d'Algérie. Cette expression, forgée par Primo Lévi concernant les horreurs de la Seconde
Guerre mondiale, désigne la volonté de lutter contre l'oubli, et doit s'entendre comme une
obligation morale de se souvenir d'un événement dramatique, à la fois pour rendre
hommage aux victimes et pour éviter que ce drame ne se reproduise. Repris par l'Etat, ce
devoir de mémoire s'apparente à une politique mémorielle consistant à mettre en place des
commémorations officielles ou à construire des mémoriaux par exemple.
Ainsi, cette inauguration s'inscrit dans le contexte plus global d'efforts de mémoire
et de réconciliation initiés sous Ia présidence de Jacques Chirac. L'objectif est ici de
rendre hommage à tous les anciens combattants : "soldats de métiers, combattants
volontaires, Français musulmans engagés dans le forces supplétives, appelés et rappelés du
contingent", et en particulier aux harkis, à qui « la France adresse aujourd'hui un message
tout particulier d'estime, de gratitude et d'amitié ». En effet, 150 000 Algériens environ se
sont rangés derrière la France durant la guerre. Parmi eux, sans doute 20 000 ont réussi à
rejoindre la France en 1962, mais ils sont pour beaucoup installés dans des camps de
fortune comme celui de Rivesaltes et dénoncent leurs conditions de vie par des grèves de la
faim ou des révoltes, en particulier celle de 1976 avec le slogan "14 ans ça suffit". il était
donc essentiel que l'État leur rende hommage selon .facques Chirac qui décide en 2001
d'une journée d'hommage aux supplétifs algériens de I'armée française le 21 septembre.
En effet, depuis le début des années 1980, le contexte socio-politique a changé. Les
enfants d'immigrés originaires d'Afrique du Nord manifestent contre le racisme lors de la
<< marche des Beurs >» en 1983. A cette occasion, des fils de militants FLN et des fils de
harkis se retrouvent pour la première fois pour dénoncer leur mise à l'écart dans la société
française. Puis les enfants de << harkis >) se révoltent en 1991 pour dénoncer leurs conditions
de vie et obtenir une reconnaissance du rôle de leurs pères durant la guerre, ce à quoi Jacques
Chirac fait explicitement référence : « leurs enfants qui doivent trouver leur place dans
notre pays ».
De plus, selon Benjamin Stora, deux événements ont sans doute joué le rôle
d"'accélérateurs de la mémoire" : le procès Papon ainsi que les témoignages et les aveux
publiés par le journal Le Monde sur la torture en Algérie. Des intellectuels lancent ainsi en
2000 un appel demandant à l'État de s'excuser publiquement, mais le Premier ministre Lionel
Jospin s'y refuse.
Dans ce contexte, l'État français ne pouvait cependant rester enfermé dans la
dénégation, mais la sortie du silence se fait en plusieurs étapes et n'est pas encore achevée. Le
principal tournant est la loi du 18 octobre 1999 qui, pour la première fois, reconnaît
officiellement I'existence de la guerre d'Algérie. Dès lors, le terme de guerre peut être
naturellement employé par le président de la République à deux reprises dans cet extrait :
« cette guerre dont on ne parlait » et « la guerre d'Algérie ».
Puis, le 5 décembre 2002, Jacques Chirac inaugure donc le Mémorial national de
la guerre d'Algérie, et la date du 5 décembre est retenue à partir de 2003 comme date de
commémoration oflicielle de cette guerre. Ces événements marquent un tournant, et les
relations franco-algériennes s'améliorent alors sensiblement, comme en témoigne un
projet de traité d'amitié franco-algérien ou la célébration de I'année de I'Algérie en
France en 2003.
Pour conclure, ce discours permet de mieux comprendre l'évolution des mémoires
de la guerre d'Algérie, en évoquant drune part la période longue au cours de laquelle la
guerre a été niée par I'Etat français, et en étant dfautre part I'illustration concrète du
changement d'attitude notable de la part de l'État. Cependant, alors que Jacques Chirac
souhaite associer "dans un même hommage ses enfants de toutes origines morts pour la
France", ltégalité de traitement entre les anciens combattants français et les harkis n'est
toujours pas réelle. D'autre part, les mesures prises par I'État par la suite ne vont pas
toutes dans le sens de la réconciliation, cofllme I'a montré la loi mémorielle du 23 février
2005 dont l'article 4 incitait les enseignants à mettre I'accent sur "le rôle positif de la présence
française outre-mer, notamment en Afrique du Nord".