Notre démarche
Comment se fait-il qu’il soit si difficile de filmer le théâtre ? De rendre compte de ce qui se passe de
tellement singulier dans un lieu où se déroule cette chose étrange : une représentation théâtrale ?
C’est la présence du public, évidemment. Du public qui influence ce qui se passe sur la scène. En effet,
les acteurs reçoivent à chaque seconde, sans souvent s’en rendre compte, les émotions de ce public. Et
c’est de cela que le cinéma ne pourra jamais rendre compte s’il veut filmer le théâtre ou ce qu‘il est
convenu d’appeler un spectacle vivant.
Car le théâtre est un constant dialogue de raison, d’émotions, de sens, d’intuitions et, si l’on parvient à
tendre les fils entre scène et salle, à créer cette tension si particulière, l’évènement, qui devait être fugace
s’enracine profondément en nous, y inscrivant son empreinte poétique. Parfois pour toute une vie.
C’est cela que Vilar voulait dire en parlant «
d’utopie nécessaire
». Une utopie autant nécessaire au
public qu’à l’équipe artistique. Un pur moment de rêve réel. Un partage sans calcul, sans artifice.
Peut-être ce que le cinéma français (justement lui) appelait le "réalisme poétique".
Et ce ne sont pas les débordements technologiques qui peuvent créer ce moment singulier. C’est la
justesse, l’équilibre entre texte, mise en scène, moyens mis en œuvre, et bien sûr comédiens. Sans
prétention, sans starification. Oui, cela n’a besoin de presque rien, que de l’innocence savante des acteurs,
de leurs regards, de leur souffle, de la sublime et humble inscription de leurs corps dans un espace
matériel et mental à peine esquissé.
C’est de cette façon qu’on peut parler de théâtre pour tous «
Elitaire pour tous
» (Schiller) et, par voie
de conséquence, d’éducation populaire.
Et cela commence toujours par les enfants. Toujours. Le meilleur des publics mais aussi le plus exigent.
Celui pour lequel il est si difficile de créer et qu’il ne faut, sous aucun prétexte, abuser.
C’est à quoi s’emploie, depuis 1966 notre compagnie. Avec des hauts, avec des bas. Ce qui est naturel.
Bien que sous forme associative, notre compagnie fonctionne à la façon d’une coopérative. Les acteurs
ont double responsabilité : le plateau évidemment, mais encore la gestion administrative et matérielle.
Ainsi le destin du groupe est entre les mains de ceux qui y travaillent.
Mais surtout, nous ne perdons jamais de vue l’essentiel : ceux pour qui nous créons. C’est pourquoi nous
essayons d’aller le plus souvent possible vers ceux à qui nous proposons notre travail. C’est pourquoi
depuis sa création notre compagnie est sur toutes les routes de France et parfois d’Europe. C’est pourquoi
nous jouons dans la salle des fêtes du plus petit village dans des conditions parfois très difficiles, très
éloignées du confort des grands théâtres. C’est pourquoi nous apportons avec nous les appareils
techniques nécessaires. Cela nous prend beaucoup de temps, d’énergie, mais au bout du compte des
rencontres ont lieu, des liens se tissent et vient la confiance.
Naturellement il y a le plaisir égoïste et salutaire de la création, mais en arrière plan veille la petite
lumière : «
Vont-ils aimer, comprendre ce que je fais là ? Cela leur sera-t-il utile ou les interpeller ? La
charge poétique est-elle suffisante pour les emporter, au moins le temps de la représentation, vers des
ailleurs utopiques ? Etc.…
»
Quand ces choses se réunissent, c’est le bonheur.
La poursuite du bonheur n’est pas inscrite dans notre constitution. C’est très dommage.
AVANT-QUART
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