Revue Commerce Novembre 2004
À PROPOS DE LA
CHINE
(FLEXIONS D’UN ÉCONOMISTE)
MAURICE N. MARCHON
Professeur titulaire à l'Institut d'économie appliquée
HEC Montréal
17 septembre 2004
Toute reproduction interdite sans autorisation de l’auteur
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Au cours des dernières années, la Chine est devenue l’objet d’une
attention particulière à cause de sa place grandissante dans l’économie mondiale.
La Chine possède deux ingrédients qui font trembler le reste du monde : la taille
de sa population et sa vitesse de croissance économique au cours des vingt
dernières années. De plus, sa grande capacité d’adaptation et de transformation
économique donne beaucoup de crédibilité au scénario de croissance rapide de
l’économie chinoise et aux changements géopolitiques mondiaux qu’elle
entraînera au cours des prochaines décennies. Prenons donc quelques instants
pour examiner, d’un point de vue global les principaux avantages de même que
les principaux risques à court terme et à long terme que pose l’ascension rapide de
l’économie chinoise.
Les chinois contribuent à l’augmentation de notre niveau de
vie
Les reportages de ce numéro spécial de la Revue Commerce ont
clairement illustré à quel point la Chine était devenue la plateforme de production
la plus avantageuse pour les entreprises manufacturières des pays industrialisés.
Cette stratégie de développement économique cadre bien avec l’impératif des
dirigeants chinois qui est de créer suffisamment d’emplois pour préserver leur
système politique. Cela explique aussi en grande partie pourquoi les autorités
gouvernementales maintiennent un taux de change fixe par rapport au dollar
américain. Au taux de change fixe de 8,3 yuans par dollar américain depuis 1994,
la monnaie chinoise est maintenant sous-évaluée par rapport au dollar américain.
Cela favorise donc leurs exportations et correspond au modèle de développement
économique de plusieurs pays d’Asie basé sur la demande du secteur extérieur. Le
bassin de main-d’œuvre potentiel de la Chine est très important. Même si le
pourcentage de la population qui vit en gions rurales est passé de 79 % en 1982
à 61 % en 2003, ce pourcentage est encore très élevé lorsqu’on le compare à 25 %
aux États-Unis. Par ailleurs, les entreprises gouvernementales non profitables
doivent disparaître ou se restructurer, éliminant des millions d’emplois dans le
processus. Les autorités gouvernementales comptent donc sur les entreprises
privés tournées vers l’investissement en capital fixe et vers l’exportation pour
créer suffisamment d’emplois afin d’éviter une explosion sociale qui mettrait en
cause leur organisation politique.
Une première conséquence positive pour les consommateurs des pays
industrialisés est de profiter d’une multitude de produits à meilleur marché. Leurs
coûts de production sont beaucoup plus bas, grâce à une main-d’œuvre éduquée et
bon marché. Les prix de ces biens importés sont extrêmement compétitifs,
contribuant ainsi à limiter les augmentations de prix que les entreprises d’ici
peuvent exiger pour leurs produits. Par ailleurs, en contribuant à la maîtrise de
l’inflation, les biens importés exercent indirectement des pressions à la baisse sur
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les taux d’intérêt à long terme puisque l’une des principales composantes du taux
d’intérêt à long terme est la prime d’inflation.
Un deuxième élément découle du maintien d’un taux de change fixe par
rapport au dollar américain. Lorsque les entrées de capitaux sont trop importantes
pour garder le taux de change fixe, la Banque centrale de Chine intervient sur le
marché des changes. Elle achète les dollars américains excédentaires au maintien
du taux de change fixe. Les réserves de changes de la Chine augmentent et sont
investies en obligations américaines, contribuant ainsi à maintenir les taux
d’intérêt à long terme bas aux États-Unis et à offrir au reste du monde des biens
importés à bon marché, notamment par le biais des multinationales américaines.
Ce type de financement s’avère avantageux pour les États-Unis puisqu’au cours
des deux dernières années se terminant en juillet 2004, le déficit commercial des
États-Unis s’est élevé à 258 milliards de dollars alors que les réserves de change
augmentaient de 240 milliards de dollars. Les Chinois ont prêté aux Américains
l’argent nécessaire au financement de leur déficit commercial qu’ils entretiennent
avec eux. C’est pourquoi, on peut dire qu’avec leur taux de change fixe, les
Chinois contribuent à l’amélioration du niveau de vie des pays industrialisés et
des Américains en particulier.
À quand la fin de la récréation ?
La Chine n’est pas un pays mercantiliste puisque le surplus commercial
qu’elle dégage avec les États-Unis est plus ou moins compensé par les déficits
commerciaux qu’elle entretient avec ses partenaires commerciaux d’Asie. La
Chine est devenue un importateur net de ressources naturelles, de pétrole en
particulier. Les exigences accrues en matières premières de la part de la Chine
devraient soutenir la reprise de leur prix relatif à long terme. Voilà également de
très bonnes nouvelles pour les pays riches en ressources naturelles comme
l’Australie et le Canada. N’oublions pas cependant que les déséquilibres
financiers trop importants entre les pays pourraient causer des problèmes à plus
long terme.
En maintenant un taux de change fixe avec le dollar américain, la Chine se
prive donc d’une partie des fruits de son travail et paie plus cher les matières
premières cotées en dollars américains. On peut donc prévoir, que lorsque la
demande intérieure sera assez forte pour soutenir une création d’emplois
suffisante pour maintenir la stabilité politique, les dirigeants chinois laisseront
leur monnaie s’apprécier par rapport au dollar américain. La dépréciation du
dollar américain par rapport aux monnaies d’Asie et du yuan en particulier, est
une condition nécessaire à la diminution du déficit de la balance courante des
États-Unis qui a atteint 5,7 % du PIB au 2e trimestre de 2004. La Chine et les
autres pays d’Asie qui stabilisent aussi leur taux de change par rapport au dollar
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américain ne font donc que retarder la diminution du déficit de la balance
courante des États-Unis indispensable à plus long terme.
Aucun pays ne peut s’endetter indéfiniment sans éventuellement mettre en
danger la stabilité de sa monnaie et son autonomie financière. En effet, un
scénario plutôt catastrophique pour les Américains serait que dans quelques
années les Chinois utilisent leurs réserves de change, qui s’élevaient déjà à
483 milliards de dollars en juillet 2004, pour acquérir le contrôle de quelques
multinationales américaines d’importance stratégique. Ce n’est pas une prévision,
puisque la puissance militaire des États-Unis leur procure déjà la maîtrise des
régions stratégiques dans l’approvisionnement en pétrole dont les Chinois auront
de plus en plus besoin. Un atout de taille pour contenir les ardeurs d’un pays
assoiffé de pétrole. Pour l’année 2004, on évalue la consommation chinoise de
pétrole à 6 millions de barils par jour et en supposant un taux de croissance de
5,5 % d’ici 2025, la consommation de pétrole en Chine s’élèverait à près de 19
millions de barils par jour. Notez qu’au cours des dix dernières années (1993-
2003), le taux de croissance annuel moyen du PIB réel de la Chine a été de 9 % et
celui de la consommation de pétrole s’est élevé à 7,5 %. L’expansion rapide de la
Chine et ses besoins croissant en ressources naturelles et en pétrole pourraient
donc être l’objet de tension entre les États-Unis et la Chine. Il faut donc espérer
pour l’humanité qu’une guerre entre ces deux titans n’ait pas lieu.
Chambardement dans la division internationale du travail
Il est facile de comprendre à quel point une nouvelle division du travail est
en train de se mettre en place dans le secteur manufacturier. Le pourcentage des
importations américaines de marchandises en provenance de la Chine qui s’élevait
à 5,8 % en 1994 a bondi à 12,9 % en 2004. Le même phénomène se produit au
Canada le pourcentage est passé de 1,9 % en 1994 à 5,8 % en 2004. Les
entreprises manufacturières d’ici non pas d’autres choix que d’importer de Chine
les composantes à meilleur marché pour assurer leur propre compétitivité et en fin
de compte leur propre survie. À long terme, les Américains ne pourront pas être
continuellement financés par les banques centrales d’Asie. Il faut donc espérer
que la Chine et les autres pays d’Asie accepteront une appréciation de leur
monnaie et compteront davantage sur leur demande intérieure pour assurer leur
développement économique. En contrepartie, les Américains devront cette fois-ci
accroître davantage leurs exportations pas rapport aux importations pour contenir
leur dette envers les non résidents. En conclusion, le développement économique
de la Chine est déjà et sera, malgré certains déséquilibres à court et moyen terme,
positif pour le développement économique et le niveau de vie de habitants de la
planète.
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