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musicales et scénographies » par une analyse du rapport musique/dramaturgie/scène tel qu'il est conçu par
Vsevolod Meyerhold, sa proposition d'une musique qu'il considère comme « l'art le plus parfait » (cité par
Béatrice Picon-Vallin, p. 47) incarnant la solution dramaturgique et spatiale de la représentation théâtrale,
tandis que Laurent Feneyrou étudie le rapport de Brecht et de ses musiciens (Hans Eisler, Paul Dessau ou
Kurt Weill) à la dramaturgie musicale, sa considération de la scène musicale comme espace où
s'expriment et se résorbent les tensions sociales, insistant sur l'aspect didactique des pièces et sur la
nécessité de l'effet de distanciation qui permet au public d'avoir une attitude active et critique. Deux écrits
de Luigi Nono viennent compléter ces textes sur le théâtre musical contemporain, ajoutant sa propre
vision du « théâtre de masse » tel qu'il était envisagé par Meyerhold ou Brecht, théâtre éminemment
politique (1). Il s'agit bien d'un théâtre empli de vitalité, qui a pour but la transformation de la société (idée
de mouvement constant), refusant toute passivité et dont l'idéologie se développe dans la conscience de
masse.
Le second thème, « Von Heute auf Morgen ou l'amendement des dramaturgies sociales » se rattache
fortement au précédent dans le sens où l'opéra de Schönberg étudié ici se place dans une visée opposée
aux conceptions analysées juste avant ; Schönberg revendique ici l'art pour l'art : « aucun artiste [...] dont
la pensée se situe dans les plus hautes sphères ne devrait s'abaisser à la vulgarité dans le but de satisfaire à
un slogan tel que : "l'art pour tous" » (cité par Alain Poirier, p. 297), ce qui est l'exacte antithèse de la
pensée brechtienne, revendiquant un art pour tous. Von Heute auf Morgen dénonce la superficialité du
monde moderne dont le Zeitoper est pour Schönberg tout à fait représentatif. Pourtant, contrairement à
Brecht, sa musique reste la sienne, dodécaphonique et extrêmement complexe, peu abordable par les
masses. La réflexion se prolonge sur la place de ce Zeitoper dans l'oeuvre musicale de Schönberg et dans
l'histoire de la musique du XXe siècle avec des articles de Nicolas Donin, Adorno ou Alain Poirier.
Deux textes constituent le thème « Actions et dramaturgies de la transgression » dont le premier s'intitule
« L'immanence dramaturgique de l'abject (pour une histoire sociale de l'avant-garde après 1960) ». Ces
textes reviennent en fait sur le sens étymologique du drame, drama, qui en grec signifie « action ».
Pierre-Albert Castanet inscrit la dramaturgie dans les mutations profondes de la société, dans des textes
plus difficiles et plus originaux, à la veine parfois poétique, il décrit ces nouvelles formes de
représentation, dans la mise en scène du corps, support ou matériau, à travers les actions
dramatico-érotiques et autodestructrices du Body-art ou des activistes viennois : « Ces artistes
transfigurent l'éthique artistique en modifiant la nature des supports esthétiques : ils proposent un retour à
l'immanence et envisagent la chair, le corps comme la matière par excellence » (Michel Onfray, cité par
Pierre-Albert Castanet, p. 357). Cet article est suivi de « Essai sur l'histoire de l'action » de Hermann
Nitsch.
A la question posée « L'opéra se meurt-il ? », quatrième thème abordé dans cet ouvrage, il faut bien
entendu répondre par la négative. Surtout lorsque l'oeuvre choisie pour illustrer ce propos n'est autre que
Die Soldaten de Bernd Alois Zimmermann, créée en 1965 à Cologne ; c'est en effet une des oeuvres
phares du XXe siècle, d'une rare complexité tant au niveau musical que scénographique ou conceptuel.
Laurence Helleu, Ursula Stürzbecher et Zimmermann nous livrent une courte analyse dramaturgique de
l'oeuvre, ou plutôt une présentation du drame et de sa structure, dévoilant au passage un aspect essentiel
de la pensée du compositeur, à savoir les concepts de simultanéité et de sphéricité du temps qui donnent
une plus grande intensité à l'action dramatique et permettent d'envisager l'oeuvre sous un aspect total,
dans lequel passé, présent et futur entretiennent une relation à sens multiple et non plus linéaire : « le
passé menace le futur, le futur menace le passé. Nul ne peut y échapper » (Ursula Stürzbecher, p. 414).
« Modifiant l'économie du spectacle, ses dialogues et son détachement esthétique, sinon métaphysique, le
théâtre musical recherche une expression hors du récit et d'une linéarité littéraire » (Laurent Feneyrou,
introduction, p. 26). Les articles contenus dans la partie « Théâtre musical et dramaturgie de l'ironie »
reviennent sur le processus dramaturgique ainsi que sur le mode de création de deux compositeurs :
Georges Aperghis qui s'est attaché à rendre indissociable le théâtre musical et sa mise en scène,
« pratiquement aucun compositeur n'a assumé l'acte théâtral comme [lui] ». C'est durant la phase
d'élaboration du spectacle que s'effectue la majeure partie du travail avec toute la recherche sur le
langage, la musique et leurs possibilités dramaturgiques intrinsèques, la musique régit l'ensemble du
drame, et au contraire de l'opéra, il n'y a plus de livret ou de récit linéaire. Avec Franco Donatoni, dont on
retrouve un commentaire de son oeuvre Alfred, Alfred, le théâtre musical s'oriente vers une rhétorique
scénique, dans une oeuvre pleine de mordant, de vitalité, et de contrastes à l'image de la musique baroque,
et dans laquelle on retrouve la figure de Falstaff. Des textes de Antoine Gindt, Evan Rothstein, Salvatore
Colazzo et des deux compositeurs expliquent les caractéristiques de ce genre nouveau, né en réaction à
l'opéra.
Comment aborder le XXe siècle musical sans parler de la figure de Faust, si importante dans les oeuvres