
Du Transpacifique au Transatlantique
Intervention de Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, membre du Conseil scientifique de
la Fondation Res Publica, au colloque "Le projet de marché transatlantique" du 16 septembre 2013.
L’idée d’un grand marché transatlantique n’est pas nouvelle. Elle a près de vingt ans. On pourrait même dire
qu’elle était déjà dans la tête de Jean Monnet, le « père de l’Europe ».
Dès 1995, lors d’un sommet Europe-États-Unis, un Nouvel agenda transatlantique visant à promouvoir le
grand marché transatlantique fut signé, suivi, en 1998, d’une nouvelle initiative : le Partenariat économique
transatlantique qui visait à intensifier les relations économiques entre les deux puissances et à développer le
système commercial mondial.
Après les attentats du 11 septembre, la guerre d’Irak, le krach boursier, l’idée semblait enterrée.
Elle ressurgit en avril 2007 avec la création d’un Conseil économique transatlantique décidée lors d’un
sommet États-Unis-Europe. L’événement passa totalement inaperçu dans une France en pleine campagne
présidentielle.
Deux ans plus tard, le Parlement européen vota à la quasi-unanimité une résolution sur les relations
transatlantiques appelant à la construction d’un véritable marché intégré à l’horizon 2015. En fait, la
Commission européenne poussa à cet accord, avec l’appui des multinationales des deux rives, notamment
des groupes allemands, tandis que les Américains, qui avaient un autre agenda, une autre stratégie, se
tenaient plutôt en retrait.
En effet, il y a cinq ans, juste avant la faillite de Lehmann Brothers, on ne jurait que par le « G2 ».
L’Amérique se détournait de la vieille Europe et d’un Proche-Orient où elle n’avait pris que des coups. La
« Chinamérique » allait gouverner le monde et les multinationales américaines comptaient toucher les
dividendes de leurs investissements en Chine : jusque-là elles produisaient en Chine pour exporter et elles
espéraient bien désormais produire en Chine pour le consommateur chinois, atteignant enfin
cet eldorado qu’on leur avait fait miroiter. Le marché transatlantique, l’Europe, n’étaient plus dans leurs
priorités.
Mais les choses ne se sont pas passées tout à fait comme les États-Unis l’espéraient. Alors qu’ils se
voyaient occuper la première place dans ce G2, les Américains se sont progressivement rendu compte que,
dans l’esprit des Chinois, le numéro 1 était évidemment la Chine.
Au début de la décennie, plusieurs événements d’ordres économique, militaire et monétaire, ont amené
Washington à amorcer un changement radical de sa politique.
Les multinationales américaines ont découvert que le marché chinois serait réservé aux groupes chinois qui
entendaient bien monter en gamme. Usine du monde, ils avaient vocation à tout produire, à intégrer les
chaînes de valeur ajoutée et à devenir le laboratoire du monde.
En 2006, juste avant le début de la crise des subprimes, la Chine avait élaboré un plan baptisé « National
medium-and long-term program for science and technology development » qui visait explicitement à
moderniser en profondeur l’économie chinoise afin que le pays devienne, en 2020, le principal centre
d’innovation et, en 2050, le leader mondial de l’innovation. Les objectifs étaient clairs : pour limiter sa
dépendance à l’égard des technologies étrangères, la Chine développait des mécanismes pour que les
marchés publics favorisent les produits intégrant une part croissante d’innovation locale, Pékin réservant ses
marchés publics – notamment dans l’électronique et l’innovation – aux produits développés dans les
laboratoires chinois ou dont les brevets-licences ont été sinisés.
Autre sujet sensible : les droits de propriété intellectuelle. Malgré les bonnes paroles du gouvernement
central, les copies frauduleuses et le piratage, notamment dans le secteur électronique, restent très
largement répandus en Chine. Les entreprises américaines du secteur du software chiffrent leurs pertes
commerciales en dizaines de milliards de dollars.
Cette stratégie de protection du marché intérieur chinois et de captation de l’innovation inquiète d’autant plus