Le secteur privé tunisien, affronter l`amère réalité

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Le secteur privé tunisien, affronter
Billet Economique
l’amère réalité
N°3: Mai 2013
L'idée générale que le secteur privé est un pivot du développement n'est pas nouvelle. Elle n’a pas échappé aux grandes institutions internationales telles que la banque mondiale qui a déjà souligné dans son rapport sur le développement dans le monde de 1989, l’intérêt accordé à la culture entrepreneuriale.
Depuis 2004, la Tunisie s’est insérée dans ce projet et avait signé la charte euro méditerranéenne pour l’Europe dont
l’objectif est de construire un cadre pour les reformes du secteur privé.
Malgré cette volonté manifeste de la part de l’Etat d’offrir les conditions de réussite aux entreprises, il ne fait aucun
doute aujourd’hui, que le secteur privé tunisien est dans la tourmente. L’entrepreneur national a perdu le goût aux
affaires et hésite à engager des nouveaux projets. Il est passé du statut d’un « risquophile » à celui de « risquephobe ».
Il est à la recherche d’une reconnaissance et d’une déculpabilisation après les attaques virulentes sous le voile de la
révolution auxquelles il a été confronté.
Il est donc clair, que l’Etat doit doubler d’effort pour le réhabiliter, le rassurer et l’aider à améliorer sa compétitivité
et son efficacité à travers un agenda clair et précis en instaurant la sécurité sur tout le territoire et en sortant des oubliettes certaines reformes déjà engagées les dernières années avant la révolution ou mises en veille, dans l’attente
d’une visibilité plus claire.
Après le rappel du danger qui guette nos petites et moyennes entreprises, il faut passer aux aveux et voir les choses
telles qu’elles se présentent.
Quelle est la place du secteur privé dans l’économie nationale?
 Brossons donc un tableau général qui nous permettra à travers quelques indicateurs clés de mettre en relief l’état des
lieux du secteur privé tunisien.
1. La contribution au PIB
Au
début des années 90, le secteur privé représentait 60% du PIB de la Tunisie, cette part est passée à 63% à la fin de la
décennie. Il prédomine (en termes de valeur ajoutée et emploi) dans les secteurs de l’agriculture et de la pèche ainsi que
dans un large sens dans l’industrie manufacturière. Cependant, il reste absent dans le domaine des infrastructures.
A
la fin de cette première décennie de l’an 2000, et en se basant sur les mêmes critères choisis, nous estimons sa contribution à 75% du PIB. Comparativement à d’autres pays, il est relativement faible. Chez les pays concurrents tels que le Maroc,
la république tchèque, la Hongrie et la Pologne, le secteur privé est beaucoup plus dynamique et contribue jusqu’à 80% au
PIB.
Il
est clair que de part sa petite contribution, relativement au niveau mondial, le capital privé tunisien est la source essentielle de création de richesse, laissant au secteur public des attributions traditionnelles en l’occurrence la sécurité, l’aménagement du territoire, la protection, et la mise en place des infrastructures nécessaires à son développement.
Evolution des entreprises privées selon la tranche
de salariés (INS)
2. Emploi et productivité
Dans le secteur privé, il est largement admis que les PME constituent la cheville ouvrière du secteur. Ces PME, y compris les
micros entreprises, ont un rôle particulièrement important à
jouer. Dans les économies développées, les entreprises moyennes génèrent deux tiers des emplois dans le secteur privé et
constituent la principale source de nouveaux emplois.
700 000
>=200
100-199
600 000
50-99
20-49
500 000
10-19
6-9
400 000
3-5
1-2
300 000
2006
2007
2008
2009
2010
2011
0
1
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 Les maux du secteur privé tunisien, ne sont pas tous post révolution, car depuis longtemps, le secteur présentait des signes de fatigue et de nombreuses insuffisances. Il s’agit essentiellement du climat des affaires caractérisé par la faible qualité
des institutions, un environnement macro économique fragile et instable, un marché financier de petite taille et un manque
d’efficience du marché des biens et du travail.
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En
Tunisie 2,1 millions de personnes sont employés dans le secteur privé sur un total de masse active de 3,2 millions. Le
secteur privé tunisien contribue donc à 75% dans la création de l’emploi. Il assure une création nette de 55 000 emplois par
an dont le 1/3 provient du secteur off shore. Moins de 0,2% du tissu des entreprises privées emploient plus de 200 employés, et représentent plus d’un quart de tous les emplois.
Le taux de création nette d’emplois des
entreprises employant entre 10 et 50 travailleurs est d’environ 5,4 % plus élevé que
celui des très grandes entreprises, alors que le pourcentage correspondant aux entreprises comptant entre 200 et un millier
de travailleurs est de 3,8 %.
Le
secteur privé tunisien compte environ 602 mille entreprises privées dont 12 000 emploient 10 employés ou plus. Parmi
elles 2 763 bénéficient du régime incitatif off shore- représentant 32% des emplois salariés en 2010- dont 35% dans l’industrie textile et 18% dans l’agro-alimentaire.
Sur
les 3 135 entreprises à participation étrangère 2 454 relèvent des industries manufacturières ,380 des services, 158 du
tourisme, 81 de l’agriculture et 62 de l’énergie pour un total de près de 25 mille emplois (source Banque Mondiale et INS).
Selon
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une étude sur la dynamique des entreprises tunisiennes
réalisée par l’INS et la banque mondiale, 86% de l’ensemble des
sociétés dans le pays étaient unipersonnelles en 2010, alors que
les entreprises employant plus de 100 personnes ne dépassaient pas 0,5% mais représentaient 37% de tous les emplois,
soit plus que toutes les entreprises unipersonnelles unies. L’étude souligne que parmi les entreprises qui existaient en 1996,
4% seulement avaient évolué en taille en 2010 et un total de
55% avaient cessé leurs activités.
En dehors de leur faible employabilité, les entreprises privées se caractérisent par
une productivité très faible. En effet, la
même étude conclut que le doublement de la productivité ne permettrait d'accélérer la création d'emplois que de 3,9% en
raison de la faiblesse des investissements. Le doublement de la production par travailleur est associé à une croissance de
l’emploi progressant de 1 à 5 %. De même, une augmentation d’un décile (10%) dans la distribution de la rentabilité (par
secteur et par an) est associée à une accélération de la croissance de l’emploi d’environ 1 à 2 %, ceteris paribus. Une simple
simulation suggère que si les tendances d’avant la révolution ne changeront pas, en 2025, 90% des entreprises seront des
entreprises unipersonnelles et 42% de tous les emplois formels seront sous la forme de l’auto-emploi. (Source : INS-BM
2013)
L’observation
de la productivité du travail montre une faible croissance au cours de la dernière décennie (2%) comparativement à certains pays concurrents sur le marché de l’UE (10,2% en Chine, 3,9% en Turquie).
La
part de l’informel dans l’économie nationale, évaluée à 40% par le FMI, semble être aujourd’hui la zone de décompression qui évite au pays une deuxième explosion sociale. L’emploi informel se scinde en deux catégories : l’emploi informel
salarié qui représente 32% de l’emploi salarié et l’emploi informel non salarié qui représente 23% de l’emploi total non salarié.
3. Les investissements
La
majorité des tunisiens sont de plus en plus convaincus que
dans tous les domaines la visibilité n’est pas encore claire. De ce
fait, l’investisseur suit et subit la psychologie des foules.
Part des investissements privés dans le
total investissement (Banque Mondiale)
91,40%
84,90%
80,30%
78,10%
74,50%
67,60%
Entre
2010 et 2013, la part du secteur privé dans l’investissement global a régressé de 20 points, il est passé de 62,8% en
2008 à 43% en 2012. Déjà même avant la révolution, la part des
investissements privés est remarquablement dépassée par celle
enregistrée dans des pays arabes dont le Maroc (78%) et l’Egypte
(74,5%) et autres pays concurrents.
Pologne
Turquie
Corée du
sud
Maroc
Egypte
Chili
62,80%
Tunisie
2
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Répartition des investissements par région
Dans
les pays où les taux de croissance sont élevés, l'investissement privé dépasse les 25 pourcent du PIB alors qu’en Tunisie il
atteint, à peine, les 15%. L'Etat continue à contrôler une grande
partie de l'économie: il est non seulement présent dans les industries de réseaux comme les télécommunications, l'énergie, le
transport et le secteur bancaire – mais aussi dans d'autres secteurs tels que les engrais, l'exploitation minière, le matériel de
construction etc.
30%
27%
26%
25%
20%
20%
15%
Inv Privé
10%
10%
Inv Public
7%
6%
4%
5%
0%
Grand
Tunis
En
sus de cette faiblesse au niveau mondiale, la Tunisie souffre
aussi d’un déficit structurel. L’investissement est très mal reparti
entre les régions.
Nord Centre
Est
Est
Nord Centre Sud Est Sud
Ouest Ouest
Ouest
Le Grand Tunis et les régions de l’Est accaparent la part du lion avec 73% de l’enveloppe de l’investissement privé alors que
dans la région de l’Ouest, le taux de l’investissement privé n’est que de 27%. On évoque plusieurs raisons de cet état de lieu
notamment les choix politiques, la faiblesse de l’infrastructure, la mobilité du facteur travail et le manque d’incitations.
D’ailleurs,
le bilan des incitations contenues dans l’ancien code d’investissement en Tunisie montre que 70% des
avantages fiscaux servent les activités de l’export (proches des régions côtières) contre uniquement 7% orientées vers
les projets de développement régional.
Toutefois, on se référant aux critères de Doing Business
on peut dégager d’autres carences représentants un goulot d’étranglement à la création des projets ayant attrait surtout au climat des affaires.
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4. Le climat des affaires
Les
indicateurs utilisés par Doing Business, en l’occurrence le nombre de procédures, les délais nécessaires à la création des entreprises et à leur retrait du marché,
les coûts y afférents et la délivrance des permis, le coût exorbitants de financement
témoignent de la présence de beaucoup de contraintes qui pèsent encore sur le secteur privé et qui réduisent son efficacité et sa compétitivité.
Classement Doing Business :

2013 : 66

2012 : 54
-12 places dans
le
classement mondial
Nous relevons dans ce qui suit un faisceau de faiblesses, des obstacles, des défaillances et le dysfonctionnement du disposi-
tif administratif, institutionnel et règlementaire qui ont régné durant plusieurs années et qui ont, sans doute, contribué, dans
une large mesure à l’inertie du secteur privé. Cet amas de faiblesse regroupe essentiellement :
L’infrastructure connue par son retard dans le domaine de l’internet, sa faible qualité des transports routiers, portuaire
et autres ;
Les ressources humaines caractérisées surtout par l’inadéquation entre le profil disponible sur le marché du travail et
les besoins des entreprises;
L’administration et le système judiciaire connu par la lenteur des
procédures douanières et les délais de résolution des
litiges commerciaux;
Le financement bancaire impose des couts de crédits élevés
;
Les pratiques du marché qui instaurent la concurrence déloyale et les pratiques anticoncurrentielles nuisant à la compé-
titivité des entreprises;
Etc
Ôter ces obstacles qui entravent l’évolution de l’entreprise est la tâche la plus urgente pour relever les défis de la croissance
et de la compétitivité.
Classement de la Tunisie dans la création d’entreprise selon Doing Business 2013
Indicateur
Tunisie
Zone MENA
OCDE
Procédures ( nombre)
10
8
5
Délais ( jours)
11
23
12
Coût (% du revenu par habitant)
4,1
29,8
4,5
Capital minimum versé (% du revenu par habitant)
0,0
72,3
13,3
3
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Comment promouvoir le secteur privé ?
Pour remédier au manque de productivité, le gouvernement doit identifier les facteurs qui entravent l'investissement privé
local et étranger et de mettre en œuvre les réformes dans quatre domaines clés.
1. La recapitalisation du secteur financier
En effet, les insuffisances du système financier constituent un fort handicap à l’investissement privé en Tunisie. Des réformes s’imposent pour permettre une meilleure mobilisation de l’épargne, une diversification des sources de financement,
une réduction du coût du capital et une allocation optimale des ressources financières disponibles. Aujourd’hui, l’Etat
maintient un contrôle ferme sur les trois banques publiques les plus importantes du pays avec des effets pervers sur la
concurrence et des niveaux excessifs des créances en souffrance.
2. La réforme du code d’investissement
L’Etat doit achever les réformes du code d’investissement, revoir les avantages accordés et mettre en place des mesures
incitatives plus efficaces, cohérentes et transparentes pour appuyer l'investissement et l'exportation tout en permettant
une simplification des procédures administratives.
3. La modernisation du cadre juridique
La Tunisie doit adapter son cadre juridique aux exigences de la modernisation de l’économie tunisienne. Les barrières à
l'entrée dans les activités de services doivent être revues et ce dans l'objectif de promouvoir la participation des investissements privés locaux et étrangers. L'accès à plusieurs services y compris les activités de distribution (le commerce de
gros et de détail) sont l'apanage des entreprises où le capital tunisien détient la majorité des intérêts et requièrent l'approbation à priori de la Commission Tunisienne pour l'Investissement. La législation du travail aussi doit se moderniser
pour apporter plus de flexibilité au marché de l’emploi.
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4. Le cadrage et l’encadrement de la prolifération du secteur informel
Les autorités tunisiennes doivent lutter efficacement contre la corruption pour éradiquer la fraude et l’évasion fiscale qui
favorisent le développement du secteur informel, un frein indiscutable à l’investissement privé. Une stratégie globale de
lutte contre la corruption doit être conçue pour expliquer les méfaits de la corruption et son impact néfaste sur la croissance économique, l'investissement et la concurrence. La sensibilisation est donc nécessaire mais insuffisante, elle doit
être accompagnée par une application stricte de la loi.
Devant le dilemme du contrôle des niveaux du déficit budgétaire et de la dette publique d’une part, et assurer une
croissance économique pour une meilleure équité sociale d’autre part, le gouvernement tunisien n'aura pas beaucoup
de marge de manœuvre pour accroitre l'investissement public dans les années à venir.
Le secteur privé aura donc un rôle déterminant pour revitaliser l'économie tunisienne. Mais compte tenu de l’ampleur
des défis précités, il est opportun que les secteurs public et privé conjuguent leurs efforts dans le cadre d’un véritable
partenariat. Difficile de savoir ce que l'avenir nous réserve mais nous sommes bien obligés de constater que l'investissement est devenu un sport de combat dans un monde en perpétuel danger de krach.
Notre prochain numéro, et à la veille du mois saint de Ramadan, nous allons nous attarder sur le comportement de
consommation du tunisien au mois du jeun.
Par le professeur Fethi Zouhair NOURI
Conseiller économique auprès de MAC SA
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