«Il me semble que plus que jamais, la philosophie arabe devrait être rapatriée dans le
patrimoine commun de la philosophie et dans le patrimoine commun de l'humanité », dit-il
d'emblée. « C'est une philosophie qui par moment est prise dans un héritage oublié,
parfois même occulté. J'ai écrit cet ouvrage pour pouvoir lui donner une visibilité qu'elle
mérite amplement», ajoute-t-il au sujet de son dernier ouvrage, édité chez Albin Michel,
dans lequel il retrace le sens de l'engagement des philosophes arabes dans la recherche
de la vérité, à travers l'étude de penseurs tels qu'Averroès ou Avempace, fondateurs de
traditions philosophiques qui placent la logique aristotélicienne au cœur de la
pensée de la cité.
«Ne pas se rapporter à une seule cause univoque»
Au lendemain des attentats meurtriers qui ont secoué la France, Ali Benmakhlouf
analyse les faits avec un regard et un ton qui décrispent les codes: «Si on prend les
choses au niveau des personnes, c'est un crime qui ne peut recevoir aucune justification
dans la mesure où la personne est première. Le droit le dit, l'article 16 du code civil en
France dit que la loi protège la primauté de la personne et la garantit contre toute atteinte
à sa dignité depuis le commencement de sa vie. Les personnes sont premières. La
déclaration universelle des droits de l'homme dans son article 3 dit la même chose. Elle
dit que tout individu a droit à la protection de sa vie, de sa liberté, de sa sûreté, en tant
que personne. Tout ce qui porte atteinte à la personne est une désobéissance civile
sanctionnée par la loi», rappelle ce natif de Fès aux origines sénégalaises.
Mais la loi n'empêche pas le terrorisme ; c'est l'effondrement de la loi qui favorise le
terrorisme, estime Ali Benmakhlouf. « A chaque fois qu'il y a des zones de non-droit, il y a
traite de l'homme, esclavage, terreur».
Pour lui, il est primordial de ne pas se rapporter à une seule cause univoque pour tenter
de comprendre le terrorisme. «Le philosophe refuse de considérer qu'il y a une cause
équivoque, les médecins parlent de cause multifactorielle, je crois qu'il est très important
de ne pas se rapporter à une seule cause univoque parce que cela donne une crampe
mentale. Il faut arriver à répertorier, inventorier les causes. Ça c'est le premier travail
parce que sous l'effet choc de l'évènement imprévisible, la raison reprend ses droits par
le déroulement lent et progressif de la genèse des causes», résume-t-il.
« Torture et terreur appartiennent à la même catégorie »
La violence n'a jamais une solution pour combattre la violence. Et cette vérité éclatante
prend tout son sens dans la gestion des attentats du 11 septembre 2001. « Des réactions
nous sont exemplifiées et illustrées par l'histoire », analyse Ali Benmakhlouf. Et d'ajouter :
« Les Etats-Unis ont réagi d'une manière telle qu'au lieu de considérer que la torture et la
terreur font partie de la même catégorie, elles ont fait jouer la torture contre la terreur, et
cela a été délétère. Dans ce cas, le philosophe revient en disant attention, torture et
terreur appartiennent à la même catégorie. Il intervient aussi pour dire que la peur est
mère de toutes les cruautés, il intervient aussi pour dire qu'il n'y a pas de guerre juste, on
ne fait la guerre que pour la guerre(...), la cruauté est un acte arbitraire qui n'a aucune
justification », rappelle-t-il. Pourtant, d'autres répliquent par vengeance et enflure. Alors,
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