Ce prisme d’analyse conduit à admettre que ces rapports entre ordres juridiques se sont
transformés au fil du temps et au terme de nombreux à-coups et évolutions, en des rapports de
systèmes marqués par des interpénétrations concentriques, des métissages selon l’expression est de
Sylvaine Poillot-Peruzzetto qui conduisent à regarder le droit autrement ; il conduit à ne plus parler
de droit externe ou de sources externes du droit mais de sources d’origine externe car il s’agit
souvent de droit interne, à ne plus considérer qu’il est possible d’être un juriste de droit interne,
d’être « interniste » comme on l’entend si souvent, car être un juriste de droit interne c’est connaître
et appliquer le droit d’origine externe dans l’ordre interne.
Evidemment les logiques, les conceptions explosent, il faut déconstruire et ne pas idéaliser
pour autant ce droit international et européen, qui ne vient pas de nulle part, auquel nous
participons, qui n’est pas sans faille loin sans faut, et ne pas remplacer des dogmes par des dogmes,
le dogme européaniste n’étant pas plus utile à la compréhension des rapports de systèmes que le
dogme gallocentrique. Essayer simplement, avec sa part de subjectivité assumée mais mesurée, sans
identification disciplinaire trop marquée et donc nécessairement déformante, de faire preuve d’un
pragmatisme théorique (ce qui peut paraître un contresens) et matériel face à un phénomène, quoi
qu’on en dise irrésistible. Les rapports de systèmes ont d’une certaine manière relancé la créativité
des ordres internes et singulièrement de leurs juges, la doctrine ne peut que suivre…
Dans un tel contexte, la question de la modélisation théorique des rapports de systèmes est
essentielle. Cette modélisation doit être d’emblée soigneusement distinguée de ce que prévoit le
droit positif sur cette même question. Si la première est censée proposer une explication globale et
cohérente de la manière dont s’organise le second ; le droit positif n’a, à l’évidence, aucune
prétention théorique. Le droit positif ne saurait être moniste, dualiste, pluraliste, global ou encore
renvoyer au réseau.
Il n’en reste pas moins que les théories décrivant comment s’ordonnent les ordres juridiques
correspondent à des manières différentes d’appréhender ces rapports, de sorte qu’elles véhiculent
toujours une certaine dimension politique, c'est-à-dire une certaine manière de concevoir les
rapports sociaux. Cette dimension a d’ailleurs sans doute conduit Kelsen à refuser, à un moment
donné, de trancher entre l’approche moniste ou celle dualiste des rapports entre les ordres
juridiques
H. KELSEN, « Théorie du droit international public », R.C.A.D.I., Tome III, 1953, p. 187 ; Théorie pure du droit, Traduction
française de la deuxième édition par C. EISENMANN, 1962, Bruylant-L.G.D.J., La pensée juridique, 1999,, p. 333.