture exige des garanties sous forme de foncier ou autres biens, pour les prêts de groupe et individuels. Les contrats de l’IMF précisent qu’en cas de défaut de paiement, l’IMF pourra saisir et vendre le terrain de l’emprunteur « par entente directe … sans recours au tribunal, et ne pourra être tenue pour responsable de toute perte ou tous frais occasionnés ». Dans un tel cas, le client a peu de chances de recevoir le juste prix pour son terrain. Un contrat de prêt d’une IMF annonce également que l’IMF pourra saisir l’épargne de l’emprunteur en cas de défaut de paiement (en dépit du fait que l’IMF en question n’a pas d’agrément pour collecter l’épargne). L’ancien responsable juridique d’une autre IMF réglementée confirme que son institution « pioche aussi dans l’épargne du client » en cas de défaut de paiement, et que les contrats de prêt de cette IMF spécifient aussi que la saisie et la vente des biens pourra être gérée par l’institution en dehors de tout recours à une instance publique. Nous avons aussi compris que dans le cas de prêts de groupe, les groupes eux-­‐mêmes saisissent et vendent souvent les biens des emprunteurs défaillants. Une IMF indique que les membres des groupes peuvent garder le surplus dégagé par la vente d’un bien déposé en garantie, même une fois l’encours de crédit en retard remboursé. La formulation du contrat donne au groupe la capacité de saisir et vendre les biens d’un emprunteur défaillant. Une personne interviewée déclare que les biens du débiteur sont souvent vendus en bord de route avant que l’agent de crédit ne rentre à son bureau. Ces exemples contournent la loi ougandaise, qui prévoit que les biens soient vendus aux enchères publiques en présence d’un huissier51. Il est prévu que la valorisation soit appropriée, et que l’emprunteur soit dûment notifié de la saisie et de la vente. Tout autre bien du débiteur n’ayant pas été spécifiquement utilisé en garantie ne devrait être saisi par le créancier qu’avec l’accord du débiteur ou sur décision du tribunal. De plus, les outils de travail de l’emprunteur et les biens du ménage (tels que les lits ou ustensiles de cuisine) sont normalement exclus de toute saisie, d’après la plupart des régimes juridiques de « common law », comme celui de l’Ouganda. La loi ougandaise est très punitive, avec pour conséquence un grave déséquilibre de pouvoir. Un point particulièrement gênant est la loi de procédure civile, qui permet l’incarcération d’un débiteur défaillant, de son garant ou de son conjoint52. La peine de prison est en général de six mois, mais les juristes locaux mentionnent qu’il est possible d’obtenir des « prolongations ». Si l’IMF a le pouvoir de faire emprisonner l’emprunteur, qui n’a virtuellement aucun pouvoir équivalent, le manque de confiance entre institution financière et client est exacerbé. 51
Arrêté 22, règlement 70(2) de la procédure civile ougandaise. En vertu du “Ugandan Debt Summary Recovery Act” de 1937, disponible à www.ulii.org/ug/legislation/consolidated-­‐act/74. 52
38 Des preuves existent montrant que les IMF enfreignent parfois la loi en versant des dessous-­‐de-­‐
table à des officiels, qu’il s’agisse de magistrats (pour obtenir un mandat d’arrêt) ou de policiers (pour une arrestation réelle et un emprisonnement)53. En partie en raison des efforts de plaidoyers réalisés par des débiteurs incarcérés dans la prison de Luzira, soutenus par des étudiants en droit de l’université de Makerere, le ministre de la Justice a récemment ordonné que les magistrats ne puissent plus émettre de mandats d’arrêt, le tribunal seul en ayant le pouvoir54. Un assistant juridique travaillant à la prison de Jinja a informé les étudiants que les incarcérations ont été moins nombreuses cette année, car les créanciers doivent à présent obtenir un ordre du tribunal et non plus seulement le mandat d’arrêt d’un magistrat. Restructuration des prêts La restructuration de prêts n’est pas courante en Ouganda. Une IMF ougandaise indique qu’elle ne restructure jamais, et cinq autres précisent que le recours à la restructuration, techniquement possible d’après leurs politiques internes, est strictement limité. Par exemple, deux IMF expliquent que le conseil d’administration doit donner son approbation. Un ancien dirigeant d’une grande IMF qui collecte l’épargne confirme que la bureaucratie générée par toute proposition de restructuration au conseil d’administration fait qu’elle n’a quasiment jamais lieu. Une autre grande institution réglementée indique que si une enquête de terrain détermine que le prêt est recouvrable, alors une restructuration peut être recommandée à la direction. Une IMF réglementée explique que si l’emprunteur a remboursé déjà la moitié de sa dette, l’institution peut renoncer aux intérêts et aux pénalités éventuelles ; mais dans le cas où 25% seulement du prêt a été remboursé, l’analyse se fera au cas par cas. Le DG d’une autre IMF déclare que les politiques de l’IMF sont en cours de modification, pour être plus favorables au client. D’après lui, si l’IMF ne s’intéressait pas dans le passé aux raisons du défaut de paiement, et recourait à des agents de recouvrement privés, maintenant le siège de l’IMF propose aux clients défaillants de venir rencontrer le personnel pour discuter des raisons de l’impayé. L’institution peut alors étendre la durée du prêt ou offrir au client d’autres options au cas par cas, en fonction du pourcentage du prêt déjà remboursé. Nous avons noté des exceptions. Une petite IMF ougandaise indique qu’elle peut rééchelonner un prêt. Cette IMF/ONG qui cible plutôt une clientèle d’agriculteurs précise qu’elle envisage un rééchelonnement lorsque le problème paraît réel, avec l’accord écrit du responsable d’agence. Elle estime avoir restructuré 12 à 13 prêts au cours des deux premiers mois de l’année. Ceci indique qu’en pratique la restructuration est vraiment une option disponible, à la différence des IMF qui déclarent que la politique existe mais ne se souviennent pas d’avoir déjà restructuré un seul prêt. Néanmoins, une autre IMF/ONG interviewée explique qu’elle peut accorder un délai supplémentaire au client pour rembourser, mais seulement sur intervention du conseil local. Une SACCO visant à accroître l’emploi indique également qu’elle peut rééchelonner, à condition que l’emprunteur signe un nouvel engagement écrit. 53
Information recueillie par Flavian Zeija, de la faculté de droit de l’université de Makerere. Cf. http://msserwanga.blogspot.com/2011/06/petition-­‐of-­‐civil-­‐debtors-­‐against.html et Report on Causes of Debt, Interviews with Prison Inmates in Jinja, Lugazi and Luzira Prisons, 20-­‐27 janvier 2014, faculté de droit de l’université de Makerere. 54
39 Après l’abandon de créance En Ouganda, comme dans d’autres pays, un abandon de créance ne signifie pas que l’IMF cesse de tenter de recouvrer le prêt. En général, ces abandons de créance ont lieu en Ouganda entre 100 et 271 jours de retard. Cependant, huit des 10 IMF contactées indiquent qu’elles poursuivent leurs efforts de recouvrement jusqu’à ce qu’elles saisissent ou vendent les biens pour couvrir la dette. Trois des IMF ougandaises déclarent que seul le décès de l’emprunteur défaillant leur permettrait d’effacer la dette. L’une des plus grandes IMF collectant l’épargne indique qu’après l’abandon de créance, elle lancera le processus de recouvrement s’il y a des actifs à saisir. Un ancien cadre d’une autre grande IMF ajoute que l’abandon de créance est le moment à partir duquel l’institution peut adopter un comportement agressif, parce qu’elle considère que sa relation avec le client a pris fin. Les emprunteurs ougandais en impayés ont peu de possibilités de se faire aider. Il n’existe pas de conseil en endettement externe, et aucun autre mécanisme d’allègement de la dette n’est disponible. AMFIU propose au public de gérer les plaintes concernant ses IMF membres (non d’offrir du conseil en endettement) mais il semble que ce système ait rarement été utilisé. Aucune des institutions contactées n’a de procédures particulières en place pour conseiller ou réhabiliter les clients défaillants. 3. Conclusions transversales & recommandations Dans cette section, nous allons présenter quelques conclusions clés en comparant ces trois marchés très différents. Cela permettra de souligner quelques aspects spécifiques de la conduite des IMF, dans une perspective de protection du client, et de suggérer éventuellement des étapes pour corriger la situation ou poursuivre l’analyse. L’infrastructure de marché influence le comportement des fournisseurs de services financiers Lors des phases de retard de remboursement et de défaut de paiement, un leitmotiv marquant est l’influence de la réglementation et de la supervision de la conduite de marché, ainsi que de l’infrastructure d’information sur le crédit, sur les pratiques des IMF. Notre étude a analysé un marché disposant d’une réglementation extrêmement bien développée et d’un bureau de crédit durable (Pérou), un deuxième marché où la réglementation comme l’infrastructure sont en développement (Inde), et enfin un troisième où les lacunes réglementaires et d’accès à l’information sont significatives (Ouganda). Nous avons remarqué qu’au Pérou, la présence de deux autorités de régulation de conduite du marché à la fois énergiques et efficaces, dont le mandat se recoupe, semble appuyer les bonnes pratiques. Les institutions financières y étaient très conscientes des règles en place et des pénalités en cas de manquement à ces règles. Cela ne semblait pas être le cas en Inde ou en Ouganda, même si la désignation de l’association MFIN comme organisation d’autorégulation est un progrès prometteur en Inde, MFIN se renforçant pour pouvoir activement superviser ses membres sous le contrôle de la RBI. 40 Les bureaux de crédit semblent aussi avoir une influence significative sur le comportement du marché, non seulement en début de processus de crédit (en permettant aux institutions de prendre des décisions de prêt mieux informées), mais aussi, ce qui est peut-­‐être plus important pour notre sujet, au cours du recouvrement, en donnant aux prêteurs l’assurance que les clients auront une forte motivation à rembourser, en raison de la valeur que prend un historique de crédit sans incident. Cette assurance influence la rapidité et l’ampleur des réactions des IMF en cas de non-­‐remboursement. Au Pérou, presque toutes les IMF sont couvertes par le système, la qualité des données est bonne, et toutes les institutions examinent les rapports d’information sur le crédit. En Inde, l’évolution que représente la présence et l’utilisation des bureaux de crédit dans le secteur de la microfinance sur les deux dernières années est particulièrement marquante, toutes les IMF-­‐SFNB transmettant à présent leurs données aux deux bureaux de crédit. En Ouganda, en revanche, la couverture par les bureaux de crédit est inadéquate ; en conséquence, il est clair qu’il manque une relation de confiance entre client et prêteur. Au Pérou, où l’information sur le crédit est disponible, les IMF ne réagissent pas immédiatement lors d’impayés à court terme. Pour expliquer ce point, nous supposons que les IMF se sentent assurées en tant que créanciers, car elles perçoivent l’effet dissuasif sur les clients du système d’information de crédit. Les délais de réaction ne sont pas immédiats non plus en Inde, mais cela est largement dû au recours aux groupes, qui sont la première ligne de défense pour le recouvrement. Nous avons remarqué que les institutions ougandaises sont les premières à réagir, avec une visite presque immédiate au débiteur. Il semble que les IMF ougandaises se sentent moins sécurisées en tant que créanciers. Elles ne peuvent pas compter sur l’effet dissuasif des rapports de crédit, ne disposent pas non plus des groupes pour minimiser les paiements en retard, et elles craignent à juste titre que le débiteur s’enfuie. Ces questions doivent être abordées à l’échelle du marché. Une IMF individuelle peut certainement décider d’appliquer de bonnes pratiques, mais si elle intervient dans un environnement sans supervision ni infrastructure d’information à l’appui, les contraintes du marché vont la pousser à un comportement plus agressif. Les IMF doivent coopérer entre elles, et elles doivent travailler avec les autorités de supervision et les organisations d’information sur le crédit, pour mettre en place un environnement favorable. Conclusions : quelques points de débat Un recouvrement humain se définit de façon simple et intuitive : • Traiter les clients de façon respectueuse, même en insistant sur le remboursement. • Préserver la confidentialité du recouvrement, autant que possible. • Ne pas priver les clients de la satisfaction de leurs besoins essentiels, ou des moyens de gagner leur vie. • Etre flexible quand cela est justifié et réalisable, et trouver des moyens d’assister les clients pour qu’ils se réhabilitent sur la durée. • Et, bien sûr, procéder au recouvrement en respectant la loi du pays55. 55
Pour quelques exemples de bonnes pratiques, voir les outils de la Smart Campaign, notamment “Best Practices in Collections Strategies”, “Smart Note: Collections with Dignity at FinComun”, “Collections Guidelines for Financial 41 Nous avons noté de nombreux cas de défaillance en la matière, notamment en Inde et en Ouganda. En reconnaissant que peu d’institutions ont décidé intentionnellement de mettre en œuvre de mauvaises pratiques, mais plutôt qu’elles y sont poussées par le fonctionnement du marché, les résultats de l’étude soulèvent plusieurs questions qui méritent d’être discutées par le secteur. Les problèmes liés aux contrats de prêts Bien que nous ayons sollicité toutes les institutions participant à l’étude, nous n’avons reçu que cinq exemples de contrats de prêt. Après analyse approfondie de chacun de ces contrats, soit des points essentiels manquaient pour informer correctement l’emprunteur des termes et conditions du prêt, soit le contrat incluait des conditions illégales ou dommageables au client. Les contrats de prêt peuvent être un bon moyen de communiquer au client des informations essentielles, les IMF s’assurant que les clients reçoivent l’ensemble des termes et conditions de leur prêt, y compris les conséquences d’un non-­‐remboursement. Le principe de Transparence de la Smart Campaign insiste explicitement sur la transmission d’informations complètes sur les caractéristiques tarifaires et non-­‐tarifaires des produits – y compris ce qui se passe en cas de retard ou défaut de paiement. Au cas où les clients soient illettrés, la Smart Campaign suggère de lire le contrat à voix haute au client avant l’octroi. Ces mesures limitent le risque d’une décision mal informée de la part du client -­‐ dans notre cas, ne pas comprendre les implications potentielles à long terme d’un défaut de paiement56. Pourtant, les quelques contrats examinés n’expliquaient pas clairement quelles mesures seraient prises par le prêteur pour obtenir le recouvrement du prêt impayé, par exemple informer un tiers du défaut de paiement, ou engager une saisie de garantie. Nos entretiens et l’examen de ces quelques contrats de prêt ont montré par ailleurs qu’il existe des contradictions entre les pratiques des IMF et le droit commercial, sur des points tels que la durée des efforts de recouvrement, le recours aux garants et les pratiques de garanties. Par exemple, un contrat en Inde tentait de tenir les héritiers de l’emprunteur pour responsables de la dette, les obligeant personnellement à rembourser, alors même que ces personnes n’avaient pas été notifiées ni n’avaient accepté d’être garants. Si l’IMF cherche à poursuivre ses efforts de recouvrement d’une génération à l’autre, cela implique probablement que le recouvrement ira bien au-­‐delà de la limite des trois années prévue par la loi. Dans les contrats en Ouganda, nous avons aussi remarqué une contradiction avec la loi sur la question du recouvrement et des saisies de garanties. Les contrats de prêt annonçaient clairement qu’« indépendamment de la loi » l’IMF aurait le droit de saisir et vendre immédiatement les biens du client, sans recours possible en cas de dommages pour le client ou de faible valorisation du bien. Un contrat attribuait même au groupe les bénéfices de la vente des biens de l’emprunteur défaillant. Plus de flexibilité pour les clients en détresse Service Providers” et “Code of Conduct for Collections and Collections Practices for Group Loans”, disponibles à www.smartcampaign.org/tools-­‐a-­‐resources 56
Pour en savoir plus sur le Principe n°3, Transparence, voir les Normes de protection des clients : www.smartcampaign.org 42 Pour reprendre la citation en début de rapport, « les clients de la microfinance vivent au bord du précipice, et tombent souvent dedans ». De fait, du point de vue du client, davantage de flexibilité et de concessions devraient être la norme, lorsque les emprunteurs sont réellement en difficulté. En montrant sa volonté de restructurer le prêt ou de proposer d’autres concessions permettant au client de poursuivre ses remboursements, l’institution prend la décision de sauver sa relation avec lui. D’un point de vue commercial, il est plus coûteux de chercher de nouveaux clients que de fidéliser les clients actuels, c’est pourquoi la restructuration peut se justifier. Nous sommes préoccupés par le nombre significatif d’institutions qui ne proposent pas de restructuration de prêt aux clients en difficulté, notamment en Ouganda et en Inde. En Ouganda, la probabilité pour les emprunteurs d’obtenir une restructuration semble la plus faible, en raison du problème des clients qui fuient. En Inde, à comparer, il est possible de faire restructurer son prêt ou d’obtenir d’autres concessions, mais en général uniquement si un événement identifié a eu lieu, catastrophe naturelle ou aléa politique par exemple, affectant un grand nombre d’emprunteurs – et ce en dépit des exigences du Code de pratiques équitables de la RBI. C’est au Pérou que l’on trouve les prêteurs les plus favorables à la restructuration de prêts. La Smart Campaign est convaincue que les fournisseurs de services financiers devraient chercher à comprendre les causes à l’origine d’un impayé, pour suggérer différentes options au client, ou demander à ce dernier de proposer des solutions éventuelles. Le recours à la restructuration de prêt, au refinancement, et au bout du compte à un règlement incluant une remise de dette sont des aspects très complexes pour les prêteurs en raison des risques qu’ils impliquent – car de telles stratégies peuvent être utilisées trop souvent, et de ce fait peuvent générer un aléa moral chez les emprunteurs, ou être utilisées par les agents de crédit pour masquer les impayés. Bien sûr, le moment où la restructuration est proposée est aussi critique : si cette offre arrive trop tard, elle ne peut plus être utile à l’emprunteur, mais si elle arrive trop tôt, le client peut être tenté d’en tirer profit à mauvais escient. De plus, les prêteurs de microcrédit ne travaillent pas en vase clos, et les clients se parlent entre eux ; ainsi, quelle que soit la concession accordée, elle ne pourra pas l’être pour quelques rares clients seulement. Néanmoins, il est justifié que les prêteurs aient de telles politiques à leur disposition et y recourent si nécessaire, en prenant en compte l’historique du client et les circonstances. Il est aussi justifié que les prêteurs intègrent le recours ponctuel à ces stratégies dans leurs projections financières. De même, il peut être justifié d’introduire une certaine flexibilité dans les contrats de prêt (par exemple, un contrat peut offrir à l’emprunteur la possibilité d’être en retard trois fois, en offrant un rabais s’il n’est jamais en retard)57. Ainsi, la Smart Campaign demande aux institutions d’avoir en place un dispositif de rééchelonnement et d’informer les clients avant la signature du contrat, sous une forme ou une autre, de la possibilité en cas de difficultés de rencontrer le personnel pour essayer de trouver une solution – sans néanmoins définir en détail la façon dont cette information doit être donnée, ni quand un rééchelonnement (ou toute autre forme de flexibilité) doit être proposé. Poursuivre le dialogue sur les politiques de restructuration, les autres outils susceptibles d’aider les clients surendettés et les résultats obtenus, pourrait être très positif pour le secteur. Des saisies de garanties inappropriées 57
Pour en savoir plus sur ce point, voir les Principes de protection des clients de la Smart Campaign. 43 Le recours aux garanties paraît extrêmement variable d’un marché à l’autre. En Inde, les garanties matérielles ne sont pas autorisées pour les groupes de caution solidaire, même si nous avons eu la preuve, ponctuellement, de la saisie de biens d’emprunteurs par des groupes. En Ouganda, la saisie de garanties par les IMF semble être la norme, mais les procédures semblaient souvent ne pas respecter l’exigence légale de recours à un huissier et à un commissaire-­‐priseur agréé. Si la Smart Campaign admet que les garanties matérielles et les garants peuvent être des facteurs appropriés pour inciter au remboursement, et un moyen utile pour minimiser le risque des IMF, ces méthodes ne peuvent remplacer une analyse solide de la capacité de remboursement. De plus, les garanties matérielles doivent compter pour l’emprunteur, sans être pour autant son moyen de subsistance, car sans ce dernier le défaut de paiement ne peut que s’aggraver encore. Dans ses normes, la Smart Campaign exige des institutions qu’elles définissent quelles garanties matérielles sont acceptables, et qu’elles établissent des directives claires sur la façon dont les garanties sont enregistrées et valorisées. Enfin, elle demande à ce que la saisie de garanties soit faite de façon légale, dans le respect des droits des clients. Les garants doivent avoir été informés de leurs obligations et responsabilités en cas de défaut de paiement58. Le recours aux agents externes de recouvrement Dans chaque pays, les IMF s’appuient dans une certaine mesure sur des agents externes. En Ouganda, il s’agit des conseils locaux, rétribués par des cadeaux ou une somme donnée, et qui ont aussi par ce biais l’opportunité d’affirmer leur influence sur leurs administrés. En Inde, il s’agit du groupe solidaire et du centre, ainsi que parfois du village tout entier. Au Pérou, cet acteur externe est une société de recouvrement professionnelle qui gagne un pourcentage sur les sommes recouvrées, ou, pour les IMF non réglementées, la camara de comercio, qui pour des frais modiques publie des avis de défaut de paiement. Ces agents externes, dans chaque pays, ont des motivations et rémunérations variés, et ils s’impliquent à divers moments du processus, mais au final le résultat est que l’IMF reçoit un appui crucial pour le recouvrement, souvent sans dépenser beaucoup. La Smart Campaign demande à ce que toute collaboration avec un tiers pour le recouvrement implique une formation et un respect des propres codes éthiques de l’IF, ainsi que des exigences de conduite professionnelle59. L’intérêt potentiel des institutions ancrées localement, camaras de comercio au Pérou et conseils locaux en Ouganda, nous a intrigués. Nous faisons l’hypothèse que des organisations comme celles-­‐ci pourraient être amenées à jouer un rôle plus formel (en supposant qu’elles en ait la volonté). Cependant, comme le recours à des institutions locales pour accroître la pression sur les emprunteurs peut être socialement dommageable aux clients, il est clair que ces pratiques doivent être prudemment définies, mises en œuvre et contrôlées. Le mécanisme de groupe solidaire est utilisé différemment suivant les pays et les institutions, certaines exigeant une caution solidaire stricte, d’autres appliquant une solidarité plus temporaire, pour seulement deux ou trois échéances non payées. Une question émerge de cette étude : comment préserver le rôle du groupe d’incitation au remboursement, tout en s’assurant que les membres des groupes n’ont pas recours à des tactiques inappropriées et dommageables ? Cette 58
Pour en savoir plus, voir les Principes de protection des clients de la Smart Campaign, notamment les principes 1 & 5. 59
Ibid. 44 question se pose surtout en Inde, où les IMF se tiennent souvent à l’écart des dynamiques intra-­‐
groupes, dans le souci d’inculquer une discipline de groupe. Cette approche permet au personnel des IMF de fermer les yeux sur les abus. Dans la mesure où l’IMF est conscience d’une mauvaise conduite et n’intervient pas, elle autorise cette conduite du groupe. Un débat ouvert doit avoir lieu pour définir des mesures aidant les membres des groupes à adhérer aux principes de protection des clients, ainsi que des modes de réaction du personnel pour répondre aux abus de groupes. Il serait intéressant d’analyser les mandats accordés par les IMF aux groupes, la façon dont ils sont formés, et quel niveau de contrôle est assuré par les institutions sur le fonctionnement des groupes. Il serait également pertinent de vérifier si les IMF interviennent régulièrement, et si tel est le cas, dans quelle mesure ; et de comprendre quels évènements déclenchent cette intervention. Nous avons rencontré plusieurs cas où les conséquences du défaut de paiement sont allées au-­‐
delà des membres du groupe de caution solidaire, pour se transférer au niveau des centres et mêmes des villages. Même si ces groupes n’étaient pas contractuellement liés, lorsque le personnel de l’IMF menace leur futur accès au crédit s’ils ne parviennent pas à remédier au non-­‐ remboursement d’un client défaillant, les implications sont graves aussi bien pour ces garants non officiels que pour le client. Ces dynamiques n’ont pas été analysées en profondeur par l’équipe de l’étude, et il serait important de comprendre ces pratiques de manière plus systématique. Le manque de mesures de réhabilitation Malheureusement pour les emprunteurs, il y a peu de ressources à disposition des clients défaillants sur ces trois marchés. Et, ainsi que le montrent les entretiens, ces clients sont souvent poursuivis par leurs créanciers bien après l’abandon de créance. Les cadres légaux/réglementaires et les codes de conduite du secteur de la microfinance ne suggèrent pas, en général, de mettre en œuvre des efforts de réhabilitation pour aider les clients en impayés. Les réglementations en Ouganda comme au Pérou ne prévoient pas que les IMF prennent des mesures de ce type. Dans la plupart des pays, la loi fixe une limite dans le temps au droit des créanciers à faire respecter un contrat devant la justice. Dans les pays que nous avons étudié, cette limite est de trois à six ans60. En Ouganda comme en Inde, les lois sur la faillite datant de l’époque coloniale permettent aux sociétés d’obtenir un allègement de dette, mais ces lois n’ont pas été prévues pour être utilisées par des personnes individuelles. En Inde, une « procédure accélérée », extra-­‐
judiciaire et volontaire (la restructuration de dette des entreprises ou « Corporate Debt Restructuring », parrainée par la RBI en 2001) permet aux sociétés en difficulté de faire face à l’insolvabilité lorsque de multiples créanciers sont impliqués61. Dans la pratique, six IMF indiennes bénéficient actuellement de ce processus de restructuration de dette, en conséquence de la crise de l’Andhra Pradesh. Si ce processus existe, c’est que l’on reconnaît que les échecs et faillites de sociétés sont un risque normal de toute activité professionnelle, et qu’une solution de réhabilitation est nécessaire dans ce cas. Pourtant, aucune solution comparable n’est disponible pour les clients à bas revenus de la microfinance. 60
D’après la section 3 (i) de l’“Uganda Limitation Act”, des actions en justice sur la base du contrat ne peuvent être intentées que dans les six ans suivant la date de la cause de telles actions. D’après le “Indian Limitation Act” de 1963, une action en justice pour rupture de contrat doit être intentée dans les trois ans suivant la date de rupture du contrat. Au Pérou, la limite est de trois ans pour les documents commerciaux. 61
Plus d’informations sont disponibles sur le site Internet officiel du CRD : www.cdrindia.org. 45 Il n’existe pas, dans aucun des trois pays de l’étude, de système abordable ou largement disponible en place pour permettre aux clients défaillants de recevoir des conseils en endettement ou une médiation vis-­‐à-­‐vis de leurs multiples créditeurs, pour définir un plan de remboursement ou bénéficier d’un allégement de dette. La procédure INDECOPI qui existe au Pérou coûte jusqu’à 1 500 $US et elle est donc inabordable pour le client de microfinance. Elle semble aussi être peu connue du public. Le système de la RBI en Inde de « centres d’éducation financière et de conseil en endettement » part d’une bonne intention, mais n’a pas fait l’objet d’une communication large et reste peu utilisé par les clients cibles. En Inde également, une organisation de protection du consommateur, Money Life Foundation, a commencé de développer des services de conseil en endettement, mais pas pour les clients de la microfinance. Dans une perspective de protection du client, si le secteur sait qu’un pourcentage de ses clients va échouer dans ses tentatives pour rembourser, un processus de réhabilitation du débiteur devrait permettre de respecter le besoin du client à s’assurer un avenir financier. Pourtant, il ne semble pas que les IMF et les autorités de supervision de ces trois pays aient consacré beaucoup d’efforts à prendre en compte, et a fortiori à proposer un processus de réhabilitation de dette. Les emprunteurs défaillants se retrouvent sans appui des IMF ou du gouvernement, au moment où ils en auraient probablement le plus besoin. La Smart Campaign n’aborde pas ce point actuellement, pas davantage que les codes de conduite du secteur de la microfinance. Les débiteurs doivent-­‐ils rester au pilori toute leur vie ? Ou devrions-­‐nous reconnaître que certains emprunteurs peuvent mériter une chance de repartir à zéro après un défaut de paiement ? Vous trouverez en annexe 3 quelques exemples de médiation sur le défaut de paiement en Europe et dans des pays à revenus intermédiaires, qui incluent des techniques comme le partage des coûts de médiation entre gouvernements et IMF. 4. Recommandations pour des actions communes •
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Améliorer les systèmes d’information sur le crédit, dans chacun des trois marchés. Même dans le pays le plus avancé sur ce point, le Pérou, où la qualité du reporting sur le crédit n’est pas le problème, l’enjeu est que les IMF utilisent de façon appropriée les rapports d’alerte transmis par les bureaux de crédit, incluant des données sur les marchés saturés. En Inde, l’inclusion des données du modèle des SHG sera une avancée clé, pour permettre aux IMF d’avoir une vision complète des clients. En Ouganda, outre accroître la portée de Compuscan (ou de ses concurrents sur le marché de l’information de crédit), les IMF pourraient envisager un accord privé pour partager les informations sur les défauts de paiement, pour celles qui ont une part de marché significative. Toute amélioration du partage d’information entre emprunteurs et prêteurs permettra d’améliorer un environnement général de défiance. Encourager les autorités de régulation à contrôler et faire respecter la bonne conduite de marché, à récompenser le bon comportement des institutions et si les capacités manquent, à externaliser ces fonctions. Si les cadres réglementaires étudiés ici évoquent des sanctions en cas de mauvaise conduite de marché, nous avons trouvé peu d’exemples de telles sanctions, sauf au Pérou. Dans les pays en développement, les autorités de supervision ont souvent des contraintes de capacités pour exercer supervision et contrôle. En Inde, la RBI a récemment décentralisé une partie de ces fonctions au MFIN, en tant qu’organe d’autorégulation. Les superviseurs peuvent recourir à des tiers pour les aider à vérifier la bonne conduite de 46 marché ; ils peuvent identifier, exiger et récompenser une bonne conduite grâce à une validation par un tiers, par exemple le programme de certification de la Smart Campaign ou l’évaluation du Code de conduite en Inde. Ces programmes sont une réponse concrète aux limites des capacités de supervision, et ils incitent aux bonnes pratiques. •
Mieux comprendre les dynamiques intra-­‐groupes et renforcer les mesures pour réduire les cas d’abus dans les prêts de groupe. Si la caution solidaire est un outil important pour les prêts de groupe sans garanties matérielles, l’attitude de laissez-­‐faire de nombreuses institutions en cas de comportement de groupe brutal est une préoccupation. Des études complémentaires sont nécessaires pour mieux comprendre les dynamiques et proposer des recommandations aux IMF pour qu’elles forment leur personnel, contrôlent et sanctionnent les abus. La Smart Campaign a établi un partenariat avec BFA au Pakistan, au Bénin, au Pérou et en Géorgie pour mener des études sur la demande, qui pourraient contribuer à ce débat. •
En savoir davantage sur les contrats de prêt. Si la plupart des institutions n’ont pas partagé leurs contrats de prêt avec l’équipe de l’étude, les quelques contrats analysés ont permis de mettre à jour de nombreux points litigieux en termes de transparence dans le processus de défaut de paiement ou de légalité des pratiques, en Ouganda en particulier. Un effort de recherche important permettrait de collecter et examiner des exemples de contrats de prêt du secteur, pour mettre à jour les implications en protection du client et partager les bonnes pratiques. La Smart Campaign dispose d’un certain nombre d’exemples de contrats sur son site Internet, mais cette étude montre le besoin d’une analyse et d’un débat bien plus approfondis62. Apporter plus de clarté sur le recours à la restructuration de prêt, et plus de flexibilité pour des allègements de dette. Il n’est pas facile de concevoir et présenter une politique de restructuration ou de rééchelonnement qui réponde au besoin de traiter avec compassion des emprunteurs réellement en détresse, tout en évitant de générer un aléa moral. Des stratégies et outils devraient être développés et partagés pour permettre d’atteindre cet équilibre. Ne pas jeter en prison les emprunteurs de microfinance en impayés. Même si l’emprisonnement est légal dans certains pays comme l’Ouganda, cette pratique n’est ni bonne ni saine pour le secteur. Créer des systèmes de médiation et de conseil en endettement qui fonctionnent pour les clients en bas de la pyramide. Au Pérou et en Inde, notre projet a identifié des exemples de médiation pour le défaut de paiement pour les prêts à la consommation, ainsi qu’un cas d’initiative pour les clients à bas revenus, qui n’avait pas fonctionné. L’annexe 3 présente des exemples de mécanismes ayant été utilisés en Europe et dans des pays à revenus intermédiaires. Il serait important de discuter de l’application de ces modèles pour les clients en bas de la pyramide, notamment dans l’objectif de les rendre plus abordables pour les fournisseurs de services de médiation comme pour les utilisateurs. Encourager les IMF à définir des politiques pour déterminer au bout de combien de temps l’engagement de dette prend fin ; si un client est en défaut de paiement et si tout effort supplémentaire de recouvrement semble clairement inutile, le but serait que la dette de ce •
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Cf. www.smartcampaign.org/tools-­‐a-­‐resources/comprehensive-­‐list-­‐of-­‐tools. 47 •
client puisse prendre fin. Cela permettrait aux débiteurs défaillants qui n’ont pas accès à des mesures de réhabilitation de mettre un terme au processus, et de pouvoir réellement être autorisés à accéder de nouveau aux services financiers. Les IMF pourraient envisager d’appliquer les délais de prescription prévus dans leur pays, limitant le recours aux tribunaux pour le recouvrement de dettes. Encourager les organisations de consommateurs à faire la lumière sur les cas d’abus, et à sensibiliser les clients sur leurs droits et responsabilités. Des organisations comme MoneyLife en Inde ou l’équipe du Dr. Flavian Zeija, de la faculté de droit de l’université de Makerere, offrent des exemples de la façon dont des organisations de consommateurs peuvent attirer l’attention et plaider en faveur des clients en détresse. Les clients devraient être sensibilisés sur leurs droits et responsabilités, et se voir offrir la possibilité d’échanger sur leurs réclamations, d’une manière qui contribue au plaidoyer et à la formulation de politiques. 48 Annexe 1 : Synthèse des réponses à l’enquête en ligne sur la gestion des impayés A partir de plus de 300 réponses (198 d’anglophones, 59 de francophones et 74 d’hispanophones), l’étude illustre la diversité réelle des IMF dans leur façon de gérer les impayés : le moment où elles déclenchent des procédures de recouvrement (pour beaucoup, ce moment coïncide avec la première échéance non payée ; la façon dont s’organisent les procédures de recouvrement (pression de groupe, saisie d’épargne individuelle ou collective, saisie de garanties ou de biens des garants, offre de rééchelonnement/restructuration, recours à la justice pour recouvrer les dettes) ; externalisation ou non du recouvrement (29% des institutions participantes y recourent). Près de 30% des IMF63 considèrent le défaut de paiement comme une infraction de responsabilité stricte, autrement dit les emprunteurs défaillants du fait d’une maladie ou d’une catastrophe naturelle sont traités de la même façon que ceux qui ont peut-­‐être des motifs moins sympathiques (par ex., une perte au jeu ou une fraude). Pour la majorité d’IMF qui traitent de façon réellement différente les clients non intentionnellement défaillants (par opposition à ceux dont on présume qu’ils n’ont pas voulu rembourser), les institutions accordent à ces clients plus de temps, des restructurations de prêt, des prêts relais si nécessaire, et elles envisagent parfois une remise de dette (point mentionné par une seule IMF). De plus, il ressort qu’une majorité d’IMF participantes offrent des options de restructuration de prêt aux clients en défaut de paiement64. Toutefois, une analyse plus approfondie serait nécessaire pour savoir à quel moment cette option est proposée (par ex., après saisie de l’épargne, de la garantie ou des biens des garants, ou avant ?), si le rééchelonnement est une pratique discrétionnaire ou si une procédure standard est appliquée et est incluse dans les manuels de formation du personnel, pour être ensuite expliquée aux clients (et si c’est le cas, quand et comment ?) Un autre élément intéressant issu de l’étude est qu’une faible majorité de praticiens interrogés mènent des études sur les abandons de clients, soit environ 52% des participants. C’est un autre domaine que nous aimerions creuser davantage – quelles informations significatives ressortent d’une étude sur les abandons de clients, qui pourraient servir à mieux guider les processus opérationnels ou à prévenir les impayés ? Pourquoi les institutions ne font-­‐elles pas ces études – par manque de ressources, ou par incapacité à trouver/convaincre les clients de participer ? Par ailleurs, une majorité d’IMF de l’étude continue de recouvrer les dettes après que ces dernières aient été passées en abandon de créance ; 85% des IMF indiquent qu’elles poursuivent le recouvrement après l’abandon de créance, et environ 40% gardent plus de sept ans les fichiers des clients. Environ un tiers gardent un à trois ans ces fichiers sur les clients défaillants. 75% des IMF participantes recourent aux garanties matérielles, et presque 92% des répondants déclarent 63
27,5% des répondants indiquent ne faire aucune différence entre les clients intentionnellement ou non-­‐
intentionnellement défaillants. Les personnes hispanophones interviewées étaient davantage prêtes à faire cette distinction en tenant compte de la raison de l’impayé, par rapport aux francophones et anglophones. 64
Près de 78% des répondants propose une restructuration ; néanmoins, à la question « à quelle fréquence la restructuration a-­‐t-­‐elle été proposée l’an dernier », les réponses ont été très variées, de « une seule fois » à « dans 80% des cas ». Pour cette dernière institution, cependant, nous ne savons pas clairement si 80% des prêts en souffrance ont été restructurés, ou s’il s’agit de 80% du portefeuille de prêts. 49 avoir une politique spécifique pour établir quels biens sont acceptables en garantie. Dans certains pays, la législation définit ce qui est possible65. 65
Cependant, nous n’avons pas demandé aux IMF si elles acceptaient des garanties multiples, ni quel ratio elles fixaient par rapport au montant du prêt, ou si ces pratiques avaient évolué ou changé avec l’expérience. 50 Annexe 2. Questions aux institutions financières Qu’arrive-­‐t-­‐il aux clients de la microfinance qui ne remboursent pas ? I. Documents demandés : • Politiques du personnel sur le recouvrement • Modèle standard de contrat de prêt de l’emprunteur, pour des prêts de groupe ou prêts individuels (incluant une liste des prérequis pour le prêt, par exemple garanties et garants) • Contrats avec des agences de recouvrement externes • Politiques de l’institution sur la restructuration / le rééchelonnement de prêt et la remise de dette II. Questions institutionnelles : 1) Quelle est la structure légale de l’IMF ? _____________________________ • Taille du portefeuille de prêt et montant de prêt moyen _____________ ______________________ • Données actuelles PAR 30 et PAR 90 _____________ __________________ • Portefeuille de prêt restructuré / rééchelonné (nombre de prêts & volume pour l’année passée) ____________________________________________________________________
_________________ • No. d’abandons de créances (sur 12 mois) __________ • No. de prêts annulés (remises de dette) l’année écoulée _______ • Pourcentage de prêts de groupe dans le portefeuille _______ • Pourcentage de prêts individuels dans le portefeuille __________ 2) Décrire les conditions du principal produit de microfinance de l’institution (cocher toutes les réponses qui s’appliquent) : • Inclut une garantie de groupe (caution conjointe et solidaire) ______ • Exige un garant externe ______ • Exige plus d’un garant externe ________ • Exige un garant salarié _______________ • Exige des garanties physiques sous forme de biens mobiliers ________ • Exige des garanties physiques – biens fonciers _________ • Exige de l’épargne en prérequis à l’obtention du prêt ___________(merci d’indiquer le % d’épargne requis) • Exige une épargne complémentaire au cours du cycle de prêt (si oui indiquer le %) ______________________________________________ • Exige l’achat d’un produit d’assurance (si oui merci d’indiquer ce que l’assurance couvre spécifiquement) ________________________________________________________________________ 51 III. Pratiques de recouvrement : 3) Avez-­‐vous des politiques de recouvrement différentes suivant qu’il s’agit de prêts individuels ou de groupe ? Si oui, merci de préciser en quoi elles diffèrent : 4) Contrôlez-­‐vous les actions de recouvrement des groupes ? Les groupes disposent-­‐t-­‐ils de directives à suivre pour le recouvrement des prêts ? Votre organisation a-­‐t-­‐elle déjà dû intercéder avec le groupe pour corriger une pratique de recouvrement inappropriée ? Si oui, merci de fournir des exemples survenus. 5) Votre institution externalise-­‐t-­‐elle le recouvrement de créances auprès d’un agent externe (distinct du groupe d’emprunteurs) ? • Si oui, à partir de quand externalisez-­‐vous le recouvrement ? • A qui externalisez-­‐vous le recouvrement, et sur quels critères avez-­‐vous sélectionné ce tiers ? • Donnez-­‐vous à ce tiers des directives à suivre, définissant des pratiques acceptables ? Quel est le taux d’indemnisation ? • Quelle est l’efficacité de cet agent externe ? • Quel niveau de contrôle réalise l’IMF sur ce tiers ? Exigez-­‐vous la transmission de rapports réguliers ? • L’IMF a-­‐t-­‐elle toujours externalisé le recouvrement, ou cela a-­‐t-­‐il évolué dans le temps ? 6) Quelles mesures prenez-­‐vous lorsqu’un prêt a un jour de retard ? Merci de décrire l’ordre des actions prises jusqu’à ce que la dette soit recouvrée ou passée en abandon de créance. 7) Quel type de frais de retard ou pénalités appliquez-­‐vous aux emprunteurs défaillants ? Appliquez-­‐vous des intérêts additionnels sur l’encours en retard (autrement dit en plus des intérêts prévus) ? Sur quelle durée ces frais/pénalités/intérêts se cumulent-­‐ils ? 8) Existe-­‐t-­‐il une loi « in duplum » dans votre pays ? 9) L’institution dispose-­‐t-­‐elle d’une politique de recouvrement écrite pour le personnel ? • Comment contrôlez-­‐vous le respect de cette politique ? Pourrions-­‐nous en avoir une copie ? • Quels types d’incitations proposez-­‐vous au personnel responsable du recouvrement ? 10) Merci de décrire comment vous informez les clients de leurs responsabilités sur le remboursement de la dette. Quelles sont les conséquences des impayés que vous présentez aux clients ? Informez-­‐vous les clients de leurs droits, s’ils ne remboursent pas ? (Vérifier en demandant à un agent de crédit quelle information est communiquée au client.) 11) La politique de recouvrement de l’institution a-­‐t-­‐elle changé au cours des deux dernières années ? Si oui, merci de préciser en quoi : IV. Gestion de garantie(s) et des garants 52 12) Votre institution doit-­‐elle suivre une loi ou un règlement concernant la gestion des garanties, incluant un enregistrement auprès des autorités ou registres compétents, des règles pour la saisie des garanties, un protocole de valorisation des biens, la vente des garanties des clients défaillants ? Si oui, pourriez-­‐vous préciser les implications opérationnelles pour votre institution ? 13) Si votre institution saisit/vend les garanties pour couvrir les dettes impayées, pouvez-­‐vous décrire le processus de valorisation et de vente des biens ? Existe-­‐t-­‐il une politique écrite ? Pourrions-­‐nous en obtenir une copie ? • Votre institution garde-­‐t-­‐elle des documents sur les garanties saisies/vendues ? Pouvons-­‐
nous avoir accès à ces informations ? • Stockez-­‐vous les garanties saisies avant la vente ? Si tel est le cas, quels sont les biens stockés, et quel est le coût pour votre organisation ? 14) Au cours de la dernière année, combien d’impayés sur des prêts ont été remboursés par les garants de ces prêts ? • Lorsqu’un garant est incapable de payer, quelles mesures sont prises par votre institution (par ex. informer le bureau de crédit, saisir des biens) ? 15) Disposez-­‐vous d’une ligne directe pour les réclamations client ? Si oui, merci de décrire comment elle fonctionne (sensibilisation des clients, chaîne de responsabilité) : • Combien de réclamations client avez-­‐vous traitées au cours des 3 derniers mois ; certaines d’entre elles concernaient-­‐elles spécifiquement le recouvrement ? Notamment la façon dont les garanties sont saisies, valorisées ou vendues ? V. Composition de l’équipe de recouvrement 16) Combien d’employés sont affectés au recouvrement ? A quel niveau de votre organisation est rattachée cette unité ? 17) Votre institution doit-­‐elle respecter une loi / réglementation incluant des dispositions sur les pratiques acceptables de recouvrement ? 18) Votre institution dispose-­‐t-­‐elle de juristes à plein temps ? Si oui, combien de personnes, et quel pourcentage de leur temps est alloué au recouvrement ? 19) Recourez-­‐vous à des juristes externes pour appuyer votre service de recouvrement ? Merci de décrire la nature de leur travail (note pour les enquêteurs : indiquez clairement qu’il ne s’agit pas ici d’externalisation du recouvrement, autrement dit les juristes externes peuvent aider l’IMF à recouvrer les prêts, mais n’en prennent pas directement la responsabilité eux-­‐mêmes.) 20) Pouvez-­‐vous recourir aux tribunaux ou aux autorités publiques pour recouvrer les dettes ? • Si oui, comment cela fonctionne-­‐t-­‐il ? Quels sont les coûts pour recourir à ce système ? Quelle est la durée du processus ? 53 •
Au cours des 12 derniers mois, combien de fois avez-­‐vous eu recours aux tribunaux/autorités pour recouvrer des dettes ? VI. Défauts de paiement 21) Votre institution fait-­‐elle une distinction entre les défauts de paiement intentionnels (l’emprunteur peut rembourser mais ne le veut pas) et les cas où l’emprunteur voudrait rembourser mais ne le peut réellement pas ? • Si oui, comment faites-­‐vous cette distinction ? Existe-­‐t-­‐il une politique écrite ? Qui décide de cette distinction ? • Les clients sont-­‐ils informés de votre politique ? Si oui, quand ? 22) Votre institution dispose-­‐t-­‐elle d’une politique sur la restructuration ou le rééchelonnement de prêts ? Si oui, est-­‐elle écrite, et pouvons-­‐nous en obtenir une copie ? • Qui prend la décision, et à quel moment est-­‐ce proposé au client en difficulté ? • Sur les prêts qui ont été restructurés, quel pourcentage de clients parvient à rembourser la dette en général ? Au cours de l’année dernière ? 23) Les clients peuvent-­‐ils demander une modification de l’échéancier de remboursement (par ex., un différé) avant de se retrouver en impayés ? • Si oui, merci de décrire le processus (quand les clients peuvent-­‐ils en faire la demande, quel est le processus d’approbation, comment ces prêts sont-­‐ils suivis ?) 24) Une fois le client en défaut de paiement, peut-­‐il obtenir un autre prêt de votre institution ; si oui, dans quelles circonstances ? • Prêtez-­‐vous à des clients, lorsque vous savez qu’ils ont des impayés auprès d’une autre institution financière ? Si oui, dans quelles circonstances ? 25) Lorsque l’institution a passé une dette en abandon de créance, quelles mesures spécifiques sont prises pour recouvrer la dette, et pendant combien de temps ? 26) D’après la loi de votre pays, combien de temps dure une obligation de dette ? La loi distingue-­‐
t-­‐elle entre les dettes garanties et non garanties ? 27) Votre institution propose-­‐t-­‐elle des remises de dette ? • Si oui, en fonction de quoi ? A combien de clients cela a-­‐t-­‐il été proposé l’an dernier (estimer si nécessaire) ? VII. Disponibilité de services de conseil en endettement & perspectives du client défaillant 28) Proposez-­‐vous des services de conseil en endettement à vos clients ? • Si oui, merci de décrire la procédure correspondante (quand, pendant combien de temps, quel contenu ?) 54 29) Existe-­‐t-­‐il, à votre connaissance, des services externes pour emprunteurs surendettés proposant du conseil en endettement (par ex. agences gouvernementales, organisations de consommateurs/société civile) ? • Si oui, quels services sont proposés spécifiquement pour venir en aide aux emprunteurs ? Orientez-­‐vous vos clients vers ces services ? 30) Que se passe-­‐t-­‐il pour les anciens clients qui n’ont pas remboursé sur le long terme ? (Si la personne interviewée semble perplexe, préciser : les années passant, quel est l’impact du défaut de paiement sur l’emprunteur et sa famille ?) Pouvez-­‐vous donner des exemples ? VIII. D’autres points à ajouter ? 31) Y a-­‐t-­‐il des pratiques liées au recouvrement de prêt ou à la gestion des impayés dans le secteur qui vous concernent ? 32) Avez-­‐vous des recommandations à nous donner concernant cette étude ? Merci pour votre participation ! 55 Annexe 3 : Exemples d’expériences de médiation en cas de défaut de paiement Partout en Europe, les dix dernières années ont été marquées par une dérégulation financière croissante, une hausse du niveau d’endettement des clients et en conséquence de nouvelles réformes législatives pour faire face au surendettement et aux défauts de paiement des clients66. La tendance générale des législateurs en Europe a été d’assouplir les exigences formelles imposées aux emprunteurs surendettés pour être éligibles à des allégements de dette appuyés par l’Etat (par exemple, engagement sur un budget « a minima » et plan de remboursement sur plusieurs années), avec une volonté nouvelle d’apporter des financements de l’Etat pour des remise des dettes des emprunteurs. La Belgique en particulier a adopté une attitude très favorable aux consommateurs par plusieurs changements législatifs de 2005, qui lui ont notamment permis de s’attaquer au problème essentiel de savoir qui paie pour la remise de dette accordée au débiteur défaillant67. Le système belge impose aux institutions financières de contribuer pro rata au coût du conseil en endettement, suivant le nombre de leurs clients parmi les emprunteurs surendettés recourant au système. Ce dernier paraît fondamentalement équitable, puisque les prêts consentis par la banque contribuent au surendettement du client, et que la banque est en mesure de pouvoir payer pour ces services, bien plus que l’emprunteur en difficulté. Les financeurs et investisseurs internationaux en microfinance commencent à prendre conscience de l’importance du conseil en endettement, incluant la médiation avec des créanciers multiples et en fin de compte la réhabilitation des emprunteurs défaillants. En 2010, la communauté internationale des financeurs a mis en place un centre de conseil en endettement en Bosnie-­‐
Herzégovine, suite à la crise de remboursement du secteur de la microfinance68. Ce centre offre une ligne directe nationale d’information sur le crédit, du conseil individuel et des services de médiation avec les créanciers sur les questions de remboursement. Les services du centre sont demandés, et le centre a étendu ses activités à plusieurs autres villes, en ajoutant des programmes d’éducation financière. D’après IFC, environ 40% des clients de microfinance surendettés sont parvenus à définir un plan financier pour rembourser leurs prêts69. Un facteur limitant est que le centre ne peut obliger les créanciers à participer à la médiation. Les fonctions de conseil en endettement du centre sont en cours de transfert aux municipalités, qui auront probablement plus de capacité à contraindre les créanciers à s’impliquer dans une restructuration de dette70. Le changement proposé s’appuie sur le système autrichien, qui se rapproche des solutions de réhabilitation de dette existant dans d’autres Etats européens comme la France, la Suède ou les Pays-­‐Bas. 66
Jason Kilburn, Two Decades, Three Key Questions and Evolving Answers in European Consumer Insolvency Law: Responsibility, Discretion and Sacrifice, (Hart Publishing, 2008). 67
En 2005, les législateurs belges ont voté une loi permettant aux débiteurs d’obtenir une annulation immédiate et totale de leurs dettes, s’il leur est matériellement impossible de rembourser leurs dettes sur une période de cinq ans. Cf. Kilborn, p. 9. 68
www.uplusu.ba ; pour en savoir plus sur l’activité du centre, voir http://www.smartcampaign.org/news-­‐a-­‐
highlights/whats-­‐happening/8-­‐2010/86-­‐answering-­‐the-­‐tough-­‐credit-­‐questions-­‐bosnias-­‐center-­‐for-­‐financial-­‐and-­‐credit-­‐
counseling. 69
Reducing Over-­‐indebtedness for Bosnia and Herzegovina’s Microfinance Borrowers, International Finance Corporation, octobre 2013, disponible en ligne à http://www.ifc.org/wps/wcm/connect/8de4ea0041d72b6b8df4ad13bbf0fc5c/Case+study_Bosnia+and+Herzegovina+
Responsible+Finance_+October2013.pdf?MOD=AJPERES 70
Email de Mejra Jusbasic, travaillant dans la banque d’investissement auprès de Finance in Motion (gestionnaire de fonds de EFSE), en date du 7 mars 2014. 56 L’Afrique du Sud a également été pionnière en conseil en endettement. Constatant que presque la moitié de sa population ayant recours au crédit était en difficulté de paiement, ce pays a voté une loi, le « National Credit Act », qui définit aussi le rôle des conseillers en endettement. A présent, un emprunteur peut avoir accès à du conseil en endettement s’il est surendetté. Néanmoins, il doit en supporter le coût, et les frais peuvent se cumuler. Les frais liés à ce type de conseil incluent des frais de dossier de 50 SAR (5 $US) et des frais de restructuration de prêt jusqu’à 6 000 SAR (600 $US)71. Si l’affaire est portée en justice en raison d’un contentieux, les coûts peuvent monter bien au-­‐delà, en raison des frais juridiques. Ce processus, tel qu’il est mis en œuvre, a été critiqué car il est coûteux et ne se traduit pas forcément par une réhabilitation du client72 ; le gouvernement a proposé des modifications, pour permettre notamment aux fournisseurs de services financiers de proposer des services de conseil en endettement gratuits73. Presque dans le même temps, en 2006, la banque centrale de Malaisie (Bank Negara) a mis en place le programme Agensi Kaunseling dan Pengurusan Kredit (AKPK) pour l’éducation financière, le conseil en endettement et la gestion de dette. Les services proposés sont gratuits et la participation est volontaire. D’après le DG du centre, Mme Koid Swee Lian, environ 80 000 clients participaient au programme à fin 2013, et 200 000 clients avaient pu bénéficier de conseil en endettement depuis les débuts de l’AKPK en 200674. Dans les pays ciblés par notre étude, les infrastructures existantes pourraient éventuellement être adaptées pour offrir en microfinance des services de conseil en endettement et de médiation. En Ouganda, cela pourrait être géré par les conseils locaux ou des organisations de consommateurs. Au Pérou, les Camaras de Comercio pourraient être intéressées (et une étude de faisabilité a été réalisée sur ce sujet il y a plusieurs années, en collaboration avec la Camara de Comercio de Huancayo). Un système est également en place avec l’autorité de régulation INDECOPI au Pérou, qu’il faudrait rendre abordable pour les clients de microfinance. En Inde, l’organisation de consommateurs Moneylife peut être une option à Mumbai, ou sinon les médiateurs financiers de la RBI dans chaque grande ville, mais pour cela, il faudrait là encore que les coûts baissent à un niveau accessible aux emprunteurs de microfinance. Autre option, les bureaux de crédit pourraient être intéressés à offrir ce service. 71
Entretien avec Magauta Mphalele, DG de la “National Debt Mediation Association” d’Afrique du Sud, 25 octobre 2013. 72
Cf. http://www.ncr.org.za/publications/DC%20Impact%20Assessment%20Report-­‐2012.pdf. 73
Compuscan, Government to Assist the Over indebted Households, disponible à www.compuscan.co.za/government-­‐
moves-­‐protect-­‐consumers-­‐assist-­‐indebted-­‐households/. 74
http://www.akpk.org.my/about-­‐us 57 
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