actualités [santé, sécurité et conditions de travail] Harcèlement moral il peut être reconnu même sur un laps de temps très bref Les agissements de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une courte période. Considérer que les faits doivent s’être produits pendant une durée minimale pour que le harcèlement soit caractérisé reviendrait en effet, selon la Cour de cassation, à ajouter une condition à la définition légale de ce dernier. 2 Social Pratique / N° 549 / 25 juin 2010 쩚쩛Faits : un salarié est engagé le 28 décem- bre 2001 en qualité de vendeur-acheteur de véhicules accidentés. Il est arrêté pour maladie pendant une longue période à la suite d’un accident survenu au cours de sa vie personnelle. De retour dans l’entreprise le 11 septembre 2006, le médecin du travail le déclare apte à son poste de travail. Mais il est alors affecté à des tâches subalternes d’exécution, et il lui est interdit d’effectuer des déplacements pour visiter les loueurs de voitures et trouver de nouveaux clients. Au cours de la seconde semaine suivant sa reprise, et principalement lors d’un entretien en date du 21 septembre 2006, son employeur lui adresse des menaces et tient des propos dégradants à son égard. Il est ensuite à nouveau arrêté du 22 septembre au 22 octobre 2006, cette fois pour traumatisme psychologique. À partir du 6 novembre 2006, il est clairement rétrogradé et mis à l’écart. Il est encore arrêté pour maladie à compter du 13 novembre suivant. Il ne reviendra plus dans l’entreprise. [santé, sécurité et conditions de travail] Il demande alors la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur et obtient gain de cause en raison de la rétrogradation qu’il a subie. Il réclame également des dommages et intérêts pour harcèlement moral. Cette fois, les magistrats restent sourds à sa requête. Ils considèrent en effet que les faits litigieux (rétrogradation, mise à l’écart, menaces et propos dégradants) se sont déroulés sur une trop brève période de temps, compte tenu des arrêts maladie postérieurs à la reprise, et sont dès lors insuffisants pour caractériser un harcèlement moral. La Cour de cassation n’est pas de cet avis et va donner raison au salarié sur tous les plans. 쩚쩛 Solution : il résulte de l’article L. 1152-1 du Code du travail que les faits constitutifs de harcèlement moral peuvent se dérouler sur une brève période. La Cour de cassation censure donc la cour d’appel pour avoir ajouté au texte légal une condition qu’il ne prévoit pas. Elle lui reproche par ailleurs de ne pas avoir pris en compte l’ensemble des éléments établis par le salarié, parmi lesquels les documents médicaux relatifs à une altération de son état de santé [Cass. soc., 26 mai 2010, n° 08-43.152]. La demande de résiliation est justifiée Un salarié victime de harcèlement moral peut agir devant le conseil de prud’hommes afin de faire reconnaître les faits de harcèlement subis et d’être indemnisé à ce titre. Il peut également demander la résiliation judiciaire de son contrat ou prendre acte de la rupture aux torts de l’employeur en raison du harcèlement avéré. Les demandes sont alors liées. ! ATTENTION Le salarié qui obtient en justice la reconnaissance du harcèlement moral et une indemnisation du préjudice subi peut toutefois voir rejetée sa demande de résiliation judiciaire pour harcèlement. En effet, lorsque le juge est saisi, celui-ci se place au jour où il statue pour apprécier le fondement de la résiliation judiciaire. Si, entre-temps, les faits de harcèlement moral ont cessé, la rupture du contrat de travail n’a pas lieu d’être [Cass. soc., 1er juill. 2009, n° 07-44.198 : dans cette affaire, le départ d’un directeur harceleur avait mis un terme aux faits de harcèlement, la demande de résiliation judiciaire n’étant alors plus justifiée]. Ce n’est pas exactement ce qui s’est passé dans l’affaire du 26 mai 2010. Certes, les mêmes faits étaient à l’origine de plusieurs demandes : la résiliation judiciaire du contrat de travail et l’indemnisation du harcèlement moral. Mais la demande de rupture n’était pas explicitement fondée sur la reconnaissance du harcèlement moral. Le salarié invoquait à l’appui une modification de son contrat de travail liée à une rétrogradation ayant eu un impact sur sa rémunération. En effet, classé attaché commercial de véhicules accidentés, il était censé réaliser l’ensemble des activités liées à la reprise des véhicules d’occasion et notamment l’estimation physique, la détermination de la valeur et la négociation du prix de la reprise du véhicule. Or, depuis son retour dans l’entreprise, il était cantonné à de simples tâches d’exécution qu’il n’avait jamais exercées auparavant et n’était plus autorisé à prospecter de nouveaux clients. La cour d’appel a donc fait droit aux arguments avancés en prononçant la résiliation judiciaire de son contrat de travail. Elle a en revanche considéré que les agissements répréhensibles n’étaient pas constitutifs de harcèlement moral du fait de leur brièveté, et a par conséquent rejeté la demande de dommages et intérêts formulée sur ce fondement. La Cour de cassation ne l’a pas suivie sur ce deuxième point. Social Pratique / N° 549 / 25 juin 2010 3 [santé, sécurité et conditions de travail] Le harcèlement moral est reconnu, peu importe la brièveté des faits Le harcèlement moral consiste en des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité du salarié, d’altérer sa santé physique ou mentale, ou de compromettre son avenir professionnel [C. trav., art. L. 1152-1]. Une répétition des agissements est donc nécessaire pour que l’on puisse parler de harcèlement. Un acte isolé est insuffisant. Ainsi en est-il de la décision de l’employeur de rétrograder un salarié qui, à elle seule, ne constitue pas un harcèlement [Cass. soc., 9 déc. 2009, n° 07-45.521] ; (voir Social pratique n° 539, p. 10). Dans l’affaire qui nous intéresse, le salarié avait non seulement été rétrogradé mais également mis à l’écart, avait subi des menaces et fait l’objet de propos dégradants. La cour d’appel a cependant considéré que les faits de harcèlement moral n’étaient pas caractérisés. La Cour de cassation a censuré les juges du fond en invoquant les deux motifs suivants. L’ensemble des faits n’a pas été pris en compte Pour rappel, la charge de la preuve du harcèlement est ainsi répartie : – le salarié doit établir des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement ; – l’employeur ou le salarié mis en cause doit ensuite prouver que ses agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement [C. trav., art. L. 1154-1]. Les juges doivent, quant à eux, appréhender ces faits dans leur ensemble [Cass. soc., 24 sept. 2008, n° 06-45.579] ; (voir Mémo social 2010, n° 1679). Ils ne peuvent donc pas se 4 Social Pratique / N° 549 / 25 juin 2010 prononcer en ne retenant que certains faits établis par le salarié et en en écartant d’autres avérés. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 26 mai 2010, il a ainsi été reproché à la cour d’appel de ne pas avoir tenu compte de l’ensemble des éléments établis par le salarié, notamment les certificats médicaux attestant d’un état dépressif par suite de faits liés au travail. À cet égard, la Cour de cassation a strictement appliqué les règles méthodologiques dégagées dans les arrêts du 24 septembre 2008. Mais elle ne s’arrête pas là et apporte, dans la seconde partie de son argumentation, une précision supplémentaire, continuant ainsi de construire le régime du harcèlement moral. La définition légale du harcèlement n’impose aucune condition de durée Pour les juges du fond, la nécessaire répétition des agissements impliquait que les faits s’inscrivent dans la durée pour caractériser un harcèlement moral. Selon eux, la reprise du salarié ayant été ponctuée d’arrêts de travail, les événements litigieux s’étaient en réalité déroulés sur une très brève période (moins d’un mois), trop courte pour que l’on puisse parler de harcèlement. D’autant plus que certains de ces faits s’étaient déroulés sur une même journée, lors d’un entretien en date du 21 septembre 2006. Cependant, ainsi que le souligne la Cour de cassation, l’article L. 1152-1 du Code du travail définissant le harcèlement moral ne prévoit nullement une quelconque durée minimale des faits en cause. Il convient donc, selon elle, de s’en tenir strictement au texte légal. La cour d’appel y ayant ajouté une condition a par conséquent été censurée. [santé, sécurité et conditions de travail] ---- À NOTER Deux arrêts inédits rendus il y a quelques mois laissaient présager cette prise de position de la Cour de cassation : dans une première affaire, une auxiliaire de puériculture relatait des faits de harcèlement s’étant déroulés sur une période d’environ un mois, entre son retour de congé parental et un arrêt maladie. Les juges avaient considéré que le laps de temps, effectivement très court, pendant lequel la salariée avait repris son emploi avait suffi à altérer à tel point sa santé que le médecin avait jugé dangereux son maintien dans la même structure. Le harcèlement moral avait été reconnu [Cass. soc., 15 déc. 2009, n° 08-43.288] ; dans une seconde affaire, une salariée avait été violemment agressée verbalement par son employeur ou l’épouse de celui-ci en présence de clients ou d’autres salariés, à deux reprises en l’espace d’un mois. Il a été jugé que ces faits répétés, commis par l’employeur ou son épouse, laquelle, aux yeux des tiers présents, lui était assimilable, caractérisaient, même s’ils s’étaient produits sur une période relativement brève, l’existence d’un harcèlement [Cass. soc., 27 janv. 2010, n° 08-43.985]. Faut-il en conclure que des faits de harcèlement pourraient se produire dans un laps de temps extrêmement court tel qu’une semaine, voire une journée, du moment qu’ils sont répétés ? Tout est possible. Il reviendra probablement aux juges d’analyser au cas par cas les événements en cause et de les replacer dans leur contexte. Dans l’arrêt ayant retenu notre attention, les menaces de l’employeur et les propos dégradants qu’il avait tenus à l’égard de son collaborateur avaient eu lieu au cours d’une même semaine et principalement lors d’un entretien. Il ne s’agissait toutefois pas des seuls comportements harcelants de l’employeur, la rétrogradation et la mise à l’écart de la victime lui ayant également été reprochées. Il faut s’attendre à un contentieux abondant en la matière, ce qui amènera peut être la Cour de cassation à affiner encore un peu plus sa position sur le sujet. Qu’en est-il pour le harcèlement sexuel ? Le harcèlement sexuel est caractérisé par les agissements de toute personne dont le but est d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers [C. trav., art. L. 1153-1]. Cette définition ne fait pas non plus référence à une quelconque notion de durée des faits en cause. La solution rendue dans cette affaire en matière de harcèlement moral semble donc pouvoir être étendue au harcèlement sexuel. Éditeur : WOLTERS KLUWER FRANCE, SAS au capital de 300 000 000 € - Siège social : 1, rue Eugène et Armand Peugeot - 92856 Rueil-Malmaison Cedex - RCS Nanterre 480 081 306 – Associé unique : Holding Wolters Kluwer France – Directeur de la publication, Président Directeur Général de Wolters Kluwer France : Xavier GANDILLOT – Chef de service Social pratique : Aurélia DEJEAN de la BÂTIE – Rédactrice en chef : Diane ROUSSEAU–Rédaction:Sylvie CAULLYCHURN, Marguerite d’ORNANO – Secrétaire de rédaction : Nicole GUEZ – ☎ 01 76 73 32 52 - Fax : 01 76 73 48 93 – Directeur commercial publicité WKF : Corinne VOLTZ-ROSENTHAL – Directrice de publicité Social-RH : Sandrine VIENOT – Directrice de publicité : Anne MALLET – Directeurs de clientèle : Myriam LACROIX, Robert de MARASSE – Assistante de publicité : Yaël HAZIZA – ☎ 01 76 73 36 17 - Fax : 01 76 73 48 84 – Service abonnements : 0 825 300 302 - Fax : 01 76 73 48 36 – Directeur de production : Jean-Marc EUCHELOUP – Imprimeur : SENEFELDER MISSET, Mercuriusstraat 35, 7000 AB DOETINCHEM, Pays-Bas – N° CPPAP : 1110 T 87315 ■ Dépôt légal : JUIN 2010 ■ ISSN : 0769-055X –Abonnement : 306,30 € ttc/an. 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