RADIOSENSIBILITE INDIVIDUELLE : UNE NOTION ANCIENNE ET SON AVENIR Conclusions du séminaire du 16 décembre 2013 organisé par l’ASN 2 Avant-propos Dans le cadre de sa mission d’information, l’ASN a organisé un séminaire afin de faire le point sur la variabilité de la sensibilité individuelle aux rayonnements ionisants (RI), autant aux fortes doses avec les effets secondaires et les complications de la radiothérapie, qu’aux faibles doses avec les risques potentiels notamment de cancers secondaires aux explorations médicales utilisant les RI. De nombreuses avancées ont été faites récemment, tant conceptuelles que techniques, dans la compréhension des phénomènes radioinduits et la caractérisation des populations à risque. Les possibles conséquences juridiques et éthiques seront abordées. Au-delà, une éventuelle évolution des bonnes pratiques de justification et d’optimisation et à terme de la réglementation sera discutée. L’ensemble des avancées fondamentales récemment acquises en matière de connaissance de la réponse individuelle aux RI pourrait éclairer le lien entre l’exposition des individus à des agressions toxiques diverses (chimiques ou physiques…) et les risques de cancers en particulier. 3 4 S O M M A I R E Synthèse du séminaire ..................................................................................... 6 Ouverture du séminaire ................................................................................... 7 PREMIERE PARTIE LES BASES BIOLOGIQUES DE LA RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE ....... 9 Radiosensibilité individuelle et réparation de l’ADN (histoire et signalisation) .. 11 Radiosensibilité : expression génique ................................................................... 13 Radiosensibilité : le polymorphisme ..................................................................... 15 Le projet INDIRA ................................................................................................. 17 La radiosensibilité individuelle dans le programme MELODI ........................... 19 DEUXIEME PARTIE ASPECTS CLINIQUES DE LA RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE ............... 23 L’hyperactivité tissulaire en radiothérapie............................................................. 25 L’hyperactivité tissulaire en radiothérapie : l’expérience des cliniciens .............. 26 L’hyperactivité tissulaire en radiothérapie : les tests de radiosensibilité ............. 29 Capacité de la réparation de l’ADN et seconds cancers chez les enfants ............ 31 Scanners chez l’enfant et cancers radioinduits ? .................................................. 33 Le cas particulier des mammographies ................................................................ 38 TABLE RONDE RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE : ÉVOLUTION DES PRATIQUES ? ...... 41 ÉVOLUTION DE LA RÉGLEMENTATION ? Radiosensibilité individuelle : et alors ? ................................................................ 43 L’association des patients porteurs d’ataxia telangiectasia .................................. 47 Risque individuel – risque collectif : réflexions philosophiques .......................... 49 La médecine personnalisée ................................................................................... 51 Population à risque et médecine personnalisée : le cadre éthique et juridique de l’épidémiologie ................................................................................................................... 53 It’s time to change.................................................................................................. 56 CLOTURE DU SEMINAIRE .................................................................................................................... 57 5 Synthèse du séminaire Dans le cadre de sa mission d’information, l’ASN a organisé un séminaire pour faire un point sur les nombreuses avancées conceptuelles dans la caractérisation des phénomènes radioinduits et sur la variabilité de la sensibilité individuelle aux rayonnements ionisants. Les présentations et les échanges lors du séminaire permettent de retenir quelques points forts. Dans le domaine fondamental, une clarification très appréciée a été formulée : la distinction sémantique et mécanistique entre les réactions tissulaires précoces et tardives (déterministes) de l’exposition aux radiations ionisantes observées après radiothérapie qui reste intitulée « radiosensibilité » et le risque de cancers radio-induits désormais appelée «radioesthésie ». Les projets de recherche en cours et le développement des collaborations internationales (cohérence des études futures, standardisation des méthodologies, taille des cohortes) devraient permettre d’en approfondir les mécanismes respectifs. La promotion des recherches cliniques et fondamentales ciblées sur le double risque (radiosensibilité tissulaire et radioesthésie) induit par les radiations ionisantes dans diverses sous-populations (enfants, syndromes génétiques…) apporteront des éclarcissements complémentaires. Il existe une variabilité significative (qualitative et quantitative) de la radiosensibilité et de la radioesthésie. De très grandes avancées ont été faites dans la compréhension des mécanismes associés, notamment en identifiant le rôle clé de la signalisation des cassures double-brin de l’ADN et de leur réparation. Il conviendra d’en préciser l’importance. Des avancées significatives dans la mise au point des tests de mise en évidence de ces deux types de risque ont été actées : de la prédictivité des effets tissulaires précoces et tardifs d’une part, et de la radioesthésie, d’autre part. Les participants ont affirmé le caractère prioritaire de la mise à disposition des praticiens de tests prédictifs pertinents, robustes, validés et standardisés pour : a. permettre aux radiothérapeutes d’adapter les indications et les doses de rayonnements à la radiosensibilité tissulaire de leurs patients ; b. évaluer le risque individuel de radio-esthésie pour une pratique médicale donnée dans des populations ciblées. Chez l’enfant, l’apport diagnostique et thérapeutique des radiations ionisantes a été mis en perspective avec la radioesthésie très particulière à cet âge. Le rapport coût (risque de cancer) versus bénéfice (utilité médicale) implique l’information des professionnels de santé en particulier les médecins généralistes. Il apparaît primordial d’alerter les professionnels de santé, notamment les médecins généralistes, sur la sensibilité particulière des enfants vis-à-vis des radiations ionisantes notamment du risque radio-esthésique (ex. scanners répétés chez l’enfant). Le débat avec les représentants des associations de patients, les décideurs institutionnels et des juristes a permis de souligner les dimensions éthiques complexes de l’accès à l’information contenue dans le génome, maintenant séquencé à haut débit, et la nécessaire transparence dans la communication sur l’incertitude du risque. Le dialogue entre praticiens, patients et associations de patients doit être encouragé afin que soient diffusées en toute transparence des informations adaptées. Le séminaire a conclu qu’il importait de rester attentif aux avancées des connaissances et vigilant pour anticiper les décisions réglementaires qui pourront ou devront être prises. 6 Ouverture du séminaire Pierre-Franck Chevet Président de l’Autorité de sûreté nucléaire En introduction du séminaire, Pierre-Franck Chevet pose d’emblée la question à laquelle cette réunion se propose d’apporter des éléments de réflexion : pourquoi s’intéresser à la radiosensibilité individuelle ? Les rayonnements ionisants sont de plus en plus utilisés en médecine (radiothérapie et imagerie médicale). Leur apport est indiscutable. Néanmoins, il est constaté que, d’une part, les effets secondaires et les complications de la radiothérapie pourraient toucher 5 à 15 % des patients traités et que, d’autre part, les risques de cancers induits par l’exposition médicale aux rayonnements ionisants (RI), sont régulièrement mis en exergue par des calculs de risque et des études épidémiologiques (comme en témoigne une publication récente sur les scanners chez l’enfant). Ce sujet n’est pas nouveau, l’ASN dans son rapport annuel de 2003 avait déjà soulevé la question de la radiosensibilité individuelle Par ailleurs, la France dispose de très bonnes équipes de radiobiologistes (INSERM, CNRS, Institut Curie, CEA…) et a récemment choisi d’investir sur ce sujet via l’appel à projet post Fukushima Investissements d’Avenir notamment avec l’étude INDIRA qui vise à la détermination de la radiosensibilité individuelle des sauveteurs médicaux en cas d’urgence nucléaire. Pierre-Franck Chevet rappelle que la radiosensibilité individuelle est aussi un sujet d’intérêt international examiné par différentes institutions : - la commission européenne : Radiation protection n°171 , Luxembourg, actes du séminaire (novembre 2012) ; - l’Organisation mondiale de la santé et l’Agence internationale de l’énergie atomique : Bonn call for actions (Décembre 2012) ; - le Public Health England (groupe AGIR) : rapport datant de Mars 2013 ; - la CIPR : groupe de travail des comités 1 et 3 en cours de constitution ; et également abordé au sein du programme européen MELODI : European Low Dose initiative (octobre 2013) Enfin, la radiosensibilité individuelle est une question fondamentale de la radioprotection puisqu’une partie importante de la population est potentiellement concernée. Il convient donc de progresser, et c’est l’objectif de cette réunion : - sur la compréhension des deux phénomènes, déterministe aux fortes doses et stochastique aux faibles doses d’induction de cancers par les RI ; - de positionner la sensibilité individuelle aux rayonnements ionisants comme signe de susceptibilité au cancer ; - d’avancer sur la disponibilité de tests de routine adéquats. Il sera alors possible : - d’étudier les populations à risque sur une large échelle ; - de les protéger en faisant évoluer les pratiques médicales vis-à-vis des RI et par le biais d’une éventuelle évolution de la règlementation. 7 8 PREMIÈRE PARTIE LES BASES BIOLOGIQUES DE LA RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE 9 10 Radiosensibilité individuelle et réparation de l’ADN Histoire et signalisation Nicolas Foray UMR1052 Inserm – Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon Les premières observations Le facteur individuel fut évoqué dès l’antiquité sous le terme d’idiosyncrasie et a été mis en évidence dans de nombreuses disciplines médicales et repris au XIXème siècle par Claude Bernard. L’idée que chacun réponde différemment face aux radiations, comme face à tout stress, est intuitive et bien acceptée par le grand public. Toutefois, la mise en évidence de la radiosensibilité individuelle à travers une démarche scientifique rigoureuse a pris près d’un siècle et a été semée de controverses. Lors du Congrès de l’Association Française pour l’Avancement des Sciences (AFAS) organisé à Lyon en 1906, en présence d’électrophysiologistes comme Jean Bergonié, la motion suivante fut adoptée : « la Section d’Electricité Médicale du Congrès tenu à Lyon admet après discussion qu’avec des doses égales évaluées avec les indicateurs actuels, certains individus dans des conditions spéciales peuvent présenter des réactions quelque peu différentes.». Dans la même période, le terme “radiosensibilité” fut utilisé pour décrire les réactions tissulaires radioinduites (brûlures, dermites, nécroses, etc…) qui reflètent les phénomènes de morts cellulaires. En parallèle, des observations de plus en plus nombreuses montrèrent que les radiations ionisantes sont également cancérogènes. Cette nouvelle propriété fut notamment illustrée par l’épisode tragique des radium girls. Dans les années 30, à travers le terme radiosensibilité, une certaine confusion commença à s’établir entre la prédisposition aux réactions tissulaires radioinduites et la prédisposition au cancer radioinduit. Ces deux notions étant très différentes du point de vue clinique et génétique, nous avons proposé de conserver la définition historique (prédisposition aux réactions tissulaires radioinduites) de la radiosensibilité et créer le terme « radioesthésie » pour désigner la prédisposition aux cancers radioinduits. Ce terme a été validé par le Service du Dictionnaire de l’Académie Française. Définition cellulaire de la radiosensibilité individuelle Au fur et à mesure des développements technologiques, il parut évident dès les années 30 que les réactions tissulaires radioinduites étaient le résultat de différents types de morts cellulaires causées par les radiations. La perte du pouvoir clonogénique (et non la disparition physique ou l’arrêt du métabolisme) apparut comme le point commun de tous les types de morts cellulaires. C’est en 1957 que Puck et Markus proposèrent d’utiliser les tests clonogéniques (ou méthode des colonies) pour quantifier la radiosensibilité : en ensemençant un nombre connu de cellules, la mesure du nombre de colonies issues des cellules non-stérilisées par l’irradiation devint la méthode de référence pour connaître la fraction survivante des cellules. On s’intéressa alors à la fraction survivante après 2 Gy (SF2 pour surviving fraction at 2 Gy). En 1981, après avoir analysé des centaines de courbes de survie de cellules humaines, Fertil et Malaise aboutirent à 3 conclusions [4]: - il existe une corrélation entre la radiosensibilité clinique et la radiosensibilité des cellules issues des biopsies mesurée in vitro par la méthode des colonies ; chaque lignée cellulaire peut être caractérisée par sa propre SF2 : Fertil et Malaise la nommèrent radiosensibilité intrinsèque ; toutes les valeurs sont possibles entre l’hyper-radiosensibilité et l’hyper-radiorésistance : la radiosensibilité n’est pas un phénomène de tout-ou-rien. Dans les années 70, les enfants souffrant de l’ataxie telangiectasique (AT), associée aux lymphomes, à des troubles de l’équilibre et à une forte immunodéficience succombèrent à leur traitement 11 radiothérapique. Une équipe anglaise montra à partir des courbes de survie de fibroblastes issus de patients AT que l’ataxie telangiectasique est le syndrome associé à la plus forte radiosensibilité chez l’homme avec une SF2 d’environ 1% (on considère que la radiorésistance commence au-delà de 50%). Fertil et Deschavanne publièrent en 1996 une première liste de ces maladies génétiques radiosensibles en fonction de la SF2 des fibroblastes de peau. De très nombreux cas de radiosensibilité intermédiaire furent mis en évidence (SF2 entre 1 et 50 %). Toutefois, nécessitant un savoir-faire pour la culture de tissus et plus d’une semaine pour que les colonies apparaissent, la méthode des colonies est lourde : de nombreuses équipes de recherche se consacrèrent alors au développement de nouveaux tests à la fois pour déterminer les bases moléculaires de la radiosensibilité mais aussi dans l’espoir d’obtenir des résultats plus rapidement. La course aux bases moléculaires de la radiosensibilité De nombreux tests prédictifs furent proposés pour remplacer la survie clonogénique : peu se révélèrent corrélés à la survie clonogénique et certains restent encore faussement associés à la radiosensibilité. La très grande majorité des syndromes génétiques associés à une radiosensibilité sont causés par la mutation de gènes impliqués dans la signalisation ou la réparation des cassures doublebrin de l’ADN (CDB). Les techniques de mesure des CDB furent donc systématiquement utilisées. Toutefois, il y eut une grande confusion dans le choix entre les techniques spécifiques aux CDB et celles moins spécifiques qui reflétaient plutôt d’autres types de dommages. De plus, de nombreux auteurs se focalisèrent sur la mesure du nombre de CDB produites alors que seul le nombre de CDB non réparées semblait plus prédictif de la radiosensibilité. En 2008, en utilisant une dizaine de techniques différentes et en rassemblant 40 lignées fibroblastiques issues de 8 syndromes génétiques différents, nous avons montré qu’il existait une corrélation entre la SF2 et le taux de CDB nonréparées 24 h après 2 Gy. Une classification de la radiosensibilité humaine en 3 groupes fut alors proposée. Toutefois, de nombreux syndromes génétiques sont classés radiosensibles alors que les protéines mutées qui les causent restent dans le cytoplasme : les modèles de la radiosensibilité basés uniquement sur les défauts de réparation des CDB ne peuvent donc expliquer toute la radiosensibilité humaine. En 2013, nous avons mis en évidence que la protéine ATM, dont les mutations causent l’AT, passe du cytoplasme au noyau après irradiation. La rapidité de cette nucléarisation ainsi que la fonctionnalité de la protéine ATM dans le noyau pourrait prédire tous les cas connus de radiosensibilité. Sur cette base, de nouveaux tests prédictifs de la radiosensibilité sont appliqués et un réseau de 60 praticiens et plus de 20 centres anti-cancer ou centre hospitaliers participent à cette analyse. De façon intéressante et sur cette même base, la qualité de la signalisation et de la réparation des CDB peut être quantifiée, ce qui permet aujourd’hui de dresser des conditions moléculaires précises pour la radiosensibilité comme pour la radioesthésie. Enfin, certains phénomènes qui restaient jusqu’à présent inexpliqués (comme l’hypersensibilité aux faibles doses) trouvent une explication plus cohérente en considérant la nucléarisation d’ATM après irradiation. Un tel modèle permet donc aujourd’hui de mieux évaluer le risque et d’identifier les patients radiosensibles et les patients radioesthésiques sur des bases objectives. Pour aller plus loin : Foray N, Colin C, Bourguignon M.[Radiosensitivity: evidence of an individual factor]. Med. Sci. (Paris). 2013 Apr; 29(4):397-403. Ferlazzo ML, Sonzogni L, Granzotto A, Bodgi L, Lartin O, Devic C, Vogin G, Pereira S, Foray N. Mutations of the Huntington's Disease Protein Impact on the ATM-Dependent Signaling and Repair Pathways of the Radiation-Induced DNA Double-Strand Breaks: Corrective Effect of Statins and Bisphosphonates. Mol Neurobiol. 2014, in press Bodgi L, Granzotto A, Devic C, Vogin G, Lesne A, Bottollier-Depois JF, Victor JM, Maalouf M, Fares G, Foray N. A single formula to describe radiation-induced protein relocalization: towards a mathematical definition of individual radiosensitivity. J Theor Biol. 2013 Sep 21; 333 : 135-45. 12 Radiosensibilité : expression génique Christophe Badie Cancer genetics and cytogenetics group, Biological effects department; Centre for radiation chemical and environmental hazards; Health Protection Agency, Didcot, Oxfordshire, UK Un point d’histoire L’induction de la transcription de gènes spécifiques en réponse aux dégâts de l’ADN a été décrite il y a plus de 30 ans, d’abord chez la bactérie (1980) puis chez les levures (1985) et enfin chez les mammifères (1988). La première publication de la modulation de l’expression génique chez les mammifères en liaison avec les radiations ionisantes (RI) date de 1990, ainsi que la description de la variation de l’expression génique en fonction de la radiosensibilité. Ces premiers résultats ont été obtenus grâce à une souche de souris présentant une mutation spontanée dont le phénotype ressemblait à celui de l’ataxia telangiectasia (AT) associée à un déficit de réparation des lésions de l’ADN. La réponse transcriptionnelle En réponse à une exposition aux radiations et aux dommages induits, de nombreuses voies de signalisation sont activées dans les cellules. Cette réponse extrêmement complexe dépend de la dose, du débit de dose, du type de radiation (TEL), du temps entre l’exposition et l’analyse, du tissu mais aussi de l’individu, faisant de l’analyse de l’expression génique une tâche compliquée mais potentiellement très riche en informations. L’expression génique d’échantillons sanguins (de souris ou humains) et de cultures de lymphocytes T (sans transformation virale) a été évaluée sur environ 14 gènes impliqués dans la voie de signalisation ATM ; ces études ont été menées in vitro, ex vivo et in vivo sur des échantillons de patients traités par radiothérapie externe ou interne (médecine nucléaire) par RT-PCR. Les éléments de la variabilité individuelle La méthode utilisée est sensible et reproductible et peut être utilisée pour l’évaluation de l’exposition à des fins de dosimétrie biologique. Il a été ainsi confirmé des différences interindividuelles même aux faibles doses. Chez les patients AT ou NBS (syndrome de Nimègue), l’étude de l’expression génique à 1h, 2h et 4h, a montré que la réponse à l’irradiation des fibroblastes est beaucoup plus faible que pour des donneurs normaux. Ce test permet donc de les reconnaître, en utilisant par exemple le gène check point p21 (cp21), qui est directement impliqué dans la voie ATM. Les résultats obtenus avec p21 ont été utilisés dans une étude prédictive très limitée chez des patientes porteuses de cancer du sein avec réactivité aigue sous radiothérapie. Les patients AT par exemple sont très facilement repérables. De même l’expression de p21 est beaucoup plus faible chez les patients hyper réactifs ce qui permet de prédire la réactivité avec une sensibilité de 90 %. Des études ultérieures sur des cohortes plus importantes sont cependant nécessaires. Les défauts de signalisations modérés peuvent donc être repérés après irradiation, et les défauts de réparation sévères (telle aussi l’anomalie du gène de la ligase IV) sont visibles même sans irradiation, très rapidement. 13 Concernant les complications tardives, une étude portant sur l’expression de H2AX dans des cultures cellulaires de lymphocytes irradiés avait pour objectif de tenter de différentier les patientes à risque de développer des complications tardives. Avec une sensibilité de 20 %, ce test est cliniquement insuffisant. Peut-on quantifier le poids des facteurs génétiques dans la réponse transcriptionnelle ? Le rôle de ces facteurs a été testé sur des jumeaux monozygotes et hétérozygotes (étude non publiée). La réponse transcriptionnelle est en majorité, jusqu’à 82 %, due au facteur génétique, et peut être mise en évidence pour certains gènes sans irradiation, pour d’autres après irradiation des échantillons. L’étude des modifications épigénétiques (de la chromatine) a montré que, chez des jumeaux monozygotes âgés de 3 ans, les marqueurs d’hyper ou d’hypo méthylation sont extrêmement proches. En revanche, chez des jumeaux âgés de 50 ans, les différences sont beaucoup plus importantes. Le style de vie et les facteurs environnementaux influencent donc l’expression génique et il est probable que des individus très proches dans leur réponse transcriptionnelle lors de la petite enfance ne le seront plus dans la suite de leur existence. La réponse génique globale de populations de souris transgéniques présentant un nombre croissant de copies de la p53, qui est corrélé au risque de développer un cancer, a été évaluée. La réponse de l’expression génique en reponse aux RI est linéaire et directement proportionnelle au nombre de copies du gene p53 et il est donc envisageable de pouvoir évaluer par cette méthode l’activite de la voie de signalisation ATM/CHK2/P53 t la susceptibilie individuelle a developper un cancer. Le futur ? Beaucoup reste à découvrir mais en étudiant : - l’expression des microARN, qui ne sont pas transcrits et pour lesquels les publications ont récemment explosées. Ces microARN peuvent être extraits de la salive, de l’urine ou du sérum, ce qui permettra des études rapides et non invasives ; - l’expression des d’ARN plus longs également non codants mais dont le rôle est probablement très important dans la réponse de l’ADN. Enfin, de nouvelles techniques, notamment la PCR digitalisée, permettant un e etude encore plus sensible, permettront de grands progrès. Pour en savoir plus - Badie C et al. Repression of CDK1 and other genes with CDE and CHR promoter elements during DNA damage-induced G(2)/M arrest in human cells. Mol Cell Biol. 2000 - 20(7):2358-66. Kabacik S et al. Gene expression following ionising radiation: identification of biomarkers for dose estimation and prediction of individual response. Int J Radiat Biol. 2011 - 87(2):115-29. Manning G et al. High and low dose responses of transcriptional biomarkers in ex vivo X-irradiated human blood. Int J Radiat Biol. 2013 - 89(7):512-22. Badie C et al. Laboratory intercomparison of gene expression assays. Radiat Res. 2013 - 180(2):13848. Badie C. et al. Aberrant CDKN1A transcriptional response associates with abnormal sensitivity to radiation treatment. Br J Cancer. 2008 - 98(11):1845-51. Finnon P. et al. Correlation of in vitro lymphocyte radiosensitivity and gene expression with late normal tissue reactions following curative radiotherapy for breast cancer. Radiother Oncol. 2012 105(3):329-36. Kabacik S. et al. A minimally invasive assay for individual assessment of the ATM/CHEK2/p53 pathway activity. Cell Cycle. 2011 - 10(7):1152-61. 14 Radiosensibilité : le polymorphisme Sylvie Chevillard Laboratoire de cancérologie expérimentale – CEA FAR Lorsque la variabilité de la radiosensibilité est étudiée, qu’elle soit d’origine génétique ou épigénétique, il est essentiel de définir une question dans un contexte. Parle-t-on de la radiosensibilité en terme de risque et si oui lequel : le risque de cancer, de fibrose, le risque de développer une pathologie cardiovasculaire... ? Parle-t-on de la sensibilité à la radiothérapie, et si oui sommes-nous intéressés par la réponse des cellules tumorales ou s’agit-il de comprendre la réaction des tissus sains qui se situent dans le champ d’irradiation ? Sommes-nous intéressés par des marqueurs de réponse précoce, de réponse tardive, sur quelles cellules, à quelles doses et quel débit de dose ? Les mécanismes impliqués dans les réponses précoces ont-ils un lien avec les risques à long terme… ? La radiosensibilité individuelle doit être reliée à un risque mais … comment ? (quels tests, quels supports, quelles doses, quels débits de dose, à quel temps l’observer …) et comment faire aux faibles doses puisqu’on ne sait pas objectiver leur risque. In vitro, les réponses cellulaires sont observées en utilisant des tests qui permettent de « voir » des différences de radiosensibilité, des différences interindividuelles etc. mais là aussi quels tests ? Toutes ces problématiques sont résumées dans le tableau ci-dessous. Les mécanismes? Radiosensibilité individuelle individu tissus Effets directs Quels phénotypes? cellules Quels tests? Effets indirects Quelles cellules? Quelles doses? génétique Quels débits de dose? Quels temps? précoce Avant irradiation tardif épigénétique Induction Sélection 15 Les travaux sur les cellules : fibroblastes ? Lymphocytes ? Les lymphocytes T (CD4+/CD8+) semblent actuellement le meilleur support pour l’étude des effets secondaires de la radiothérapie. Quels tests ? Les études comparatives récentes montrent surtout qu’il manque une standardisation de ceux-ci puisque la reproductibilité des résultats est variable : - à l’intérieur des laboratoires et selon le laboratoire concerné ; entre les laboratoires ; De plus, les tests qui mesurent une radiosensibilité précoce tels que la réparation des cassures de l’ADN ou la sensibilité à l’apoptose sont-ils prédictifs des risques à long terme notamment du risque cancer ? En ce qui concerne les études génétiques (et épigénétiques avec les histones), on peut conclure que si la radiosensibilité est héritable (maladies génétiques des jumeaux), on note : - des mutations rares (AT…) avec un effet « fort » chez les homozygotes ; des polymorphismes SNP (Single Nucleotide Polymorphism) rares à effets intermédiaires ; des SNP communs avec des effets faibles (il y a 11 millions de SNP dans le génome humain soit 1 tous les 1 000 nucléotides !) ; voire d’autres types de variations. La mise en évidence de ces phénomènes nécessiterait des cohortes de plus de 1 000 personnes, des validations solides et indépendantes ainsi que la recherche des facteurs confondants … D’autres approches sont la recherche de « gènes candidats » et l’étude GWAS. En conclusion, pourquoi ne pas envisager des laboratoires « règlementaires », sur le modèle mis en œuvre pour la toxicité chimique, en vue de l’édiction de « guide-lines » et des tests standards ? 16 Le projet INDIRA (Rapid assays to evaluate the INDividual RAdiosensitivity) Michèle Martin Laboratoire de Génomique et Radiobiologie de la Kératinopoïèse, CEA, Evry Introduction La sensibilité aux radiations ionisantes, tant en termes de toxicité tissulaire que de risque de cancer, dépend fortement du statut individuel, et notamment de l’âge, du genre, du statut génétique et épigénétique. Ainsi la Commission Internationale de Protection Radiologique (CIPR) a estimé que le pourcentage d’individus radiosensibles dans la population générale se situerait entre 5 et 15%. De plus, la radiosensibilité individuelle pourrait varier d’un facteur 1 à 5, ce qui est au moins du même ordre que certains facteurs de pondération utilisés pour le calcul de la dose en Sievert pour tenir compte de la nature de l’irradiation et du tissu irradié. Par ailleurs, la demande du grand public et des professionnels de santé pour une évaluation plus précise et personnalisée des risques liés aux radiations devient plus pressante. Pourtant, la prise en compte de la radiosensibilité individuelle dans le système de radioprotection reste encore limitée. Citons parmi les raisons de cette limitation le fait que les mécanismes biologiques sous-jacents sont encore mal connus, que les outils d’évaluation du risque individuel sont insuffisants, que les conséquences en termes de santé publique et d’organisation du travail pourraient être importantes et enfin que les dimensions éthiques de l’accès à l’information sont complexes. Dans ce contexte, la mise au point de tests prédictifs robustes, rapides, validés et standardisés pour évaluer la radiosensibilité individuelle constituerait une étape-clé en radioprotection et en sûreté nucléaire. L’objectif du projet INDIRA L’objectif du projet INDIRA est de développer de nouveaux tests rapides de radiosensibilité, principalement en termes de risque de cancer, applicables à de grandes séries, notamment pour discriminer les sous-populations les plus à risque à des doses de radiation observables en cas d’accident nucléaire. Ces tests seront évalués sur une cohorte représentative de la population générale mise en place pour ce projet. Les fonctions biologiques ciblées sont la signalisation et la réparation des cassures double-brin de l’ADN, puisque la quasi-totalité des maladies génétiques humaines associées à une radio-sensibilité sont associées à des déficiences dans ces processus biologiques. Le consortium comprend Nicolas Foray (INSERM Lyon, URM1052), Michèle Martin (CEA/INSERM, DSV/UMR967 Evry), Nicolas Ugolin (CEA DSV Fontenay-aux-Roses) et Caroline Telion (AP-HP SAMU Paris). La cohorte sera constituée de 500 hommes volontaires sains du SAMU, personnel qui pourrait être amené à intervenir dans des conditions d’urgence lors d’accidents nucléaires. Le Dr Caroline Telion, du SAMU de Paris est responsable de l’inclusion des volontaires, de son cadre légal et éthique et du questionnaire administratif et médical. Les tissus seront d’une part des prélèvements des prélèvements de peau, afin de mettre en place des banques pérennes de fibroblastes et de kératinocytes pour chaque donneur, et d’autre part des prélèvements de sang et de follicules pileux afin de développer un test sur cellules primaires (lymphocytes et kératinocytes). 17 La gamme de dose de radiations (de 1 à 2000 mGy) comprendra des doses faibles concernant les travailleurs de l’industrie nucléaire, les populations en cas d’accident nucléaire mais aussi les doses de référence en radiobiologie. L’objectif est de : - mettre en place une banque de cellules sur une cohorte représentative de la population générale - mettre au point des tests rapides capables d’estimer la radiosensibilité individuelle et son impact réel, fondés sur une mesure de la fonctionnalité d’acteurs majeurs de la réparation de l’ADN. - valider les tests sur la banque de cellules et sur des cellules primaires. Les études porteront sur : - ATM, une protéine clé de la signalisation des dommages : - avec l’analyse des foci pour l’étude de la translocation d’une protéine vers le noyau. Ce paramètre sensible est discriminant puisque 90 % des patients classés par l’équipe de N Foray dans le groupe II de radiosensibilité présentent une séquestration d’ATM dans le cytoplasme. - Par l’étude de l’activité kinase nucléaire d’ATM, qui est reliée aux groupes cliniques de radiosensibilité. - MRE 11, du complexe nibrine, protéine de l’initiation de la signalisation de la réparation des CDB et qui recrute ATM, étudiée par le test des foci ; - l’histone H2AX, dont la phosphorylation est un signal majeur de recrutement des protéines de signalisation et de réparation des dommages. Ces tests très reproductibles et sensibles sont actuellement les plus utilisés dans les laboratoires ; - 53BP1, protéine de signalisation des CDB de l’ADN transloquée vers le noyau où elle forme de larges foci près de la lésion et qui interagit avec H2AXγ. Son recrutement est de plus indépendant d’ATM (test complémentaire du test H2AXγ). L’analyse des foci sera faite sur fibroblastes et sur kératinocytes à des temps post-irradiation de 10 mn à 24 heures, avec un microscope d’analyse de masse de type ScanR. Cet appareil permet une automatisation des procédures et ainsi l’analyse de plusieurs centaines à plusieurs milliers de noyaux cellulaires par donneur. Les résultats Les mesures permettront de définir des sous-populations de donneurs, et notamment dans les extrêmes des sujets hyper ou hypo-radiosensibles. Pour ces extrêmes, une étude génétique permettra de relier le phénotype à d’éventuelles mutations géniques. Dans la population majoritaire, le gradient de radiosensibilité sera précisé par les divers tests développés, et mis en référence avec les tests classiques de radiosensibilité et d’instabilité génomique et épigénétique. La sensibilité de chaque test sera ainsi appréciée et validée. Les mesures obtenues par les différentes méthodes ne seront pas initialement comparables car elles sont de natures différentes. En conséquence, des méthodes de normalisation seront utilisées, pour minimiser et/ou éliminer les variations des signaux dues à une modulation globale de la cible qui ne serait pas liée à l’irradiation. Différents référentiels internes communs seront définis et utilisés. Les mesures obtenues seront comparées par différentes méthodes de corrélation linéaire et non linéaire, notamment par la méthode EM2PCA. Les livrables majeurs sont : - l’établissement de banques de cellules de donneurs sains - l’identification de facteurs individuels de radiosensibilité - la définition de tests prédictifs/modèles cellulaires rapides et fiables et les plus adaptés pour une situation d’urgence et de masse. Ce projet sera conduit de façon à permettre, à terme, un transfert vers un industriel du diagnostic. 18 La radiosensibilité individuelle dans le programme MELODI Présentation des projets menés dans le cadre du réseau d’excellence européen DoReMi Isabelle Dublineau Laboratoire de radiotoxicologie expérimentale - IRSN Le réseau d’excellence européen DoReMi sur les faibles doses des rayonnements ionisants a été mis en place en janvier 2010 pour une durée de 6 ans conformément aux recommandations émises dans le rapport rendu en janvier 2009 par un groupe d’experts mandatés par la Commission Européeen (www.hleg.de). Dans son rapport, le HLEG avait identifié cinq axes prioritaires de recherche : forme des relations dose-réponse pour le cancer, variabilité individuelle, qualité des rayonnements, exposition interne et externe, effets non cancéreux), axes de recherche sur lesquels se sont structurés les workpackages (WP) DoReMi. Ainsi, le WP6 de DoReMi s’intéresse à la problématique de la radiosensibilité individuelle pour des populations exposées à faibles doses et faibles débits de dose de rayonnements ionisants. Le WP6, piloté par l’institut Helmoltz (Allemagne), comprend 11 soustâches en parallèle, plus ou moins conjointes ou complémentaires. Le premier objectif de DoReMi étant de créer un réseau européen, une partie des tâches concerne la mise en place de workshops interdisciplinaires, notamment entre Epidémiologistes et Biologistes1, permettant de partager les plates-formes expérimentales communes, de mettre en commun les connaissances scientifiques et d’émettre des recommandations pour définir les orientations futures de l’agenda stratégique de recherche de MELODI (Multidisciplinary European LOw Dose Initiative). Les principales conclusions tirées des réflexions menées sur l’épidémiologie moléculaire a d’ailleurs donné lieu à la publication d’une revue2. Parallèlement à ces échanges scientifiques, des études expérimentales et épidémiologiques sont en cours. La thématique la plus étudiée dans le WP6 concerne la problématique de la susceptibilité au cancer de la thyroïde induit par l’incorporation d’iodes radioactifs. Des études expérimentales in vivo ont été mises en place sur des souris sensibles (souris FVB sensibles aux faibles doses) ou résistantes (souris JF1 résistantes au cancer de la thyroïde induit par l’iode 131) à ce type de cancer. Des croisements entre ces souches de souris ont été effectués afin d’évaluer l’incidence du cancer thyroïdien et de le corréler avec le génotype de ces souris. Ces animaux sont suivis pendant 18 mois (en cours), et les résultats ne seront disponibles que dans plusieurs mois. Parallèlement à ces études in vivo, des études in vitro ont été mises en œuvre sur des lignées cellulaires de carcinomes thyroïdiens et des cultures primaires de goitre afin de déterminer le rôle de la déficience en iode sur la susceptibilité au cancer de la thyroïde. Les premiers résultats indiquent que la 1 Think-Thank, novembre 2010, Barcelone ; DoReMi Stem Cell and DNA Damage Workshop, décembre 2011, Steventon; Modelling workshop, juillet 2011, Bruxelles ; Contribution of epigenetic mechanisms that influence susceptibility to radiation-induced cancer, avril 2013, Stockholm 2 Pernot et al., Ionizing radiation biomarkers for potential use in epidemiological studies, Mutation Research, 2012 19 déficience en iode induit un phénotype angiogénique important dans la progression tumorale de ce type cellulaire. Ces études expérimentales sont complétées par une étude épidémiologique sur les cancers de la thyroïde observés en Biélorussie après l’accident de Tchernobyl 1 . Cette étude, mise en place récemment, a pour objectif d’évaluer la surexpression de CLIP2, protéine associée aux microtubules, comme biomarqueur potentiel du cancer thyroïdien radioinduit et d’établir les relations par rapport à l’âge, à la dose reçue, à la déficience en iode. Actuellement, 163 échantillons ont été recueillis et les analyses vont prochainement débuter. Il est à souligner que la radiosensibilité individuelle est inscrite dans le « Strategic Research Agenda » de MELODI comme étant une des 3 priorités de cette plateforme européenne pour les 10 ans à venir. 1 Etude INT-Thyr, Pernot et al., INT-Thyr: Integrating radiation biomarkers into the epidemiology of post-Chernobyl thyroid cancer in Belarus, Environment and Health, Basel, août 2013 20 Échanges avec les participants A la suite de cette première session des précisions ont été apportées sur les différentes thématiques en réponse aux questions des participants. Le projet INDIRA - Concernant l’irradiation des échantillons, il est précisé que ce sont des générateurs X qui seront utilisés. Comment relier ensuite les sous-groupes objectivés à une radiosensibilité clinique ? Le test classique de référence de clonogénicité sera pratiqué, mais ce sont des prélèvements anonymes qui ne permettent pas de suivi des risques tardifs. Qu’est-ce qu’une population « saine » ? Ce sera au moins une population jeune, bien ciblée, représentative. Elle permettra également de rechercher à la fois les anomalies de base et les anomalies induites par l’irradiation, dont on sait qu’elles ne sont pas corrélées. Le rôle de l’âge et effet de différents facteurs d’exposition Les données présentées par Christophe Badie sur les jumeaux monozygotes suggèrent-ils que le résultat d’un test de radiosensibilité individuelle pourrait être très dépendant de l’âge ? En effet, l’âge mais également les co-carcinogènes, les facteurs environnementaux … modifient la réponse aux tests ; la courbe d'évolutivité de la radiosensibilité au cours du temps permet de plus de comparer les individus entre eux et a également une grande importance en matière d’évaluation de risque. Il faudrait donc évaluer la radiosensibilité « à chaque instant de la vie ». De plus, l’âge est en fait le reflet d’un ensemble de facteurs d’exposition : le temps et les agressions auxquelles un individu a été soumis. Un simple ajustement des résultats sur l’âge n’est pas suffisant. Un questionnaire détaillé est indispensable portant sur les contacts avec les carcinogènes connus rencontrés (RI et autres). En effet, - soit le test adopté est spécifique des radiations ; soit il ne l’est pas et peut refléter par exemple l’épuisement progressif en certains facteurs. Le rapport HPA met en exergue le rôle très important du tabac, est-il pris en compte dans l’étude INDIRA ? Seuls des non-fumeurs de sexe masculin seront inclus dans l’étude. La population du SAMU devrait permettre de recruter suffisamment d’individus. La population témoin sera ajustée sur ce paramètre. A noter que l’âge ne sera pas directement pris en compte (pas de cohortes spécifiques de ce paramètre prévues). La stabilité des résultats Il a été mis en évidence que certaines protéines telle que H2AX ne sont pas stables et sont très sensibles au stress oxydatif. Cette observation pourrait-elle mettre en question les résultats actuellement rapportés ? Il a été effectivement observé que la réponse précoce des cultures cellulaires pouvait être claire mais que des modifications par exemple des méthylations de l’ADN pouvaient se produire en culture et modifier au cours du temps les réponses à certaines doses. 21 Spécificité des gènes impliqués dans la radiosensibilité individuelle Y a-t-il une implication de gènes différents dans les réponses aux fortes doses et aux faibles doses ? Cette question reste posée même si la probabilité est grande. En effet, il semblerait que des gènes associés aux réponses inflammatoires soient plutôt associés aux faibles doses. Un WP de DoReMi est spécialement chargé d’étudier ce paramètre. En conclusion de la matinée Dietrich Averbeck, modérateur de la première partie du séminaire, donne sa vision du rôle du facteur génétique dans la réponse cellulaire à une agression par les RI : - le premier niveau de réponse, le stress oxydatif a déjà une composante génétique avec l’expression des enzymes qui luttent contre l’agression ; - le deuxième niveau, la réparation, qui a fait l’objet des exposés de la matinée puis la capacité des cellules d’aller ou non vers l’apoptose ; - le troisième niveau est celui de la réponse immunitaire comme le montre l’hypersensibilité aux RI des patients immunodéficients. Enfin, il constate après les présentations de la matinée qu’il existe de bonnes pistes et de bons espoirs pour déceler la radiosensibilité individuelle et la définir de façon plus précise en relation avec le risque de cancer ou d’autres risques. Les projets en cours tant au niveau national que européen devraient aboutir dans les années futures. 22 DEUXIÈME PARTIE ASPECTS CLINIQUES DE LA RADIOSENSIBILITÉ INDIVIDUELLE 23 Introduction de la session En introduction, le modérateur de la session, Jean-Pierre Gérard, rappelle que la question de la radiosensibilité individuelle est de la plus haute importance pour le clinicien. Il est nécessaire de distinguer deux aspects : - la toxicité tardive, qui est le facteur limitant de l’efficacité de la radiothérapie (une dose de 150 Gy éliminerait tous les cancers mais…). Elle a un langage commun en radiothérape clinique : le fascicule CTCAE (Common Terminology Criteria for Adverse Events) où les différents types de complications tardives sont décrits et gradués de 0 à 5 (décès), les grades 3 et 4 étant les plus invalidants et en conséquence le facteur limitant ; - l’ « autre toxicité », devenue la « radioesthésie » ou, en résumé « oui, les rayons X peuvent donner le cancer ! ». Il insiste également sur le rapport coût/bénéfice en médecine (entre l’efficacité de la dose et les risques de complications), sur la justification des traitements proposés aux patients, sur leur information et l’optimisation des traitements. En médecine, il existe l’ «Evidence Based Medecine » où les traitements sont basés sur des preuves solides souvent issues d’essais randomisés. La question de l’existence de tests prédictifs de cancers radio induits ou de développements de toxicité G3/G4 graves qui devront être passés au crible de l’ « Evidence Based Medecine » est posée. Existe-t-il des tests robustes, valables, et validés qui permettent de prévoir les toxicités, de changer les pratiques, éventuellement permettre leur remboursement par la sécurité sociale quand ils seront prescrits voire induire une modification de la réglementation ? Cette question est au cœur du débat de la deuxième session du séminaire. 24 L’hyperréactivité tissulaire en radiothérapie Jean-Marc Cosset, David Azria Introduction Avec près de 174 000 patients traités en 2010 en France, la radiothérapie est devenue un traitement incontournable de l’arsenal thérapeutique du cancer. Les données épidémiologiques montrent que 52% des personnes atteintes par un cancer subiront au moins une séance de radiothérapie au cours de leur traitement. L’efficacité de la radiothérapie dépend en grande partie de la dose délivrée à la tumeur : plus la dose sera importante, plus le contrôle tumoral est maximal et les chances de contrôle de la maladie augmentées. Cependant, cette dose ne peut pas dépasser un seuil déterminé de tolérance au risque d’entrainer d’importants effets secondaires. Depuis maintenant plus d’un siècle, les différents travaux en radiobiologie ont montré que cette radiosensibilité des tissus sains était individuelle et que chacun possédait son propre seuil de tolérance aux rayonnements ionisants. En pratique, cette notion majeure de la radiobiologie a cependant été marginalisée. Afin d’améliorer l’efficacité de la radiothérapie, l’accent a été mis sur les progrès technologiques considérables qui permettent désormais de délivrer des irradiations de plus en plus ciblées, au plus près de la tumeur tout en épargnant le tissu sain environnant. Les protocoles actuels sont quant à eux standardisés et les doses sont calculées à partir de la population générale afin de réduire à un faible pourcentage le nombre de complications secondaires. Si ces protocoles permettent donc de réduire au maximum les effets secondaires tardifs de la radiothérapie, ils impliquent également qu’une majorité de patients reçoivent une dose en deçà de leur seuil de tolérance. Avec l’avènement de la médecine personnalisée, un des enjeux actuels de la radiobiologie clinique est donc d’arriver à prédire la radiosensibilité individuelle de chaque patient afin de pouvoir délivrer un traitement ciblé grâce à des protocoles d’irradiation « sur-mesure » qui amélioreraient ainsi l’efficacité de la radiothérapie et les chances de guérison. Une revue est présentée sur les grands syndromes d’hypersensibilité connus mais aussi sur des phénomènes tardifs pluri-étiologiques qui permettent de croire à l’aboutissement d’un test prédictif qui changerait radicalement la pratique courante de la radiothérapie. 25 L’hyperréactivité tissulaire en radiothérapie L’expérience des cliniciens Jean-Marc Cosset Oncologue-radiothérapeute - Professeur à l'Institut Curie Le problème principal du radiothérapeute est en fait… le malade, au moins aussi complexe que le cancer ! Le radiothérapeute travaille souvent à la limite de la létalité et ce domaine de l’hyper réactivité tissulaire est donc capital. Sommes-nous tous égaux devant les rayonnements ionisants ? La réponse est clairement NON. Un très faible pourcentage de sujets de la population générale (probablement 1 à 5 %) et un pourcentage probablement plus important chez les patients cancéreux présentent une hypersensibilité aux radiations ionisantes. On peut en pratique opposer l’hypersensibilité aux effets stochastiques (essentiellement carcinogènes) et l’hypersensibilité aux effets déterministes quoique les deux phénomènes peuvent coexister (un même défaut de la réparation de l’ADN peut être susceptible d’augmenter à la fois le risque de cancer radioinduit et d’effets déterministes sévères). Cet exposé ne concerne que les effets déterministes, précoces (au décours immédiat du début du traitement) et tardifs, de présentation physiologique un peu différente, apparaissant soit au cours du traitement, soit beaucoup plus tard, quand aucune modulation de l’irradiation n’est plus possible. Ils ne concernent que quelques % de patients, actuellement pour la plupart initialement indiscernables, qui présenteront une toxicité tissulaire très supérieure à la normale, à type, en particulier, d’épithélite exsudative (précoce), de télangiectasies voire de nécroses tardives. Certains syndromes d’hypersensibilité à la radiothérapie sont connus depuis longtemps : - l’Ataxia Télangiectasia (AT), syndrome décrit par Broder ne 1958 dont on sait maintenant qu’il s’agit d’un syndrome génétique autosomique récessif lié à la mutation en 11q22-23 du gène ATM. Les patients présentent à la fois un risque élevé de cancers et une hypersensibilité aux RI. La forme homozygote est très rare (1/300 000 ou 400 000 individus dans la population générale) mais est associée à une augmentation considérable du nombre de cancers, surtout des lymphomes (risque multiplié par 250 !) et des cancers du sein (risque multiplié par 50 voire 100). Elle est également associée à une sensibilité aux effets déterministes des RI 3 à 4 fois supérieure à celle de la population générale. Le corollaire est qu’une dose de radiothérapie classique bien tolérée par un patient « normal » peut tuer un patient homozygote pour AT. Ces patients présentent par ailleurs une pathologie lourde, normalement déjà connue pour un patient donné. En conséquence, chez ces patients, pas d’irradiation ou avec des doses TRÈS réduites… Les formes hétérozygotes posent un problème plus complexe. Elles étaient souvent considérées il y a 20 ans comme représentant l’ensemble de la population des formes hypersensibles observées chez les patients cancéreux. Les travaux récents ne le confirment pas, 26 mais il est vraisemblables de les hétérozygoties sont complexes, certaines formes étant plus proches que d’autres de la forme homozygote ; - la maladie de Fanconi, affection génétique récessive rare (1/20 000 dans la population générale) associant une anémie à des troubles plus ou moins reconnaissables de la morphogénèse. Son évolution habituelle se fait vers la myélodysplasie et la leucémie aigue, qui est une indication théorique d’irradiation totale ou sub-totale avant greffe de moelle osseuse. Il est vraisemblable que les premiers patients présentant cette affection ont succombé à ce traitement. L’hypersensibilité aux RI n’est connue chez ces patients que depuis 1970 et leur hypersensibilité aux RI est d’environ deux fois celle de la population générale. Elle a été depuis longtemps rapprochée de l’extrême fragilité chromosomique de ces patients, soit spontanée soit après Mitomycine C, liée à un trouble de la réparation de l’ADN (E. Moustaki) ; - le rétinoblastome héréditaire est un exemple spectaculaire, avec un risque beaucoup plus élevé de second cancer chez les patients irradiés. En moyenne (Kleinerman 1999), l’irradiation augmente de plus de 60 % le risque de second cancer chez les patients présentant une prédisposition génétique au cancer ; - BRCA 1 et 2, impliqués dans le processus de réparation de l’ADN (cancer du sein). Les données de la littérature sont ici assez contradictoires. En ce qui concerne leur radiosensibilité tissulaire, certaines patientes mutées BRCA 1 et 2 ne présentent pas d’hypersensibilité clinique et des patientes avec hyper sensibilité clinique ne présentent pas cette mutation. De même pour la radiosensibilité des tumeurs mutées pour BRCA 1 et 2, certains leur accordent un meilleur pronostic par augmentation de la radiosensibilité, d’autres un moins bon pronostic en raison de leur agressivité accrue ; - la sclérodermie, maladie du collagène caractérisée par le développement d’une fibrose assez similaire à la fibrose radioinduite tardive. Après radiothérapie, il est rapporté une incidence accrue de complications, non seulement locales (en territoire irradié) mais aussi parfois générales ; - les patients HIV : les premiers radiothérapeutes qui ont eu à irradier les premiers patients HIV ont été confrontés à des toxicités notamment muqueuses tout à fait inhabituelles. Plusieurs publications continuent à faire état de toxicités sévères dont les causes sont vraisemblablement diverses : surinfections multiples ? déficit en gluthation ? hypersensibilité des fibroblastes ? - d’autres syndromes rarissimes : syndrome de Nimègues (Nijmegen Breakage Syndrome), ICF (Idiopathic Chromosome Fragility), syndrome de Cockayne, syndrome de Bloom, Xeroderma pigmentosum (surtout en Afrique du Nord), maladie de Huntington … - mais aussi d’autre types de pathologies dont la maladie de Behcet, le diabète ou encore le tabagisme… En conclusion, « des tests par pitié ! » Quelques pourcents des patients cancéreux vont présenter une hypersensibilité aux RI : - dont seulement une petite partie peut actuellement être identifiée à temps pour que des mesures adaptées puissent être prises ; 27 - la plus grande partie des patients, ne pouvant être reconnus avant l’irradiation, sont victimes de complications sévères, d’où l’importance des tests prédictifs. Les doses actuellement prescrites sont des doses « moyennes » tenant compte du risque statistique de complications avec pour conséquences contradictoires : - chez les patients « hypersensibles », trop de complications même après un traitement « correct », conduisant à des procès, dommageables même en l’absence de condamnation et poussant les médecins qui ont eu à les subir à minimiser le risque … et donc à diminuer les doses pour les autres patients ; - un pourcentage -à déterminer- de patients qui pourraient recevoir sans risque des doses plus élevées, ne serait-ce que de 5 à 10 %, avec en conséquence des chances supérieures de guérison. 28 L’hyperréactivité tissulaire en radiothérapie Les tests de radiosensibilité David Azria CRLC Val d’Aurelle - Université Montpellier I La problématique clinique Beaucoup de patients, au cours de leur radiothérapie, ont un profil « dynamique » d’évènements secondaires qui apparaissent, puis s’estompent au cours du temps. D’autres au contraire, au-delà des effets acceptables du traitement, ne présentent aucun symptôme jusqu’à 16, 18 ou 24 mois, où apparaissent des phénomènes de toxicité qui s’aggravent au cours du temps, entravant de façon importante leur qualité de vie : ils n’avaient présenté aucun signe préalable d’alerte de l’apparition de cette toxicité. Evaluer la toxicité est un vrai défi Beaucoup de paramètres entrent en jeu puisque les sites, les grades, les scores … sont multiples ainsi que les autres facteurs (dose, volume, site, fractionnement, étalement, mais aussi âge, hémoglobine, diabète, maladies vasculaires et thérapeutiques par chimiothérapie ou hormonothérapie concomitantes). Mais pour une période d’évaluation homogène (au moins 3 ans, voire 5 ans), et tous autres facteurs homogènes par ailleurs, il existe un faisceau d’arguments pour évoquer un héritage génétique. Les enjeux ? Les enjeux sont multiples : - mécanistiques, pour comprendre les mécanismes mis en jeu translationnelle des tissus sains du voisinage ; et la radiobiologie - technologiques, pour envisager d’adapter les techniques de traitement aux patients : de la biologie vers un traitement personnalisé (modulation d’intensité, proton, stéréotaxie…) ; - carcinologique, pour sélectionner à l’opposé les patients « normo-réactifs » pour leur proposer une augmentation de dose ou une association radiochimothérapie visant à améliorer les résultats du traitement ; - médico-économique, pour limiter les séquelles et améliorer « l’après cancer » (un des objectifs du plan cancer 3). Le test d’apoptose lymphocytaire Ce test est pratiqué à partir d’un prélèvement sanguin, les cellules cultivées sont séparées en 2 populations, irradiées ou non à 8 Gy et analysées selon le test de l’apoptose : - les patients à taux bas d’apoptose radioinduite sont ceux qui présentent des toxicités tardives graves ; à l’opposé, aucun patient à taux d’apoptose élevé ne présente de toxicité tardive. 29 Ces données ont été validées sur 399 premiers patients de manière prospective puis par une étude de cohorte puis récemment par un Plan Hospitalier de Recherche Clinique à grande échelle (550 cancers du sein, 400 cancers de prostate, 4 ans de recul) : - 40 % des patients avec un taux bas d’apoptose, présentent un risque de complications tardives, avec une valeur prédictive positive de seulement 20 % ; - 60 % des patients présentent un taux élevé d’apoptose avec une valeur prédictive négative de complications de 99 %. Les questions posées par ce test : - le lymphocyte peut-il représenter tous les tissus sains ? Probablement oui, l’aspect tissuspécifique étant plus une réponse d’aval. Une participation immunologique intrinsèque est probable (en cours d’évaluation) ; - un test à 8 Gy peut-il représenter une séance à 2 Gy ? Non, mais les résultats à 2, 4 et 8 Gy sont parfaitement corrélés et 8 Gy permet une reproductibilité technique maximale ; - l’apoptose est-elle vraiment importante car très spécifique du lymphocyte ? En fait, c’est la capacité d’engendrer la mort cellulaire immédiate qui est évaluée ; - sous-estime-t-on le taux d’apoptose par un biais technique ? Non, et cela a été confirmé par l’absence de déclenchement des caspases en cas de taux bas. Les prochaines étapes La question qui préoccupe les radiothérapeutes est de savoir pourquoi, parmi les patients qui ont suivi une radiothérapie sans complications aigues et pour qui tout s’est passé sans problème dans un premier temps, certains régénèrent leurs tissus et d’autres évoluent vers une fibrose. Quel élément cible enclenche vers une voie ou l’autre ? Pour répondre à cette question divers programmes sont en cours : - le programme de protéomique quantitative, en cours de finalisation (mars 2014) ; - l’étude CO-HO-RT européenne dans laquelle l’apoptose radioinduite est le seul paramètre discriminant de complications tardives et dont l’étude génomique fait apparaître le rôle des gènes PHARTC3 (la protéine codée se fixe à l’unité catalytique de pp1 qui stimule l’apoptose) et CDH18 ; - le consortium REQUITE (validating predictive models and biomarkers of radiotherapy toxicity to reduce side-effects and improve quality-of-life in cancer survivors) qui prévoit l’inclusion de 5 300 patients. L’objectif est d’arriver à partir des connaissances sur la radiosensibilité et la radiorésistance tumorale et des tissus sains à adapter les possibilités thérapeutiques. La grande majorité des patients peut être traitée par photon thérapie mais dans le cas où il serait identifié une hypersensibilté, des techniques permettant une réduction de la dose intégrale des tissus sains telle que la protonthérapie pourraient être mises en œuvre. 30 Capacité de la réparation de l’ADN et risque de seconds cancers Nadia Haddy INSERM 1018 équipe 3 - Epidémiologie des radiations Introduction Les systèmes de réparations de l’ADN sont responsables du maintien de l’intégrité génétique de nos cellules en étant capables de détecter et de réparer de façon fidèle les lésions induites sur l’ADN par une série d’agents chimiques ou physiques d’origine endogène ou exogène. Les rayonnements ionisants, ainsi que la majorité des drogues antitumorales utilisées en clinique, ont des effets délétères importants pour la cellule en induisant notamment des cassures double brin (CDB) de l’ADN. Ces cassures sont l’une des atteintes les plus graves que peut subir l’ADN génomique. Un défaut de réparation des CDB peut provoquer l'apparition de mutations et d'anomalies chromosomiques pouvant entraîner de nombreuses maladies, notamment des cancers. Il existe des maladies génétiques rares caractérisées par une hypersensibilité aux radiations ionisantes, telles que l’Ataxie Télangiectasie (A-T) ou l’anémie de Fanconi. Chez ces malades, la prédisposition aux cancers est importante ; les enfants atteints d’A-T montrent, dès un âge précoce, un taux très élevé de cancers (il s’agit le plus souvent d’hémopathies lymphoïdes malignes – leucémies lymphoïdes, lymphomes), qui résulteraient d’un défaut de reconnaissance et/ou de signalisation des altérations de l’ADN, et donc de leur réparation. La spécificité des enfants traités pour un cancer L'étude du risque de second cancer potentiellement associé à une diminution de la capacité individuelle de réparation de l’ADN chez des sujets traités par chimiothérapie et/ou radiothérapie pour un premier cancer est une voie de recherche très prometteuse. La sensibilité aux rayonnements est variable selon les individus et 10 à 20 % des patients traités par radiothérapie ont une réponse plus forte au niveau des tissus sains qu’attendu (cf supra). Les enfants sont plus sensibles au risque de développer des évènements iatrogènes que les adultes car : - ayant déjà eu un cancer, ils sont plus susceptibles que la population générale d’être porteurs de gènes de susceptibilité aux cancers ; - ils sont plus sensibles que les adultes à tout type de cancérogène ; - ils sont plus « radiosensibles » que les adultes, en particulier au cancer de la thyroïde et du sein, pour des causes qui ne sont pas actuellement complètement élucidées ; - enfin, en cas de radiothérapie, une part plus importante d’organes sains est incluse dans les champs de traitement et organes qui reçoivent donc des doses élevées de radiations. 31 Les travaux récents de l’équipe de l’IGR Peu de travaux épidémiologiques sur la susceptibilité individuelle aux radiations ionisantes ont été réalisés et ces travaux portent sur des effectifs relativement faibles. L’hypothèse relative à une diminution de la capacité individuelle de réparation de l’ADN associée au risque de second cancer à la suite d’une radiothérapie dans l’enfance a été testée dans le cadre d’une étude cas-témoins nichée dans une cohorte (Euro2K). Plus de 3700 sujets traités pour une tumeur solide ou un lymphome dans l’enfance (avant l'âge de 16 ans) sont inclus avec des données complètes sur les traitements reçus en chimiothérapie (doses, dates, modes d’administration) et en radiothérapie (doses estimées au niveau de 188 sites du corps). Les « cas », patients ayant développé un second cancer, ont été appariés avec des témoins de même sexe, âge au 1er cancer, type du 1er cancer et suivi post traitement (le témoin devait avoir au moins le même suivi que le cas correspondant). Deux séries appariées de 94 cas et 94 témoins avaient été traités pour un lymphome (29 %), un sarcome (25 %) ou un néphroblastome (18 %) à l’âge moyen de 7 ans. Le délai moyen de l’apparition du second cancer était de 20ans. Des prélèvements sanguins ont été effectués et des lignées lymphoblastoïdes ont été établies. La réparation des cassures double brin a été analysée en étudiant la phosphorylation globale de la protéine histone H2AX (H2AX) par marquage immunofluorescent et quantification par cytométrie de flux (FACS) : les premières analyses montrent que l’intensité de fluorescence de H2AX est supérieure chez les cas de second cancer par rapport aux témoins. Ceci a été observé avant et après irradiation des lignées lymphoblastoïdes de ces sujets. Le risque de second cancer serait principalement corrélé à l’intensité de la fluorescence de H2AX mesurée à 1h. Ces premières analyses seront complétées par des modèles statistiques plus complexes pour étudier la cinétique de réparation de l’ADN et prendre en compte les données répétées et les traitements reçus pour le 1er cancer (types de chimiothérapie et doses d’irradiation reçues aux sites des seconds cancers , au thymus et à la moelle osseuse). L’objectif est également d’étudier d’autres protéines de voies de signalisation et de réparation de l’ADN. Un test fonctionnel de réparation de l’ADN pourrait ainsi permettre d’évaluer le risque de second cancer chez des patients traités pour un cancer dans l’enfance et d’adapter les stratégies thérapeutiques au profil génétique des sujets. Haddy N, Tartier L, Koscielny S, Adjadj E, Rubino C, Brugières L, Pacquement H, Diallo I, de Vathaire F, Averbeck D, Hall J, Benhamou S. Repair of ionizing radiation-induced DNA damage and risk of second cancer in childhood cancer survivors. Carcinogenesis. 2014 Apr 19. [Epub ahead of print] 32 Scanner chez l’enfant et cancers radioinduits ? Hubert Ducou le Pointe Hôpital d’Enfants Armand-Trousseau - Paris Pourquoi cette question ? Cette question est sûrement liée à un contexte général d’augmentation de l’exposition médicale aux rayonnements ionisants. L’exposition de la population aux rayonnements ionisants à des fins médicales progresse dans le monde. Aux Etats-Unis, cette exposition (3 mSv) a atteint voire dépassé l’exposition d’origine naturelle [1] et a été multipliée par un facteur 6 en une vingtaine d’année. En France, le rapport de l’IRSN [2] sur l’exposition en 2007 de la population française aux rayonnements ionisants liée aux 74,6 millions d’actes de diagnostic médical estime la dose efficace individuelle moyenne à 1,3 mSv. Cette valeur est bien inférieure à celle des Etats-Unis mais en progression de 62,5% en 5 ans. La tomodensitométrie représente 10% des actes et 58 % de la dose efficace collective. Aux Etats-Unis, en 2006, 6 millions de scanners pédiatriques ont été réalisés soit 10% des examens tomodensitométriques. En France, une enquête récente (2013) de l’IRSN montre que la tomodensitométrie ne représente que 2% des actes de radiologie effectués en pédiatrie représentant 27 % de l’exposition [3]. Les rayonnements ionisants utilisés à des fins diagnostiques ont ils des effets démontrés ? L’imagerie médicale diagnostique se situe très largement dans le domaine des faibles doses (dose efficace inférieure à 100 mSv) même en ce qui concerne la tomodensitométrie. En effet, la grande majorité des examens tomodensitométriques exposent à des valeurs inférieures à 15 mSv à l’organe. Les effets biologiques des faibles doses restent un sujet de débat. Tout d’abord, le risque de cancer lié à ce niveau d’exposition n’avait pu être démontré aussi bien sur les survivants des bombardements atomiques au Japon que sur les travailleurs du nucléaire au Royaume-Uni. L’hypothèse de la relation linéaire sans seuil, très pratique pour estimer le risque de cancer induit par les faibles doses, est admise par le rapport BEIR (Biological Effects of Ionizing Radiation) VII [4] et la CIPR (Commission International de Protection Radiologique) [4]. Elle ne fait pourtant pas l’unanimité car non fondée sur des faits scientifiques comme le soutiennent Tubiana et al [6]. C’est la raison pour laquelle les nombreux articles sur l’estimation du nombre de cancer induit par la tomodensitométrie n’ont pas convaincu. Brenner en 2001 [7], en appliquant la relation linéaire sans seuil, fut le premier à sonner la charge en estimant à 500 le nombre de morts imputables à l’exposition aux rayonnements ionisants des 600 000 scanners pédiatriques annuels (abdominaux et crâniens) réalisés aux Etats-Unis. Berrington de González et al [8] ont calculé que 29 000 nouveaux cancers seraient imputables aux examens tomodensitométriques réalisés aux Etats-Unis en 2007. Des faits nouveaux : l’épidémiologie semble montrer l’effet des faibles doses L’année 2012 a marqué un changement, l’épidémiologie ayant pour la première fois pris le relais des études statistiques. Pearce et al [9] ont publié une étude portant sur une cohorte de près de 180 000 patients âgés de moins de 22 ans et ayant subi au moins un examen tomodensitométrique entre 1985 et 2002. Les auteurs ont tout d’abord estimé la dose reçue par le cerveau et la moelle osseuse lors de 33 chaque examen. L’étude recherchait la survenue de leucémie et de cancer cérébral dans cette population grâce à l’analyse du registre des cancers du Royaume-Uni (entre 1985 et 2008) tout en excluant ceux qui étaient potentiellement atteints au moment de l’examen tomodensitométrique. Ils ont mis en évidence une relation entre la dose reçue par le cerveau et la survenue d’une tumeur cérébrale, et entre la dose reçue par la moelle osseuse et la survenue d’une leucémie. Le risque absolu individuel estimé par les auteurs est de l’ordre de 1 cas de cancer en excès (leucémie ou tumeur cérébrale) dans les 10 ans qui suivent l’examen et pour 10 000 scanners. En 2013, une autre étude australienne portant sur 11 millions de personnes dont 680 000 patients exposés, étudie l’excès de risque lié aux examens tomodensitométriques pendant l’enfance L’incidence de cancer dans le groupe scanner était augmentée de 24% par rapport au groupe non exposé aux rayonnements ionisants. Les excès observés portent sur les organes les plus radiosensibles aux RI et varient selon l’âge. L’excès absolu de l’incidence des cancers tous confondus était de 9,38 pour 10 000 personnes sur un suivi de 9,5 ans [10]. Mais ces études présentent des biais car elles ne prennent pas en compte les indications qui ont conduit à réaliser ces examens. L’étude européenne en cours EPI-CT à laquelle participe l’IRSN pourrait apporter des éléments nouveaux en prenant en compte les indications de ces examens. Quelles sont les populations à risques ? Certaines populations ayant une radiosensibilité particulière liée : - à des troubles de la réparation de l’ADN : ataxie télangiectasie, anémie de Fanconi, syndrome de Bloom et xeroderma pigmentosum ; - à certaines maladies héréditaires : polypose familiale, syndrome de Gardner, mélanome malin familial ; - à certaines maladies associées à un risque augmenté de cancer : neurofibromatose, syndrome de Li-Fraumeni, rétinoblastome héréditaire, Beckwith Wiedemann ; - à des pathologies auto-immunes : lupus érythémateux disséminé, sclérodermie, polyarthrite rhumatoïde. Certaines populations subissent des explorations fréquentes liées à leur pathologie et notamment les enfants ayant des pathologies chroniques (mucoviscidose, maladie inflammatoire du tube digestif ou pathologie cancéreuse…). Ces populations ont cependant besoin d’explorations utilisant des rayonnements ionisants et le risque lié à leur utilisation doit être mis en balance avec les autres risques de la maladie. Un exemple en oncologie : les risques de second cancer lié aux explorations et au traitement Si on prend l’exemple de l’oncologie pédiatrique, la dose efficace cumulée peut dépasser les 200 mSv (11). L’utilisation répétée de la TEP TDM peut à elle seule entrainer une dose efficace cumulée supérieur à 100 mSv (12). Ces doses cumulées, qui ne sont plus vraiment des faibles doses en pédiatrie, peuvent potentiellement être responsables d’effets secondaires. Mais ils ne sont pas à eux seuls responsables du risque de second cancer. Il peut être lié au terrain génétique ou à la prise en charge thérapeutique du patient. Concernant le traitement, les deux principales sources de second cancer sont la chimiothérapie et la radiothérapie. Par exemple, pour le néphroblastome, le groupe NTWTS (National Wilm’s Tumor study Group) a mis en évidence une augmentation du risque multiplié par 8 de développer un second cancer (leucémie, lymphome, tumeurs solides). Au Royaume-Uni, un risque compris entre 3 et 6% d’apparition d’un second cancer a été démontré sur une surveillance de 20 ans. Le CCSS (Childhood Cancer Survivor) a surveillé 20 600 patients de moins de 21 ans avec un premier cancer diagnostiqué entre 1970 et 1986. Le taux de second cancer était de 3.2% à 20 ans et 9.3% à 30 ans. [13–15]. Une 34 étude récente portant sur le registre Rhône Alpes des cancers de l’enfant démontre une incidence de 2,2% de second cancer à 10 ans et 3,9% à 15 ans avec un excès de risque absolu de 2,2 [16]. Les chimiothérapies entrainant des seconds cancers sont principalement les agents alkylants et les inhibiteurs des topoisomérases II. Les agents alkylants (Cyclophosphamide, Ifosfamide, Melphalan, Busulphan, Procarbazine…) créent un lien chimique covalent fort, entre elles-mêmes, et un ou plusieurs groupements (carboxy) d'un acide nucléique. Si les agents alkylants bi-fonctionnels créent de véritables ponts entre différents secteurs de l'ADN qui entrainent la mort cellulaire, les agents alkylants mono-fonctionnels n’ont qu'un seul lien chimique avec le DNA. Ils peuvent ne pas entrainer la mort cellulaire du fait de ligase et d’endonucléase qui tente de réparer le DNA. L'apparition d’un DNA porteur de malformations est susceptible de dégénérer secondairement en cancers chimio-induits. La topoisomérase II joue un rôle important dans la réplication, la transcription de l’ADN. Les inhibiteurs de la topoismérase II inhibent la phase de ligature de l’ADN. En intervenant ainsi, elle provoque une apoptose de la cellule mais peut également générer une réparation fautive de l’ADN source d’un second cancer et en particulier des leucémies. Le chef de file de cette classe de médicament est l’Etopiside (VP-16). Les leucémies provoquées à la fois par les agents alkylants et l’Etopiside surviennent dans un délai court respectivement 5-7 ans et 2-3 ans [17] Il s’agit essentiellement de LAM ayant des marqueurs au niveau du caryotype. Chez les enfants traités pour des tumeurs solides (maladie de Hodgkin, sarcome d’Ewing, rhabdomyosarcome), il a été démontré une fréquence d’apparition de leucémie proportionnelle à la dose d’alkylants utilisée. L’utilisation d’agents alkylants entrainerait un risque multiplié par 5 d’apparition d’une deuxième leucémie. La radiothérapie est également une cause bien connue de survenue de second cancer. Le risque a été estimé dans la littérature entre 5% et 12% sur une période de suivi de 25 ans [18]. La survenue de second cancer est plus liée au rayonnement diffusé qu’au rayonnement principal. Les fortes doses (>5Gy) induisant une mort cellulaire tandis que les doses inférieures peuvent induire une réponse fautive. Une relation linéaire est admise pour des doses comprises entre 0,1 Gy et 4 Gy. Le diffusé provoqué par la radiothérapie délivrée expose le reste du corps à des doses importantes. Chez l’adulte, une étude portant sur la radiothérapie de prostate a montré que le diffusé péri tumoral atteignait 54,3 à 78,1 mSv par Gy délivré à l'isocentre du faisceau. Soit un minimum de 4000 mSv (à 5857 mSv) cumulés en quelques semaines pour un traitement de prostate complet avec 75Gy dans le volume cible [19]. L’utilisation de facteurs de croissance hématopïétiques tel le G-CSF (en association avec des agents alkylant ou des inhibiteurs de la topoisomérase II ) augmenterait le risque de leucémie secondaire. De même, le recours à des thérapeutiques comme la greffe de moelle osseuse qui expose au risque d’infection à Epstein Barr virus est susceptible de provoquer secondairement la survenue d’un lymphome. Mais attention, il faut comparer les risques RI avec les autres risques auxquels sont confrontés les enfants ainsi que les risques liés aux autres traitements. 35 Comment réduire les risques ? La justification des actes est clairement de la responsabilité quotidienne des professionnels. Pour aider leurs collègues dans les indications des actes d’imagerie la Société Française de Radiologie et la Société Française de Médecine Nucléaire ont actualisé et publié au début de 2013 le Guide du Bon Usage des examens d’Imagerie. A noter que, selon les pays, le recours à la tomodensitométrie chez l’enfant est soit fortement déconseillé ou à l’inverse encouragé en raison de l’impact que ces examens ont sur la prise en charge de l’enfant. La substitution par des actes non irradiants dépend des professionnels. Il leur appartient de privilégier les techniques non irradiantes comme l‘échographie ou l’IRM. Il est nécessaire de développer l’utilisation de l’IRM corps entier et de continuer les évaluations par rapport TEP-scanner. Il faut aussi suivre avec intérêt l’apparition et le développement de la TEP-IRM. Mais la réalité de terrain oblige à reconnaitre qu’elle dépend aussi des pouvoirs publics. Le constat du retard du taux d’équipement en IRM de la France par rapport aux autres pays européens n’est pas récent ; et force est de constater qu’il est impossible de proposer à tout le monde des IRM et que le recours aux examens tomodensitométriques à la place d’IRM est indispensable ! L’optimisation des techniques exposant aux rayonnements ionisants Il faut adapter les constantes d’acquisition au poids et à la taille du patient. Quand l’activité pédiatrique n’est pas l’activité principale du site, il faut se conformer aux recommandations des sociétés savantes comme celles de la SFIPP : - limiter le nombre d’acquisitions en limitant le recours aux acquisitions sans puis avec injection de produit de contraste ; - limiter la zone d’exploration à la zone utile. De même, les acquisitions multiphases après injection doivent être réservées à des indications précises souvent liées à des questions d’opérabilité. Attention, il faut maintenir une qualité d’image suffisante pour permettre un diagnostic sûr. Nous devons également utiliser les techniques récentes de reconstruction itérative. Mais dans ce domaine également il nous faut pouvoir disposer d’un renouvellement des équipements. Enfin, il ne faut pas hésiter à se lancer dans l’évaluation de ses pratiques en établissant des NRD locales quand les NRD nationales n’existent pas et établir des programmes d’évaluation des pratiques professionnelles centrées sur la radioprotection. Le Développement Professionnel Continu (DPC) est un moyen de combiner obligation réglementaire et amélioration des pratiques professionnelles. En conclusion, - pas effets déterministes observés, - des interrogations sur les effets stochastiques des faibles doses (<100mSv), et en particulier de la tomodensitométrie qui se renforcent. Il faut porter une attention particulière aux patients radiosensibles ou devant subir des examens répétés. Mais au final, il faut guérir les enfants et peser le risque entre cancer lié aux examens par rapport aux autres risques de la maladie et des traitements. Comme pour tout acte médical, une évaluation du bénéfice et du risque doit être effectuée et dans le cas présent conduire à respecter les règles classiques de la radioprotection. 36 Pour en savoir plus 1. National Council on Radiation Protection and Measurements. Ionizing radiation exposure of the population of the United States: 2006. NCRP report no. 160. Bethesda, Md: National Council on Radiation Protection and Measurements, 2009. 2. Etard C, Sinno-Tellier S, Aubert B. Exposition de la population française aux rayonnements ionisants liée aux actes de diagnostic médical en 2007. IRSN/INVS. 3. Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire. Exposition des enfants aux rayonnements ionisants liée aux actes diagnostiques en 2010 en France. Rapport PRP-HOM N°3 – 2013 4. National Research Council, Committee to Assess Health Risks from Exposure to LowLevels of Ionizing Radiation. Health risk from low levels of ionizing radiation: BEIR VII, Phase 2. Washington, DC: The National Academies Press, 2006. 5. International Commission on Radiological Protection. Low-dose extrapolation of radiation-related cancer risk. Publication 99.Amsterdam, the Netherlands: Elsevier, 2006. 6. Tubiana M, Feinendegen LE, Yang C, Kaminski JM. The linear no-threshold relationship is inconsistent with radiation biologic and experimental data. Radiology 2009;251(1):13–22. 7. Brenner DJ, Elliston CD, Hall EJ, Berdon WE. Estimated risks of radiation-induced fatal cancer from pediatric CT. AJR Am J Roentgenol 2001;176(2):289–296. 8. Berrington de González A, Mahesh M, Kim KP, et al. Projected cancer risks from computed tomographic scans performed in the United States in 2007. Arch Intern Med 2009;169(22):2071–2077. 9. Pearce MS, Salotti JA, Little MP, et al. Radiation exposure from CT scans in childhood and subsequent risk of leukaemia and brain tumours: a retrospective cohort study. Lancet 2012;380(9840):499–505. 10. Mathews J.D., Forsythe A. V., Zoe Brady, et al. Cancer risk in 680 000 people exposed to computed tomography scans in childhood or adolescence: data linkage study of 11 million Australians BMJ 2013;346:f2360 (Published May 2013) 11. Ahmed B A, Connolly B L, Shroff P et al Cumulative effective doses from radiologic procedures for pediatric oncology patients; Pediatrics 2010; 126; 851-8. 12. Soni C. Chawla SC, Federman N, Zhang D et al Estimated cumulative radiation dose from PET/CT in children with malignancies: a 5-year retrospective review Pediatr Radiol 2010 40:681–686. 13. Neglia JP, Friedman DL, Yasui Y, et al. Second malignant neoplasms in five-year survivors of childhood cancer: childhood cancer survivor study. J Natl Cancer Inst. 2001; 93:618–629. 14. Meadows AT, Friedman DL, Neglia JP, et al. Second neoplasms in survivors of childhood cancer: findings from the Childhood Cancer Survivor Study cohort. J Clin Oncol. 2009; 27:2356–2362. 15. Friedman DL, Whitton J, Leisenring W, et al. Subsequent neoplasms in 5-year survivors of childhood cancer: the Childhood Cancer Survivor Study. J Natl Cancer Inst. 2010; 102:1083–1095. 16. Berger C, Trombert-Paviot B,Casagranda L, et al. Second Malignant Neoplasms Following Childhood Cancer: A Study of a Recent Cohort (1987–2004) from the Childhood Cancer Registry of The RhôneAlpes Region (ARCERRA) in France Pediatr Hematol Oncol, 2011; 28:364–379. 17. Koontz MZ, Horning SJ, Balise R, et al. Risk of Therapy-Related Secondary Leukemia in Hodgkin Lymphoma: The Stanford University Experience Over Three Generations of Clinical Trials J Clin Oncol. 2013; 10: 592-8. 18. Xu XG, Bednarz B, Paganetti H. A review of dosimetry studies on external-beam radiation treatment with respect to second cancer induction Phys Med Biol. 2008 ; 53:R193-241. 19. Howell RM, Hertel NE, Wang Z et al. Calculation of effective dose from measurements of secondary neutron spectra and scattered photon dose from dynamic MLC IMRT for 6 MV, 15 MV, and 18 MV beam energies Med Phys. 2006; 33:360-8. 37 Le cas particulier des mammographies Catherine Colin Radiologue, Hospices Civils de Lyon Le cas de la mammographie est particulier car cet examen est effectué dans le cadre du dépistage et s’adresse en grande majorité à une population indemne de pathologie mammaire. Il s’agit donc de se poser la question la balance bénéfice/risque et de justifier chaque exposition. Le dépistage est de plus actuellement très controversé (induit-il une baisse la mortalité ? est-ce l’amélioration des traitements ?) en amont même de l’effet des RI et y compris à partir de 50 ans. On ne « prévient pas le cancer du sein » par le dépistage : on détecte un cancer existant en utilisant en exposant une grande partie de la population aux rayonnements. La question est : les rayons X induisent-ils des cancers et existe-t-il des populations à risque y compris pour des doses à l’organe-sein de l’ordre de 2 mGy ? De multiples données épidémiologiques ont montré que les rayons X étaient un carcinogène avéré pour le sein. De plus, le sein est l’organe le plus radiosensible de l’organisme en nombre absolu de cancers radio-induits, et le sein est d’autant plus radiosensible que l’âge à l’exposition est jeune. Le dépistage du cancer du sein en France Pour la population générale, il existe plusieurs situations dans le dépistage en France : - le dépistage des femmes dites à haut risque, par exemple les femmes porteuses de mutations BRCA1 et 2 ou traitées pour maladie de Hodgkin ; - le dépistage individuel à partir de 40 ans dans la population générale, qui est très répandu, - le dépistage à partir de 50 ans qu’il soit organisé ou individuel. Pour les femmes de 50 ans, l’INCa a élaboré un document « dépistage organisé, bénéfices et limites » à des fins d’information, avec un chapitre « cancers radio-induits » Hors dépistage organisé (50-74 ans), il n’existe pas de cahier des charges pour la mammographie, c’’est celui du dépistage organisé qui est le plus souvent appliqué aux femmes à haut risque soit 2 incidences/sein. Pour les femmes à très haut risque familial, le rythme recommandé est 1 mammographie couplée à une IRM, démarrant à un âge jeune (âge différent selon les pays, 25 ou 30 ans). Donc le cumul d’expositions va être paradoxalement d’autant plus important que la femme est prédisposée génétiquement au cancer. Chez les femmes BRCA 1 ou 2, en commençant à 25 ans, il est donc possible d’atteindre à 50 ans des doses cumulées de l’ordre de 100 mGy. La radiosensibilité individuelle - La dose délivrée à l’organe : La dose délivrée à l’organe en mammographie pour une exposition est la dose glandulaire moyenne par sein (DGM en mGy), définie au niveau européen sur fantômes et pour une seule incidence mammographique. Elle ne tient pas compte du fait qu’au niveau individuel, la dose reçue par la glande augmente avec le volume du sein, avec sa densité (le sein est d’autant plus dense que la femme est jeune), l’insuffisance de compression, la réalisation de clichés supplémentaires (en cas de clichés technologiquement insuffisants), des bilans complémentaires dans les faux-positifs ou via des technologies mammographiques dites innovantes telles que la tomosynthèse qui multiplie les expositions. Elle est également dépendante du type technologique de mammographe utilisé. Aucune étude n’a pris en compte cette variation individuelle des doses reçues qui peut varier considérablement. 38 - Des données épidémiologiques et radiobiologiques : le risque potentiel de développer un cancer en rapport avec les expositions mammographiques est actuellement un risque estimé avec des dosimétries standardisées. D’autre part, aucune étude n’ permis d’étudier les expositions mammographiques de façon ciblée et indépendante des autres expositions radiologiques. Les connaissances actuelles concernent les conséquences des expositions du sein aux rayons X à des doses diagnostiques. Des études ont montré un lien expositions rayons X et cancer du sein pour des doses très faibles dans les populations mutées BRCA1/2. Les connaissances sont également basées sur des études ex vivo radiobiologiques notamment dans des conditions exactes mammographiques (faible dose, faible énergie, répétition de doses en quelques minutes). Ces études fournissent un indicateur du risque potentiel lié aux mammographies en montrant des dommages d’ADN, et émettent des indicateurs d’une radio susceptibilité accrue dans certaines populations prédisposées génétiquement au cancer. L’étude menée à Lyon en 2011 portait sur 30 lignées cellulaires (21500 cellules analysées) provenant de femmes : 11 avec situations de cancers familiaux ou mutés et 19 cas sans risque familial identifié. Les cellules épithéliales mammaires non tumorales issues de ces femmes et mises en culture ont été analysées avant irradiation, après 2 mGy, après 4 mGy et après 2 fois 2 mGy, dans des conditions identiques à une mammographie. Elle a montré que : - des dommages sont visibles dès 2 mGy ; - un effet-dose avec des défauts de réparation à 24 heures ; - un effet supra-additif : l’effet LORD (low and repetitive dose effect) soit « plus de dommages à 2+2 que 4 mGy en une seule fois, démontrant « l’effet répétion de doses ». - les dommages sont majorés dans les lignées de patientes à hauts risques. Pour transférer ces résultats à la clinique - Les indicateurs de radiosensibilité individuelle épidémiologiques et radiobiologiques apportentils actuellement suffisamment d’arguments pour limiter les expositions ? D’autant que les rayonnements ne sont qu’un facteur de risque parmi d’autres. - Une seule incidence mammographique oblique est recommandée par sein en dépistage, associée à l’IRM dans les populations à très haut risque familial (à l’étude par un groupe de travail à l’INCa pour les prochaines recommandations nationales) et chez les patientes traitées pour maladie de Hogkin dans l’enfance, l’adolescence ou chez l’adulte jeune (recommandations de la HAS publiées en mai 2014) Les perspectives - la radiobiologie pourrait-elle aboutir à une prise en charge personnalisée des femmes dépistées, avec un test évaluant les fonctions de réparation de l’ADN des lésions radio-induites et/ou des biomarqueurs de mauvaise réparation. Des travaux sur le microenvironnement péri-épithélial est également une perspective importante en association avec les effets des rayonnements sur l’ADN des cellules épithéliales, - les conséquences potentielles éthiques et sociétales de tels tests sont très importantes à prendre en compte et à anticiper. Échanges avec les participants Le risque de « non-détection » est-il évalué dans le dimensionnement du bénéfice-risque dans de cadre de prévention ? Le bénéfice n’est pas si grand puisque lui-même est porteur d’une part de risque. En fait, aucune étude ne permet de calculer la balance bénéfice-risque. Ce seront des décisions d’experts, à partir d’études de cohortes, mais non totalement justifiées. A noter qu’en matière de dépistage, on connait les taux de mortalité, de diagnostic, de cancers de l’intervalle, de sur-diagnostic … mais on n’a aucun équivalent en ce qui concerne le sur-risque des RI. 39 40 TROISIÈME PARTIE TABLE RONDE 41 42 Introduction à la table ronde La radiosensibilité individuelle : et alors ? Michel Bourguignon et Françoise Vitaux Le concept de radiosensibilité individuelle concerne deux types de population : - les patients présentant des effets secondaires/complications tardives de la radiothérapie alors qu’il n’y a eu aucune erreur dans la délivrance des doses de rayonnements ; - les individus ayant une susceptibilité élevée de développer un cancer du fait de leur exposition aux rayonnements ionisants. Parce que ces 2 types de population rassemblent un nombre important de personnes et que des mesures de prévention sont possibles - adaptation des doses en radiothérapie, optimisation des expositions aux rayonnements ionisants par l’imagerie médicale et prévention des expositions au radon - la radiosensibilité individuelle constitue un problème sanitaire et de radioprotection qui ne peut pas être ignoré. Les patients présentant des effets secondaires/complications tardives de la radiothérapie La radiosensibilité aux fortes doses de rayonnements ionisants est sans doute responsable des effets secondaires/complications tardives de la radiothérapie chez 5 à 15 % des patients traités (environ 5000 à 15000 patients par an en France) pour un cancer alors qu’il n’y a eu aucune surexposition dans la délivrance des doses de rayonnements. Les patients développent, pour certains assez rapidement, pour d’autres beaucoup plus tard (jusqu’à quelques années), des lésions secondaires à l’irradiation des cellules saines autour de la tumeur irradiée. Les symptômes observés (par exemple une rectite radique) sont liés aux morts cellulaires consécutives aux fortes doses de rayonnements et à une perte de l’homéostasie tissulaire. Les individus ayant une susceptibilité élevée de développer un cancer Le nombre des individus ayant une susceptibilité accrue de développer un cancer du fait de leur exposition aux rayonnements ionisants n’est pas connu. Cependant, comme les personnes porteuses d’un cancer présentent en moyenne une plus grande radiosensibilité individuelle (mise en évidence par des tests ex vivo) que les personnes non porteuses de cancer et que la prévalence du cancer est de l’ordre de 30 % dans la population générale, on estime que le nombre des individus concernés par ce phénomène de susceptibilité individuelle n’est pas négligeable voire important. Cette susceptibilité au cancer est liée à la survie de cellules dont l’ADN a été lésé, que ce soit aux fortes doses de rayonnements ionisants dans la mesure où 5 à 12 % de cancers secondaires surviennent après radiothérapie d’un premier cancer et touchent des organes exposés au rayonnement diffusé de la radiothérapie, ou aux faibles doses, des tests ex vivo montrant une augmentation significative des lésions de l’ADN après exposition à de faibles doses de rayonnements ionisants chez 43 les personnes ayant une plus grande probabilité de développer un cancer (par exemple les femmes à risque familial de cancer du sein). Quels sont les mécanismes responsables de la radiosensibilité individuelle ? Si l’on veut pouvoir explorer chez l’homme les 2 phénomènes de radiosensibilité aux fortes doses de rayonnements ionisants et de susceptibilité au cancer, il convient de mettre en place des tests spécifiques, ce qui nécessite une compréhension préalable des mécanismes en cause. Puisque les 2 phénomènes observés sont liés respectivement aux morts cellulaires et à la survie de cellules lésées, ils représentent 2 aspects complémentaires de la vie cellulaire après une agression toxique que constitue une exposition aux rayonnements ionisants. Ce ne sont pas tellement les lésions initiales de l’ADN qui conditionnent le devenir d’une cellule après agression mais davantage la faculté de la cellule à les réparer correctement ou non et à prendre une décision quant à sa survie après une sorte d’analyse bénéfice risque qui implique aussi le tissu environnant. Il s’agit bien là déjà d’une faculté individuelle à la réparation. Les cassures double brin (CDB) de l’ADN sont les plus sévères et les méthodes d’investigation les plus récentes (par exemple immunofluorescence) permettent de les détecter, y compris aux faibles doses de rayonnement d’un simple cliché radiologique (seuil de 1mGy). On peut ainsi observer que des cellules qui ont présenté des CDB de l’ADN après exposition aux rayonnements ionisants survivent quand même à l’agression, même si nombre d’entre elles meurent ou mourront car les lésions sont trop graves. Ces CDB sont aussi la partie la plus visible de toutes les autres lésions plus nombreuses mais moins graves de l’ADN qui peuvent aussi ne pas être réparées avec fidélité. Si l’on prend comme modèle de cancer que la cancérisation d’une cellule résulte de mauvaises lésions de l’ADN dont la combinaison est délétère pour son homéostasie, tous les mécanismes qui contribuent à la signalisation et à la réparation des lésions de l’ADN (les gènes, leur expression, leurs polymorphismes, leurs protéines, l’énergie cellulaire...) sont potentiellement impliqués dans la survie de cellules lésées et la susceptibilité individuelle au cancer. Mais ce sont assurément les études des protéines impliquées au cœur de la mécanique de la réparation de l’ADN qui permettent une approche fonctionnelle des réponses aux dommages de l’ADN car ces protéines constituent un passage obligé commun de tous les autres mécanismes. Les risques et la radioprotection Si un certain nombre de mauvaises lésions de l’ADN sont nécessaires (au moins une dizaine) pour aboutir à une cellule cancéreuse, le phénomène de cancérisation est sans doute à seuil alors que les lésions initiales de l’ADN exposé aux rayonnements ionisants sont distribuées au hasard, mais sont d’autant plus nombreuses que la dose de rayonnements est élevée. Le risque est d’autant plus grand pour un individu qu’il a un déficit génétique initial des voies concernées, par exemple dans les familles à risque familial de cancer pour lesquelles les gènes ne sont d’ailleurs pas identifiés dans plus de 15 % des cas actuellement. Le risque de cancer résultant de l’exposition aux faibles doses de rayonnements ionisants, s’il existe, est très faible puisqu’il n’a pas été mis en évidence par les études épidémiologiques. Il est sans doute impossible de démontrer le caractère radio-induit d’un cancer à des faibles doses de rayonnements ionisants. Mais tous les génotoxiques contribuent à l’altération de l’ADN chacun selon des spécificités propres et des lésions résiduelles de l’ADN s’accumulent au cours de la vie de la cellule. Dès lors, on doit envisager le risque combiné de tous les toxiques et il est légitime de minimiser les expositions à ces génotoxiques autant que faire se peut. Les principes de la radioprotection (justification et optimisation des expositions, et limitation des doses) sont donc de bons principes à respecter pour minimiser la probabilité de survenue des lésions de l’ADN quels que soient les toxiques et ainsi contribuer à la prévention des cancers. 44 Au delà de cette démarche générale de radioprotection applicable à la population entière, qu’en est-il de la radiosensibilité individuelle ? Les recherches dans ce domaine laissent percevoir la disponibilité prochaine de tests de dépistage de routine mais il convient sans doute que chacun des 2 phénomènes identifiés puisse être exploré par une méthode qui lui soit spécifique. Il convient aussi d’identifier les populations cibles pour de telles explorations avant d’envisager un dépistage et de proposer le cas échéant des mesures de radioprotection spécifiques : - la population normale doit bien sûr être étudiée en priorité. L’étude INDIRA financée par les investissements d’avenir post Fukushima vient de débuter au titre de la recherche et les résultats obtenus chez les intervenants médicaux en cas d’accident nucléaire en seront connus dans 3 ans ; - pour la radiosensibilité aux fortes doses de la radiothérapie, on s’intéressera tout d’abord aux patients présentant des effets indésirables/complications tardives de la radiothérapie pour comprendre pourquoi ils présentent ces effets dans des études rétrospectives. On explorera également les enfants atteints d’un cancer à des fins d’optimisation des doses de radiothérapie du fait des séquelles importantes potentielles. D’autres cohortes pertinentes pourront être constituées ; - pour la susceptibilité au cancer, on s’intéressera tout d’abord aux familles à risque familial de cancer afin d’identifier les personnes les plus probablement susceptibles de développer un cancer sur la base de leur radiosensibilité. On explorera les patients porteurs d’un cancer afin de déterminer leur radiosensibilité individuelle et ainsi de mieux comprendre les liens entre les deux. D’autres cohortes pertinentes pourront être constituées. 45 46 L’association des patients porteurs d’ataxia telangiectasia Mireille Gervasoni, présidente de l’association APRAT L’APRAT Association, Loi 1901, pour la Recherche sur l’Ataxie Télangiectasie, a été créée en 1992 par deux familles françaises dont les fils avaient eu un diagnostic d’Ataxie Télangiectasie. Les fondateurs de cette association se sont inspirés des deux associations anglo-saxonnes de parents qui étaient les seules à exister à l’époque : celle créée à Los Angeles par George et Pamela Smith destinée à financer les recherches de Richard Gatti à l’UCLA et celle des Cottingham à Nottingham en Grande-Bretagne, Thomas’ Appeal ; les membres de l’association française étaient en contact depuis plusieurs années avec ces familles qui leur avaient démontré l’importance d’une association de parents pour aider les recherches. L’AT est une maladie génétique rare caractérisée entre autres par des signes neurologiques évolutifs, liés à une atteinte des cellules de Purkinje (du cervelet), avec une incoordination des mouvements, des troubles de l’équilibre, de la prononciation et des mouvements oculaires (ataxie) ; des signes cutanés avec une dilatation des petits vaisseaux de la peau (télangiectasies) ; un déficit immunitaire ; une hypersensibilité aux radiations ionisantes se traduisant, en cas d’exposition, par une augmentation du taux de cassures chromosomiques au niveau des cellules. L’APRAT est une association nationale qui regroupe des familles AT de France métropolitaine et d’Outre-Mer – Guyane française, Guadeloupe et la Réunion, (environ une soixantaine), mais aussi de plusieurs pays qui n’ont pas encore d’associations de parents comme le Luxembourg, la Suisse et deux Etats du Maghreb, Tunisie et Algérie, et du Liban. L’APRAT a constitué un réseau de liens d’échanges avec des associations AT d’autres pays dont la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, Israël et les Etats-Unis. Le 9 Mai 2014,la présidente de l’ APRAT a signé à Casablanca une charte de coopération avec l’ association marocaine HAJAR. Dans le même temps, les deux signataires ont fondé la FIALCAT, Fédération Internationale d’associations pour la Lutte Contre l’ataxie télangiectasie, et elles seront bientôt rejointes par d’ autres associations AT. Le but premier de l’APRAT fut d’aider et de promouvoir la recherche sur l’AT en finançant des subventions à des laboratoires et des bourses pour de jeunes chercheurs et médecins chercheurs. Très vite, nous avons dû remplir une mission d’information auprès des familles et des divers thérapeutes intervenant auprès de leurs enfants. Des médecins, des kinésithérapeutes bénévoles ont offert leurs concours et servent de référents pour répondre aux questions des familles ou les orienter vers des spécialistes répondant à leurs besoins. L’APRAT, depuis 1994, a organisé des colloques internationaux rassemblant les spécialistes du monde entier (en 1997, ATW7 à Clermont-Ferrand, en 2004 ; un colloque européen au Luxembourg ; en 2013, AT and Radiation à Clermont-Ferrand). Des journées thématiques sur la rééducation ont permis aux thérapeutes, aux spécialistes de kinésithérapie, d’orthophonie, d’ergothérapie de confronter leurs expériences auprès de patients AT (en 1994 et en 1995 à Clermont-Ferrand et en 1999 à Nice) : issu de ces rencontres, un fascicule publié par l’APRAT reste une « bible » pour tous les thérapeutes de langue française. Tous les deux ans, durant un week-end, l’APRAT réunit les familles et leurs enfants dans la « Journée des Familles AT » durant laquelle une synthèse sur les recherches en cours est présentée par des scientifiques et des médecins. Une session est consacrée à la rééducation, à l’insertion et aux problèmes quotidiens rencontrés par les enfants. 47 L’APRAT publie un bulletin annuel – les Analectes de l’APRAT (en 2013, le numéro 26), et des monographies thématiques. L’APRAT a un site internet www .aprat .fr et une page facebook APRAT ouverte aux familles. Le problème de l’hypersensibilité des enfants AT aux radiations est un problème délicat pour les familles car, trop souvent, il est extrêmement difficile de faire comprendre, y compris à des médecins très dévoués, que radiographie et scanner doivent être, quand c’est possible, remplacés par d’autres moyens de diagnostic, IRM et échographie. La radiothérapie semble avoir eu, dans plusieurs cas, des conséquences dramatiques pour les enfants AT soumis à cette thérapie. C’est à la suite de messages de familles dont les enfants s’étaient vus prescrire de nombreuses radiographies et scanners que les dirigeants de l’APRAT ont souhaité promouvoir le récent workshop << AT and Radiation>> afin que des recommandations écrites puissent être issues des travaux des scientifiques et leur permettent d’informer les praticiens qui ont en charge la santé de leurs enfants et qui, malheureusement, ignorent encore trop souvent les risques de ces radiations pour des patients AT. Echanges avec les participants Vis-à-vis des praticiens, les parents de patients AT sont encore malheureusement considérés comme fragiles psychologiquement, auxquels d’éventuels « gourous » ont instillé des idées baroques et préconçues face aux radiations qui empêchent les diagnostics « efficaces » possibles avec les RX. La représentante de l’APRAT souligne la méconnaissance de cette maladie rare par les praticiens et les problèmes qui en résultent. Les professionnels notent que la radiosensibilité individuelle est encore une notion récente, passée dans la pratique des consultations spécialisées de génétique depuis seulement 2 à 5 ans et qui pénètre progressivement la communauté médicale. De plus, un des problèmes actuels est la transmission de l’information, noyée dans la multitude d’informations transmises aux praticiens. Il souligne la nécessité que les associations soient un relai de cette information vers le corps médical. Il est souligné par la représentante de l’APRAT qu’une réunion s’est tenue récemment à ClermontFerrand sur le sujet de l’hypersensibilité aux radiations des enfants AT. Il a été mis l’accent sur la nécessité de la rédaction d’une fiche d’information simple et accessible, investie de l’autorité de l’ASN et des experts des laboratoires de recherche. Cette fiche serait transmise aux familles pour l’information des praticiens auxquels ils s’adressent. En conclusion, un travail commun (praticiens et associations) doit être initié afin de développer l’information portée par les patients ; les maladies rares étant très nombreuses, il est difficile pour les praticiens d’avoir une connaissance exhaustive ! Pourquoi ne pas prendre exemple sur la mobilisation des patients diabétiques qui leur a permis de transmettre des informations pertinentes au corps médical. 48 Risque individuel - Risque collectif Réflexions philosophiques Alexei Grinbaum Cet exposé concerne le passage des influences individuelles à la formulation des politiques publiques. La question des responsabilités et des risques est en effet au centre des nouvelles technologies, avec le problème des incertitudes, tant politiques que scientifiques. Il est intéressant en effet d’être conscient des arguments qui entrent en ligne de compte au moment où on réfléchit à la formulation des politiques publiques et en particulier à ceux qui influent sur la perception des données scientifiques. Ainsi la responsabilité : un sondage récent a montré que, pour une très large majorité (90%) de la population, une innovation recèle des effets secondaires sur la santé qui peuvent être importants, même s’ils ne sont pas connus. Dans le domaine des faibles doses, la responsabilité est au cœur des discussions européennes : celle du médecin qui prescrit un examen ? Celle du praticien qui réalise l’examen ? Celle du scientifique qui a ou non alerté sur les risques ? Etc. De même, le décalage qui existe entre l’opinion d’expert et la décision qui sera prise ou non au niveau politique et la question des conséquences observables et la recherche des causalités à partir des conséquences observables. Quatre facteurs principaux possèdent un halo symbolique ou un apport allant au-delà des données scientifiques : - le risque invisible : présent dans le cadre actuel des faibles doses, il est en fait ancien comme en témoigne l’histoire de la médecine avec cette phrase, datant du XIV° siècle, d’Honoré Bonnet, avocat franc-comtois : « L’ygnorant gens prent tel propos C’un prince n’aye maladie Si ce ne vient par traïson, Par sorcerie ou poison » - la mort furtive : une conséquence devient source de vérité - la gravité des conséquences : dans la vie politique, la recherche des vérités à partir des conséquences est un phénomène ancien, omniprésent dans l’histoire de la médecine et dans les formulations politiques actuelles. La gravité des conséquences justifie l’existence du poison, notion très irrationnelle mais que l’on retrouve par exemple dans les débats autours des conséquences des accidents nucléaires - la mauvaise réputation : elle peut faire office de preuve et l’équilibre entre la réputation établie (d’une équipe, d’une institution) et le discrédit en particulier dans la médecine liée aux RI est une question très difficile. Sur la place publique, et dans le débat politique, la phrase de René Girard « Le poison est si facile à dissimuler, pour un médecin surtout, qu’il est impossible à prouver, donc il n’a pas besoin d’être prouvé » est un argument souvent retrouvé ou sous jacent. 49 Chaque fois que les scientifiques portent leurs données, souvent numériques, au niveau des décideurs politiques, il est important qu’ils réfléchissent à la perception de leurs données, à l’interprétation qui en sera donnée en complément d’autres arguments, non scientifiques, qui participeront également à la prise de décision. Pour en savoir plus - Hannah Arendt : La condition de l’homme moderne (1958) HLEG : report of High Level and Expert Group on European Low Dose Research (2009) Grinbaum M., Groves C.: “what is ‘responsible’ about responsible innovation ? Understanding the Ethical Issue” in Responsible Innovation : Managing the Responsible Emergence of Science and Innovation in Society Eds R.Owen, J.Bessant and M. Heintz) Wiley, 2013, pp 119-142 Chateauraynaud F., Debaz J.,Fintz M. : la dose fait-elle toujours le poison ? 2011. Echanges avec les participants Le constat est fait que la prise de position politique est souvent déconnectée de l’existence du risque. Il est souligné également que les scientifiques sont souvent dans une situation d’incertitude, en particulier en ce qui concerne les faibles doses. Or les autorités au sens large demandent des certitudes : « dites nous ce qu’il faut qu’on fasse ! ». Quand le scientifique a confiance dans ses résultats, il va se battre pour faire admettre des décisions : c’est le cas dans l’AT. Par contre, en ce qui concerne les faibles doses au sens large, les RI mais aussi les agents chimiques etc., ils sont dans l’incertitude. Que faut-il faire ? Comment agir ? La question est posée à Alexei Grinbaum. En réponse, Mr Grinbaum raconte l’histoire de Tobie dans l’ancien testament, qui part en voyage avec un ange. Quand il descend au fleuve pour se laver, il voit un énorme poisson s’approcher. Il a très peur, mais l’ange qui est resté sur la colline, non loin, lui dit : « prends le par les ouïes, tires-le sur la terre et prend son foie pour en faire d’utiles remèdes ». Pourquoi Tobie, qui a été capable de suivre la procédure que lui a indiqué l’ange, avait-il eu si peur ? La nouveauté ? Probablement en grande partie, face à ce poisson qu’il rencontre pour la première fois. Mais il y a aussi la figure de l’ange, qui a dit à Tobie ce qu’il fallait faire. Ce qui signifie que la bonne attitude est de travailler sur le langage. Les données scientifiques ne sont pas lues par les décideurs, qui de plus ne les comprennent pas. Il faut les traduire en mots, qui auront eux-mêmes une forte charge symbolique, avec l’aide de sociologues, de psychologues … C’est la même problématique que les médecins face à leur patient : comment lui parler ? En utilisant quelles phrases ? Quel langage ? C’est une question à laquelle l’ensemble des participants devrait travailler ! Dans les principes de la radioprotection, certains sont d’application individuelle (la justification d’un acte en fonction de la balance bénéfice-risque et le cas échéant d’une population qu’un consensus a caractérisé). D’autres tels que la limitation et l’optimisation sont des principes collectifs. Comment faire progresser notre réflexion sur les rapports des RI/radioprotection qui oppose risques individuels/risques collectifs ? L’exemple donné par Catherine Colin peut servir de support à la réponse : 20 personnes décédées de cancers radioinduits et 200 vies sauvées par le dépistage. Face aux décideurs, le scientifique peut avoir plusieurs attitudes : - soit donner des chiffres bruts en leur disant de décider eux-mêmes ; ils vont alors utiliser d’autres types d’arguments tels que l’acceptabilité : par exemple, est-il acceptable de sacrifier 20 personnes pour le bien de 200 ? Il y a fort à parier que le décideur n’est pas prêt à sacrifier qui que se soit ! - soit travailler sur la formulation et influencer la décision qui sera prise. 50 La médecine personnalisée Agnès Buzyn Présidente de l’INCa La médecine personnalisée dans le plan cancer 2 Le plan cancer 2 (2009-2013) avait comme axe transversal majeur l’idée de personnaliser les prises en charge des patients atteints de cancer. Cette formulation assez vague contenant en fait plusieurs axes : - l’approche par l’individu (Patient Centred Approach) : il s’agissait d’essayer de tenir compte des caractéristiques de chaque individu pour lui fournir un parcours de soins qui s’adapte à ses problématiques propres. Par exemple, il a été crée un réseau spécifique des cancers rares : ils sont mal pris en charge par les oncologues et les médecins généralistes qui les connaissent mal, ne connaissent pas les caractéristiques et les traitements spécifiques. Un réseau de 23 centres a été crée, dédiés à cette problématique. De même, des approches dédiées à la pédiatrie, à la gériatrie, aux adolescents et jeunes adultes, aux risques génétiques … ont été organisées. - l’approche par les caractéristiques tumorales (Tumour Centred Approach). C’est plutôt cela, la médecine personnalisée, celle qui tient compte des caractéristiques moléculaires de la tumeur, des voies de signalisation anormalement mutées ou activées, pour proposer au patient un traitement ciblé. On sait en effet que, d’une part, un même type de cancer peut comporter des formes très différentes d’altérations génomiques et que, d’autre part, le même type d’altération génomique peut se retrouver dans plusieurs types très différents de cancers. D’où une modulation des essais cliniques de cancérologie, de la caractérisation génomique des tumeurs pour mieux en comprendre la physiologie, affiner le diagnostic et le pronostic et surtout développer des nouvelles thérapeutiques ciblées sur ces anomalies, de façon transversale. - l’INCa a donc pris la Mesure 21, mesure dédiée qui garantit l’accès de tous aux thérapeutiques innovantes ; 28 plateformes de génétique moléculaire ont été développées. Elles permettent de rechercher toutes les anomalies moléculaires des cancers avec accès gratuit pour les patients et aide financière aux laboratoires concernés (DGOS, INCa). Ainsi en 2012, 155 000 patients ont été testés sur les 365 000 cancers détectés et 70 000 patients ont eu accès aux thérapeutiques innovantes. C’est un résultat unique au monde, dont la France est fière. L’avenir : le séquençage haut débit Il n’est plus envisageable de proposer un test par type d’altération moléculaire, ces derniers devenus beaucoup trop nombreux. D’où le séquençage partiel ou complet du génome, qui permettra de repérer toutes les anomalies moléculaires concernées et de guider au mieux la thérapeutique. L’INCa a dans ce domaine l’objectif de tester 60 000 patients dans les deux années à venir. 51 Il s’agit ici de médecine plutôt « de précision », « stratifiée ». Faut-il pour autant abandonner l’objectif de médecine personnalisée et de traitement personnalisé ? Il est clair que les traitements du futur devront tenir compte de la génétique de la tumeur, mais aussi de la génétique constitutionnelle et en particulier de la pharmaco-génétique. Il faudra également tenir compte des co-morbidités, des coprescriptions, du contexte social, psychologique, de la compliance des patients, etc. pour une personnification globale de la prise en charge. Personnification de la radiothérapie et radiations ionisantes La sensibilité individuelle aux RI est connue dans certaines maladies génétiques dans lesquelles peuvent se superposer une sensibilité accrue aux fortes doses mais aussi aux faibles doses (imagerie) et une susceptibilité aux cancers (Rapport INCa « risque de second cancer primitif » qui évalue le risque relatif à 6 pour des enfants ayant eu un premier cancer). L’identification des gènes impliqués devra permettre la mise au point de tests prédictifs (génotype, transcriptomique, protéomique, tests cellulaires ex vivo, épigénétique ?) puis leur validation par des essais cliniques qui devront analyser le rapport efficacité des traitements versus réduction du risque. Les projets actuellement financés (30 projets entre 2006 et 2013 pour 8.1 M€) le sont essentiellement dans la recherche fondamentale et ne concernent pas assez de projets cliniques. Les tests prédictifs de radiosensibilité représentent l’avenir mais … ils ont besoin d’être évalués - ils sont encore dans l’attente de biomarqueurs pertinents prédictifs ou pronostiques, de la radiosensibilité de l’individu mais aussi de la réponse tumorale ; - ils devront suivre le « parcours du combattant » de l’innovation en médecine, évaluation médicale (bénéfice/risque, PHRC), médico-économique (STIC/PRME), de la HAS avant leur inscription à la nomenclature par la CNAMTS. En conclusion la médecine personnalisée doit : - tenir compte de l’ensemble des composantes d’un individu ; - être validée et apporter un bénéfice (décision politique qui ne devrait pas être guidée par des évènements +/- médiatiques) ; - être structurée et organisée pour l’accès de tous (et non à certains pôles dit d’excellence). Elle est incluse dans le plan cancer 3 dans lequel elle impacte la radiothérapie et le dépistage organisé du cancer du sein. Un objectif de transparence sera poursuivi : prendre des décisions en faisant croire qu’elles reposent sur des certitudes est une erreur ; le public accepte que les décisions soient prises malgré un certain degré d’incertitude, à condition de l’en informer. 52 Populations à risque et médecine personnalisée : le cadre éthique et juridique de l’épidémiologie Anne Cambon-Thomsen L’unité d’épidémiologie et de santé publique de Toulouse travaille sur les aspects de génomique, biothérapie et santé publique. Dans les domaines complexes, le niveau de la décision publique ne peut pas se contenter de travaux d’experts juxtaposés. Il est nécessaire d’intégrer différentes disciplines de la santé, des sciences sociales etc. au quotidien des unités de recherche clinique. Elles deviendraient alors capables de fournir un corpus de connaissances qui intégrerait déjà plusieurs regards, et sur lequel pourraient s’appuyer les décisionnaires. La question éthique de la responsabilité en radiosensibilité Une fois définies les populations à risque, que faire de cette capacité : adopter des mesures de protection ? Définir des seuils ? Organiser des dépistages ? Préalables à certains traitements ? Pour mieux protéger ou pour mieux sélectionner ? Ou les deux à la fois ? En fait, il y a un gap entre définir un risque avec des tests et s’en servir pour personnaliser une prise en charge qui soit source de mieuxêtre et non d’angoisse, d’équité et non de discrimination. Les avis des comités consultatifs d’éthique (CCNE et GEE) Le comité consultatif national d’éthique (CCNE) a émis dans le domaine de la génétique des avis notamment l’avis 46 « génétique et médecine : de la prédiction à la prévention » en 1995, l’avis 57 en 1998 « progrès techniques, santé et modèles de société : la dimension éthique des choix collectifs ». Plus largement, deux extraits de l’avis 80 du CCNE et de l’avis 18 du GEE (groupe européen d’éthique), apportent une réflexion intéressante sur la définition des populations à risque et la notion d’aptitude (à un traitement ?). « Notre société supporte de moins en moins, légitimement, la simple notion d’exposition à un danger potentiel ou avéré, quelle que soit la situation des personnes exposées; l’effort doit donc porter sur la réduction incessante des dangers plutôt que sur la sélection des personnes. » (avis 80). On retrouve ici la préoccupation principale de l’ASN qui est de définir et réduire les expositions et les dangers La santé est le lieu d'application de principes fondamentaux, pour nombre d'entre eux de nature constitutionnelle. L'éthique veut que tous ces principes soient respectés: - droit à la protection de la santé, qu'affirme le préambule de la Constitution ; - l'égalité des citoyens devant la loi principe lui aussi de valeur constitutionnelle, qui implique la correction de ce que la biologie nous amène comme inégalités ; - principe de respect de la dignité humaine ; - l’évaluation des tests et des politiques d’application de ces tests (pertinence clinique…), « L'appréciation des besoins de santé, de l'efficacité des procédures, de la réalité et de l'importance des risques, indispensable à la mise en œuvre de politiques de santé efficaces et 53 sages, repose avant tout sur la qualité de l'évaluation. Il n'y a en définitive pas d'analyse du besoin de santé qui puisse se passer de l'évaluation des risques, des gravités, des procédures, des conséquences des politiques de prévention. » ; - l'évaluation de risques avérés repose surtout sur les techniques épidémiologiques. A côté des risques avérés, on parle souvent de risques potentiels. Conjonction de deux phénomènes : par définition, l'incertitude est grande de ce fait, elle amplifie les craintes du public ; - le décideur doit éviter deux écueils : soit la non prise en compte du risque, soit la mise en route d'un programme de prévention inutile ou inadapté. La non prise en compte d’un risque pathologique avéré dans l'établissement d'une politique de santé, pour quelque raison que ce soit, n'est pas éthiquement acceptable. Chacun doit pouvoir être informé (transparence de l’information) des facteurs de risque identifiés, et être assuré que sont prises des mesures permettant de les minimiser, si elles existent. L’information pour être complète doit également aborder le degré d’incertitude ; - l'évaluation ne doit pas être seulement fondée sur des critères médicaux, mais tenir compte de différents aspects de la qualité de la vie qui peut être affectée lors du dépistage lui-même ou en raison des contraintes liées à la prévention ; - l'affichage de cette priorité éthique est important car il est des cas où l'exigence de prévention peut sembler en contradiction avec d'autres éléments, notamment économiques et politiques. Les outils de la décision démocratique et les garanties des libertés doivent être adaptés à l'importance de l'enjeu. Le CCNE a identifié plusieurs niveaux où un débat démocratique doit s'engager : - le recueil des données individuelles sur la santé et les conditions de leur confidentialité ; - la manière de représenter l'usager dans les diverses instances qui traitent des priorités, (quels sont les bonnes façons et les bons moments pour faire intervenir les différents acteurs ? de travaux de réflexion et de recherche sont nécessaires dans ce domaine) ; - les moyens à mettre en œuvre pour faciliter l'information et la formation des professions de santé s'agissant de ces enjeux, moyens par lesquels passe leur adhésion aux priorités et à la discipline consentie. Conclusion du GEE : - - l'utilisation de tests génétiques dans le contexte de l'emploi, ainsi que la divulgation des résultats de tests génétiques, sont en général inacceptables du point de vue éthique. En effet, l'employeur peut satisfaire à ses devoirs et droit légitimes en matière de protection de la santé et d'évaluation des aptitudes au moyen d'un examen médical, mais sans pratiquer de tests génétiques ; l'employeur doit en principe s'abstenir de procéder à un dépistage génétique ou de demander au travailleur de se soumettre à des tests. En conclusion, le séquençage fournit des informations qui sont associées, de façon plus ou moins validée, avec des phénomènes de radiosensibilité ; il génère des informations que l’on ne sait pas interpréter d’une part, et pour les autres informations, le droit de ne pas savoir doit rester très fort ainsi que la confidentialité qui doit éviter les discriminations malgré l’importance de l’accès à ces données pour la recherche. 54 Echanges avec les participants Le terme « prédictif » est un terme fort. En fait, on est plus dans le domaine de la corrélation que de la causalité, même si elle est forte. Prédiction est un terme qui charge de responsabilités très lourdes ! L’assemblée est invitée à réfléchir sur l’usage de ce mot. Il est souligné que le terme de médecine prédictive est inadapté et il vaudrait mieux parler de médecine de prévision, ce qui de plus ajoute une dimension d’action. L’utilisation de l’argent public n’a de sens que s’il existe un bénéfice sociétal ou individuel comme repérer des personnes à très haut risque. Pour l’INCa, l’utilisation de l’argent public pour la lutte contre le tabagisme, qui est responsable de la mort d’une personne sur 2, est une priorité. En ce qui concerne la radiosensibilité, il reste beaucoup d’étapes avant de pouvoir utiliser des tests en routine même s’ils seraient très utiles au niveau individuel. Pour le moment, il n’est pas évident qu’il faille mettre beaucoup d’argent dans ce domaine. Il est noté qu’en matière de prévention, comme dans l’exemple du tabac, c’est le choix de chacun, s’il est correctement informé, de courir un risque. Par contre avec le séquençage génomique ou d’autres approches, le message à transmettre est plus difficile. Comment communiquer par exemple face à une jeune femme de 18 à 20 ans présentant la mutation BRCA1 ? Les médecins sont-ils prêts pour accompagner les patients sur le moyen et sur le long terme ! En fait, la réalité d’aujourd’hui est encore plus effrayante puisque le séquençage haut débit est accessible sur Internet avec des résultats bruts communiqués par un simple courrier ! On ne peut donc ne pas éviter le débat sur le séquençage et mieux vaut alors l’organiser et en structurer l’accès. C’est une réflexion éthique. 55 It’s time to change Pierre Barbey Le contexte réglementaire actuel, issu des modifications du Code du travail et du Code de la santé publique, introduites en 2002-2003 est basé en particulier sur le retour de connaissances, vers le milieu des années 80, concernant le suivi des survivants d’Hiroshima-Nagasaki. Depuis la CIPR 60 et la Directive 96/29, vingt cinq ans se sont écoulés. De nouvelles connaissances dans les domaines de la radiobiologie et de l’épidémiologie, portées par une littérature importante, se sont accumulées : - dans les années 2000, les travaux de Zhou sur les effets supra linéaires des très faibles doses étayés par des avancées en radiobiologie et la mise en œuvre d’outils biotechnologiques tels les micro faisceaux permettant des irradiations tout à fait localisées à l'échelle intracellulaire ; - en 2003, les travaux de Rothkamm en radiobiologie sur les cassures double brin qui ont, grâce à des innovations biotechnologiques, permis d'observer des effets délétères pour des doses de l'ordre du mGy (alors que jusque-là il fallait des dose de l'ordre du Gy) et amené des avancées considérables dans ce domaine des défaut de réparation ; - en 2003, un état de l’art par des experts radiobiologistes et épidémiologistes, concernant la relation dose/effet, ont mis en évidence un excès de risque à partir de niveaux d’exposition aux environs de 35 mSv ; - en 2012, les travaux de Pearce ont montré l’augmentation significative des cancers du cerveau et les leucémies après examens scanographiques durant l’enfance ; - enfin en 2013, les travaux de Mathews ont porté sur la plus grande cohorte étudiée depuis Hiroshima-Nagasaki : 680221 enfants. là encore, l'excès de cancers corrélé aux expositions diagnostiques (scanners) apparait significatif. A ce jour, une quinzaine d’études au niveau international, cherchant à explorer les conséquences de ces expositions médicales (essentiellement chez les enfants), sont en cours. En conclusion, le contexte réglementaire repose sur des données scientifiques datant de 25 ans. Depuis 15 ans, des évolutions considérables des connaissances dans les domaines de la radiobiologie et de l’épidémiologie doivent nous interpeller et nous conduire à entamer une réflexion sur les limites réglementaires fixées par la CIPR 90 par principe de précaution dans un contexte qui a évolué depuis. Une réflexion sur ces limites, et la nécessité de les revoir à la baisse, pourrait être engagée à l’occasion de la transposition de la nouvelle Directive BSS Euratom. 56 Clôture du séminaire Jean-Christophe Niel Cette intervention clôt la journée et mais ne la conclut pas tant il y a eu de questions abordées et d’interrogations qui subsistent. Elle a été l’occasion de rappeler les enjeux de la radiosensibilité individuelle par rapport à la radioprotection qui est un sujet pour l’ASN. Les champs couverts lors de ces échanges ont largement dépassé celui de la radioprotection Pourquoi s’intéresser au sujet de la radiosensibilité individuelle ? L’utilisation de plus en plus fréquente des RI dans le milieu médical que ce soit en radiothérapie ou en radiodiagnostic justifie cet intérêt. En radiothérapie les effets secondaires et les complications touchent une fraction non négligeable des patients traités. Les risques liés à l’imagerie sont quant à eux de plus en plus mis en avant au travers d’études et de constats notamment en ce qui concerne les enfants. De plus, l’ASN peut s’interroger sur l’impact de ce sujet au delà du domaine médical. Les bases biologiques de la radiosensibilité Elles ont fait l’objet de la première partie de ce séminaire qui a également vu la naissance officielle de la radio-esthésie qui devrait permettre une clarification des concepts. Un point a été fait sur différents aspects tels les mécanismes de la réparation de l’ADN, sur les biomarqueurs et les protéines-clés de la réparation des lésions de l’ADN, sur l’expression génique et le polymorphisme. Enfin, une information a été donnée sur les programmes de recherche en cours. Des questions ont été soulevées par rapport aux méthodes d’évaluation de la radiosensibilité : - Faible dose/forte dose ? - Effets précoces/tardifs ? - Quels tissus, quelles cellules ? - Signification et reproductibilité des tests ? - Cellules irradiées ou non ? Des interrogations persistent notamment sur le rapport entre lésion et risque, la prise en compte d’autres facteurs, la variabilité au cours de la vie et en fonction de l’environnement, la réponse immunitaire… La conclusion de Dietrich Averbeck sur cette matinée « de bonnes pistes pour déceler la radiosensibilité individuelle et la définir de façon plus précise… une forte attente pour les projets de recherche en cours » résume cette première partie du séminaire. Aspects cliniques de la radiosensibilité individuelle La seconde partie du séminaire a abordé les sujets de l’hypersensibilité en radiothérapie : hyperréactivité tissulaire, effets déterministes, précoces, tardifs ainsi que le test d’apoptose. Les interrogations persistent sur ce/ces tests prometteurs et la poursuite des recherches dans ce domaine est nécessaire afin de répondre aux attentes des professionnels. 57 Une revue des dernières études épidémiologiques relatives aux examens de radiologie diagnostique chez les enfants a mis en exergue les enjeux de leur exposition aux RI. La mammographie et l’estimation du risque à faible dose a fait l’objet de présentations. La démonstration de la radiosensibilité du sein ne remet pas en cause le dépistage pour les femmes de plus de 50 ans mais pose question pour les plus jeunes. Jean-Marc Cosset, à l’issue de ces présentations a demandé : « des tests par pitié !» à la fois pour réduire les complications, mieux optimiser les doses, adapter les techniques… Les enjeux sont grands dans ce domaine et la poursuite des recherches indispensable. Enfin, une table ronde très riche a démontré l’importance des échanges entre les domaines de l’expertise, l’éthique, la communication… Ce séminaire est une étape importante pour l’ASN mais il n’est pas une fin en soi. Il faut continuer à avancer dans ce domaine et établir des liens entre radiosensibilité et radioprotection. 58 59 Crédits photos : © DR – Musée Curie - Inserm • Octobre 2014 15, rue Louis Lejeune • 92190 Montrouge Centre d'information du public : 01 46 16 40 16 • [email protected]