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AUTRUI LA SOCIETE LES ECHANGES
INTRODUCTION
I) Qui est autrui ?
Parmi tous les objets que nous rencontrons ou qui nous sont donnés à connaître, quelle est la
particularité d’autrui ?
D’abord, autrui, c’est l’autre, au même titre que tout ce qui n’est pas moi : tout ce qui est
extérieur à ma personne (ce crayon que je tiens dans ma main, cet arbre que je vois, comme cette
personne en face de moi) est autre que moi. L’altérité serait ainsi la première caractéristique
d’autrui, par opposition à l’identité (caractère de ce qui demeure le même à travers le temps) qui
définit, semble-t-il, le moi. Autrui désigne alors l’autre plus ou moins proche (mon voisin, mon
ami, mon amour…) et l’autre plus ou moins lointain (le passant inconnu, l’étranger,
l’ennemi…).
Où l’on voit que si autrui renvoie à un objet du monde qui est autre que moi, ce n’est pas de
la même façon dont une chose ou un animal sont autres : autrui est mon semblable, je lui
ressemble, c’est un homme comme moi, un alter ego, c’est-à-dire un autre moi et un autre que
moi.
II) Le paradoxe du même et de l’autre
Autrui est donc différent de moi, parce qu'extérieur et distinct ; il me ressemble parce qu’il est
doué de conscience : il possède à la fois les caractères de l’autre et du même. La notion d’autrui
est dès l'abord ambiguë puisqu’elle signifie en même temps l’identité et la différence. La question
d’autrui semble alors renvoyer à une réflexion sur le sujet et la structure de la subjectivité :
comment puis-je savoir que l’autre en face de moi est également doué de conscience ? De même,
comment ai-je conscience de moi-même ? Autrui n’est- il pas nécessaire à la constitution de la
conscience de soi ? L’autre n’est- il pas indispensable à mon existence, aussi bien d’ailleurs qu’à
la connaissance que j’ai de moi-même ? La présence d’autrui n’est- elle pas finalement l’horizon
de toutes mes activités ? En somme, que m’apprend autrui sur moi-même ?
Il apparaît ainsi que l’homme est un être social : je suis fait pour vivre avec l’autre, j’ai
besoin de lui pour partager le travail, les émotions, le plaisir et la peine, ou même simplement
mon sentiment d’exister. Pourtant, des faits innombrables prouvent combien la cohabitation est
désespérément difficile : depuis les conflits entre les individus jusqu’aux guerres entre les
peuples, tout montre que si autrui s’avère être l’allié le plus indispensable, il est aussi mon plus
implacable ennemi.
Dès lors, en quoi consiste, pour l’individu, la contrainte de ne jamais connaître qu’une vie
commune ? Nous serons amenés à envisager les multiples figures de la relation à autrui et les
difficultés qu'elles soulèvent. Nous en profiterons pour aborder, à partir de la problématique de la
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société et de la sociabilité humaine, la constitution d'une science de l'homme la sociologie -,
ainsi que les questions d'ordre épistémologique que posent la sociologie et les sciences humaines
en général.
I) LA VIE COMMUNE : L'HOMME ET LA SOCIETE
Il s’agit, en premier lieu, de comprendre ce que signifie au juste ce fait généralement admis
que l’homme est un être social. Mais tout le problème consiste à se demander si la dimension
sociale, le fait de la vie en commun, est nécessaire à l’homme. La vie commune, une donnée
nécessaire ou contingente ?
A) L'HOMME, ANIMAL POLITIQUE
Aristote, dans La politique, définit l'homme en le rattachant à son genre (animal) puis en le
spécifiant par l'ajout d'une qualité propre à définir l'espèce : l'homme est un animal rationnel, qui
parle, qui pense, qui a une âme, qui fabrique des outils, qui vit en société, etc. L'homme est un
animal politique, un animal vivant dans une cité.
Aristote ne parle pas tant de sociabilité, mais de politique. La vie en société n'est pas le
propre de l'homme. Nombre d'êtres vivants, comme les abeilles ou les fourmis vivent en société
et ont une organisation sociale complexe et efficace. L'homme est par nature l'être qui vit en
Cité, c'est-à-dire non seulement avec les autres, mais surtout en fonction de règles sociales et
politiques qui définissent le statut, les fonctions et la valeur de tous les individus par des lois qui
se doivent d'être justes. L'homme n'est pas tant un être doué de sociabilité qu'un être qui ne
devient un homme que s'il vit avec les autres dans une Cité. L'homme ne devient un homme
que par cette appartenance à une cité : on ne naît pas homme en tant que tel, on le devient en
vivant dans un foyer, sous l'autorité des lois et avec la conscience d'appartenir à une lignée
précise.
La société, c'est d'abord l'ensemble de nos rapports aux autres, rapports qui sont tous
fondés sur le besoin. La première forme de rapport social est celle qui unit l'enfant à ses parents.
La nécessité de coopérer s'exprime dans la division du travail (ce concept sera approfondi dans
le cours sur le travail). Le besoin naturel, que nous partageons avec les animaux, s'exprime
comme un rapport avec les autres hommes. Ce rapport est toujours établi par l'intermédiaire du
langage et pensé par conséquent. Le rapports social : la formation d'une entité située au-delà des
rapports interindividuels. La société a comme essence la contrainte. On remplit ses obligations
sociales (celles de l'Etat, de la loi, des bonnes moeurs, des conventions, etc.). A la racine de
l'organisation sociale : un ensemble de contraintes qui s'imposent à tous, dépassant les volontés
individuelles, donnant au fait social le caractère d'un fait objectif.
La cité est donc d'abord une certaine communauté, procédant de la nécessité pour les êtres
humains de s'associer en vue de certaines fins. Quelles sont ces communautés ?
Le couple : la finalité est la procréation;
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La maisonnée : parents, enfants, esclaves : satisfaire les besoins de la vie quotidienne;
Le village : plusieurs familles, extension du système familial : satisfaire des besoins autres
que ceux de la vie quotidienne.
Qu'est-ce qui, dès lors, caractérise la cité en tant que communauté ? Aristote précise qu'elle est
la plus éminente de toutes les communautés et qu'elle contient toutes les autres. Sa fonction : le
bonheur. La forme de la cité : ses lois, sa constitution.
L'homme : un animal politique qui parle (les animaux ont des cris qui permettent d'exprimer
des émotions ou des codes pour échanger des informations vitales). Le langage humain est
producteur de valeur : manifester l'avantageux et le nuisible, le juste et l'injuste. L'homme n'a pas
seulement besoin des autres pour vivre. Une communauté politique véritable est une
communauté ordonnée selon la justice. La vertu de justice : articulation du politique et de
l'individuel. Ce qui permet de définir la justice dans la cité : sa forme, c'est-à-dire le mode
d'organisation du gouvernement.
La sociabilité naturelle de l'homme se présente donc de manière ambivalente, comme besoin
et comme contrainte, à la fois intersubjective et objective. Cette ambivalence est une marque
essentielle de la nature humaine.
B) L'HOMME ASOCIAL
1) Egoïsme et solitude
On peut d’abord envisager une définition solitaire, non sociale, de l’homme : la socialité est
certes le réel, mais l’idéal, la vérité profonde de notre nature, c’est la solitude. Si l’être
humain est pris dans le réseau des relations sociales, c’est par faiblesse : le commerce des autres
hommes est un fardeau dont il faut essayer de se décharger; le sage aspire à l’autarcie, à
l’autosuffisance. C’est ce que nous enseignent les stoïciens, mais aussi Pascal à sa façon : nous ne
savons pas nous suffire à nous-même et c’est la raison pour laquelle nous nous livrons à un
divertissement social perpétuel (“ Nous ne nous contentons pas, écrit-il, de la vie que nous avons
en nous et en notre propre être : nous voulons vivre dans l’idée des autres d’une vie imaginaire, et
nous nous efforçons pour cela de paraître”, Pensées).
C’est en apparence seulement, et pour se mettre en accord avec les exigences de la morale
officielle, que l’homme s’occupe des autres; en réalité, il est un être purement égoïste et intéressé,
pour qui les autres hommes ne sont que rivaux ou obstacles. Ainsi, selon La Rochefoucauld,
l’homme est dominé par l’amour-propre (amour égoïste de soi), ou par l’intérêt, de sorte que
tous les bons sentiments apparents l'amour, l'amitié, par exemple - ne sont que masque et
travestissement. Le but de la sociabilité n'est qu' " un ménagement réciproque d'intérêts, qu'un
échange de bons offices, qu'un commerce où l'amour-propre se propose toujours quelque chose à
gagner " (La Rochefoucauld, Maximes). Le but est donc que par un commerce de secours et de
services chacun puisse mieux pourvoir à ses propres intérêts. Accord de la sociabilité avec
l'amour-propre. C'est l'intérêt qui nous pousse à être sociables.
De même, selon Freud, l’homme est finalement égoïste et foncièrement solitaire, il ne
pense qu’à la satisfaction de ses désirs, c’est la vie en société qui lui apprend l’altruisme et la
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générosité. Dans Malaise dans la civilisation, il montre qu’il y a un conflit permanent entre la
civilisation et la sauvagerie que serait la satisfaction de nos pulsions. La société, dans cette
perspective, se présente comme un remède, un recours devant pallier les inconvénients de la
guerre permanente de tous contre tous . Elle est du côté de la morale et de la civilisation qui
signifient d’abord, pour le petit barbare polymorphe qu’est l’enfant, souffrance, contrainte,
discipline. En ce sens, la nature est faite d’instincts individuels, la vie en société est un acquis
culturel, donc l’individu existe en quelque sorte antérieurement à son entrée dans la société.
On peut interpréter ce primat de l'intérêt et des tendances asociales comme une structure de la
subjectivité, comme le prix à payer en quelque sorte de l'identité. L’intérêt, ce serait d’abord
cette irréductible présence à soi, cette solitude ontologique que la vie en société tente
d’aménager, de réguler, autant que faire se peut, avec plus ou moins de bonheur : ce qui fait
fonctionner les sociétés humaines, c’est l’argent, l’intérêt, les rapports de force et de pouvoir,
l’égoïsme, le narcissisme ; ce qu’il a fallu d’égoïsmes bien réglés pour que je reçoive mon salaire
à la fin du mois et que je puisse le dépenser tranquillement ! Comme le souligne AndComte-
Sponville dans L’amour la solitude, vivre, c’est d’abord assumer cette solitude constitutive de
notre être et renoncer à l’illusion de la fusion : l’amour, la vie avec les autres ne seraient qu’une
solitude partagée et la sagesse consisterait à apprendre à s’aimer, c’est-à-dire à vivre cette
solitude-là, pour aimer les autres et partager leur propre solitude.
2) La thèse de Hobbes et la distinction de l'état de nature et de l'état de société
On peut interpréter ce primat de l'intérêt autrement, à la façon de Hobbes, à la lumière de la
question politique et juridique.
Selon Hobbes, la guerre de tous contre tous est la condition naturelle de l'humanité
lorsque les hommes vivent sans maîtres reconnus et incontestés. La vie de l'homme en société est
dominée par la vanité, l'orgueil, le désir de l'emporter sur le voisin, de faire reconnaître sa
supériorité. Vivant au milieu de ses semblables. Chacun, à l'état de nature, a un droit sur toutes
choses. Ce droit illimité de chacun découle de la guerre de tous contre tous et il est
simultanément la source de cette guerre. Chacun, dans l'état de nature, est juge de la conduite
nécessaire à sa propre conservation. Les désirs et les passions des hommes ne sont pas en eux-
mêmes des péchés; la moralité, le bien et le mal, le péché n'ont pas de sens dans l'état de nature.
Ces maux ont leur source dans la nécessité, ils n'appellent pas la guérison de la grâce mais celle
de l'art.
La raison humaine, constatant l'absurdité de cette guerre, va chercher les moyens de la
paix. Chacun devra donc s'engager par contrat avec chacun à renoncer à ce droit naturel illimité
sur toute choses, droit transféré à un souverain, à charge pour ce dernier de défendre la paix
civile, fût - ce par la force. Le fondement de la souveraineté est le droit de l'individu. La
source de ce droit de l'individu est l'humble nécessité de se conserver, d'éviter la mort. Le droit
naît de la nécessité de fuir le mal. Le contrat qui, en idée et non pas à titre de fait historique, est
nécessaire pour instituer la société politique arrache les individus à leur condition naturelle.
Fonction opératoire du concept de contrat : l'homme est placé au principe de la politique; le
contrat est conclu entre les hommes eux-mêmes et il s'opère en faveur d'un tiers qui est l'autorité
politique, laquelle est édifiée par ce désistement général auquel tous consentent; la multitude est
alors unie en un Etat ou une République.
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3) La notion de l'état de nature
Aux XVII e et XVIII e siècles, la plupart des philosophes qui entendent penser la socialité
humaine se réfèrent à l'hypothèse de l'état de nature. L'état de nature désigne d'abord un état,
opposé à la vie civilisée, dans lequel vivrait un homme isolé et séparé de ses semblables. Il
signifie ensuite ce qui s'oppose à la société civile : état d'indépendance et non d'isolement ou de
solitude. Etat donc dans lequel se trouvent les hommes avant l'institution du gouvernement civil,
lorsqu'ils ne sont encore soumis à aucune autorité politique.
Cette notion d'état de nature a un lien étroit avec la théorie contractuelle de l'Etat. Si
l'état de nature est un état d'indépendance, nul n'est par nature soumis à l'autorité d'un autre, les
hommes naissent libres et égaux. Hypothèse qui s'oppose notamment à la théorie du droit divin.
Si les hommes sont naturellement différents en force, en talent, en intelligence, ces différences ne
confèrent pas pour autant le droit d'imposer aux autres sa volonté ou de les soumettre à son
autorité. Ainsi nul n'a reçu de nature le droit de commander à autrui, de l'assujettir sans son aveu.
Dès lors, le droit de commander, la souveraineté ne peuvent naître que d'une convention, d'un
contrat par lequel les particuliers se dépouillent, en faveur d'un homme ou d'une assemblée, du
droit naturel qu'ils ont de disposer pleinement de leur liberté et de leurs forces. La seule autorité
légitime est celle qui est fondée sur le consentement de ceux qui y sont soumis. Toute autre
autorité n'est qu'un abus et se ramène à la loi du plus fort.
C) LA BONTE NATURELLE DE L'HOMME ?
La conception rousseauiste de la sociabilité est un peu plus fine et nuancée.
Ce qui nous rapproche de nos semblables, c'est le profit que nous espérons retirer de leurs
bons offices. Nous ne devenons sociables que lorsque nous ne pouvons plus nous passer de
l'assistance des autres hommes. Il ne s'agit pas d'une sociabilité naturelle, ne pas confondre, dit
Rousseau, l'homme naturel avec les hommes que nous avons sous nos yeux. Dans son état
primitif, l'homme est un être solitaire qui Se suffit à lui-même. L'état de nature (la situation
hypothétique de l'homme hors de la société, avant d’avoir été façonné par la société) n'est ni une
guerre générale (thèse de Hobbes), ni une vie sociable (thèse d'Aristote), mais un état de
dispersion et d'isolement. L’homme vit naturellement solitaire, sans contacts autres
qu’occasionnels avec ses semblables. Les désirs de l'homme naturel sont bornés aux besoins
physiques, nécessaires, ses forces sont proportionnées à ses besoins et il peut de ce fait se passer
de l'existence de ses semblables. L’homme naturel n’est en fait qu’un animal parmi d’autres.
L’homme se distingue seulement des autres vivants par sa perfectibilité, c’est-à-dire sa faculté de
se perfectionner, d’acquérir de nouvelles idées et de nouveaux comportements. La sociabilité
n'est donc pas une inclination naturelle, elle a été instituée par les hommes eux-mêmes.
Le primitif se suffit à lui-même, il se passe de l'assistance de ses semblables, il n'éprouve
aucun désir de la vie en sociéqu'il est incapable de concevoir. Tant qu'il vit dans l'isolement, il
n'aspire aucunement à la vie sociale. Sous sa forme primitive, la sociabilité se ramène au
sentiment de la pitié qui tient lieu de sociabilité dans l'état de nature, qui en est comme le
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