radiosensibilite individuelle : une notion ancienne et son avenir

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RADIOSENSIBILITE INDIVIDUELLE :
UNE NOTION ANCIENNE ET SON AVENIR
Conclusions du séminaire du 16 décembre 2013 organisé par l’ASN
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Avant-propos
Dans le cadre de sa mission d’information, l’ASN a organisé un séminaire afin de faire le point sur la
variabilité de la sensibilité individuelle aux rayonnements ionisants (RI), autant aux fortes doses avec
les effets secondaires et les complications de la radiothérapie, qu’aux faibles doses avec les risques
potentiels notamment de cancers secondaires aux explorations médicales utilisant les RI.
De nombreuses avancées ont été faites récemment, tant conceptuelles que techniques, dans la
compréhension des phénomènes radioinduits et la caractérisation des populations à risque. Les
possibles conséquences juridiques et éthiques seront abordées. Au-delà, une éventuelle évolution
des bonnes pratiques de justification et d’optimisation et à terme de la réglementation sera discutée.
L’ensemble des avancées fondamentales récemment acquises en matière de connaissance de la
réponse individuelle aux RI pourrait éclairer le lien entre l’exposition des individus à des agressions
toxiques diverses (chimiques ou physiques…) et les risques de cancers en particulier.
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4
S
O
M
M
A
I
R
E
Synthèse du séminaire ..................................................................................... 6
Ouverture du séminaire ................................................................................... 7
PREMIERE PARTIE
LES BASES BIOLOGIQUES DE LA RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE ....... 9
Radiosensibilité individuelle et réparation de l’ADN (histoire et signalisation) .. 11
Radiosensibilité : expression génique ................................................................... 13
Radiosensibilité : le polymorphisme ..................................................................... 15
Le projet INDIRA ................................................................................................. 17
La radiosensibilité individuelle dans le programme MELODI ........................... 19
DEUXIEME PARTIE
ASPECTS CLINIQUES DE LA RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE ............... 23
L’hyperactivité tissulaire en radiothérapie............................................................. 25
L’hyperactivité tissulaire en radiothérapie : l’expérience des cliniciens .............. 26
L’hyperactivité tissulaire en radiothérapie : les tests de radiosensibilité ............. 29
Capacité de la réparation de l’ADN et seconds cancers chez les enfants ............ 31
Scanners chez l’enfant et cancers radioinduits ? .................................................. 33
Le cas particulier des mammographies ................................................................ 38
TABLE RONDE
RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE : ÉVOLUTION DES PRATIQUES ? ...... 41
ÉVOLUTION DE LA RÉGLEMENTATION ?
Radiosensibilité individuelle : et alors ? ................................................................ 43
L’association des patients porteurs d’ataxia telangiectasia .................................. 47
Risque individuel – risque collectif : réflexions philosophiques .......................... 49
La médecine personnalisée ................................................................................... 51
Population à risque et médecine personnalisée : le cadre éthique et juridique de
l’épidémiologie ................................................................................................................... 53
It’s time to change.................................................................................................. 56
CLOTURE DU SEMINAIRE .................................................................................................................... 57
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Synthèse du séminaire
Dans le cadre de sa mission d’information, l’ASN a organisé un séminaire pour faire un point sur les
nombreuses avancées conceptuelles dans la caractérisation des phénomènes radioinduits et sur la
variabilité de la sensibilité individuelle aux rayonnements ionisants.
Les présentations et les échanges lors du séminaire permettent de retenir quelques points forts.
Dans le domaine fondamental, une clarification très appréciée a été formulée : la distinction
sémantique et mécanistique entre les réactions tissulaires précoces et tardives (déterministes) de
l’exposition aux radiations ionisantes observées après radiothérapie qui reste intitulée
« radiosensibilité » et le risque de cancers radio-induits désormais appelée «radioesthésie ». Les
projets de recherche en cours et le développement des collaborations internationales (cohérence des
études futures, standardisation des méthodologies, taille des cohortes) devraient permettre d’en
approfondir les mécanismes respectifs. La promotion des recherches cliniques et fondamentales
ciblées sur le double risque (radiosensibilité tissulaire et radioesthésie) induit par les radiations
ionisantes dans diverses sous-populations (enfants, syndromes génétiques…) apporteront des
éclarcissements complémentaires.
Il existe une variabilité significative (qualitative et quantitative) de la radiosensibilité et de la
radioesthésie. De très grandes avancées ont été faites dans la compréhension des mécanismes
associés, notamment en identifiant le rôle clé de la signalisation des cassures double-brin de l’ADN
et de leur réparation. Il conviendra d’en préciser l’importance.
Des avancées significatives dans la mise au point des tests de mise en évidence de ces deux types de
risque ont été actées : de la prédictivité des effets tissulaires précoces et tardifs d’une part, et de la
radioesthésie, d’autre part. Les participants ont affirmé le caractère prioritaire de la mise à
disposition des praticiens de tests prédictifs pertinents, robustes, validés et standardisés pour :
a. permettre aux radiothérapeutes d’adapter les indications et les doses de rayonnements à
la radiosensibilité tissulaire de leurs patients ;
b. évaluer le risque individuel de radio-esthésie pour une pratique médicale donnée dans
des populations ciblées.
Chez l’enfant, l’apport diagnostique et thérapeutique des radiations ionisantes a été mis en
perspective avec la radioesthésie très particulière à cet âge. Le rapport coût (risque de cancer) versus
bénéfice (utilité médicale) implique l’information des professionnels de santé en particulier les
médecins généralistes. Il apparaît primordial d’alerter les professionnels de santé, notamment les
médecins généralistes, sur la sensibilité particulière des enfants vis-à-vis des radiations ionisantes
notamment du risque radio-esthésique (ex. scanners répétés chez l’enfant).
Le débat avec les représentants des associations de patients, les décideurs institutionnels et des
juristes a permis de souligner les dimensions éthiques complexes de l’accès à l’information contenue
dans le génome, maintenant séquencé à haut débit, et la nécessaire transparence dans la
communication sur l’incertitude du risque. Le dialogue entre praticiens, patients et associations de
patients doit être encouragé afin que soient diffusées en toute transparence des informations
adaptées.
Le séminaire a conclu qu’il importait de rester attentif aux avancées des connaissances et vigilant
pour anticiper les décisions réglementaires qui pourront ou devront être prises.
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Ouverture du séminaire
Pierre-Franck Chevet
Président de l’Autorité de sûreté nucléaire
En introduction du séminaire, Pierre-Franck Chevet pose d’emblée la question à laquelle cette
réunion se propose d’apporter des éléments de réflexion : pourquoi s’intéresser à la
radiosensibilité individuelle ?
Les rayonnements ionisants sont de plus en plus utilisés en médecine (radiothérapie et imagerie
médicale). Leur apport est indiscutable. Néanmoins, il est constaté que, d’une part, les effets
secondaires et les complications de la radiothérapie pourraient toucher 5 à 15 % des patients traités et
que, d’autre part, les risques de cancers induits par l’exposition médicale aux rayonnements ionisants
(RI), sont régulièrement mis en exergue par des calculs de risque et des études épidémiologiques
(comme en témoigne une publication récente sur les scanners chez l’enfant).
Ce sujet n’est pas nouveau, l’ASN dans son rapport annuel de 2003 avait déjà soulevé la question de
la radiosensibilité individuelle Par ailleurs, la France dispose de très bonnes équipes de
radiobiologistes (INSERM, CNRS, Institut Curie, CEA…) et a récemment choisi d’investir sur ce
sujet via l’appel à projet post Fukushima Investissements d’Avenir notamment avec l’étude INDIRA
qui vise à la détermination de la radiosensibilité individuelle des sauveteurs médicaux en cas d’urgence
nucléaire.
Pierre-Franck Chevet rappelle que la radiosensibilité individuelle est aussi un sujet d’intérêt
international examiné par différentes institutions :
- la commission européenne : Radiation protection n°171 , Luxembourg, actes du séminaire
(novembre 2012) ;
- l’Organisation mondiale de la santé et l’Agence internationale de l’énergie atomique : Bonn
call for actions (Décembre 2012) ;
- le Public Health England (groupe AGIR) : rapport datant de Mars 2013 ;
- la CIPR : groupe de travail des comités 1 et 3 en cours de constitution ;
et également abordé au sein du programme européen MELODI : European Low Dose initiative
(octobre 2013)
Enfin, la radiosensibilité individuelle est une question fondamentale de la radioprotection puisqu’une
partie importante de la population est potentiellement concernée.
Il convient donc de progresser, et c’est l’objectif de cette réunion :
- sur la compréhension des deux phénomènes, déterministe aux fortes doses et stochastique
aux faibles doses d’induction de cancers par les RI ;
- de positionner la sensibilité individuelle aux rayonnements ionisants comme signe de
susceptibilité au cancer ;
- d’avancer sur la disponibilité de tests de routine adéquats.
Il sera alors possible :
- d’étudier les populations à risque sur une large échelle ;
- de les protéger en faisant évoluer les pratiques médicales vis-à-vis des RI et par le biais d’une
éventuelle évolution de la règlementation.
7
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PREMIÈRE PARTIE
LES BASES BIOLOGIQUES DE LA
RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE
9
10
Radiosensibilité individuelle et réparation de l’ADN
Histoire et signalisation
Nicolas Foray
UMR1052 Inserm – Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon
Les premières observations
Le facteur individuel fut évoqué dès l’antiquité sous le terme d’idiosyncrasie et a été mis en évidence
dans de nombreuses disciplines médicales et repris au XIXème siècle par Claude Bernard. L’idée que
chacun réponde différemment face aux radiations, comme face à tout stress, est intuitive et bien
acceptée par le grand public. Toutefois, la mise en évidence de la radiosensibilité individuelle à travers
une démarche scientifique rigoureuse a pris près d’un siècle et a été semée de controverses. Lors du
Congrès de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences (AFAS) organisé à Lyon en 1906,
en présence d’électrophysiologistes comme Jean Bergonié, la motion suivante fut adoptée : « la Section
d’Electricité Médicale du Congrès tenu à Lyon admet après discussion qu’avec des doses égales évaluées avec les
indicateurs actuels, certains individus dans des conditions spéciales peuvent présenter des réactions quelque peu
différentes.». Dans la même période, le terme “radiosensibilité” fut utilisé pour décrire les réactions
tissulaires radioinduites (brûlures, dermites, nécroses, etc…) qui reflètent les phénomènes de morts
cellulaires. En parallèle, des observations de plus en plus nombreuses montrèrent que les radiations
ionisantes sont également cancérogènes. Cette nouvelle propriété fut notamment illustrée par
l’épisode tragique des radium girls. Dans les années 30, à travers le terme radiosensibilité, une certaine
confusion commença à s’établir entre la prédisposition aux réactions tissulaires radioinduites et la
prédisposition au cancer radioinduit. Ces deux notions étant très différentes du point de vue clinique
et génétique, nous avons proposé de conserver la définition historique (prédisposition aux réactions
tissulaires radioinduites) de la radiosensibilité et créer le terme « radioesthésie » pour désigner la
prédisposition aux cancers radioinduits. Ce terme a été validé par le Service du Dictionnaire de
l’Académie Française.
Définition cellulaire de la radiosensibilité individuelle
Au fur et à mesure des développements technologiques, il parut évident dès les années 30 que les
réactions tissulaires radioinduites étaient le résultat de différents types de morts cellulaires causées par
les radiations. La perte du pouvoir clonogénique (et non la disparition physique ou l’arrêt du
métabolisme) apparut comme le point commun de tous les types de morts cellulaires. C’est en 1957
que Puck et Markus proposèrent d’utiliser les tests clonogéniques (ou méthode des colonies) pour
quantifier la radiosensibilité : en ensemençant un nombre connu de cellules, la mesure du nombre de
colonies issues des cellules non-stérilisées par l’irradiation devint la méthode de référence pour
connaître la fraction survivante des cellules. On s’intéressa alors à la fraction survivante après 2 Gy
(SF2 pour surviving fraction at 2 Gy). En 1981, après avoir analysé des centaines de courbes de survie de
cellules humaines, Fertil et Malaise aboutirent à 3 conclusions [4]:
-
il existe une corrélation entre la radiosensibilité clinique et la radiosensibilité des cellules issues
des biopsies mesurée in vitro par la méthode des colonies ;
chaque lignée cellulaire peut être caractérisée par sa propre SF2 : Fertil et Malaise la
nommèrent radiosensibilité intrinsèque ;
toutes les valeurs sont possibles entre l’hyper-radiosensibilité et l’hyper-radiorésistance : la
radiosensibilité n’est pas un phénomène de tout-ou-rien.
Dans les années 70, les enfants souffrant de l’ataxie telangiectasique (AT), associée aux lymphomes, à
des troubles de l’équilibre et à une forte immunodéficience succombèrent à leur traitement
11
radiothérapique. Une équipe anglaise montra à partir des courbes de survie de fibroblastes issus de
patients AT que l’ataxie telangiectasique est le syndrome associé à la plus forte radiosensibilité chez
l’homme avec une SF2 d’environ 1% (on considère que la radiorésistance commence au-delà de 50%).
Fertil et Deschavanne publièrent en 1996 une première liste de ces maladies génétiques radiosensibles
en fonction de la SF2 des fibroblastes de peau. De très nombreux cas de radiosensibilité intermédiaire
furent mis en évidence (SF2 entre 1 et 50 %). Toutefois, nécessitant un savoir-faire pour la culture de
tissus et plus d’une semaine pour que les colonies apparaissent, la méthode des colonies est lourde :
de nombreuses équipes de recherche se consacrèrent alors au développement de nouveaux tests à la
fois pour déterminer les bases moléculaires de la radiosensibilité mais aussi dans l’espoir d’obtenir des
résultats plus rapidement.
La course aux bases moléculaires de la radiosensibilité
De nombreux tests prédictifs furent proposés pour remplacer la survie clonogénique : peu se
révélèrent corrélés à la survie clonogénique et certains restent encore faussement associés à la
radiosensibilité. La très grande majorité des syndromes génétiques associés à une radiosensibilité sont
causés par la mutation de gènes impliqués dans la signalisation ou la réparation des cassures doublebrin de l’ADN (CDB). Les techniques de mesure des CDB furent donc systématiquement utilisées.
Toutefois, il y eut une grande confusion dans le choix entre les techniques spécifiques aux CDB et
celles moins spécifiques qui reflétaient plutôt d’autres types de dommages. De plus, de nombreux
auteurs se focalisèrent sur la mesure du nombre de CDB produites alors que seul le nombre de CDB
non réparées semblait plus prédictif de la radiosensibilité. En 2008, en utilisant une dizaine de
techniques différentes et en rassemblant 40 lignées fibroblastiques issues de 8 syndromes génétiques
différents, nous avons montré qu’il existait une corrélation entre la SF2 et le taux de CDB nonréparées 24 h après 2 Gy. Une classification de la radiosensibilité humaine en 3 groupes fut alors
proposée.
Toutefois, de nombreux syndromes génétiques sont classés radiosensibles alors que les protéines
mutées qui les causent restent dans le cytoplasme : les modèles de la radiosensibilité basés
uniquement sur les défauts de réparation des CDB ne peuvent donc expliquer toute la radiosensibilité
humaine. En 2013, nous avons mis en évidence que la protéine ATM, dont les mutations causent
l’AT, passe du cytoplasme au noyau après irradiation. La rapidité de cette nucléarisation ainsi que la
fonctionnalité de la protéine ATM dans le noyau pourrait prédire tous les cas connus de
radiosensibilité. Sur cette base, de nouveaux tests prédictifs de la radiosensibilité sont appliqués et un
réseau de 60 praticiens et plus de 20 centres anti-cancer ou centre hospitaliers participent à cette
analyse. De façon intéressante et sur cette même base, la qualité de la signalisation et de la réparation
des CDB peut être quantifiée, ce qui permet aujourd’hui de dresser des conditions moléculaires
précises pour la radiosensibilité comme pour la radioesthésie. Enfin, certains phénomènes qui
restaient jusqu’à présent inexpliqués (comme l’hypersensibilité aux faibles doses) trouvent une
explication plus cohérente en considérant la nucléarisation d’ATM après irradiation. Un tel modèle
permet donc aujourd’hui de mieux évaluer le risque et d’identifier les patients radiosensibles et les
patients radioesthésiques sur des bases objectives.
Pour aller plus loin :
Foray N, Colin C, Bourguignon M.[Radiosensitivity: evidence of an individual factor]. Med. Sci. (Paris). 2013 Apr;
29(4):397-403.
Ferlazzo ML, Sonzogni L, Granzotto A, Bodgi L, Lartin O, Devic C, Vogin G, Pereira S, Foray N. Mutations of the
Huntington's Disease Protein Impact on the ATM-Dependent Signaling and Repair Pathways of the Radiation-Induced
DNA Double-Strand Breaks: Corrective Effect of Statins and Bisphosphonates. Mol Neurobiol. 2014, in press
Bodgi L, Granzotto A, Devic C, Vogin G, Lesne A, Bottollier-Depois JF, Victor JM, Maalouf M, Fares G, Foray N. A
single formula to describe radiation-induced protein relocalization: towards a mathematical definition of individual
radiosensitivity. J Theor Biol. 2013 Sep 21; 333 : 135-45.
12
Radiosensibilité : expression génique
Christophe Badie
Cancer genetics and cytogenetics group, Biological effects department;
Centre for radiation chemical and environmental hazards; Health Protection Agency, Didcot, Oxfordshire, UK
Un point d’histoire
L’induction de la transcription de gènes spécifiques en réponse aux dégâts de l’ADN a été décrite il y
a plus de 30 ans, d’abord chez la bactérie (1980) puis chez les levures (1985) et enfin chez les
mammifères (1988). La première publication de la modulation de l’expression génique chez les
mammifères en liaison avec les radiations ionisantes (RI) date de 1990, ainsi que la description de la
variation de l’expression génique en fonction de la radiosensibilité. Ces premiers résultats ont été
obtenus grâce à une souche de souris présentant une mutation spontanée dont le phénotype
ressemblait à celui de l’ataxia telangiectasia (AT) associée à un déficit de réparation des lésions de
l’ADN.
La réponse transcriptionnelle
En réponse à une exposition aux radiations et aux dommages induits, de nombreuses voies de
signalisation sont activées dans les cellules. Cette réponse extrêmement complexe dépend de la dose,
du débit de dose, du type de radiation (TEL), du temps entre l’exposition et l’analyse, du tissu mais
aussi de l’individu, faisant de l’analyse de l’expression génique une tâche compliquée mais
potentiellement très riche en informations.
L’expression génique d’échantillons sanguins (de souris ou humains) et de cultures de lymphocytes T
(sans transformation virale) a été évaluée sur environ 14 gènes impliqués dans la voie de signalisation
ATM ; ces études ont été menées in vitro, ex vivo et in vivo sur des échantillons de patients traités
par radiothérapie externe ou interne (médecine nucléaire) par RT-PCR.
Les éléments de la variabilité individuelle
La méthode utilisée est sensible et reproductible et peut être utilisée pour l’évaluation de l’exposition à
des fins de dosimétrie biologique. Il a été ainsi confirmé des différences interindividuelles même aux
faibles doses.
Chez les patients AT ou NBS (syndrome de Nimègue), l’étude de l’expression génique à 1h, 2h et 4h,
a montré que la réponse à l’irradiation des fibroblastes est beaucoup plus faible que pour des
donneurs normaux. Ce test permet donc de les reconnaître, en utilisant par exemple le gène check
point p21 (cp21), qui est directement impliqué dans la voie ATM.
Les résultats obtenus avec p21 ont été utilisés dans une étude prédictive très limitée chez des
patientes porteuses de cancer du sein avec réactivité aigue sous radiothérapie. Les patients AT par
exemple sont très facilement repérables. De même l’expression de p21 est beaucoup plus faible chez
les patients hyper réactifs ce qui permet de prédire la réactivité avec une sensibilité de 90 %. Des
études ultérieures sur des cohortes plus importantes sont cependant nécessaires.
Les défauts de signalisations modérés peuvent donc être repérés après irradiation, et les défauts de
réparation sévères (telle aussi l’anomalie du gène de la ligase IV) sont visibles même sans irradiation,
très rapidement.
13
Concernant les complications tardives, une étude portant sur l’expression de H2AX dans des cultures
cellulaires de lymphocytes irradiés avait pour objectif de tenter de différentier les patientes à risque de
développer des complications tardives. Avec une sensibilité de 20 %, ce test est cliniquement
insuffisant.
Peut-on quantifier le poids des facteurs génétiques dans la réponse transcriptionnelle ?
Le rôle de ces facteurs a été testé sur des jumeaux monozygotes et hétérozygotes (étude non publiée).
La réponse transcriptionnelle est en majorité, jusqu’à 82 %, due au facteur génétique, et peut être mise
en évidence pour certains gènes sans irradiation, pour d’autres après irradiation des échantillons.
L’étude des modifications épigénétiques (de la chromatine) a montré que, chez des jumeaux
monozygotes âgés de 3 ans, les marqueurs d’hyper ou d’hypo méthylation sont extrêmement proches.
En revanche, chez des jumeaux âgés de 50 ans, les différences sont beaucoup plus importantes. Le
style de vie et les facteurs environnementaux influencent donc l’expression génique et il est probable
que des individus très proches dans leur réponse transcriptionnelle lors de la petite enfance ne le
seront plus dans la suite de leur existence.
La réponse génique globale de populations de souris transgéniques présentant un nombre croissant
de copies de la p53, qui est corrélé au risque de développer un cancer, a été évaluée. La réponse de
l’expression génique en reponse aux RI est linéaire et directement proportionnelle au nombre de
copies du gene p53 et il est donc envisageable de pouvoir évaluer par cette méthode l’activite de la
voie de signalisation ATM/CHK2/P53 t la susceptibilie individuelle a developper un cancer.
Le futur ?
Beaucoup reste à découvrir mais en étudiant :
- l’expression des microARN, qui ne sont pas transcrits et pour lesquels les publications ont
récemment explosées. Ces microARN peuvent être extraits de la salive, de l’urine ou du
sérum, ce qui permettra des études rapides et non invasives ;
- l’expression des d’ARN plus longs également non codants mais dont le rôle est
probablement très important dans la réponse de l’ADN.
Enfin, de nouvelles techniques, notamment la PCR digitalisée, permettant un e etude encore plus
sensible, permettront de grands progrès.
Pour en savoir plus
-
Badie C et al. Repression of CDK1 and other genes with CDE and CHR promoter elements during
DNA damage-induced G(2)/M arrest in human cells. Mol Cell Biol. 2000 - 20(7):2358-66.
Kabacik S et al. Gene expression following ionising radiation: identification of biomarkers for dose
estimation and prediction of individual response. Int J Radiat Biol. 2011 - 87(2):115-29.
Manning G et al. High and low dose responses of transcriptional biomarkers in ex vivo X-irradiated
human blood. Int J Radiat Biol. 2013 - 89(7):512-22.
Badie C et al. Laboratory intercomparison of gene expression assays. Radiat Res. 2013 - 180(2):13848.
Badie C. et al. Aberrant CDKN1A transcriptional response associates with abnormal sensitivity to
radiation treatment. Br J Cancer. 2008 - 98(11):1845-51.
Finnon P. et al. Correlation of in vitro lymphocyte radiosensitivity and gene expression with late
normal tissue reactions following curative radiotherapy for breast cancer. Radiother Oncol. 2012 105(3):329-36.
Kabacik S. et al. A minimally invasive assay for individual assessment of the ATM/CHEK2/p53
pathway activity. Cell Cycle. 2011 - 10(7):1152-61.
14
Radiosensibilité : le polymorphisme
Sylvie Chevillard
Laboratoire de cancérologie expérimentale – CEA FAR
Lorsque la variabilité de la radiosensibilité est étudiée, qu’elle soit d’origine génétique ou épigénétique,
il est essentiel de définir une question dans un contexte. Parle-t-on de la radiosensibilité en terme de
risque et si oui lequel : le risque de cancer, de fibrose, le risque de développer une pathologie
cardiovasculaire... ?
Parle-t-on de la sensibilité à la radiothérapie, et si oui sommes-nous intéressés par la réponse des
cellules tumorales ou s’agit-il de comprendre la réaction des tissus sains qui se situent dans le champ
d’irradiation ? Sommes-nous intéressés par des marqueurs de réponse précoce, de réponse tardive,
sur quelles cellules, à quelles doses et quel débit de dose ? Les mécanismes impliqués dans les
réponses précoces ont-ils un lien avec les risques à long terme… ?
La radiosensibilité individuelle doit être reliée à un risque mais … comment ? (quels tests, quels
supports, quelles doses, quels débits de dose, à quel temps l’observer …) et comment faire aux faibles
doses puisqu’on ne sait pas objectiver leur risque.
In vitro, les réponses cellulaires sont observées en utilisant des tests qui permettent de « voir » des
différences de radiosensibilité, des différences interindividuelles etc. mais là aussi quels tests ?
Toutes ces problématiques sont résumées dans le tableau ci-dessous.
Les mécanismes?
Radiosensibilité
individuelle
individu
tissus
Effets
directs
Quels phénotypes?
cellules
Quels tests?
Effets
indirects
Quelles cellules?
Quelles doses?
génétique
Quels débits de dose?
Quels temps?
précoce
Avant
irradiation
tardif
épigénétique
Induction
Sélection
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Les travaux sur les cellules : fibroblastes ? Lymphocytes ? Les lymphocytes T (CD4+/CD8+)
semblent actuellement le meilleur support pour l’étude des effets secondaires de la radiothérapie.
Quels tests ? Les études comparatives récentes montrent surtout qu’il manque une standardisation
de ceux-ci puisque la reproductibilité des résultats est variable :
-
à l’intérieur des laboratoires et selon le laboratoire concerné ;
entre les laboratoires ;
De plus, les tests qui mesurent une radiosensibilité précoce tels que la réparation des cassures de
l’ADN ou la sensibilité à l’apoptose sont-ils prédictifs des risques à long terme notamment du risque
cancer ?
En ce qui concerne les études génétiques (et épigénétiques avec les histones), on peut
conclure que si la radiosensibilité est héritable (maladies génétiques des jumeaux), on note :
-
des mutations rares (AT…) avec un effet « fort » chez les homozygotes ;
des polymorphismes SNP (Single Nucleotide Polymorphism) rares à effets intermédiaires ;
des SNP communs avec des effets faibles (il y a 11 millions de SNP dans le génome humain
soit 1 tous les 1 000 nucléotides !) ;
voire d’autres types de variations.
La mise en évidence de ces phénomènes nécessiterait des cohortes de plus de 1 000 personnes, des
validations solides et indépendantes ainsi que la recherche des facteurs confondants …
D’autres approches sont la recherche de « gènes candidats » et l’étude GWAS.
En conclusion, pourquoi ne pas envisager des laboratoires « règlementaires », sur le modèle mis en
œuvre pour la toxicité chimique, en vue de l’édiction de « guide-lines » et des tests standards ?
16
Le projet INDIRA
(Rapid assays to evaluate the INDividual RAdiosensitivity)
Michèle Martin
Laboratoire de Génomique et Radiobiologie de la Kératinopoïèse, CEA, Evry
Introduction
La sensibilité aux radiations ionisantes, tant en termes de toxicité tissulaire que de risque de cancer,
dépend fortement du statut individuel, et notamment de l’âge, du genre, du statut génétique et
épigénétique. Ainsi la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a estimé que le
pourcentage d’individus radiosensibles dans la population générale se situerait entre 5 et 15%. De plus,
la radiosensibilité individuelle pourrait varier d’un facteur 1 à 5, ce qui est au moins du même ordre
que certains facteurs de pondération utilisés pour le calcul de la dose en Sievert pour tenir compte de
la nature de l’irradiation et du tissu irradié. Par ailleurs, la demande du grand public et des
professionnels de santé pour une évaluation plus précise et personnalisée des risques liés aux
radiations devient plus pressante. Pourtant, la prise en compte de la radiosensibilité individuelle dans
le système de radioprotection reste encore limitée. Citons parmi les raisons de cette limitation le fait
que les mécanismes biologiques sous-jacents sont encore mal connus, que les outils d’évaluation du
risque individuel sont insuffisants, que les conséquences en termes de santé publique et d’organisation
du travail pourraient être importantes et enfin que les dimensions éthiques de l’accès à l’information
sont complexes. Dans ce contexte, la mise au point de tests prédictifs robustes, rapides, validés et
standardisés pour évaluer la radiosensibilité individuelle constituerait une étape-clé en radioprotection
et en sûreté nucléaire.
L’objectif du projet INDIRA
L’objectif du projet INDIRA est de développer de nouveaux tests rapides de radiosensibilité,
principalement en termes de risque de cancer, applicables à de grandes séries, notamment pour
discriminer les sous-populations les plus à risque à des doses de radiation observables en cas
d’accident nucléaire. Ces tests seront évalués sur une cohorte représentative de la population générale
mise en place pour ce projet.
Les fonctions biologiques ciblées sont la signalisation et la réparation des cassures double-brin de
l’ADN, puisque la quasi-totalité des maladies génétiques humaines associées à une radio-sensibilité
sont associées à des déficiences dans ces processus biologiques.
Le consortium comprend Nicolas Foray (INSERM Lyon, URM1052), Michèle Martin
(CEA/INSERM, DSV/UMR967 Evry), Nicolas Ugolin (CEA DSV Fontenay-aux-Roses) et Caroline
Telion (AP-HP SAMU Paris).
La cohorte sera constituée de 500 hommes volontaires sains du SAMU, personnel qui pourrait être
amené à intervenir dans des conditions d’urgence lors d’accidents nucléaires. Le Dr Caroline Telion,
du SAMU de Paris est responsable de l’inclusion des volontaires, de son cadre légal et éthique et du
questionnaire administratif et médical.
Les tissus seront d’une part des prélèvements des prélèvements de peau, afin de mettre en place des
banques pérennes de fibroblastes et de kératinocytes pour chaque donneur, et d’autre part des
prélèvements de sang et de follicules pileux afin de développer un test sur cellules primaires
(lymphocytes et kératinocytes).
17
La gamme de dose de radiations (de 1 à 2000 mGy) comprendra des doses faibles concernant les
travailleurs de l’industrie nucléaire, les populations en cas d’accident nucléaire mais aussi les doses de
référence en radiobiologie.
L’objectif est de :
- mettre en place une banque de cellules sur une cohorte représentative de la population générale
- mettre au point des tests rapides capables d’estimer la radiosensibilité individuelle et son impact
réel, fondés sur une mesure de la fonctionnalité d’acteurs majeurs de la réparation de l’ADN.
- valider les tests sur la banque de cellules et sur des cellules primaires.
Les études porteront sur :
- ATM, une protéine clé de la signalisation des dommages :
- avec l’analyse des foci pour l’étude de la translocation d’une protéine vers le noyau. Ce
paramètre sensible est discriminant puisque 90 % des patients classés par l’équipe de N
Foray dans le groupe II de radiosensibilité présentent une séquestration d’ATM dans le
cytoplasme.
- Par l’étude de l’activité kinase nucléaire d’ATM, qui est reliée aux groupes cliniques de
radiosensibilité.
-
MRE 11, du complexe nibrine, protéine de l’initiation de la signalisation de la réparation des CDB
et qui recrute ATM, étudiée par le test des foci ;
- l’histone H2AX, dont la phosphorylation est un signal majeur de recrutement des protéines de
signalisation et de réparation des dommages. Ces tests très reproductibles et sensibles sont
actuellement les plus utilisés dans les laboratoires ;
- 53BP1, protéine de signalisation des CDB de l’ADN transloquée vers le noyau où elle forme de
larges foci près de la lésion et qui interagit avec H2AXγ. Son recrutement est de plus indépendant
d’ATM (test complémentaire du test H2AXγ).
L’analyse des foci sera faite sur fibroblastes et sur kératinocytes à des temps post-irradiation de 10 mn
à 24 heures, avec un microscope d’analyse de masse de type ScanR. Cet appareil permet une
automatisation des procédures et ainsi l’analyse de plusieurs centaines à plusieurs milliers de noyaux
cellulaires par donneur.
Les résultats
Les mesures permettront de définir des sous-populations de donneurs, et notamment dans les
extrêmes des sujets hyper ou hypo-radiosensibles. Pour ces extrêmes, une étude génétique permettra
de relier le phénotype à d’éventuelles mutations géniques. Dans la population majoritaire, le gradient
de radiosensibilité sera précisé par les divers tests développés, et mis en référence avec les tests
classiques de radiosensibilité et d’instabilité génomique et épigénétique. La sensibilité de chaque test
sera ainsi appréciée et validée.
Les mesures obtenues par les différentes méthodes ne seront pas initialement comparables car elles
sont de natures différentes. En conséquence, des méthodes de normalisation seront utilisées, pour
minimiser et/ou éliminer les variations des signaux dues à une modulation globale de la cible qui ne
serait pas liée à l’irradiation. Différents référentiels internes communs seront définis et utilisés. Les
mesures obtenues seront comparées par différentes méthodes de corrélation linéaire et non linéaire,
notamment par la méthode EM2PCA.
Les livrables majeurs sont :
- l’établissement de banques de cellules de donneurs sains
- l’identification de facteurs individuels de radiosensibilité
- la définition de tests prédictifs/modèles cellulaires rapides et fiables et les plus adaptés pour
une situation d’urgence et de masse.
Ce projet sera conduit de façon à permettre, à terme, un transfert vers un industriel du diagnostic.
18
La radiosensibilité individuelle dans le programme
MELODI
Présentation des projets menés dans le cadre du réseau d’excellence européen DoReMi
Isabelle Dublineau
Laboratoire de radiotoxicologie expérimentale - IRSN
Le réseau d’excellence européen DoReMi sur les faibles doses des rayonnements ionisants a été mis
en place en janvier 2010 pour une durée de 6 ans conformément aux recommandations émises dans
le rapport rendu en janvier 2009 par un groupe d’experts mandatés par la Commission Européeen
(www.hleg.de). Dans son rapport, le HLEG avait identifié cinq axes prioritaires de recherche : forme
des relations dose-réponse pour le cancer, variabilité individuelle, qualité des rayonnements,
exposition interne et externe, effets non cancéreux), axes de recherche sur lesquels se sont structurés
les workpackages (WP) DoReMi. Ainsi, le WP6 de DoReMi s’intéresse à la problématique de la
radiosensibilité individuelle pour des populations exposées à faibles doses et faibles débits de dose de
rayonnements ionisants. Le WP6, piloté par l’institut Helmoltz (Allemagne), comprend 11 soustâches en parallèle, plus ou moins conjointes ou complémentaires.
Le premier objectif de DoReMi étant de créer un réseau européen, une partie des tâches concerne la
mise en place de workshops interdisciplinaires, notamment entre Epidémiologistes et Biologistes1,
permettant de partager les plates-formes expérimentales communes, de mettre en commun les
connaissances scientifiques et d’émettre des recommandations pour définir les orientations futures de
l’agenda stratégique de recherche de MELODI (Multidisciplinary European LOw Dose Initiative).
Les principales conclusions tirées des réflexions menées sur l’épidémiologie moléculaire a d’ailleurs
donné lieu à la publication d’une revue2.
Parallèlement à ces échanges scientifiques, des études expérimentales et épidémiologiques sont en
cours.
La thématique la plus étudiée dans le WP6 concerne la problématique de la susceptibilité au
cancer de la thyroïde induit par l’incorporation d’iodes radioactifs.
Des études expérimentales in vivo ont été mises en place sur des souris sensibles (souris FVB
sensibles aux faibles doses) ou résistantes (souris JF1 résistantes au cancer de la thyroïde induit par
l’iode 131) à ce type de cancer. Des croisements entre ces souches de souris ont été effectués afin
d’évaluer l’incidence du cancer thyroïdien et de le corréler avec le génotype de ces souris. Ces
animaux sont suivis pendant 18 mois (en cours), et les résultats ne seront disponibles que dans
plusieurs mois.
Parallèlement à ces études in vivo, des études in vitro ont été mises en œuvre sur des lignées cellulaires
de carcinomes thyroïdiens et des cultures primaires de goitre afin de déterminer le rôle de la
déficience en iode sur la susceptibilité au cancer de la thyroïde. Les premiers résultats indiquent que la
1
Think-Thank, novembre 2010, Barcelone ; DoReMi Stem Cell and DNA Damage Workshop, décembre 2011,
Steventon; Modelling workshop, juillet 2011, Bruxelles ; Contribution of epigenetic mechanisms that influence
susceptibility to radiation-induced cancer, avril 2013, Stockholm
2
Pernot et al., Ionizing radiation biomarkers for potential use in epidemiological studies, Mutation Research,
2012
19
déficience en iode induit un phénotype angiogénique important dans la progression tumorale de ce
type cellulaire.
Ces études expérimentales sont complétées par une étude épidémiologique sur les cancers de la
thyroïde observés en Biélorussie après l’accident de Tchernobyl 1 . Cette étude, mise en place
récemment, a pour objectif d’évaluer la surexpression de CLIP2, protéine associée aux microtubules,
comme biomarqueur potentiel du cancer thyroïdien radioinduit et d’établir les relations par rapport à
l’âge, à la dose reçue, à la déficience en iode. Actuellement, 163 échantillons ont été recueillis et les
analyses vont prochainement débuter.
Il est à souligner que la radiosensibilité individuelle est inscrite dans le « Strategic Research Agenda »
de MELODI comme étant une des 3 priorités de cette plateforme européenne pour les 10 ans à
venir.
1
Etude INT-Thyr, Pernot et al., INT-Thyr: Integrating radiation biomarkers into the epidemiology of post-Chernobyl
thyroid cancer in Belarus, Environment and Health, Basel, août 2013
20
Échanges avec les participants
A la suite de cette première session des précisions ont été apportées sur les différentes thématiques en
réponse aux questions des participants.
Le projet INDIRA
-
Concernant l’irradiation des échantillons, il est précisé que ce sont des générateurs X qui
seront utilisés.
Comment relier ensuite les sous-groupes objectivés à une radiosensibilité clinique ? Le test
classique de référence de clonogénicité sera pratiqué, mais ce sont des prélèvements
anonymes qui ne permettent pas de suivi des risques tardifs.
Qu’est-ce qu’une population « saine » ? Ce sera au moins une population jeune, bien ciblée,
représentative. Elle permettra également de rechercher à la fois les anomalies de base et les
anomalies induites par l’irradiation, dont on sait qu’elles ne sont pas corrélées.
Le rôle de l’âge et effet de différents facteurs d’exposition
Les données présentées par Christophe Badie sur les jumeaux monozygotes suggèrent-ils que le
résultat d’un test de radiosensibilité individuelle pourrait être très dépendant de l’âge ?
En effet, l’âge mais également les co-carcinogènes, les facteurs environnementaux … modifient la
réponse aux tests ; la courbe d'évolutivité de la radiosensibilité au cours du temps permet de plus de
comparer les individus entre eux et a également une grande importance en matière d’évaluation de
risque. Il faudrait donc évaluer la radiosensibilité « à chaque instant de la vie ».
De plus, l’âge est en fait le reflet d’un ensemble de facteurs d’exposition : le temps et les agressions
auxquelles un individu a été soumis. Un simple ajustement des résultats sur l’âge n’est pas suffisant.
Un questionnaire détaillé est indispensable portant sur les contacts avec les carcinogènes connus
rencontrés (RI et autres). En effet,
-
soit le test adopté est spécifique des radiations ;
soit il ne l’est pas et peut refléter par exemple l’épuisement progressif en certains facteurs.
Le rapport HPA met en exergue le rôle très important du tabac, est-il pris en compte dans l’étude
INDIRA ?
Seuls des non-fumeurs de sexe masculin seront inclus dans l’étude. La population du SAMU devrait
permettre de recruter suffisamment d’individus. La population témoin sera ajustée sur ce paramètre.
A noter que l’âge ne sera pas directement pris en compte (pas de cohortes spécifiques de ce
paramètre prévues).
La stabilité des résultats
Il a été mis en évidence que certaines protéines telle que H2AX ne sont pas stables et sont très
sensibles au stress oxydatif. Cette observation pourrait-elle mettre en question les résultats
actuellement rapportés ?
Il a été effectivement observé que la réponse précoce des cultures cellulaires pouvait être claire mais
que des modifications par exemple des méthylations de l’ADN pouvaient se produire en culture et
modifier au cours du temps les réponses à certaines doses.
21
Spécificité des gènes impliqués dans la radiosensibilité individuelle
Y a-t-il une implication de gènes différents dans les réponses aux fortes doses et aux faibles doses ?
Cette question reste posée même si la probabilité est grande. En effet, il semblerait que des gènes
associés aux réponses inflammatoires soient plutôt associés aux faibles doses. Un WP de DoReMi est
spécialement chargé d’étudier ce paramètre.
En conclusion de la matinée
Dietrich Averbeck, modérateur de la première partie du séminaire, donne sa vision du rôle du
facteur génétique dans la réponse cellulaire à une agression par les RI :
-
le premier niveau de réponse, le stress oxydatif a déjà une composante génétique avec
l’expression des enzymes qui luttent contre l’agression ;
-
le deuxième niveau, la réparation, qui a fait l’objet des exposés de la matinée puis la capacité
des cellules d’aller ou non vers l’apoptose ;
-
le troisième niveau est celui de la réponse immunitaire comme le montre l’hypersensibilité
aux RI des patients immunodéficients.
Enfin, il constate après les présentations de la matinée qu’il existe de bonnes pistes et de bons espoirs
pour déceler la radiosensibilité individuelle et la définir de façon plus précise en relation avec le risque
de cancer ou d’autres risques. Les projets en cours tant au niveau national que européen devraient
aboutir dans les années futures.
22
DEUXIÈME PARTIE
ASPECTS CLINIQUES
DE LA RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE
23
Introduction de la session
En introduction, le modérateur de la session, Jean-Pierre Gérard, rappelle que la question de la
radiosensibilité individuelle est de la plus haute importance pour le clinicien. Il est nécessaire de
distinguer deux aspects :
-
la toxicité tardive, qui est le facteur limitant de l’efficacité de la radiothérapie (une dose de 150
Gy éliminerait tous les cancers mais…). Elle a un langage commun en radiothérape clinique :
le fascicule CTCAE (Common Terminology Criteria for Adverse Events) où les différents
types de complications tardives sont décrits et gradués de 0 à 5 (décès), les grades 3 et 4 étant
les plus invalidants et en conséquence le facteur limitant ;
-
l’ « autre toxicité », devenue la « radioesthésie » ou, en résumé « oui, les rayons X peuvent
donner le cancer ! ».
Il insiste également sur le rapport coût/bénéfice en médecine (entre l’efficacité de la dose et les
risques de complications), sur la justification des traitements proposés aux patients, sur leur
information et l’optimisation des traitements. En médecine, il existe l’ «Evidence Based Medecine »
où les traitements sont basés sur des preuves solides souvent issues d’essais randomisés.
La question de l’existence de tests prédictifs de cancers radio induits ou de développements de
toxicité G3/G4 graves qui devront être passés au crible de l’ « Evidence Based Medecine » est posée.
Existe-t-il des tests robustes, valables, et validés qui permettent de prévoir les toxicités, de changer les
pratiques, éventuellement permettre leur remboursement par la sécurité sociale quand ils seront
prescrits voire induire une modification de la réglementation ?
Cette question est au cœur du débat de la deuxième session du séminaire.
24
L’hyperréactivité tissulaire en radiothérapie
Jean-Marc Cosset, David Azria
Introduction
Avec près de 174 000 patients traités en 2010 en France, la radiothérapie est devenue un traitement
incontournable de l’arsenal thérapeutique du cancer. Les données épidémiologiques montrent que
52% des personnes atteintes par un cancer subiront au moins une séance de radiothérapie au cours de
leur traitement. L’efficacité de la radiothérapie dépend en grande partie de la dose délivrée à la
tumeur : plus la dose sera importante, plus le contrôle tumoral est maximal et les chances de contrôle
de la maladie augmentées. Cependant, cette dose ne peut pas dépasser un seuil déterminé de tolérance
au risque d’entrainer d’importants effets secondaires. Depuis maintenant plus d’un siècle, les
différents travaux en radiobiologie ont montré que cette radiosensibilité des tissus sains était
individuelle et que chacun possédait son propre seuil de tolérance aux rayonnements ionisants.
En pratique, cette notion majeure de la radiobiologie a cependant été marginalisée. Afin d’améliorer
l’efficacité de la radiothérapie, l’accent a été mis sur les progrès technologiques considérables qui
permettent désormais de délivrer des irradiations de plus en plus ciblées, au plus près de la tumeur
tout en épargnant le tissu sain environnant. Les protocoles actuels sont quant à eux standardisés et les
doses sont calculées à partir de la population générale afin de réduire à un faible pourcentage le
nombre de complications secondaires. Si ces protocoles permettent donc de réduire au maximum les
effets secondaires tardifs de la radiothérapie, ils impliquent également qu’une majorité de patients
reçoivent une dose en deçà de leur seuil de tolérance. Avec l’avènement de la médecine personnalisée,
un des enjeux actuels de la radiobiologie clinique est donc d’arriver à prédire la radiosensibilité
individuelle de chaque patient afin de pouvoir délivrer un traitement ciblé grâce à des protocoles
d’irradiation « sur-mesure » qui amélioreraient ainsi l’efficacité de la radiothérapie et les chances de
guérison.
Une revue est présentée sur les grands syndromes d’hypersensibilité connus mais aussi sur des
phénomènes tardifs pluri-étiologiques qui permettent de croire à l’aboutissement d’un test prédictif
qui changerait radicalement la pratique courante de la radiothérapie.
25
L’hyperréactivité tissulaire en radiothérapie
L’expérience des cliniciens
Jean-Marc Cosset
Oncologue-radiothérapeute - Professeur à l'Institut Curie
Le problème principal du radiothérapeute est en fait… le malade, au moins aussi complexe que le
cancer !
Le radiothérapeute travaille souvent à la limite de la létalité et ce domaine de l’hyper réactivité
tissulaire est donc capital.
Sommes-nous tous égaux devant les rayonnements ionisants ? La réponse est clairement NON. Un
très faible pourcentage de sujets de la population générale (probablement 1 à 5 %) et un pourcentage
probablement plus important chez les patients cancéreux présentent une hypersensibilité aux
radiations ionisantes. On peut en pratique opposer l’hypersensibilité aux effets stochastiques
(essentiellement carcinogènes) et l’hypersensibilité aux effets déterministes quoique les deux
phénomènes peuvent coexister (un même défaut de la réparation de l’ADN peut être susceptible
d’augmenter à la fois le risque de cancer radioinduit et d’effets déterministes sévères).
Cet exposé ne concerne que les effets déterministes, précoces (au décours immédiat du début du
traitement) et tardifs, de présentation physiologique un peu différente, apparaissant soit au cours du
traitement, soit beaucoup plus tard, quand aucune modulation de l’irradiation n’est plus possible. Ils
ne concernent que quelques % de patients, actuellement pour la plupart initialement indiscernables,
qui présenteront une toxicité tissulaire très supérieure à la normale, à type, en particulier, d’épithélite
exsudative (précoce), de télangiectasies voire de nécroses tardives.
Certains syndromes d’hypersensibilité à la radiothérapie sont connus depuis longtemps :
-
l’Ataxia Télangiectasia (AT), syndrome décrit par Broder ne 1958 dont on sait maintenant
qu’il s’agit d’un syndrome génétique autosomique récessif lié à la mutation en 11q22-23 du
gène ATM. Les patients présentent à la fois un risque élevé de cancers et une hypersensibilité
aux RI.
La forme homozygote est très rare (1/300 000 ou 400 000 individus dans la population
générale) mais est associée à une augmentation considérable du nombre de cancers, surtout
des lymphomes (risque multiplié par 250 !) et des cancers du sein (risque multiplié par 50
voire 100). Elle est également associée à une sensibilité aux effets déterministes des RI 3 à 4
fois supérieure à celle de la population générale. Le corollaire est qu’une dose de radiothérapie
classique bien tolérée par un patient « normal » peut tuer un patient homozygote pour AT.
Ces patients présentent par ailleurs une pathologie lourde, normalement déjà connue pour un
patient donné. En conséquence, chez ces patients, pas d’irradiation ou avec des doses TRÈS
réduites…
Les formes hétérozygotes posent un problème plus complexe. Elles étaient souvent
considérées il y a 20 ans comme représentant l’ensemble de la population des formes
hypersensibles observées chez les patients cancéreux. Les travaux récents ne le confirment pas,
26
mais il est vraisemblables de les hétérozygoties sont complexes, certaines formes étant plus
proches que d’autres de la forme homozygote ;
-
la maladie de Fanconi, affection génétique récessive rare (1/20 000 dans la population
générale) associant une anémie à des troubles plus ou moins reconnaissables de la
morphogénèse. Son évolution habituelle se fait vers la myélodysplasie et la leucémie aigue, qui
est une indication théorique d’irradiation totale ou sub-totale avant greffe de moelle osseuse.
Il est vraisemblable que les premiers patients présentant cette affection ont succombé à ce
traitement. L’hypersensibilité aux RI n’est connue chez ces patients que depuis 1970 et leur
hypersensibilité aux RI est d’environ deux fois celle de la population générale. Elle a été
depuis longtemps rapprochée de l’extrême fragilité chromosomique de ces patients, soit
spontanée soit après Mitomycine C, liée à un trouble de la réparation de l’ADN (E.
Moustaki) ;
-
le rétinoblastome héréditaire est un exemple spectaculaire, avec un risque beaucoup plus
élevé de second cancer chez les patients irradiés. En moyenne (Kleinerman 1999), l’irradiation
augmente de plus de 60 % le risque de second cancer chez les patients présentant une
prédisposition génétique au cancer ;
-
BRCA 1 et 2, impliqués dans le processus de réparation de l’ADN (cancer du sein). Les
données de la littérature sont ici assez contradictoires. En ce qui concerne leur radiosensibilité
tissulaire, certaines patientes mutées BRCA 1 et 2 ne présentent pas d’hypersensibilité clinique
et des patientes avec hyper sensibilité clinique ne présentent pas cette mutation. De même
pour la radiosensibilité des tumeurs mutées pour BRCA 1 et 2, certains leur accordent un
meilleur pronostic par augmentation de la radiosensibilité, d’autres un moins bon pronostic en
raison de leur agressivité accrue ;
-
la sclérodermie, maladie du collagène caractérisée par le développement d’une fibrose assez
similaire à la fibrose radioinduite tardive. Après radiothérapie, il est rapporté une incidence
accrue de complications, non seulement locales (en territoire irradié) mais aussi parfois
générales ;
-
les patients HIV : les premiers radiothérapeutes qui ont eu à irradier les premiers patients
HIV ont été confrontés à des toxicités notamment muqueuses tout à fait inhabituelles.
Plusieurs publications continuent à faire état de toxicités sévères dont les causes sont
vraisemblablement diverses : surinfections multiples ? déficit en gluthation ? hypersensibilité
des fibroblastes ?
-
d’autres syndromes rarissimes : syndrome de Nimègues (Nijmegen Breakage Syndrome),
ICF (Idiopathic Chromosome Fragility), syndrome de Cockayne, syndrome de Bloom,
Xeroderma pigmentosum (surtout en Afrique du Nord), maladie de Huntington …
-
mais aussi d’autre types de pathologies dont la maladie de Behcet, le diabète ou encore le
tabagisme…
En conclusion, « des tests par pitié ! »
Quelques pourcents des patients cancéreux vont présenter une hypersensibilité aux RI :
-
dont seulement une petite partie peut actuellement être identifiée à temps pour que des
mesures adaptées puissent être prises ;
27
-
la plus grande partie des patients, ne pouvant être reconnus avant l’irradiation, sont victimes
de complications sévères, d’où l’importance des tests prédictifs.
Les doses actuellement prescrites sont des doses « moyennes » tenant compte du risque statistique de
complications avec pour conséquences contradictoires :
-
chez les patients « hypersensibles », trop de complications même après un traitement
« correct », conduisant à des procès, dommageables même en l’absence de condamnation et
poussant les médecins qui ont eu à les subir à minimiser le risque … et donc à diminuer les
doses pour les autres patients ;
-
un pourcentage -à déterminer- de patients qui pourraient recevoir sans risque des doses plus
élevées, ne serait-ce que de 5 à 10 %, avec en conséquence des chances supérieures de
guérison.
28
L’hyperréactivité tissulaire en radiothérapie
Les tests de radiosensibilité
David Azria
CRLC Val d’Aurelle - Université Montpellier I
La problématique clinique
Beaucoup de patients, au cours de leur radiothérapie, ont un profil « dynamique » d’évènements
secondaires qui apparaissent, puis s’estompent au cours du temps. D’autres au contraire, au-delà des
effets acceptables du traitement, ne présentent aucun symptôme jusqu’à 16, 18 ou 24 mois, où
apparaissent des phénomènes de toxicité qui s’aggravent au cours du temps, entravant de façon
importante leur qualité de vie : ils n’avaient présenté aucun signe préalable d’alerte de l’apparition de
cette toxicité.
Evaluer la toxicité est un vrai défi
Beaucoup de paramètres entrent en jeu puisque les sites, les grades, les scores … sont multiples ainsi
que les autres facteurs (dose, volume, site, fractionnement, étalement, mais aussi âge, hémoglobine,
diabète, maladies vasculaires et thérapeutiques par chimiothérapie ou hormonothérapie
concomitantes). Mais pour une période d’évaluation homogène (au moins 3 ans, voire 5 ans), et tous
autres facteurs homogènes par ailleurs, il existe un faisceau d’arguments pour évoquer un héritage
génétique.
Les enjeux ?
Les enjeux sont multiples :
-
mécanistiques, pour comprendre les mécanismes mis en jeu
translationnelle des tissus sains du voisinage ;
et la radiobiologie
-
technologiques, pour envisager d’adapter les techniques de traitement aux patients : de la
biologie vers un traitement personnalisé (modulation d’intensité, proton, stéréotaxie…) ;
-
carcinologique, pour sélectionner à l’opposé les patients « normo-réactifs » pour leur
proposer une augmentation de dose ou une association radiochimothérapie visant à améliorer
les résultats du traitement ;
-
médico-économique, pour limiter les séquelles et améliorer « l’après cancer » (un des
objectifs du plan cancer 3).
Le test d’apoptose lymphocytaire
Ce test est pratiqué à partir d’un prélèvement sanguin, les cellules cultivées sont séparées en 2
populations, irradiées ou non à 8 Gy et analysées selon le test de l’apoptose :
-
les patients à taux bas d’apoptose radioinduite sont ceux qui présentent des toxicités tardives
graves ;
à l’opposé, aucun patient à taux d’apoptose élevé ne présente de toxicité tardive.
29
Ces données ont été validées sur 399 premiers patients de manière prospective puis par une étude de
cohorte puis récemment par un Plan Hospitalier de Recherche Clinique à grande échelle (550 cancers
du sein, 400 cancers de prostate, 4 ans de recul) :
-
40 % des patients avec un taux bas d’apoptose, présentent un risque de complications
tardives, avec une valeur prédictive positive de seulement 20 % ;
-
60 % des patients présentent un taux élevé d’apoptose avec une valeur prédictive négative
de complications de 99 %.
Les questions posées par ce test :
-
le lymphocyte peut-il représenter tous les tissus sains ? Probablement oui, l’aspect tissuspécifique étant plus une réponse d’aval. Une participation immunologique intrinsèque est
probable (en cours d’évaluation) ;
-
un test à 8 Gy peut-il représenter une séance à 2 Gy ? Non, mais les résultats à 2, 4 et 8 Gy
sont parfaitement corrélés et 8 Gy permet une reproductibilité technique maximale ;
-
l’apoptose est-elle vraiment importante car très spécifique du lymphocyte ? En fait, c’est la
capacité d’engendrer la mort cellulaire immédiate qui est évaluée ;
-
sous-estime-t-on le taux d’apoptose par un biais technique ? Non, et cela a été confirmé par
l’absence de déclenchement des caspases en cas de taux bas.
Les prochaines étapes
La question qui préoccupe les radiothérapeutes est de savoir pourquoi, parmi les patients qui ont suivi
une radiothérapie sans complications aigues et pour qui tout s’est passé sans problème dans un
premier temps, certains régénèrent leurs tissus et d’autres évoluent vers une fibrose. Quel élément
cible enclenche vers une voie ou l’autre ? Pour répondre à cette question divers programmes sont en
cours :
-
le programme de protéomique quantitative, en cours de finalisation (mars 2014) ;
-
l’étude CO-HO-RT européenne dans laquelle l’apoptose radioinduite est le seul paramètre
discriminant de complications tardives et dont l’étude génomique fait apparaître le rôle des
gènes PHARTC3 (la protéine codée se fixe à l’unité catalytique de pp1 qui stimule l’apoptose)
et CDH18 ;
-
le consortium REQUITE (validating predictive models and biomarkers of radiotherapy
toxicity to reduce side-effects and improve quality-of-life in cancer survivors) qui prévoit
l’inclusion de 5 300 patients.
L’objectif est d’arriver à partir des connaissances sur la radiosensibilité et la radiorésistance tumorale
et des tissus sains à adapter les possibilités thérapeutiques. La grande majorité des patients peut être
traitée par photon thérapie mais dans le cas où il serait identifié une hypersensibilté, des techniques
permettant une réduction de la dose intégrale des tissus sains telle que la protonthérapie pourraient
être mises en œuvre.
30
Capacité de la réparation de l’ADN et risque de
seconds cancers
Nadia Haddy
INSERM 1018 équipe 3 - Epidémiologie des radiations
Introduction
Les systèmes de réparations de l’ADN sont responsables du maintien de l’intégrité génétique de nos
cellules en étant capables de détecter et de réparer de façon fidèle les lésions induites sur l’ADN par
une série d’agents chimiques ou physiques d’origine endogène ou exogène. Les rayonnements
ionisants, ainsi que la majorité des drogues antitumorales utilisées en clinique, ont des effets délétères
importants pour la cellule en induisant notamment des cassures double brin (CDB) de l’ADN. Ces
cassures sont l’une des atteintes les plus graves que peut subir l’ADN génomique. Un défaut de
réparation des CDB peut provoquer l'apparition de mutations et d'anomalies chromosomiques
pouvant entraîner de nombreuses maladies, notamment des cancers.
Il existe des maladies génétiques rares caractérisées par une hypersensibilité aux radiations ionisantes,
telles que l’Ataxie Télangiectasie (A-T) ou l’anémie de Fanconi. Chez ces malades, la prédisposition
aux cancers est importante ; les enfants atteints d’A-T montrent, dès un âge précoce, un taux très
élevé de cancers (il s’agit le plus souvent d’hémopathies lymphoïdes malignes – leucémies lymphoïdes,
lymphomes), qui résulteraient d’un défaut de reconnaissance et/ou de signalisation des altérations de
l’ADN, et donc de leur réparation.
La spécificité des enfants traités pour un cancer
L'étude du risque de second cancer potentiellement associé à une diminution de la capacité
individuelle de réparation de l’ADN chez des sujets traités par chimiothérapie et/ou radiothérapie
pour un premier cancer est une voie de recherche très prometteuse.
La sensibilité aux rayonnements est variable selon les individus et 10 à 20 % des patients traités par
radiothérapie ont une réponse plus forte au niveau des tissus sains qu’attendu (cf supra).
Les enfants sont plus sensibles au risque de développer des évènements iatrogènes que les adultes
car :
- ayant déjà eu un cancer, ils sont plus susceptibles que la population générale d’être porteurs
de gènes de susceptibilité aux cancers ;
-
ils sont plus sensibles que les adultes à tout type de cancérogène ;
-
ils sont plus « radiosensibles » que les adultes, en particulier au cancer de la thyroïde et du sein,
pour des causes qui ne sont pas actuellement complètement élucidées ;
-
enfin, en cas de radiothérapie, une part plus importante d’organes sains est incluse dans les
champs de traitement et organes qui reçoivent donc des doses élevées de radiations.
31
Les travaux récents de l’équipe de l’IGR
Peu de travaux épidémiologiques sur la susceptibilité individuelle aux radiations ionisantes ont été
réalisés et ces travaux portent sur des effectifs relativement faibles.
L’hypothèse relative à une diminution de la capacité individuelle de réparation de l’ADN associée au
risque de second cancer à la suite d’une radiothérapie dans l’enfance a été testée dans le cadre d’une
étude cas-témoins nichée dans une cohorte (Euro2K). Plus de 3700 sujets traités pour une tumeur
solide ou un lymphome dans l’enfance (avant l'âge de 16 ans) sont inclus avec des données complètes
sur les traitements reçus en chimiothérapie (doses, dates, modes d’administration) et en
radiothérapie (doses estimées au niveau de 188 sites du corps). Les « cas », patients ayant développé
un second cancer, ont été appariés avec des témoins de même sexe, âge au 1er cancer, type du 1er
cancer et suivi post traitement (le témoin devait avoir au moins le même suivi que le cas
correspondant).
Deux séries appariées de 94 cas et 94 témoins avaient été traités pour un lymphome (29 %), un
sarcome (25 %) ou un néphroblastome (18 %) à l’âge moyen de 7 ans. Le délai moyen de l’apparition
du second cancer était de 20ans. Des prélèvements sanguins ont été effectués et des lignées
lymphoblastoïdes ont été établies.
La réparation des cassures double brin a été analysée en étudiant la phosphorylation globale de la
protéine histone H2AX (H2AX) par marquage immunofluorescent et quantification par cytométrie
de flux (FACS) : les premières analyses montrent que l’intensité de fluorescence de H2AX est
supérieure chez les cas de second cancer par rapport aux témoins. Ceci a été observé avant et après
irradiation des lignées lymphoblastoïdes de ces sujets. Le risque de second cancer serait
principalement corrélé à l’intensité de la fluorescence de H2AX mesurée à 1h.
Ces premières analyses seront complétées par des modèles statistiques plus complexes pour étudier la
cinétique de réparation de l’ADN et prendre en compte les données répétées et les traitements reçus
pour le 1er cancer (types de chimiothérapie et doses d’irradiation reçues aux sites des seconds cancers ,
au thymus et à la moelle osseuse). L’objectif est également d’étudier d’autres protéines de voies de
signalisation et de réparation de l’ADN.
Un test fonctionnel de réparation de l’ADN pourrait ainsi permettre d’évaluer le risque de second
cancer chez des patients traités pour un cancer dans l’enfance et d’adapter les stratégies
thérapeutiques au profil génétique des sujets.
Haddy N, Tartier L, Koscielny S, Adjadj E, Rubino C, Brugières L, Pacquement H, Diallo I, de Vathaire F,
Averbeck D, Hall J, Benhamou S. Repair of ionizing radiation-induced DNA damage and risk of second cancer in
childhood cancer survivors. Carcinogenesis. 2014 Apr 19. [Epub ahead of print]
32
Scanner chez l’enfant et cancers radioinduits ?
Hubert Ducou le Pointe
Hôpital d’Enfants Armand-Trousseau - Paris
Pourquoi cette question ?
Cette question est sûrement liée à un contexte général d’augmentation de l’exposition médicale aux
rayonnements ionisants.
L’exposition de la population aux rayonnements ionisants à des fins médicales progresse dans le
monde. Aux Etats-Unis, cette exposition (3 mSv) a atteint voire dépassé l’exposition d’origine
naturelle [1] et a été multipliée par un facteur 6 en une vingtaine d’année. En France, le rapport de
l’IRSN [2] sur l’exposition en 2007 de la population française aux rayonnements ionisants liée aux
74,6 millions d’actes de diagnostic médical estime la dose efficace individuelle moyenne à 1,3 mSv.
Cette valeur est bien inférieure à celle des Etats-Unis mais en progression de 62,5% en 5 ans. La
tomodensitométrie représente 10% des actes et 58 % de la dose efficace collective. Aux Etats-Unis,
en 2006, 6 millions de scanners pédiatriques ont été réalisés soit 10% des examens
tomodensitométriques. En France, une enquête récente (2013) de l’IRSN montre que la
tomodensitométrie ne représente que 2% des actes de radiologie effectués en pédiatrie représentant
27 % de l’exposition [3].
Les rayonnements ionisants utilisés à des fins diagnostiques ont ils des effets démontrés ?
L’imagerie médicale diagnostique se situe très largement dans le domaine des faibles doses (dose
efficace inférieure à 100 mSv) même en ce qui concerne la tomodensitométrie. En effet, la grande
majorité des examens tomodensitométriques exposent à des valeurs inférieures à 15 mSv à l’organe.
Les effets biologiques des faibles doses restent un sujet de débat. Tout d’abord, le risque de cancer lié
à ce niveau d’exposition n’avait pu être démontré aussi bien sur les survivants des bombardements
atomiques au Japon que sur les travailleurs du nucléaire au Royaume-Uni. L’hypothèse de la relation
linéaire sans seuil, très pratique pour estimer le risque de cancer induit par les faibles doses, est admise
par le rapport BEIR (Biological Effects of Ionizing Radiation) VII [4] et la CIPR (Commission
International de Protection Radiologique) [4]. Elle ne fait pourtant pas l’unanimité car non fondée sur
des faits scientifiques comme le soutiennent Tubiana et al [6].
C’est la raison pour laquelle les nombreux articles sur l’estimation du nombre de cancer induit par la
tomodensitométrie n’ont pas convaincu. Brenner en 2001 [7], en appliquant la relation linéaire sans
seuil, fut le premier à sonner la charge en estimant à 500 le nombre de morts imputables à
l’exposition aux rayonnements ionisants des 600 000 scanners pédiatriques annuels (abdominaux et
crâniens) réalisés aux Etats-Unis. Berrington de González et al [8] ont calculé que 29 000 nouveaux
cancers seraient imputables aux examens tomodensitométriques réalisés aux Etats-Unis en 2007.
Des faits nouveaux : l’épidémiologie semble montrer l’effet des faibles doses
L’année 2012 a marqué un changement, l’épidémiologie ayant pour la première fois pris le relais des
études statistiques. Pearce et al [9] ont publié une étude portant sur une cohorte de près de 180 000
patients âgés de moins de 22 ans et ayant subi au moins un examen tomodensitométrique entre 1985
et 2002. Les auteurs ont tout d’abord estimé la dose reçue par le cerveau et la moelle osseuse lors de
33
chaque examen. L’étude recherchait la survenue de leucémie et de cancer cérébral dans cette
population grâce à l’analyse du registre des cancers du Royaume-Uni (entre 1985 et 2008) tout en
excluant ceux qui étaient potentiellement atteints au moment de l’examen tomodensitométrique. Ils
ont mis en évidence une relation entre la dose reçue par le cerveau et la survenue d’une tumeur
cérébrale, et entre la dose reçue par la moelle osseuse et la survenue d’une leucémie. Le risque absolu
individuel estimé par les auteurs est de l’ordre de 1 cas de cancer en excès (leucémie ou tumeur
cérébrale) dans les 10 ans qui suivent l’examen et pour 10 000 scanners. En 2013, une autre étude
australienne portant sur 11 millions de personnes dont 680 000 patients exposés, étudie l’excès de
risque lié aux examens tomodensitométriques pendant l’enfance L’incidence de cancer dans le groupe
scanner était augmentée de 24% par rapport au groupe non exposé aux rayonnements ionisants. Les
excès observés portent sur les organes les plus radiosensibles aux RI et varient selon l’âge. L’excès
absolu de l’incidence des cancers tous confondus était de 9,38 pour 10 000 personnes sur un suivi de
9,5 ans [10]. Mais ces études présentent des biais car elles ne prennent pas en compte les indications
qui ont conduit à réaliser ces examens. L’étude européenne en cours EPI-CT à laquelle participe
l’IRSN pourrait apporter des éléments nouveaux en prenant en compte les indications de ces
examens.
Quelles sont les populations à risques ?
Certaines populations ayant une radiosensibilité particulière liée :
-
à des troubles de la réparation de l’ADN : ataxie télangiectasie, anémie de Fanconi, syndrome
de Bloom et xeroderma pigmentosum ;
-
à certaines maladies héréditaires : polypose familiale, syndrome de Gardner, mélanome malin
familial ;
-
à certaines maladies associées à un risque augmenté de cancer : neurofibromatose, syndrome
de Li-Fraumeni, rétinoblastome héréditaire, Beckwith Wiedemann ;
-
à des pathologies auto-immunes : lupus érythémateux disséminé, sclérodermie, polyarthrite
rhumatoïde.
Certaines populations subissent des explorations fréquentes liées à leur pathologie et notamment les
enfants ayant des pathologies chroniques (mucoviscidose, maladie inflammatoire du tube digestif ou
pathologie cancéreuse…). Ces populations ont cependant besoin d’explorations utilisant des
rayonnements ionisants et le risque lié à leur utilisation doit être mis en balance avec les autres risques
de la maladie.
Un exemple en oncologie : les risques de second cancer lié aux explorations et au traitement
Si on prend l’exemple de l’oncologie pédiatrique, la dose efficace cumulée peut dépasser les 200 mSv
(11). L’utilisation répétée de la TEP TDM peut à elle seule entrainer une dose efficace cumulée
supérieur à 100 mSv (12). Ces doses cumulées, qui ne sont plus vraiment des faibles doses en
pédiatrie, peuvent potentiellement être responsables d’effets secondaires. Mais ils ne sont pas à eux
seuls responsables du risque de second cancer. Il peut être lié au terrain génétique ou à la prise en
charge thérapeutique du patient.
Concernant le traitement, les deux principales sources de second cancer sont la chimiothérapie et la
radiothérapie. Par exemple, pour le néphroblastome, le groupe NTWTS (National Wilm’s Tumor
study Group) a mis en évidence une augmentation du risque multiplié par 8 de développer un second
cancer (leucémie, lymphome, tumeurs solides). Au Royaume-Uni, un risque compris entre 3 et 6%
d’apparition d’un second cancer a été démontré sur une surveillance de 20 ans. Le CCSS (Childhood
Cancer Survivor) a surveillé 20 600 patients de moins de 21 ans avec un premier cancer diagnostiqué
entre 1970 et 1986. Le taux de second cancer était de 3.2% à 20 ans et 9.3% à 30 ans. [13–15]. Une
34
étude récente portant sur le registre Rhône Alpes des cancers de l’enfant démontre une incidence de
2,2% de second cancer à 10 ans et 3,9% à 15 ans avec un excès de risque absolu de 2,2 [16].
Les chimiothérapies entrainant des seconds cancers sont principalement les agents alkylants et les
inhibiteurs des topoisomérases II.
Les agents alkylants (Cyclophosphamide, Ifosfamide, Melphalan, Busulphan, Procarbazine…) créent
un lien chimique covalent fort, entre elles-mêmes, et un ou plusieurs groupements (carboxy) d'un
acide nucléique. Si les agents alkylants bi-fonctionnels créent de véritables ponts entre différents
secteurs de l'ADN qui entrainent la mort cellulaire, les agents alkylants mono-fonctionnels n’ont
qu'un seul lien chimique avec le DNA. Ils peuvent ne pas entrainer la mort cellulaire du fait de ligase
et d’endonucléase qui tente de réparer le DNA. L'apparition d’un DNA porteur de malformations est
susceptible de dégénérer secondairement en cancers chimio-induits.
La topoisomérase II joue un rôle important dans la réplication, la transcription de l’ADN. Les
inhibiteurs de la topoismérase II inhibent la phase de ligature de l’ADN. En intervenant ainsi, elle
provoque une apoptose de la cellule mais peut également générer une réparation fautive de l’ADN
source d’un second cancer et en particulier des leucémies. Le chef de file de cette classe de
médicament est l’Etopiside (VP-16).
Les leucémies provoquées à la fois par les agents alkylants et l’Etopiside surviennent dans un délai
court respectivement 5-7 ans et 2-3 ans [17] Il s’agit essentiellement de LAM ayant des marqueurs au
niveau du caryotype. Chez les enfants traités pour des tumeurs solides (maladie de Hodgkin, sarcome
d’Ewing, rhabdomyosarcome), il a été démontré une fréquence d’apparition de leucémie
proportionnelle à la dose d’alkylants utilisée. L’utilisation d’agents alkylants entrainerait un risque
multiplié par 5 d’apparition d’une deuxième leucémie.
La radiothérapie est également une cause bien connue de survenue de second cancer. Le risque a été
estimé dans la littérature entre 5% et 12% sur une période de suivi de 25 ans [18]. La survenue de
second cancer est plus liée au rayonnement diffusé qu’au rayonnement principal. Les fortes doses
(>5Gy) induisant une mort cellulaire tandis que les doses inférieures peuvent induire une réponse
fautive. Une relation linéaire est admise pour des doses comprises entre 0,1 Gy et 4 Gy. Le diffusé
provoqué par la radiothérapie délivrée expose le reste du corps à des doses importantes. Chez l’adulte,
une étude portant sur la radiothérapie de prostate a montré que le diffusé péri tumoral atteignait 54,3
à 78,1 mSv par Gy délivré à l'isocentre du faisceau. Soit un minimum de 4000 mSv (à 5857 mSv)
cumulés en quelques semaines pour un traitement de prostate complet avec 75Gy dans le volume
cible [19].
L’utilisation de facteurs de croissance hématopïétiques tel le G-CSF (en association avec des agents
alkylant ou des inhibiteurs de la topoisomérase II ) augmenterait le risque de leucémie secondaire. De
même, le recours à des thérapeutiques comme la greffe de moelle osseuse qui expose au risque
d’infection à Epstein Barr virus est susceptible de provoquer secondairement la survenue d’un
lymphome.
Mais attention, il faut comparer les risques RI avec les autres risques auxquels sont confrontés les
enfants ainsi que les risques liés aux autres traitements.
35
Comment réduire les risques ?
La justification des actes est clairement de la responsabilité quotidienne des professionnels. Pour
aider leurs collègues dans les indications des actes d’imagerie la Société Française de Radiologie et la
Société Française de Médecine Nucléaire ont actualisé et publié au début de 2013 le Guide du Bon
Usage des examens d’Imagerie. A noter que, selon les pays, le recours à la tomodensitométrie chez
l’enfant est soit fortement déconseillé ou à l’inverse encouragé en raison de l’impact que ces examens
ont sur la prise en charge de l’enfant.
La substitution par des actes non irradiants dépend des professionnels. Il leur appartient de
privilégier les techniques non irradiantes comme l‘échographie ou l’IRM. Il est nécessaire de
développer l’utilisation de l’IRM corps entier et de continuer les évaluations par rapport TEP-scanner.
Il faut aussi suivre avec intérêt l’apparition et le développement de la TEP-IRM. Mais la réalité de
terrain oblige à reconnaitre qu’elle dépend aussi des pouvoirs publics. Le constat du retard du taux
d’équipement en IRM de la France par rapport aux autres pays européens n’est pas récent ; et force
est de constater qu’il est impossible de proposer à tout le monde des IRM et que le recours aux
examens tomodensitométriques à la place d’IRM est indispensable !
L’optimisation des techniques exposant aux rayonnements ionisants
Il faut adapter les constantes d’acquisition au poids et à la taille du patient. Quand l’activité
pédiatrique n’est pas l’activité principale du site, il faut se conformer aux recommandations des
sociétés savantes comme celles de la SFIPP :
-
limiter le nombre d’acquisitions en limitant le recours aux acquisitions sans puis avec injection
de produit de contraste ;
-
limiter la zone d’exploration à la zone utile.
De même, les acquisitions multiphases après injection doivent être réservées à des indications précises
souvent liées à des questions d’opérabilité. Attention, il faut maintenir une qualité d’image suffisante
pour permettre un diagnostic sûr.
Nous devons également utiliser les techniques récentes de reconstruction itérative. Mais dans ce
domaine également il nous faut pouvoir disposer d’un renouvellement des équipements. Enfin, il ne
faut pas hésiter à se lancer dans l’évaluation de ses pratiques en établissant des NRD locales quand les
NRD nationales n’existent pas et établir des programmes d’évaluation des pratiques professionnelles
centrées sur la radioprotection.
Le Développement Professionnel Continu (DPC) est un moyen de combiner obligation réglementaire
et amélioration des pratiques professionnelles.
En conclusion,
-
pas effets déterministes observés,
-
des interrogations sur les effets stochastiques des faibles doses (<100mSv), et en particulier de
la tomodensitométrie qui se renforcent.
Il faut porter une attention particulière aux patients radiosensibles ou devant subir des examens
répétés. Mais au final, il faut guérir les enfants et peser le risque entre cancer lié aux examens par
rapport aux autres risques de la maladie et des traitements. Comme pour tout acte médical, une
évaluation du bénéfice et du risque doit être effectuée et dans le cas présent conduire à respecter les
règles classiques de la radioprotection.
36
Pour en savoir plus
1. National Council on Radiation Protection and Measurements. Ionizing radiation exposure of the
population of the United States: 2006. NCRP report no. 160. Bethesda, Md: National Council on
Radiation Protection and Measurements, 2009.
2. Etard C, Sinno-Tellier S, Aubert B. Exposition de la population française aux rayonnements ionisants liée
aux actes de diagnostic médical en 2007. IRSN/INVS.
3. Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. Exposition des enfants aux rayonnements ionisants liée
aux actes diagnostiques en 2010 en France. Rapport PRP-HOM N°3 – 2013
4. National Research Council, Committee to Assess Health Risks from Exposure to LowLevels of Ionizing
Radiation. Health risk from low levels of ionizing radiation: BEIR VII, Phase 2. Washington, DC: The
National Academies Press, 2006.
5. International Commission on Radiological Protection. Low-dose extrapolation of radiation-related cancer
risk. Publication 99.Amsterdam, the Netherlands: Elsevier, 2006.
6. Tubiana M, Feinendegen LE, Yang C, Kaminski JM. The linear no-threshold relationship is inconsistent
with radiation biologic and experimental data. Radiology 2009;251(1):13–22.
7. Brenner DJ, Elliston CD, Hall EJ, Berdon WE. Estimated risks of radiation-induced fatal cancer from
pediatric CT. AJR Am J Roentgenol 2001;176(2):289–296.
8. Berrington de González A, Mahesh M, Kim KP, et al. Projected cancer risks from computed tomographic
scans performed in the United States in 2007. Arch Intern Med 2009;169(22):2071–2077.
9. Pearce MS, Salotti JA, Little MP, et al. Radiation exposure from CT scans in childhood and subsequent
risk of leukaemia and brain tumours: a retrospective cohort study. Lancet 2012;380(9840):499–505.
10. Mathews J.D., Forsythe A. V., Zoe Brady, et al. Cancer risk in 680 000 people exposed to computed
tomography scans in childhood or adolescence: data linkage study of 11 million Australians BMJ
2013;346:f2360 (Published May 2013)
11. Ahmed B A, Connolly B L, Shroff P et al Cumulative effective doses from radiologic procedures for
pediatric oncology patients; Pediatrics 2010; 126; 851-8.
12. Soni C. Chawla SC, Federman N, Zhang D et al Estimated cumulative radiation dose from PET/CT in
children with malignancies: a 5-year retrospective review Pediatr Radiol 2010 40:681–686.
13. Neglia JP, Friedman DL, Yasui Y, et al. Second malignant neoplasms in five-year survivors of childhood
cancer: childhood cancer survivor study. J Natl Cancer Inst. 2001; 93:618–629.
14. Meadows AT, Friedman DL, Neglia JP, et al. Second neoplasms in survivors of childhood cancer: findings
from the Childhood Cancer Survivor Study cohort. J Clin Oncol. 2009; 27:2356–2362.
15. Friedman DL, Whitton J, Leisenring W, et al. Subsequent neoplasms in 5-year survivors of childhood
cancer: the Childhood Cancer Survivor Study. J Natl Cancer Inst. 2010; 102:1083–1095.
16. Berger C, Trombert-Paviot B,Casagranda L, et al. Second Malignant Neoplasms Following Childhood
Cancer: A Study of a Recent Cohort (1987–2004) from the Childhood Cancer Registry of The RhôneAlpes Region (ARCERRA) in France Pediatr Hematol Oncol, 2011; 28:364–379.
17. Koontz MZ, Horning SJ, Balise R, et al. Risk of Therapy-Related Secondary Leukemia in Hodgkin
Lymphoma: The Stanford University Experience Over Three Generations of Clinical Trials J Clin Oncol.
2013; 10: 592-8.
18. Xu XG, Bednarz B, Paganetti H. A review of dosimetry studies on external-beam radiation treatment with
respect to second cancer induction Phys Med Biol. 2008 ; 53:R193-241.
19. Howell RM, Hertel NE, Wang Z et al. Calculation of effective dose from measurements of secondary
neutron spectra and scattered photon dose from dynamic MLC IMRT for 6 MV, 15 MV, and 18 MV
beam energies Med Phys. 2006; 33:360-8.
37
Le cas particulier des mammographies
Catherine Colin
Radiologue, Hospices Civils de Lyon
Le cas de la mammographie est particulier car cet examen est effectué dans le cadre du dépistage et
s’adresse en grande majorité à une population indemne de pathologie mammaire. Il s’agit donc de se
poser la question la balance bénéfice/risque et de justifier chaque exposition. Le dépistage est de plus
actuellement très controversé (induit-il une baisse la mortalité ? est-ce l’amélioration des traitements ?)
en amont même de l’effet des RI et y compris à partir de 50 ans. On ne « prévient pas le cancer du
sein » par le dépistage : on détecte un cancer existant en utilisant en exposant une grande partie de la
population aux rayonnements.
La question est : les rayons X induisent-ils des cancers et existe-t-il des populations à risque y compris
pour des doses à l’organe-sein de l’ordre de 2 mGy ? De multiples données épidémiologiques ont
montré que les rayons X étaient un carcinogène avéré pour le sein. De plus, le sein est l’organe le plus
radiosensible de l’organisme en nombre absolu de cancers radio-induits, et le sein est d’autant plus
radiosensible que l’âge à l’exposition est jeune.
Le dépistage du cancer du sein en France
Pour la population générale, il existe plusieurs situations dans le dépistage en France :
- le dépistage des femmes dites à haut risque, par exemple les femmes porteuses de mutations
BRCA1 et 2 ou traitées pour maladie de Hodgkin ;
- le dépistage individuel à partir de 40 ans dans la population générale, qui est très répandu,
- le dépistage à partir de 50 ans qu’il soit organisé ou individuel.
Pour les femmes de 50 ans, l’INCa a élaboré un document « dépistage organisé, bénéfices et limites »
à des fins d’information, avec un chapitre « cancers radio-induits »
Hors dépistage organisé (50-74 ans), il n’existe pas de cahier des charges pour la mammographie,
c’’est celui du dépistage organisé qui est le plus souvent appliqué aux femmes à haut risque soit 2
incidences/sein. Pour les femmes à très haut risque familial, le rythme recommandé est 1
mammographie couplée à une IRM, démarrant à un âge jeune (âge différent selon les pays, 25 ou 30
ans). Donc le cumul d’expositions va être paradoxalement d’autant plus important que la femme est
prédisposée génétiquement au cancer. Chez les femmes BRCA 1 ou 2, en commençant à 25 ans, il est
donc possible d’atteindre à 50 ans des doses cumulées de l’ordre de 100 mGy.
La radiosensibilité individuelle
- La dose délivrée à l’organe :
La dose délivrée à l’organe en mammographie pour une exposition est la dose glandulaire moyenne
par sein (DGM en mGy), définie au niveau européen sur fantômes et pour une seule incidence
mammographique. Elle ne tient pas compte du fait qu’au niveau individuel, la dose reçue par la glande
augmente avec le volume du sein, avec sa densité (le sein est d’autant plus dense que la femme est
jeune), l’insuffisance de compression, la réalisation de clichés supplémentaires (en cas de clichés
technologiquement insuffisants), des bilans complémentaires dans les faux-positifs ou via des
technologies mammographiques dites innovantes telles que la tomosynthèse qui multiplie les
expositions. Elle est également dépendante du type technologique de mammographe utilisé. Aucune
étude n’a pris en compte cette variation individuelle des doses reçues qui peut varier considérablement.
38
-
Des données épidémiologiques et radiobiologiques : le risque potentiel de développer un
cancer en rapport avec les expositions mammographiques est actuellement un risque estimé
avec des dosimétries standardisées. D’autre part, aucune étude n’ permis d’étudier les
expositions mammographiques de façon ciblée et indépendante des autres expositions
radiologiques. Les connaissances actuelles concernent les conséquences des expositions du sein
aux rayons X à des doses diagnostiques. Des études ont montré un lien expositions rayons X et
cancer du sein pour des doses très faibles dans les populations mutées BRCA1/2.
Les connaissances sont également basées sur des études ex vivo radiobiologiques notamment dans des
conditions exactes mammographiques (faible dose, faible énergie, répétition de doses en quelques
minutes). Ces études fournissent un indicateur du risque potentiel lié aux mammographies en montrant
des dommages d’ADN, et émettent des indicateurs d’une radio susceptibilité accrue dans certaines
populations prédisposées génétiquement au cancer.
L’étude menée à Lyon en 2011 portait sur 30 lignées cellulaires (21500 cellules analysées) provenant de
femmes : 11 avec situations de cancers familiaux ou mutés et 19 cas sans risque familial identifié. Les
cellules épithéliales mammaires non tumorales issues de ces femmes et mises en culture ont été
analysées avant irradiation, après 2 mGy, après 4 mGy et après 2 fois 2 mGy, dans des conditions
identiques à une mammographie.
Elle a montré que :
- des dommages sont visibles dès 2 mGy ;
- un effet-dose avec des défauts de réparation à 24 heures ;
- un effet supra-additif : l’effet LORD (low and repetitive dose effect) soit « plus de dommages
à 2+2 que 4 mGy en une seule fois, démontrant « l’effet répétion de doses ».
- les dommages sont majorés dans les lignées de patientes à hauts risques.
Pour transférer ces résultats à la clinique
- Les indicateurs de radiosensibilité individuelle épidémiologiques et radiobiologiques apportentils actuellement suffisamment d’arguments pour limiter les expositions ? D’autant que les
rayonnements ne sont qu’un facteur de risque parmi d’autres.
- Une seule incidence mammographique oblique est recommandée par sein en dépistage,
associée à l’IRM dans les populations à très haut risque familial (à l’étude par un groupe de
travail à l’INCa pour les prochaines recommandations nationales) et chez les patientes traitées
pour maladie de Hogkin dans l’enfance, l’adolescence ou chez
l’adulte jeune
(recommandations de la HAS publiées en mai 2014)
Les perspectives
- la radiobiologie pourrait-elle aboutir à une prise en charge personnalisée des femmes dépistées,
avec un test évaluant les fonctions de réparation de l’ADN des lésions radio-induites et/ou des
biomarqueurs de mauvaise réparation. Des travaux sur le microenvironnement péri-épithélial
est également une perspective importante en association avec les effets des rayonnements sur
l’ADN des cellules épithéliales,
- les conséquences potentielles éthiques et sociétales de tels tests sont très importantes à prendre
en compte et à anticiper.
Échanges avec les participants
Le risque de « non-détection » est-il évalué dans le dimensionnement du bénéfice-risque dans de cadre
de prévention ?
Le bénéfice n’est pas si grand puisque lui-même est porteur d’une part de risque. En fait, aucune étude
ne permet de calculer la balance bénéfice-risque. Ce seront des décisions d’experts, à partir d’études de
cohortes, mais non totalement justifiées. A noter qu’en matière de dépistage, on connait les taux de
mortalité, de diagnostic, de cancers de l’intervalle, de sur-diagnostic … mais on n’a aucun équivalent en
ce qui concerne le sur-risque des RI.
39
40
TROISIÈME PARTIE
TABLE RONDE
41
42
Introduction à la table ronde
La radiosensibilité individuelle : et alors ?
Michel Bourguignon et Françoise Vitaux
Le concept de radiosensibilité individuelle concerne deux types de population :
-
les patients présentant des effets secondaires/complications tardives de la radiothérapie alors
qu’il n’y a eu aucune erreur dans la délivrance des doses de rayonnements ;
-
les individus ayant une susceptibilité élevée de développer un cancer du fait de leur exposition
aux rayonnements ionisants.
Parce que ces 2 types de population rassemblent un nombre important de personnes et que des
mesures de prévention sont possibles - adaptation des doses en radiothérapie, optimisation des
expositions aux rayonnements ionisants par l’imagerie médicale et prévention des expositions au
radon - la radiosensibilité individuelle constitue un problème sanitaire et de radioprotection qui ne
peut pas être ignoré.
Les patients présentant des effets secondaires/complications tardives de la radiothérapie
La radiosensibilité aux fortes doses de rayonnements ionisants est sans doute responsable des effets
secondaires/complications tardives de la radiothérapie chez 5 à 15 % des patients traités (environ
5000 à 15000 patients par an en France) pour un cancer alors qu’il n’y a eu aucune surexposition dans
la délivrance des doses de rayonnements.
Les patients développent, pour certains assez rapidement, pour d’autres beaucoup plus tard (jusqu’à
quelques années), des lésions secondaires à l’irradiation des cellules saines autour de la tumeur irradiée.
Les symptômes observés (par exemple une rectite radique) sont liés aux morts cellulaires consécutives
aux fortes doses de rayonnements et à une perte de l’homéostasie tissulaire.
Les individus ayant une susceptibilité élevée de développer un cancer
Le nombre des individus ayant une susceptibilité accrue de développer un cancer du fait de leur
exposition aux rayonnements ionisants n’est pas connu. Cependant, comme les personnes porteuses
d’un cancer présentent en moyenne une plus grande radiosensibilité individuelle (mise en évidence par
des tests ex vivo) que les personnes non porteuses de cancer et que la prévalence du cancer est de
l’ordre de 30 % dans la population générale, on estime que le nombre des individus concernés par ce
phénomène de susceptibilité individuelle n’est pas négligeable voire important.
Cette susceptibilité au cancer est liée à la survie de cellules dont l’ADN a été lésé, que ce soit aux
fortes doses de rayonnements ionisants dans la mesure où 5 à 12 % de cancers secondaires
surviennent après radiothérapie d’un premier cancer et touchent des organes exposés au rayonnement
diffusé de la radiothérapie, ou aux faibles doses, des tests ex vivo montrant une augmentation
significative des lésions de l’ADN après exposition à de faibles doses de rayonnements ionisants chez
43
les personnes ayant une plus grande probabilité de développer un cancer (par exemple les femmes à
risque familial de cancer du sein).
Quels sont les mécanismes responsables de la radiosensibilité individuelle ?
Si l’on veut pouvoir explorer chez l’homme les 2 phénomènes de radiosensibilité aux fortes doses de
rayonnements ionisants et de susceptibilité au cancer, il convient de mettre en place des tests
spécifiques, ce qui nécessite une compréhension préalable des mécanismes en cause.
Puisque les 2 phénomènes observés sont liés respectivement aux morts cellulaires et à la survie de
cellules lésées, ils représentent 2 aspects complémentaires de la vie cellulaire après une agression
toxique que constitue une exposition aux rayonnements ionisants.
Ce ne sont pas tellement les lésions initiales de l’ADN qui conditionnent le devenir d’une cellule après
agression mais davantage la faculté de la cellule à les réparer correctement ou non et à prendre une
décision quant à sa survie après une sorte d’analyse bénéfice risque qui implique aussi le tissu
environnant. Il s’agit bien là déjà d’une faculté individuelle à la réparation.
Les cassures double brin (CDB) de l’ADN sont les plus sévères et les méthodes d’investigation les
plus récentes (par exemple immunofluorescence) permettent de les détecter, y compris aux faibles
doses de rayonnement d’un simple cliché radiologique (seuil de 1mGy). On peut ainsi observer que
des cellules qui ont présenté des CDB de l’ADN après exposition aux rayonnements ionisants
survivent quand même à l’agression, même si nombre d’entre elles meurent ou mourront car les
lésions sont trop graves. Ces CDB sont aussi la partie la plus visible de toutes les autres lésions plus
nombreuses mais moins graves de l’ADN qui peuvent aussi ne pas être réparées avec fidélité.
Si l’on prend comme modèle de cancer que la cancérisation d’une cellule résulte de mauvaises lésions
de l’ADN dont la combinaison est délétère pour son homéostasie, tous les mécanismes qui
contribuent à la signalisation et à la réparation des lésions de l’ADN (les gènes, leur expression, leurs
polymorphismes, leurs protéines, l’énergie cellulaire...) sont potentiellement impliqués dans la survie
de cellules lésées et la susceptibilité individuelle au cancer. Mais ce sont assurément les études des
protéines impliquées au cœur de la mécanique de la réparation de l’ADN qui permettent une
approche fonctionnelle des réponses aux dommages de l’ADN car ces protéines constituent un
passage obligé commun de tous les autres mécanismes.
Les risques et la radioprotection
Si un certain nombre de mauvaises lésions de l’ADN sont nécessaires (au moins une dizaine) pour
aboutir à une cellule cancéreuse, le phénomène de cancérisation est sans doute à seuil alors que les
lésions initiales de l’ADN exposé aux rayonnements ionisants sont distribuées au hasard, mais sont
d’autant plus nombreuses que la dose de rayonnements est élevée. Le risque est d’autant plus grand
pour un individu qu’il a un déficit génétique initial des voies concernées, par exemple dans les familles
à risque familial de cancer pour lesquelles les gènes ne sont d’ailleurs pas identifiés dans plus de 15 %
des cas actuellement.
Le risque de cancer résultant de l’exposition aux faibles doses de rayonnements ionisants, s’il existe,
est très faible puisqu’il n’a pas été mis en évidence par les études épidémiologiques. Il est sans doute
impossible de démontrer le caractère radio-induit d’un cancer à des faibles doses de rayonnements
ionisants. Mais tous les génotoxiques contribuent à l’altération de l’ADN chacun selon des spécificités
propres et des lésions résiduelles de l’ADN s’accumulent au cours de la vie de la cellule. Dès lors, on
doit envisager le risque combiné de tous les toxiques et il est légitime de minimiser les expositions à
ces génotoxiques autant que faire se peut. Les principes de la radioprotection (justification et
optimisation des expositions, et limitation des doses) sont donc de bons principes à respecter pour
minimiser la probabilité de survenue des lésions de l’ADN quels que soient les toxiques et ainsi
contribuer à la prévention des cancers.
44
Au delà de cette démarche générale de radioprotection applicable à la population entière, qu’en est-il
de la radiosensibilité individuelle ? Les recherches dans ce domaine laissent percevoir la disponibilité
prochaine de tests de dépistage de routine mais il convient sans doute que chacun des 2 phénomènes
identifiés puisse être exploré par une méthode qui lui soit spécifique. Il convient aussi d’identifier les
populations cibles pour de telles explorations avant d’envisager un dépistage et de proposer le cas
échéant des mesures de radioprotection spécifiques :
-
la population normale doit bien sûr être étudiée en priorité. L’étude INDIRA financée par les
investissements d’avenir post Fukushima vient de débuter au titre de la recherche et les
résultats obtenus chez les intervenants médicaux en cas d’accident nucléaire en seront connus
dans 3 ans ;
-
pour la radiosensibilité aux fortes doses de la radiothérapie, on s’intéressera tout d’abord aux
patients présentant des effets indésirables/complications tardives de la radiothérapie pour
comprendre pourquoi ils présentent ces effets dans des études rétrospectives. On explorera
également les enfants atteints d’un cancer à des fins d’optimisation des doses de radiothérapie
du fait des séquelles importantes potentielles. D’autres cohortes pertinentes pourront être
constituées ;
-
pour la susceptibilité au cancer, on s’intéressera tout d’abord aux familles à risque familial de
cancer afin d’identifier les personnes les plus probablement susceptibles de développer un
cancer sur la base de leur radiosensibilité. On explorera les patients porteurs d’un cancer afin de
déterminer leur radiosensibilité individuelle et ainsi de mieux comprendre les liens entre les
deux. D’autres cohortes pertinentes pourront être constituées.
45
46
L’association des patients porteurs d’ataxia telangiectasia
Mireille Gervasoni, présidente de l’association APRAT
L’APRAT Association, Loi 1901, pour la Recherche sur l’Ataxie Télangiectasie, a été créée en 1992
par deux familles françaises dont les fils avaient eu un diagnostic d’Ataxie Télangiectasie. Les
fondateurs de cette association se sont inspirés des deux associations anglo-saxonnes de parents qui
étaient les seules à exister à l’époque : celle créée à Los Angeles par George et Pamela Smith destinée
à financer les recherches de Richard Gatti à l’UCLA et celle des Cottingham à Nottingham en
Grande-Bretagne, Thomas’ Appeal ; les membres de l’association française étaient en contact depuis
plusieurs années avec ces familles qui leur avaient démontré l’importance d’une association de parents
pour aider les recherches.
L’AT est une maladie génétique rare caractérisée entre autres par des signes neurologiques évolutifs,
liés à une atteinte des cellules de Purkinje (du cervelet), avec une incoordination des mouvements, des
troubles de l’équilibre, de la prononciation et des mouvements oculaires (ataxie) ; des signes cutanés
avec une dilatation des petits vaisseaux de la peau (télangiectasies) ; un déficit immunitaire ; une
hypersensibilité aux radiations ionisantes se traduisant, en cas d’exposition, par une augmentation du
taux de cassures chromosomiques au niveau des cellules.
L’APRAT est une association nationale qui regroupe des familles AT de France métropolitaine et
d’Outre-Mer – Guyane française, Guadeloupe et la Réunion, (environ une soixantaine), mais aussi de
plusieurs pays qui n’ont pas encore d’associations de parents comme le Luxembourg, la Suisse et deux
Etats du Maghreb, Tunisie et Algérie, et du Liban.
L’APRAT a constitué un réseau de liens d’échanges avec des associations AT d’autres pays dont la
Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, Israël et les Etats-Unis. Le 9 Mai 2014,la présidente
de l’ APRAT a signé à Casablanca une charte de coopération avec l’ association marocaine HAJAR.
Dans le même temps, les deux signataires ont fondé la FIALCAT, Fédération Internationale
d’associations pour la Lutte Contre l’ataxie télangiectasie, et elles seront bientôt rejointes par d’ autres
associations AT.
Le but premier de l’APRAT fut d’aider et de promouvoir la recherche sur l’AT en finançant des
subventions à des laboratoires et des bourses pour de jeunes chercheurs et médecins chercheurs. Très
vite, nous avons dû remplir une mission d’information auprès des familles et des divers thérapeutes
intervenant auprès de leurs enfants. Des médecins, des kinésithérapeutes bénévoles ont offert leurs
concours et servent de référents pour répondre aux questions des familles ou les orienter vers des
spécialistes répondant à leurs besoins.
L’APRAT, depuis 1994, a organisé des colloques internationaux rassemblant les spécialistes du monde
entier (en 1997, ATW7 à Clermont-Ferrand, en 2004 ; un colloque européen au Luxembourg ; en
2013, AT and Radiation à Clermont-Ferrand).
Des journées thématiques sur la rééducation ont permis aux thérapeutes, aux spécialistes de
kinésithérapie, d’orthophonie, d’ergothérapie de confronter leurs expériences auprès de patients AT
(en 1994 et en 1995 à Clermont-Ferrand et en 1999 à Nice) : issu de ces rencontres, un fascicule
publié par l’APRAT reste une « bible » pour tous les thérapeutes de langue française. Tous les deux
ans, durant un week-end, l’APRAT réunit les familles et leurs enfants dans la « Journée des Familles
AT » durant laquelle une synthèse sur les recherches en cours est présentée par des scientifiques et des
médecins. Une session est consacrée à la rééducation, à l’insertion et aux problèmes quotidiens
rencontrés par les enfants.
47
L’APRAT publie un bulletin annuel – les Analectes de l’APRAT (en 2013, le numéro 26), et des
monographies thématiques. L’APRAT a un site internet www .aprat .fr et une page facebook APRAT
ouverte aux familles.
Le problème de l’hypersensibilité des enfants AT aux radiations est un problème délicat pour les
familles car, trop souvent, il est extrêmement difficile de faire comprendre, y compris à des médecins
très dévoués, que radiographie et scanner doivent être, quand c’est possible, remplacés par d’autres
moyens de diagnostic, IRM et échographie. La radiothérapie semble avoir eu, dans plusieurs cas, des
conséquences dramatiques pour les enfants AT soumis à cette thérapie.
C’est à la suite de messages de familles dont les enfants s’étaient vus prescrire de nombreuses
radiographies et scanners que les dirigeants de l’APRAT ont souhaité promouvoir le récent workshop
<< AT and Radiation>> afin que des recommandations écrites puissent être issues des travaux des
scientifiques et leur permettent d’informer les praticiens qui ont en charge la santé de leurs enfants et
qui, malheureusement, ignorent encore trop souvent les risques de ces radiations pour des patients
AT.
Echanges avec les participants
Vis-à-vis des praticiens, les parents de patients AT sont encore malheureusement considérés comme
fragiles psychologiquement, auxquels d’éventuels « gourous » ont instillé des idées baroques et
préconçues face aux radiations qui empêchent les diagnostics « efficaces » possibles avec les RX. La
représentante de l’APRAT souligne la méconnaissance de cette maladie rare par les praticiens et les
problèmes qui en résultent.
Les professionnels notent que la radiosensibilité individuelle est encore une notion récente, passée
dans la pratique des consultations spécialisées de génétique depuis seulement 2 à 5 ans et qui pénètre
progressivement la communauté médicale. De plus, un des problèmes actuels est la transmission de
l’information, noyée dans la multitude d’informations transmises aux praticiens. Il souligne la
nécessité que les associations soient un relai de cette information vers le corps médical.
Il est souligné par la représentante de l’APRAT qu’une réunion s’est tenue récemment à ClermontFerrand sur le sujet de l’hypersensibilité aux radiations des enfants AT. Il a été mis l’accent sur la
nécessité de la rédaction d’une fiche d’information simple et accessible, investie de l’autorité de l’ASN
et des experts des laboratoires de recherche. Cette fiche serait transmise aux familles pour
l’information des praticiens auxquels ils s’adressent.
En conclusion, un travail commun (praticiens et associations) doit être initié afin de développer
l’information portée par les patients ; les maladies rares étant très nombreuses, il est difficile pour les
praticiens d’avoir une connaissance exhaustive ! Pourquoi ne pas prendre exemple sur la mobilisation
des patients diabétiques qui leur a permis de transmettre des informations pertinentes au corps
médical.
48
Risque individuel - Risque collectif
Réflexions philosophiques
Alexei Grinbaum
Cet exposé concerne le passage des influences individuelles à la formulation des politiques publiques.
La question des responsabilités et des risques est en effet au centre des nouvelles technologies, avec le
problème des incertitudes, tant politiques que scientifiques.
Il est intéressant en effet d’être conscient des arguments qui entrent en ligne de compte au moment
où on réfléchit à la formulation des politiques publiques et en particulier à ceux qui influent sur la
perception des données scientifiques.
Ainsi la responsabilité : un sondage récent a montré que, pour une très large majorité (90%) de la
population, une innovation recèle des effets secondaires sur la santé qui peuvent être importants,
même s’ils ne sont pas connus.
Dans le domaine des faibles doses, la responsabilité est au cœur des discussions européennes : celle du
médecin qui prescrit un examen ? Celle du praticien qui réalise l’examen ? Celle du scientifique qui a
ou non alerté sur les risques ? Etc.
De même, le décalage qui existe entre l’opinion d’expert et la décision qui sera prise ou non au niveau
politique et la question des conséquences observables et la recherche des causalités à partir des
conséquences observables.
Quatre facteurs principaux possèdent un halo symbolique ou un apport allant au-delà des données
scientifiques :
- le risque invisible : présent dans le cadre actuel des faibles doses, il est en fait ancien comme
en témoigne l’histoire de la médecine avec cette phrase, datant du XIV° siècle, d’Honoré
Bonnet, avocat franc-comtois :
« L’ygnorant gens prent tel propos
C’un prince n’aye maladie
Si ce ne vient par traïson,
Par sorcerie ou poison »
-
la mort furtive : une conséquence devient source de vérité
-
la gravité des conséquences : dans la vie politique, la recherche des vérités à partir des
conséquences est un phénomène ancien, omniprésent dans l’histoire de la médecine et dans
les formulations politiques actuelles. La gravité des conséquences justifie l’existence du poison,
notion très irrationnelle mais que l’on retrouve par exemple dans les débats autours des
conséquences des accidents nucléaires
-
la mauvaise réputation : elle peut faire office de preuve et l’équilibre entre la réputation
établie (d’une équipe, d’une institution) et le discrédit en particulier dans la médecine liée aux
RI est une question très difficile.
Sur la place publique, et dans le débat politique, la phrase de René Girard « Le poison est si facile à
dissimuler, pour un médecin surtout, qu’il est impossible à prouver, donc il n’a pas besoin d’être
prouvé » est un argument souvent retrouvé ou sous jacent.
49
Chaque fois que les scientifiques portent leurs données, souvent numériques, au niveau des décideurs
politiques, il est important qu’ils réfléchissent à la perception de leurs données, à l’interprétation qui
en sera donnée en complément d’autres arguments, non scientifiques, qui participeront également à la
prise de décision.
Pour en savoir plus
-
Hannah Arendt : La condition de l’homme moderne (1958)
HLEG : report of High Level and Expert Group on European Low Dose Research (2009)
Grinbaum M., Groves C.: “what is ‘responsible’ about responsible innovation ?
Understanding the Ethical Issue” in Responsible Innovation : Managing the Responsible Emergence of
Science and Innovation in Society Eds R.Owen, J.Bessant and M. Heintz) Wiley, 2013, pp 119-142
Chateauraynaud F., Debaz J.,Fintz M. : la dose fait-elle toujours le poison ? 2011.
Echanges avec les participants
Le constat est fait que la prise de position politique est souvent déconnectée de l’existence du risque.
Il est souligné également que les scientifiques sont souvent dans une situation d’incertitude, en
particulier en ce qui concerne les faibles doses. Or les autorités au sens large demandent des
certitudes : « dites nous ce qu’il faut qu’on fasse ! ». Quand le scientifique a confiance dans ses
résultats, il va se battre pour faire admettre des décisions : c’est le cas dans l’AT. Par contre, en ce qui
concerne les faibles doses au sens large, les RI mais aussi les agents chimiques etc., ils sont dans
l’incertitude. Que faut-il faire ? Comment agir ? La question est posée à Alexei Grinbaum.
En réponse, Mr Grinbaum raconte l’histoire de Tobie dans l’ancien testament, qui part en voyage avec
un ange. Quand il descend au fleuve pour se laver, il voit un énorme poisson s’approcher. Il a très
peur, mais l’ange qui est resté sur la colline, non loin, lui dit : « prends le par les ouïes, tires-le sur la
terre et prend son foie pour en faire d’utiles remèdes ».
Pourquoi Tobie, qui a été capable de suivre la procédure que lui a indiqué l’ange, avait-il eu si peur ?
La nouveauté ? Probablement en grande partie, face à ce poisson qu’il rencontre pour la première fois.
Mais il y a aussi la figure de l’ange, qui a dit à Tobie ce qu’il fallait faire. Ce qui signifie que la bonne
attitude est de travailler sur le langage. Les données scientifiques ne sont pas lues par les décideurs,
qui de plus ne les comprennent pas. Il faut les traduire en mots, qui auront eux-mêmes une forte
charge symbolique, avec l’aide de sociologues, de psychologues … C’est la même problématique que
les médecins face à leur patient : comment lui parler ? En utilisant quelles phrases ? Quel langage ?
C’est une question à laquelle l’ensemble des participants devrait travailler !
Dans les principes de la radioprotection, certains sont d’application individuelle (la justification d’un
acte en fonction de la balance bénéfice-risque et le cas échéant d’une population qu’un consensus a
caractérisé). D’autres tels que la limitation et l’optimisation sont des principes collectifs. Comment
faire progresser notre réflexion sur les rapports des RI/radioprotection qui oppose risques
individuels/risques collectifs ?
L’exemple donné par Catherine Colin peut servir de support à la réponse : 20 personnes décédées de
cancers radioinduits et 200 vies sauvées par le dépistage.
Face aux décideurs, le scientifique peut avoir plusieurs attitudes :
- soit donner des chiffres bruts en leur disant de décider eux-mêmes ; ils vont alors utiliser
d’autres types d’arguments tels que l’acceptabilité : par exemple, est-il acceptable de sacrifier 20
personnes pour le bien de 200 ? Il y a fort à parier que le décideur n’est pas prêt à sacrifier qui
que se soit !
- soit travailler sur la formulation et influencer la décision qui sera prise.
50
La médecine personnalisée
Agnès Buzyn
Présidente de l’INCa
La médecine personnalisée dans le plan cancer 2
Le plan cancer 2 (2009-2013) avait comme axe transversal majeur l’idée de personnaliser les prises en
charge des patients atteints de cancer. Cette formulation assez vague contenant en fait plusieurs axes :
-
l’approche par l’individu (Patient Centred Approach) : il s’agissait d’essayer de tenir compte
des caractéristiques de chaque individu pour lui fournir un parcours de soins qui s’adapte à ses
problématiques propres.
Par exemple, il a été crée un réseau spécifique des cancers rares : ils sont mal pris en charge par
les oncologues et les médecins généralistes qui les connaissent mal, ne connaissent pas les
caractéristiques et les traitements spécifiques. Un réseau de 23 centres a été crée, dédiés à cette
problématique.
De même, des approches dédiées à la pédiatrie, à la gériatrie, aux adolescents et jeunes adultes,
aux risques génétiques … ont été organisées.
-
l’approche par les caractéristiques tumorales (Tumour Centred Approach). C’est plutôt
cela, la médecine personnalisée, celle qui tient compte des caractéristiques moléculaires de la
tumeur, des voies de signalisation anormalement mutées ou activées, pour proposer au patient
un traitement ciblé. On sait en effet que, d’une part, un même type de cancer peut comporter
des formes très différentes d’altérations génomiques et que, d’autre part, le même type
d’altération génomique peut se retrouver dans plusieurs types très différents de cancers. D’où
une modulation des essais cliniques de cancérologie, de la caractérisation génomique des
tumeurs pour mieux en comprendre la physiologie, affiner le diagnostic et le pronostic et
surtout développer des nouvelles thérapeutiques ciblées sur ces anomalies, de façon
transversale.
-
l’INCa a donc pris la Mesure 21, mesure dédiée qui garantit l’accès de tous aux thérapeutiques
innovantes ; 28 plateformes de génétique moléculaire ont été développées. Elles permettent de
rechercher toutes les anomalies moléculaires des cancers avec accès gratuit pour les patients et
aide financière aux laboratoires concernés (DGOS, INCa). Ainsi en 2012, 155 000 patients ont
été testés sur les 365 000 cancers détectés et 70 000 patients ont eu accès aux thérapeutiques
innovantes. C’est un résultat unique au monde, dont la France est fière.
L’avenir : le séquençage haut débit
Il n’est plus envisageable de proposer un test par type d’altération moléculaire, ces derniers devenus
beaucoup trop nombreux. D’où le séquençage partiel ou complet du génome, qui permettra de
repérer toutes les anomalies moléculaires concernées et de guider au mieux la thérapeutique. L’INCa a
dans ce domaine l’objectif de tester 60 000 patients dans les deux années à venir.
51
Il s’agit ici de médecine plutôt « de précision », « stratifiée ». Faut-il pour autant abandonner l’objectif
de médecine personnalisée et de traitement personnalisé ? Il est clair que les traitements du futur
devront tenir compte de la génétique de la tumeur, mais aussi de la génétique constitutionnelle et en
particulier de la pharmaco-génétique. Il faudra également tenir compte des co-morbidités, des coprescriptions, du contexte social, psychologique, de la compliance des patients, etc. pour une
personnification globale de la prise en charge.
Personnification de la radiothérapie et radiations ionisantes
La sensibilité individuelle aux RI est connue dans certaines maladies génétiques dans lesquelles
peuvent se superposer une sensibilité accrue aux fortes doses mais aussi aux faibles doses (imagerie) et
une susceptibilité aux cancers (Rapport INCa « risque de second cancer primitif » qui évalue le risque
relatif à 6 pour des enfants ayant eu un premier cancer).
L’identification des gènes impliqués devra permettre la mise au point de tests prédictifs (génotype,
transcriptomique, protéomique, tests cellulaires ex vivo, épigénétique ?) puis leur validation par des
essais cliniques qui devront analyser le rapport efficacité des traitements versus réduction du risque.
Les projets actuellement financés (30 projets entre 2006 et 2013 pour 8.1 M€) le sont essentiellement
dans la recherche fondamentale et ne concernent pas assez de projets cliniques.
Les tests prédictifs de radiosensibilité représentent l’avenir mais … ils ont besoin d’être
évalués
-
ils sont encore dans l’attente de biomarqueurs pertinents prédictifs ou pronostiques, de la
radiosensibilité de l’individu mais aussi de la réponse tumorale ;
-
ils devront suivre le « parcours du combattant » de l’innovation en médecine, évaluation
médicale (bénéfice/risque, PHRC), médico-économique (STIC/PRME), de la HAS avant leur
inscription à la nomenclature par la CNAMTS.
En conclusion la médecine personnalisée doit :
-
tenir compte de l’ensemble des composantes d’un individu ;
-
être validée et apporter un bénéfice (décision politique qui ne devrait pas être guidée par des
évènements +/- médiatiques) ;
-
être structurée et organisée pour l’accès de tous (et non à certains pôles dit d’excellence).
Elle est incluse dans le plan cancer 3 dans lequel elle impacte la radiothérapie et le dépistage organisé
du cancer du sein. Un objectif de transparence sera poursuivi : prendre des décisions en faisant croire
qu’elles reposent sur des certitudes est une erreur ; le public accepte que les décisions soient prises
malgré un certain degré d’incertitude, à condition de l’en informer.
52
Populations à risque et médecine personnalisée :
le cadre éthique et juridique de l’épidémiologie
Anne Cambon-Thomsen
L’unité d’épidémiologie et de santé publique de Toulouse travaille sur les aspects de génomique,
biothérapie et santé publique. Dans les domaines complexes, le niveau de la décision publique ne peut
pas se contenter de travaux d’experts juxtaposés. Il est nécessaire d’intégrer différentes disciplines de
la santé, des sciences sociales etc. au quotidien des unités de recherche clinique. Elles deviendraient
alors capables de fournir un corpus de connaissances qui intégrerait déjà plusieurs regards, et sur
lequel pourraient s’appuyer les décisionnaires.
La question éthique de la responsabilité en radiosensibilité
Une fois définies les populations à risque, que faire de cette capacité : adopter des mesures de
protection ? Définir des seuils ? Organiser des dépistages ? Préalables à certains traitements ? Pour
mieux protéger ou pour mieux sélectionner ? Ou les deux à la fois ? En fait, il y a un gap entre définir
un risque avec des tests et s’en servir pour personnaliser une prise en charge qui soit source de mieuxêtre et non d’angoisse, d’équité et non de discrimination.
Les avis des comités consultatifs d’éthique (CCNE et GEE)
Le comité consultatif national d’éthique (CCNE) a émis dans le domaine de la génétique des avis
notamment l’avis 46 « génétique et médecine : de la prédiction à la prévention » en 1995, l’avis 57 en
1998 « progrès techniques, santé et modèles de société : la dimension éthique des choix collectifs ».
Plus largement, deux extraits de l’avis 80 du CCNE et de l’avis 18 du GEE (groupe européen
d’éthique), apportent une réflexion intéressante sur la définition des populations à risque et la notion
d’aptitude (à un traitement ?).
« Notre société supporte de moins en moins, légitimement, la simple notion d’exposition à un danger
potentiel ou avéré, quelle que soit la situation des personnes exposées; l’effort doit donc porter sur la
réduction incessante des dangers plutôt que sur la sélection des personnes. » (avis 80).
On retrouve ici la préoccupation principale de l’ASN qui est de définir et réduire les expositions et les
dangers
La santé est le lieu d'application de principes fondamentaux, pour nombre d'entre eux de nature
constitutionnelle. L'éthique veut que tous ces principes soient respectés:
-
droit à la protection de la santé, qu'affirme le préambule de la Constitution ;
-
l'égalité des citoyens devant la loi principe lui aussi de valeur constitutionnelle, qui implique
la correction de ce que la biologie nous amène comme inégalités ;
-
principe de respect de la dignité humaine ;
-
l’évaluation des tests et des politiques d’application de ces tests (pertinence clinique…),
« L'appréciation des besoins de santé, de l'efficacité des procédures, de la réalité et de
l'importance des risques, indispensable à la mise en œuvre de politiques de santé efficaces et
53
sages, repose avant tout sur la qualité de l'évaluation. Il n'y a en définitive pas d'analyse du
besoin de santé qui puisse se passer de l'évaluation des risques, des gravités, des procédures,
des conséquences des politiques de prévention. » ;
-
l'évaluation de risques avérés repose surtout sur les techniques épidémiologiques. A côté des
risques avérés, on parle souvent de risques potentiels. Conjonction de deux phénomènes : par
définition, l'incertitude est grande de ce fait, elle amplifie les craintes du public ;
-
le décideur doit éviter deux écueils : soit la non prise en compte du risque, soit la mise en
route d'un programme de prévention inutile ou inadapté. La non prise en compte d’un risque
pathologique avéré dans l'établissement d'une politique de santé, pour quelque raison que ce
soit, n'est pas éthiquement acceptable. Chacun doit pouvoir être informé (transparence de
l’information) des facteurs de risque identifiés, et être assuré que sont prises des mesures
permettant de les minimiser, si elles existent. L’information pour être complète doit également
aborder le degré d’incertitude ;
-
l'évaluation ne doit pas être seulement fondée sur des critères médicaux, mais tenir compte de
différents aspects de la qualité de la vie qui peut être affectée lors du dépistage lui-même ou en
raison des contraintes liées à la prévention ;
-
l'affichage de cette priorité éthique est important car il est des cas où l'exigence de prévention
peut sembler en contradiction avec d'autres éléments, notamment économiques et politiques.
Les outils de la décision démocratique et les garanties des libertés doivent être adaptés à
l'importance de l'enjeu.
Le CCNE a identifié plusieurs niveaux où un débat démocratique doit s'engager :
-
le recueil des données individuelles sur la santé et les conditions de leur confidentialité ;
-
la manière de représenter l'usager dans les diverses instances qui traitent des priorités, (quels
sont les bonnes façons et les bons moments pour faire intervenir les différents acteurs ? de
travaux de réflexion et de recherche sont nécessaires dans ce domaine) ;
-
les moyens à mettre en œuvre pour faciliter l'information et la formation des professions de
santé s'agissant de ces enjeux, moyens par lesquels passe leur adhésion aux priorités et à la
discipline consentie.
Conclusion du GEE :
-
-
l'utilisation de tests génétiques dans le contexte de l'emploi, ainsi que la divulgation des
résultats de tests génétiques, sont en général inacceptables du point de vue éthique. En effet,
l'employeur peut satisfaire à ses devoirs et droit légitimes en matière de protection de la santé
et d'évaluation des aptitudes au moyen d'un examen médical, mais sans pratiquer de tests
génétiques ;
l'employeur doit en principe s'abstenir de procéder à un dépistage génétique ou de demander
au travailleur de se soumettre à des tests.
En conclusion, le séquençage fournit des informations qui sont associées, de façon plus ou moins
validée, avec des phénomènes de radiosensibilité ; il génère des informations que l’on ne sait pas
interpréter d’une part, et pour les autres informations, le droit de ne pas savoir doit rester très fort
ainsi que la confidentialité qui doit éviter les discriminations malgré l’importance de l’accès à ces
données pour la recherche.
54
Echanges avec les participants
Le terme « prédictif » est un terme fort. En fait, on est plus dans le domaine de la corrélation que de
la causalité, même si elle est forte. Prédiction est un terme qui charge de responsabilités très lourdes !
L’assemblée est invitée à réfléchir sur l’usage de ce mot.
Il est souligné que le terme de médecine prédictive est inadapté et il vaudrait mieux parler de
médecine de prévision, ce qui de plus ajoute une dimension d’action.
L’utilisation de l’argent public n’a de sens que s’il existe un bénéfice sociétal ou individuel comme
repérer des personnes à très haut risque. Pour l’INCa, l’utilisation de l’argent public pour la lutte
contre le tabagisme, qui est responsable de la mort d’une personne sur 2, est une priorité. En ce qui
concerne la radiosensibilité, il reste beaucoup d’étapes avant de pouvoir utiliser des tests en routine
même s’ils seraient très utiles au niveau individuel. Pour le moment, il n’est pas évident qu’il faille
mettre beaucoup d’argent dans ce domaine.
Il est noté qu’en matière de prévention, comme dans l’exemple du tabac, c’est le choix de chacun, s’il
est correctement informé, de courir un risque. Par contre avec le séquençage génomique ou d’autres
approches, le message à transmettre est plus difficile. Comment communiquer par exemple face à une
jeune femme de 18 à 20 ans présentant la mutation BRCA1 ? Les médecins sont-ils prêts pour
accompagner les patients sur le moyen et sur le long terme !
En fait, la réalité d’aujourd’hui est encore plus effrayante puisque le séquençage haut débit est
accessible sur Internet avec des résultats bruts communiqués par un simple courrier ! On ne peut
donc ne pas éviter le débat sur le séquençage et mieux vaut alors l’organiser et en structurer l’accès.
C’est une réflexion éthique.
55
It’s time to change
Pierre Barbey
Le contexte réglementaire actuel, issu des modifications du Code du travail et du Code de la santé
publique, introduites en 2002-2003 est basé en particulier sur le retour de connaissances, vers le milieu
des années 80, concernant le suivi des survivants d’Hiroshima-Nagasaki. Depuis la CIPR 60 et la
Directive 96/29, vingt cinq ans se sont écoulés.
De nouvelles connaissances dans les domaines de la radiobiologie et de l’épidémiologie, portées par
une littérature importante, se sont accumulées :
-
dans les années 2000, les travaux de Zhou sur les effets supra linéaires des très faibles doses
étayés par des avancées en radiobiologie et la mise en œuvre d’outils biotechnologiques tels les
micro faisceaux permettant des irradiations tout à fait localisées à l'échelle intracellulaire ;
-
en 2003, les travaux de Rothkamm en radiobiologie sur les cassures double brin qui ont, grâce
à des innovations biotechnologiques, permis d'observer des effets délétères pour des doses de
l'ordre du mGy (alors que jusque-là il fallait des dose de l'ordre du Gy) et amené des avancées
considérables dans ce domaine des défaut de réparation ;
-
en 2003, un état de l’art par des experts radiobiologistes et épidémiologistes, concernant la
relation dose/effet, ont mis en évidence un excès de risque à partir de niveaux d’exposition
aux environs de 35 mSv ;
-
en 2012, les travaux de Pearce ont montré l’augmentation significative des cancers du cerveau
et les leucémies après examens scanographiques durant l’enfance ;
-
enfin en 2013, les travaux de Mathews ont porté sur la plus grande cohorte étudiée depuis
Hiroshima-Nagasaki : 680221 enfants. là encore, l'excès de cancers corrélé aux expositions
diagnostiques (scanners) apparait significatif.
A ce jour, une quinzaine d’études au niveau international, cherchant à explorer les conséquences de
ces expositions médicales (essentiellement chez les enfants), sont en cours.
En conclusion, le contexte réglementaire repose sur des données scientifiques datant de 25 ans.
Depuis 15 ans, des évolutions considérables des connaissances dans les domaines de la radiobiologie
et de l’épidémiologie doivent nous interpeller et nous conduire à entamer une réflexion sur les limites
réglementaires fixées par la CIPR 90 par principe de précaution dans un contexte qui a évolué depuis.
Une réflexion sur ces limites, et la nécessité de les revoir à la baisse, pourrait être engagée à l’occasion
de la transposition de la nouvelle Directive BSS Euratom.
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Clôture du séminaire
Jean-Christophe Niel
Cette intervention clôt la journée et mais ne la conclut pas tant il y a eu de questions abordées et
d’interrogations qui subsistent. Elle a été l’occasion de rappeler les enjeux de la radiosensibilité
individuelle par rapport à la radioprotection qui est un sujet pour l’ASN. Les champs couverts lors de
ces échanges ont largement dépassé celui de la radioprotection
Pourquoi s’intéresser au sujet de la radiosensibilité individuelle ?
L’utilisation de plus en plus fréquente des RI dans le milieu médical que ce soit en radiothérapie ou en
radiodiagnostic justifie cet intérêt. En radiothérapie les effets secondaires et les complications
touchent une fraction non négligeable des patients traités. Les risques liés à l’imagerie sont quant à
eux de plus en plus mis en avant au travers d’études et de constats notamment en ce qui concerne les
enfants. De plus, l’ASN peut s’interroger sur l’impact de ce sujet au delà du domaine médical.
Les bases biologiques de la radiosensibilité
Elles ont fait l’objet de la première partie de ce séminaire qui a également vu la naissance officielle de
la radio-esthésie qui devrait permettre une clarification des concepts.
Un point a été fait sur différents aspects tels les mécanismes de la réparation de l’ADN, sur les
biomarqueurs et les protéines-clés de la réparation des lésions de l’ADN, sur l’expression génique et le
polymorphisme. Enfin, une information a été donnée sur les programmes de recherche en cours.
Des questions ont été soulevées par rapport aux méthodes d’évaluation de la radiosensibilité :
-
Faible dose/forte dose ?
-
Effets précoces/tardifs ?
-
Quels tissus, quelles cellules ?
-
Signification et reproductibilité des tests ?
-
Cellules irradiées ou non ?
Des interrogations persistent notamment sur le rapport entre lésion et risque, la prise en compte
d’autres facteurs, la variabilité au cours de la vie et en fonction de l’environnement, la réponse
immunitaire…
La conclusion de Dietrich Averbeck sur cette matinée « de bonnes pistes pour déceler la
radiosensibilité individuelle et la définir de façon plus précise… une forte attente pour les projets de
recherche en cours » résume cette première partie du séminaire.
Aspects cliniques de la radiosensibilité individuelle
La seconde partie du séminaire a abordé les sujets de l’hypersensibilité en radiothérapie :
hyperréactivité tissulaire, effets déterministes, précoces, tardifs ainsi que le test d’apoptose. Les
interrogations persistent sur ce/ces tests prometteurs et la poursuite des recherches dans ce domaine
est nécessaire afin de répondre aux attentes des professionnels.
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Une revue des dernières études épidémiologiques relatives aux examens de radiologie diagnostique
chez les enfants a mis en exergue les enjeux de leur exposition aux RI. La mammographie et
l’estimation du risque à faible dose a fait l’objet de présentations. La démonstration de la
radiosensibilité du sein ne remet pas en cause le dépistage pour les femmes de plus de 50 ans mais
pose question pour les plus jeunes.
Jean-Marc Cosset, à l’issue de ces présentations a demandé : « des tests par pitié !» à la fois pour
réduire les complications, mieux optimiser les doses, adapter les techniques… Les enjeux sont grands
dans ce domaine et la poursuite des recherches indispensable.
Enfin, une table ronde très riche a démontré l’importance des échanges entre les domaines de
l’expertise, l’éthique, la communication…
Ce séminaire est une étape importante pour l’ASN mais il n’est pas une fin en soi. Il faut continuer à
avancer dans ce domaine et établir des liens entre radiosensibilité et radioprotection.
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Crédits photos : © DR – Musée Curie - Inserm • Octobre 2014
15, rue Louis Lejeune • 92190 Montrouge
Centre d'information du public : 01 46 16 40 16 • [email protected]
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