Dans l’univers de la M.A.O. chez les jeunes Entre ambitions individuelles et collectives La M.A.O., ou Musique Assistée par Ordinateur, est devenue extrêmement populaire ces dernières décennies. Cet univers musical, profondément ancré dans le monde de la nuit, séduit de plus en plus de jeunes qui, pour progresser, doivent allier compétences artistiques et techniques, mais aussi sociales. Nelson, en pleine préparation de son prochain album Le soleil se couche sur l’île de Nantes, où Nelson, alias Coquin, m’accueille dans la résidence étudiante dans laquelle il a emménagé quelques mois auparavant. Son studio, aux murs blanc immaculé, semble presque vide, et l’absence de décoration rend l’endroit froid et impersonnel. Difficile d’imaginer qu’une grande créativité est à l’œuvre en ces lieux. Pourtant un indice de taille s’offre à mes yeux : l’unique meuble, en dehors de son lit, est un immense bureau entièrement recouvert d’instruments en tout genre. Launchpad, synthétiseur, boîtes à rythme (voir encadré) et autres machines s’entassent sur ce bureau qui semble être le centre de gravité de la pièce. « Le strict nécessaire », commentet-il. « De toute façon, quand je suis chez moi, je suis toujours assis là, à faire du son ». En effet, entre ses études et son travail, il occupe ce précieux temps en solitaire pour s’adonner à sa passion, la M.A.O., ou Musique Assistée par Ordinateur. Un univers de plus en plus accessible Comme Nelson, un nombre croissant de jeunes se lance dans la M.A.O. Apparue dans les années 70 avec la création d’instruments de musique électronique tels que le synthétiseur, elle commence à se démocratiser au cours des années 80 grâce au développement de l’informatique. Depuis, cet univers, évoluant au rythme de l’avancée technologique dans le domaine, ne cesse de faire de nouveaux adeptes. « C’est devenu assez commun. Même si ça ne devient pas une passion pour tout le monde, beaucoup de gens essaient, juste par curiosité, de bidouiller un logiciel, d’autant plus qu’il y en a qui sont disponibles gratuitement sur internet », m’explique Mona, qui a elle-même récemment téléchargé son premier logiciel. En effet, pour tenter Launchpad (marque de contrôleur MIDI) appareil équipé de boutons de contrôles qui permettent de contrôler de nombreux paramètres sonores d’un synthétiseur ou d’un logiciel de composition Boîte à rythmes instrument de musique électronique proposant un éventail de percussions synthétiques, imitant de façon plus ou moins élaborée, les sons d’une batterie ou d’un ensemble de percussions Synthétiseur instrument de musique électronique permettant de créer et de manipuler des sons au moyen d’oscillateurs produisant des formes d’ondes que l’on module à l’aide de techniques dites de synthèse sonore l’expérience, il suffit d’un ordinateur et d’une connexion internet, deux choses auxquelles n’importe qui a accès de nos jours. Il n’y a pas besoin non plus d’avoir des connaissances en solfège, même si certains admettent qu’une base de connaissances musicales peut représenter un avantage : « On peut toujours s’en sortir à l’instinct ou à l’oreille, mais avoir des connaissances théoriques et techniques dans le domaine, savoir lire une partition, ça te permet d’avoir une compréhension globale de la musique », m’explique Lucas. Mais ce savoir de base en solfège est loin d’être systématique, la plupart n’ont même jamais joué d’un instrument classique : le budget que représente l’achat d’un instrument et les cours nécessaires peut en décourager plus d’un. Au contraire, la M.A.O. ne nécessite aucun investissement financier, du moins pas au début. Pas besoin non plus de s’engager à suivre des cours toutes les semaines : les formations dans le domaine, si elles existent (par exemple à la Fabrique, à Nantes, où 5 studios de formation sont disponibles), restent relativement rares. En effet, dans ce domaine, l’apprentissage se fait parfois seul derrière son écran, mais très souvent via l’aide de proches plus expérimentés. Et pour les quelques courageux qui ont fait leur apprentissage en autodidacte, c’est souvent l’entourage qui a fait naître en eux l’envie de se lancer dans l’aventure : « A la base c’est voir mon frère s’essayer à la M.A.O qui a éveillé ma curiosité. Ça m’a tout de suite semblé beaucoup moins inaccessible, et puis j’ai eu envie de créer à mon tour. J’ai téléchargé mon premier logiciel, et j’ai passé des semaines à l’explorer avant de bien maîtriser ses fonctionnalités de base », me raconte Nelson. Une concurrence croissante Du fait de la popularisation croissante de la M.A.O. chez les jeunes, il devient, fatalement, de plus en plus difficile de se démarquer et de se faire une place dans ce milieu. Pourtant tous ont l’espoir d’une certaine réussite, une notion dont la définition est propre à chacun. Pour Nelson et Von, réussir c’est vivre de sa passion, un objectif à la fois ambitieux et pragmatique. « C’est un peu utopique, mais ce serait l’aboutissement idéal, même si ça suppose beaucoup de réussites intermédiaires, que ce soit progresser artistiquement ou gagner en notoriété », m’explique Nelson. Pour Lucas en revanche, la réussite est avant tout artistique et sociale : « Devenir une référence dans mon domaine, démocratiser mon style musical, et surtout, tirer mon association vers le haut ». En effet, dans le monde très concurrentiel de la MAO, le succès se construit à plusieurs : c’est sûrement cet aspect social qui caractérise le mieux cet univers musical. Quand l’union fait la force : les associations Comme Lucas, beaucoup de jeunes font partie d’une association : ces organisations à but non lucratif présentent de nombreux avantages pour les jeunes Lucas, alias Tika, aux Caves du Castel en 2015 (© Charles Ripon) artistes. Tout d’abord, le statut associatif permet gagner en crédibilité auprès des organisateurs d’évènements, Un apprentissage social des bars et autres scènes. En effet les occasions de se produire en public restent rares et se présentent souvent L’aspect technique de la M.A.O. étant relativement grâce à un bon réseau de relations. « Avant je n’avais complexe, il semble essentiel pour tout novice d’être jamais mixé en soirée, et deux mois après être entré guidé par une personne plus expérimentée : « Mes amis dans mon association, j’étais déjà passé aux Caves du m’ont aidé à me familiariser avec les principes de base Castel et à l’Altercafé*. Si tu des logiciels de séquençage. veux pas rester à faire de la « Faire partie d’une association Sans ce coup de pouce, musique dans ta chambre, j’aurais sûrement abandonné m’encourage à faire de mon mieux » c’est important de s’associer avant d’avoir réussi à avec des gens qui partagent produire une mélodie les mêmes centres d’intérêt et qui ont les mêmes correcte », me confie Lucas, qui s’est lancé il y a un an. objectifs que toi », m’explique Nelson, qui a rejoint La En effet on peut facilement se laisser décourager par la Cuisine Records, une association composée de DJs et complexité apparente d’un logiciel. L’aide permet à la de producteurs de musique électronique, de groupes de fois de faciliter et d’accélérer le processus. musique électronique et acoustique, mais aussi de tatoueurs et de graphistes. Cette diversité est voulue : *clubs situés respectivement Rue Mathelin Rodier, près de la « On cherche à former quelque chose d’assez cathédrale Saint-Pierre-Saint-Paul et au Quai des Antilles, sur l'île de Nantes éclectique, qui regroupe différentes formes d’art », précise-t-il. Autre avantage, l’entraide entre les membres, car chaque réussite individuelle profite à tous et fait avancer le groupe : « En tant qu’association, la qualité de ce que je produis les concerne aussi, donc ils vont me donner un avis objectif, sans aucune hypocrisie ». Et plus que des conseils, les membres du groupe s’échangent également du matériel, un bénéfice indéniable au vu du prix des instruments de mixage, loin d’être abordable pour un budget d’étudiant. Cette interdépendance entre les membres peut aussi représenter une source de motivation. « Faire partie d’une association m’encourage à faire de mon mieux, comme mon travail a une influence sur la réussite collective, ça devient une responsabilité car je me suis engagé auprès d’eux », me dit Lucas, qui a fondé l’association Project avec trois de ses amis il y a quelques mois. L’exemple de La Cuisine : au cœur d’une réunion d’association Pour mieux comprendre le fonctionnement d’une association, j’ai assisté à la réunion générale de La Cuisine, qui a lieu tous les mois dans la salle d’un bar du quartier Bouffay. Tous les membres n’ont pas pu être présent - difficile de composer avec les disponibilités et les emplois du temps d’une dizaine de personnes. Assis autour d’une table sur laquelle trônent une bouteille et quelques verres, l’ambiance paraît décontractée, mais tout le monde reste concentré. En effet l’enjeu est de cette discussion est de taille, car c’est ici que toutes les décisions sont négociées puis votées. Le débat est articulé par Jordan, DJ et président de l’association. De la difficulté de gérer les désaccords Cela peut sembler simple, mais dans les faits, il n’est pas toujours évident de concilier à la fois les intérêts individuels, les intérêts de l’association, et les intérêts des propriétaires des lieux dans lesquels les artistes se produisent. Les désaccords internes sont donc fréquents : divergences d’opinion, conflits sur la répartition des heures de passages ou sur le choix du matériel utilisé... Chaque détail de l’organisation d’un évènement est une source de conflit potentielle. « Récemment, j’ai dû négocier pendant des heures la présence d’un autre artiste à notre soirée, je voulais ajouter un peu de diversité à la programmation mais ça n’a pas plu à tout le monde », me raconte Von, membre de l’association Solide Records depuis deux ans. Nelson, lui, a dû se résoudre à ne plus se produire dans un club car cette décision avait été votée : « C’est vraiment l’inconvénient majeur de l’association. C’est vrai que si un jour ça se passe tellement mal que ça a un impact négatif sur mon travail, je serais obligé de partir, mais pour le moment ces petites contrariétés sont presque négligeables au vu des bénéfices, et pas seulement d’un point de vue purement artistique ». Une expérience enrichissante à bien des niveaux Car au-delà des motivations d’origine, faire partie d’une association permet de développer l’esprit d’équipe, le sens du compromis, des responsabilités et de l’entraide, ainsi que des compétences exceptionnelles en termes de gestion et d’organisation - un évènement ne s’organise pas tout seul -, des aptitudes qui leur seront utiles quel que soit l’avenir qui leur est réservé, dans le monde de la M.A.O. ou pas. En attendant et malgré l’incertitude, Nelson conserve son inépuisable ambition : « Le prochain objectif à long terme, c’est de faire partie de la programmation du festival Scopitone en 2022 ». On ne peut qu’espérer que son futur sera à la hauteur de ses aspirations. Discussion animée entre les membres de La Cuisine Records, lors de leur réunion mensuelle Pendant près de 2h, de nombreux sujets seront abordés : éventualité d’établir une résidence dans un bar (c’est-à-dire s’y produire au moins une fois par mois), bilan des derniers évènements, constitution d’équipes pour différents projets, assignation de rôle, etc. Pour chaque décision, chacun donne son opinion tour à tour, le tout suivi d’un vote à la majorité qui clôt le débat. Un compte rendu sera ensuite rédigé et envoyé à tous les membres. Membres du groupe Damiana Fortun Héloïse Gaud—Morel Loann Robin Remerciements Nelson Kane alias Coquin Lucas Vitale alias Tika Lucas Davy alias Von Sedecimo Mona Martinaud