Linguistique
De lorigine des mots bamanan et bambara : interprétations
linguistiques
Mohamed Larabi Diallo, Département de Langues, FLASH, Université de Bamako
Abstract
We tried in this work to bring our contribution to the knowledge of the origin of the words
bamanan and bambara. We showed and analyzed the different already existing
interpretations about them. Those couldnt resist to the analysis. This fact showed their not
plausible character. We exposed then the interpretation which we became from our
informants during our research. We delivered linguistic evidences which allow us to maintain
this interpretation.
Key words: origin, bamanan, Bambara, linguistic evidences, interpretation
Résumé : Le but de cet article est dapporter notre contribution à la connaissance de
lorigine des mots bamanan et bambara. Dabord, nous exposerons les différentes versions
existant à notre connaissance, tout en montrant les difficultés qui nous empêchent de croire à
leur véracité. Ensuite, nous ferons cas de linterprétation que nous avons obtenue de nos
informateurs au cours de nos recherches. Ce faisant, nous mettrons en exergue les
observations linguistiques qui nous permettent, à notre avis, de soutenir cette interprétation.
Mots clés: origine, Bamanan, bambara, analyse linguistique, interprétation
INTRODUCTION
La langue qui fait lobjet du présent article sappelle bámánánkân [
mána
ŋ
gâ:]
et les gens qui la parlent se nomment eux-mêmes bámànân [bámànâ:].
Il faut rappeler ici que le bámánánkán est un dialecte du Manding qui appartient au Mande, un
groupe de la famille Niger-Congo selon Greenberg (1963).
Il est parlé au Mali essentiellement dans les régions de Segu et Kulikoro, dans le
district de Bamako, dans les cercles de Kolokani, Bananba, Joyila, Buguni, K¦l¦nj¡ba et
Yanfolila.
Les mots bámánánkân et bámànân sont les formes1 que les locuteurs donnent
instinctivement si on les interroge sur leur langue et leur ethnie, comme les exemples suivants
le montrent :
1. Ê ká kân yé kân jùmɛn yé? Quelle est ta langue?
[é:!ká:!jé ká: ʤumɛ]
2. ká kân yé bámánánkân . Ma langue est le Bamanankan.
[:!ká ká:!jé bámánagá:!jé]
1
Ces formes sont désignées en général comme les formes déterminées, cest à dire les formes pourvues de
lélément de la détermination qui correspond assez bien à ce que lon appelle "article défini" en Français ou en
Allemand. Les formes dépourvues de cet élément restent les formes indéterminées.
3. Ê yé shíyâ jumɛn yé? Quelle est ton ethnie?
[é:!jé ʃijá: ʤumɛ]
4. bámànân 2. Je suis Bamanan.
[:!jé bámàná:!jé]
Dans dautres contextes la langue sappelle bámánánkán (de bámánán «Homme-
Bamanan» et de kán, «langue», alors: «langue des Bamanan»). Ces formes, que lon désigne
généralement comme des formes indéterminées, apparaissent fréquemment dans des phrases
négatives.
En voici des exemples:
5. Bámánánkán tí fɔ yàn. On ne parle pas le bamanankan ici.
[mánagan dí fɔ]
6. Nìn tí bámánán yé. Celui-ci nest pas un Bamanan.
[nÎn dí bámána jé]
I. DONNEES HISTORIQUES
Westermann et Bryan (1952) pensent que les gens sappellent bamanankɛ et ils
considèrent cette appellation comme le pluriel, pendant que la forme du singulier serait
bamana. Cela ne nous semble pas être juste dautant plus que k¡ nest quun morphème qui
distingue le genre des noms et qui est en fait une forme dérivée ou formée du nom c¡
homme.
Il y a en bámánánkân seulement le morphème /u/ [u] comme morphème du pluriel.
Certainement linformateur des auteurs ci-dessus indiqués était un homme. Un informateur
féminin serait alors bamananmuso où muso est la contre-partie négative de k¡ dans cette
fonction de distinction du genre. Aussi bien bamanankɛ que bamananmuso peuvent être
affectés du morphème du pluriel:
bámánánkɛw [bámánagɛ:ù] les hommes bamanan
bámánánmúsôw [bámánamusó:ù] les femmes bamanan
Le mot bámánán a été interpréde différentes manières. NDiaye (1970:88) pense
que bámánán signifie des gens qui ont refusé leur mtre. En conséquence, il écrit ban-
mâna de ban refuser et na maître. Il y a un problème tonal qui nous empèche de
croire á cette interprétation. NDiaye na pas donné de ton à ban. Cependant refuser se dit
bàn en bamanankan qui est un verbe à ton bas. « Maître » signifie (forme déterminée) ou
(forme indéterminée) dans dautres contextes et non na comme NDiaye la indiqué.
Le na de mâna nest rien dautre que la variante de la postposition la après une syllabe qui
2
Il y a quelques rares noms trisyllabiques à ton haut qui portent dans leurs formes déterminées un ton bas sur la
voyelle de la deuxième syllabe.Voici des exemples: búntènî 'le scorpion'; mángòrô 'la mangue'; támàrô 'la datte'.
Le mot bámánán appartient à ce petit groupe.
contient une nasale. Cette postposition permet au verbe bàn de sadjoindre son complément
qui est . La forme infinitive complète du verbe peut être représentée de la façon suivante:
kà bàn mâ ná refuser le maître
kà bàn fɛn ná refuser quelque chose
kà bàn màâ ná refuser quelquun
Ceci explique la présence de na chez na que NDiaye considère comme un nom.
La décomposition devrait être à proprement parler la suivante: bàn refuser, le maître,
<Postposition>, donc refuser le maître. Si on devrait faire de ces trois éléments un
composé, on aurait un nom à ton bas, cest à dire bànmà (le ton de la composition
dépend, du moins en ce qui concerne la variante de Ségou, dont lauteur est locuteur, du ton
de la première composante bàn et le nom rentre dans la composition sous sa forme
indéterminée).
Or le nom à interpréter, bámánán, est de ton haut et ne se laisserait pas découper de
façon à convenir à linterprétation de NDiaye.
Il faudrait signaler de passage que la voyelle de la première syllabe initiale de
bámánán nest pas nasalisée contrairement à la syllabe initiale de linterprétation. Toute
cette argumentation nous permet de douter de cette interprétation de NDiaye.
Mais elle est compréhensible quand on en connt le fond historique. Lorsque lislam
fut introduit au 13ème siècle (voir Monteil 1980), certains bamanan avaient refude se
laisser convertir à lislam. Les adhérents de lislam ont qualifié ces gens comme des gens qui
ont refusé le Dieu, pour les nigrer. Cest de là, à notre avis, quest née cette interprétation
de refuser le maître. Il faut dire quil y a là aussi un problème, même si cela était le cas, car on
pourrait se demander quelle était donc lappellation de cette communauté avant lintroduction
de lIslam au Mali. La réponse est que toutes les ethnies au Mali avaient leur appellation, les
bamanan ne faisant pas exception. Tout cela laisse à croire que cette interprétation nest pas
fondée.
Une autre interprétation qui, daprès NDiaye (1970:92), est peu probable mais qui est
la plus répandue serait que le mot bamanan vient du mot bama ou banba «crocodile», de
sorte que bamanan signifierait «gens du crocodile».
BAZIN (1906:68) partage aussi cet avis.
Il y a aussi, le même problème tonal qui nous permet de douter de la véracide
cette interprétation. Signalons de passage que bama peut être considéré comme une variante
dérivée de banba par un processus dassimilation (cf. DIALLO 2003, 2004). En effet, une
assimilation consonantique régressive sest produite où la marque de la nasalin de banba
s'assimile à la consonne b qui lui succède en prenant le même point d'articulation que cette
dernière. On aura alors bamba. Mais lassimilation ne sarrête pas là. A lieu ensuite une
assimilation progressive entre b et m le b sassimile totalement à la nasale qui le précède
pour devenir cette nasale même; le résultat de cette assimilation mm se réduit ensuite à une
seule nasale m. Ce cas dassimilation est valable aussi bien pour les mots à ton bas bànbà et
bàmà que pour les mots à ton haut bánbá et bámá. Comme il a été dit plus haut la variante
décrite ici ne connt pas le mot bànbà dans le sens de «crocodile». Les mots attestés sont
bánbá, bámá et bàmà.
Si nous revenons à notre interprétation, nous dirions quil y a en bamanankan deux
mots qui ne sont pas à confondre. Il sagit du verbe à ton haut bámá ou bánbá (voir en bas)
et le nom à ton bas bàmà et bànbà « crocodile ». Mais, malheureusement, NDiaye na pas
marqué les tons. Comme bàmà où bànbà dans le sens de crocodile est à ton bas, il est
difficile dexpliquer le changement tonal de bàmà à bámá, car la première syllabe du nom à
interpréter est à ton haut. Aussi, lorigine de na reste-t-elle inexplicable. En outre, nous ne
voyons dans lhistoire des bamanan, aucune relation entre eux et le crocodile pour quils
puissent être désignés comme les gens du crocodile.
II.NOUVELLE INTERPRETATION
Au cours de nos investigations, nous avons reçu de trois de nos informateurs (le
premier informateur vient de la ville de Ségou, il est âgé de 83 ans ; les deux autres viennent
de welengana, un village dans la proximité de Ségou ; ils sont âgés respectivement de 60 et
30 ans) une interprétation que nous voulons répandre ici.
Selon ces informateurs, lappellation bámánán vient du verbe à ton haut bánbá ou bámá
qui signifie « être à la hauteur de quelque chose sefforcer, se donner de la peine, être
appliqué, assidu, persévérant, constant, subvenir à ses propres besoins, etc ». Les gens ont été
appelés dabord bámánén qui est devenu ensuite bámánán.
Contrairement aux interprétations ci-dessus indiquées, cette dernière nous semble être
la plus plausible ; non seulement du point de vue phonologique, mais aussi du point de vue
tonal.
En ce qui concerne le ton, tous les deux sont à ton haut. Le mot bámánén est le participe
passé du verbe bámá. Le passage de bámánén à bámánán pourrait bien sexpliquer par
un processus dassimilation vocalique qui est un phénomène phonologique très fréquent en
bamanankan.
Lassimilation vocalique peut être régressive ou progressive. Le cas de bámánán et de
bámánén est celui de lassimilation vocalique progressive qui, en fait, peut avoir lieu
a) dans des constructions syntaxiques formées par un participe passé et les verbes bɛ ou tɛ
que certains linguistes appellent prédicatifs non verbaux. En voici des exemples :
7. Jónnìn sìkìlèn bɛ sô kɔnɔ. Qui est assis dans la maison.
[ʤónÎn zíkì:mɛ so: !kɔnɔ]
8. kâ bósólén bɛ. Le mouton est (certainement) dépecé.
[sàká:!bósó:mɛ]
9. Dúnánkɛ shúlén bɛ. Létranger est (certainement) ivre.
[d´nangɛ:! ʃú:mɛ]
10. Sòkô sànnèn tɛ. La viande n'est (certainement) pas
achetée.
[sòkó: sa:ndɛ]
Dans ces types de constructions syntaxiques la consonne l ou sa variante n du suffixe
verbal -len ou -nen tombe de sorte que deux voyelles différentes séparées auparavant par elle,
se suivent pour ne faire plus qu'une longue syllabe dans la réalisation phonétique. Daprès nos
informations ce cas dassimilation est totalement inconnu du parler de Bamako.
b) après la chute de consonne. L'exemple ci-dessous est le seul cas qui nous est connu:
11. À bí sé kà táá. Il peut partir
b´sé: !tá:] ~ [àb´sé kà tá:]
Il s'agit, en fait, ici de deux mots consécutifs dont le premier est le verbe sé et le
deuxième la marque de l'infinitif . La consonne k de cette dernière s'efface devant la
voyelle finale e de
créant ainsi la condition favorable à l'assimilation progressive. Pendant
le processus d'assimilation, le ton bas de à devient flottant et ne se manifeste dans la
réalisation phonétique que par l'abaissement du ton haut du mot suivant de son niveau normal.
c) dans des composés comme les exemples ci-dessous, où la voyelle a de la postposition ná
est assimilé à la voyelle ɛ du nominal ɲɛ:
ɲɛ + ná + jɛ > [ɲɛnɛʤɛ] fête
oeil + postposition + blanc
ɲɛ + ná + n > [ɲɛnɛfÍn] nostalgie
oeil + postposition + noir
Le cas de bámánén et de bámámán est similaire à celui des exemples ci-dessus.
Nous avons dit plus haut que bámánén est le participe passé de bama, ce qui revient à dire
que -nen est le suffixe qui permet de former le participe passé dun verbe. Ainsi, par le
procédé de lassimilation vocalique progressive, la voyelle e de -nen sassimile totalement à
la voyelle a de bámá pour donner ensuite le produit bámánán.
Les informateurs racontent que les gens quon appelait bámánán se disaient deux-mêmes:
12. Ânw bámánén dòn. Nous sommes des gens appliqués, assidus, constants, ...
[am bámánen dò]
13. Ânw màà bámánênw yé. Nous sommes des gens qui se suffisent à eux-mêmes.
[Âu jé mà: bámáne:u jé]
Quand on sengageait avec eux pour une affaire, on nétait jamais déçu. Alors tout content, on
le racontait aux autres en disant:
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