ÉDITORIAL
LA RÉINSERTION SOCIALE : pour qui ?
Par Patrick Altimas, directeur général de l’ASRSQ
Chaque jour, le système de justice pénale affecte
les vies de milliers de Canadiens. Un des principaux
acteurs concernés est la personne contrevenante, qui
se voit «dénoncée publiquement» pour le délit qu’elle
a présumément commis. D’abord, l’individu subit la
réprobation sociale de son geste à travers le processus
d’arrestation, puis dans la poursuite devant un tribunal
qui mènera à un « jugement ». Une fois ce jugement
rendu, l’on saura que la personne ayant contrevenu aux
lois pénales «mérite» d’être punie.Cette punition trouvera
son expression dans une sentence qui sera plus ou moins
sévère, selon divers critères applicables à ce moment-
là. Certains diront que cette personne aura alors perdu
ses droits en tant que citoyen et qu’elle aura à « souffrir »
des conséquences de ses gestes. Dans un passé pas si
lointain, cette notion de souffrance était fort apparente
dans l’application de divers châtiments corporels plus ou
moins ingénieux.En bout de ligne on se rassurait en se
disant : « ça lui apprendra ».
Ces jours-ci, le discours véhiculé par certaines personnes
influentes semble refléter de nouveau cette conception
voulant que le criminel n’ait que ce qui lui est dû et qu’il
mérite de souffrir pour ce qu’il a fait. La prison pour une
bonne période de temps devrait ainsi servir cet objectif
de souffrance, à condition qu’on ne dorlote pas trop le
détenu pendant qu’il «fait son temps».Sinon, ça donnerait
quoi de l’emprisonner ? Soyons sérieux !Plus ça va faire
mal, plus la personne va apprendre de ses erreurs. Alors
pas question de jeux vidéo, d’accès à des moyens de
protection pour sa santé (condoms, tatouage sécuritaire,
seringues, etc.), de steak trop cher, de crevettes… et quoi
d’autre encore ? De toute façon, c’était à lui ou à elle
de choisir (libre arbitre) de ne pas commettre de délit.
N’est-ce pas ?
C’est drôle comment mon expérience des 35 dernières
années m’a appris que cette façon de penser mène
directement vers un cul-de-sac sociétal où les intérêts ni
de la communauté, ni de la victime, ni du délinquant ne
sont bien servis.La première fois que j’ai mis les pieds
dans une prison, c’était à ce que l’on appelait l’Annexe
du pénitencier St-Vincent-de-Paul (B-16). On était alors
en 1971, à la toute fin du régime dit militaire qui était
sérieusement remis en question depuis les années
cinquante. Il devenait de plus en plus évident que le
fait d’exclure une personne de la société en l’enfermant
derrière quatre murs et en appliquant un régime de
vie spartiate pouvait probablement aider à assouvir le
désir de vengeance de la victime et de la société, mais
constituait une mesure généralement inefficace face à
l’objectif d’opérer un changement chez le criminel et
donc, d’éviter la récidive. Au contraire, la prison était
devenue non pas un lieu d’apprentissage positif mais ce
que l’on surnommait « l’école du crime ».
Afin de changer ces approches pénales et correction-
nelles, divers acteurs de la société, dont les organismes
communautaires, ont fourni de grands efforts pour ame-
ner des réformes grandement nécessaires. Conséquem-
ment, une autre conception de la pénologie était propo-
sée. Cette dernière donnait ainsi une plus grande place
aux notions de rééducation et de réinsertion. En effet, on
le constatait finalement, le criminel n’était plus un étran-
ger, quelqu’un sans identité propre. Ce n’était plus juste
«une mauvaise personne qui avait choisi de vivre dans
le crime».C’était aussi et surtout, une personne à part
entière qui, en plus, était le fils ou la fille de parents, le
frère ou la sœur d’une famille, parfois l’époux ou l’épouse
de quelqu’un et même, le père ou la mère d’un enfant.
En d’autres termes, la personne contrevenante devenait
– elle l’a toujours été - un membre à part entière d’une
communauté. Même incarcérée dans une prison, elle
demeure une personne issue de sa communauté et dont
les liens plus ou moins solides avec celle-ci demeurent
importants et nécessaires pendant sa période d’incarcé-
ration. Car un jour, elle la réintégrera.
L’incarcération n’est, la plupart du temps, qu’une mesure
d’exclusion temporaire. Cela signifie donc que la
personne détenue se retrouvera un jour «libérée» pour
se retrouver à l’extérieur, en société. Une telle transition,
ça se prépare ! Sinon, il y a un important risque d’échec
et de retour en établissement.Il faut avoir discuté avec
des détenus et avoir senti leur désarroi à la veille d’une
libération pour comprendre que le fait de sortir peut
représenter des défis énormes et comporter une anxiété
parfois invivable. Des appréhensions qui, avant la sortie,
doivent être abordées avec des professionnels, des
proches, des pairs et des bénévoles.
La réinsertion sociale n’est pas une affaire de recette
magique, de traitements miraculeux ou de vœux pieux.
Ce n’est pas toujours facile, que l’on soit intervenant,
bénévole, parent, ami ou contrevenant.L’Association des
services de réhabilitation sociale du Québec reconnaît
les défis majeurs que pose la réinsertion sociale des
personnes contrevenantes. Elle a toujours cru qu’il
était essentiel d’être à l’écoute de tous les acteurs
impliqués dans la démarche de réinsertion dont, plus
particulièrement, la personne contrevenante elle-même.
Car la plupart du temps, c’est elle qui détient la clé de la
réussite de la démarche.
Dans ce numéro, nous vous offrons donc l’occasion
d’entendre les témoignages de personnes qui sont
présentement impliquées dans une démarche de
réinsertion ou qui, par le passé, en ont vécue une ou
plusieurs.
« Le criminel
n’était plus un étranger.
C’était aussi et surtout
une personne à part
entière : le fils ou la fille
de parents, le frère
ou la sœur d’une famille,
parfois l’époux ou l’épouse
de quelqu’un et même,
le père ou la mère
d’un enfant. »
4 ————————————————————————————————————————————————————————————— Volume XVIII, numéro 2 • 2007 • PORTE OUVERTE