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Peuple, fais tes affaires toi-même, guéris-toi des individus. »
Lucien Herr ne fait pas exception
à cette règle, sa participation se fait sous le signe de l’anonymat, puisqu’il utilise un pseudonyme,
et il n’y retire volontairement aucune reconnaissance personnelle
. En réalité, Herr appliquera
cette « volonté de ne pas parvenir » tout au long de son existence. Le témoignage de Georges
Lefranc laisse entendre que Herr exprimait lui-même cette position : « Ils reconnurent alors
Lucien Herr qui causait avec Lévy-Bruhl, et qu’ils respectaient depuis qu’on leur avait raconté
que Herr parlait toujours aux jeunes gens de la volonté de ne pas parvenir. »
Le « refus de parvenir » n’est pas unique dans le milieu socialiste. L’historien Vincent
Chambarlhac souligne avec justesse l’aspect collectif du « refus de parvenir » en citant Albert
Thierry : « Refuser de parvenir ce n’est ni refuser d’agir, ni refuser de vivre; c’est refuser de
vivre et d’agir pour soi et aux fins de soi. »
Chez Herr, cette position relève en bonne partie de
sa réflexion sur le socialisme. Ainsi il considère, comme plusieurs socialistes, que le peuple est
lui-même porteur du changement permettant son affranchissement :
Par le peuple! Il ne faut pas que le peuple attende ou accepte de personne ses moyens
d’action, son idéal, son corps de doctrine, il faut qu’il doive à lui-même et à lui seul la
pleine conscience de ses désirs et de ses volontés, et il faut qu’il ne doive qu’à lui-même
la force nécessaire pour en assurer la réalisation.
Cet affranchissement réside donc dans une révolution qui doit prendre en compte l’ensemble des
facteurs économiques, politiques et sociaux. Il repose aussi sur ce que Herr appel « l’universalité
des consciences en révolte » qui se rejoignent dans « l’effort organique d’une conscience claire
et totale. »
La conscience totale, tel que présentée par Herr, découle d’un mouvement où à la base la
justice réclamée par l’individu sera universalisée dans un intérêt commun
. Il s’agit aussi, pour
Herr, de prendre conscience que « L’organisation politique et sociale est un système » et que ce
système est « caduc et modifiable. »
Cela nous ramène donc à l’idée d’immanence qui est ici
appliquée aux institutions humaines. La prise de pouvoir du peuple ne peut donc passer que par
cette prise de conscience qui permet ensuite de réfléchir l’avenir de l’humanité puisqu’il est donc
admis que l’humain produit ses propres institutions. Ce mouvement historique devrait permettre
le passage de ce que Herr appel « l’âge des classes » à « l’âge collectif. »
Dans la même veine
Cité par Michel Winock dans Michel Winock, Le socialisme en France et en Europe, Paris, Éditions du Seuil,
1992, p. 309.
Andler precise : « Pas un instant nous n’avons songé à devenir députés socialistes, à quémander des mandats.
Nous voulions donner garantie complète là-dessus aux ouvriers avec qui nous cherchions le contact. » Charles
Andler, Vie de Lucien Herr (1864-1926), Paris, Éditions Maspero, 1977, p. 120.
Georges Lefranc, « Ce dimanche de novembre 1924 où nous avons conduit Jaurès au Panthéon », Banlieue Sud-
L’Écho d’Antony, 20 novembre 1981, p. 6-7.
Albert Thierry cité dans Vincent Chambarlhac, Le refus de parvenir une logique collective de la soustraction ?,
op. cit.
Lucien Herr cité par Djikpa dans Lucien Herr (1864-1926), Paris, Université Paris X Nanterre, 1996, p. 54-55.
Lucien Herr, La Révolution sociale, Fondation Nationale des Sciences Politiques, Paris, Fond Lucien Herr, LH5,
Dossier 1.
Lucien Herr, « Le progrès intellectuel et l’affranchissement », op.cit., p. 26.
Lucien Herr, La Révolution sociale, op. cit.
Ibid.