ARMELLE HESSE-WEBER
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ainsi que par les canaux de diffusion modernes qui ont permis la multiplication en
grand nombre des textes et des images et du même coup élargi le champ de la
réception des œuvres, remettant en cause, comme l’écrivait Walter Benjamin, la
notion d’unicité1.
L’intérêt pour l’adaptation s’explique aussi par le fait que depuis les années
1960, le principe selon lequel l’essence de l’œuvre n’est pas à chercher dans son
originalité a gagné en importance. Qu’une œuvre soit répétition et recyclage de
matière ancienne et que l’écriture ne soit jamais qu’une réécriture ont fait l’objet
d’un travail de théorisation que l’on peut indexer par la notion d’intertextualité,
telle qu’elle a été définie par Julia Kristeva à la suite de Mikhaïl Bakhtine, puis
largement répandue dans le champ des études textuelles. C’est ainsi que Roland
Barthes peut écrire :
Nous savons maintenant qu’un texte n’est pas fait d’une ligne de mots, dégageant
un sens unique, en quelque sorte théologique (qui serait le « message » de l’Auteur-
Dieu), mais un espace à dimensions multiples, où se marient et se contestent des
écritures variées, dont aucune n’est originelle : le texte est un tissu de citations, issues
des mille foyers de la culture. Pareil à Bouvard et Pécuchet, ces éternels copistes, à la
fois sublimes et comiques, et dont le profond ridicule désigne précisément la vérité de
l’écriture, l’écrivain ne peut qu’imiter un geste toujours antérieur, jamais originel ; son
seul pouvoir est de mêler les écritures, de les contrarier les unes par les autres, de
façon à ne jamais prendre appui sur l’une d’elles ; voudrait-il s’exprimer, du moins
devrait-il savoir que la « chose » intérieure qu’il a la prétention de « traduire », n’est
elle-même qu’un dictionnaire tout composé, dont les mots ne peuvent s’expliquer
qu’à travers d’autres mots, et ceci indéfiniment […]2.
Dès lors, la théorie s’est intéressée à toutes les formes de reprises et d’imitation
et c’est dans ce contexte que l’adaptation a été décrite en tant que pratique
d’écriture spécifique (Genette ou Farcy) ou a fait l’objet de nombreux articles,
qu’ils portent sur une époque précise (les adaptations théâtrales au XIXe siècle, par
exemple)3 ou s’attachent à un auteur particulier (Zola, Duras, Ionesco…).
La perspective étant de tenter de définir les enjeux de l’adaptation aujourd’hui,
nous avons choisi d’adopter un point de vue essentiellement historique afin de poser
de manière sommaire les jalons de son évolution, de ses origines à la période moderne,
1 Nous renvoyons à l’ouvrage de Walter Benjamin (1936) L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité
technique, Gallimard, Paris, 2000. Il décrit l’influence des progrès techniques sur la diffusion des textes,
qui se traduit par la perte de l’aura des œuvres soumises à la reproductibilité technique et devenant des
objets commerciaux.
2 BARTHES Roland, « La mort de l’auteur », Essais critiques IV, Le bruissement de la langue, Seuil, Paris, 1984,
p. 65.
3 Le roman au théâtre. Les adaptations théâtrales au XIXe siècle, sous la direction d’Anne-Simone Dufief et
Jean-Louis Cabanès, RITM 33, Université Paris X, 2005.