Leçon 3. Le tournant du Moyen Âge central : croisades et martyres (XIe-XIIIe siècles) Séquence 3: Les persécutions postérieures Les premières persécutions commises lors de la première croisade ne sont hélas pas les dernières. Il y eut des persécutions postérieures, je ne vais pas parler de toutes celles dont font l'objet les Juifs en Europe, mais bien évidemment de celles qui s'inscrivent dans le cadre des croisades. La première croisade marque ce choc, cet effondrement du judaïsme occidental pour dire les choses ainsi. Après elle, il y a de nouveau à l'occasion de la deuxième et de la troisième croisade des phénomènes de violence contre les Juifs. Certes ces violences ne sont pas de même ampleur que celles qui ont été commises lors de la première croisade, toutefois elles témoignent de l'installation pour ainsi dire dans le paysage du temps de cette possibilité de s'en prendre aux Juifs à divers moments de l'Histoire et notamment lors des moments d'exaltation religieuse que sont les Croisades. Le cas de la deuxième croisade est très intéressant, il est bien étudié, parce qu'il a donné lieu à un certain nombre de violences en France en particulier. La deuxième croisade a lieu au milieu du XIIème siècle en 1147-1149. En effet, les croisades sont un phénomène récurrent: une fois conquise Jérusalem, il faut consolider, agrandir parfois reprendre des territoires que les populations ne parviennent pas à tenir sur place et donc il faut continuellement relancer ce mouvement d'expédition et finalement cela va choir en 1291 avec la disparition des Etats latins. Bref, lors de la deuxième croisade il y a de nouveau des violences commises notamment en France. Cela est connu parce qu'un personnage, qui par ailleurs n’est pas dénué d'ambiguïté à l'égard des Juifs, s'est quand même illustré de façon admirable en s'opposant à ces violences. Je veux parler de Bernard de Clairvaux, Saint Bernard pour les Chrétiens, l'une des plus grandes figures du XIIème siècle qui naît fin XIème siècle et qui meurt en 1153, donc peu de temps après la deuxième croisade, qui a été sanctifié, c'est pour cela que les chrétiens l'appellent Saint-Bernard. C'est un moine de l'ordre de Cîteaux, qui est aussi un grand abbé, l'abbé de Clairvaux, donc on l'appelle Bernard de Clairvaux. Or Bernard, avec beaucoup de courage et avec un certain succès, s'oppose aux persécutions. Un certain succès voulant dire qu'il n'empêche pas tout à fait les persécutions mais qu'il s'y oppose. Il s'oppose au travail d'un 1 certain Rodolphe, qui convertit parfois par la force les Juifs d'Occident ou qui les tue, et il rappelle la position traditionnelle de l'Eglise, celle que j'ai déjà eu l'occasion de dire selon laquelle, certes il faut convaincre les Juifs de leur erreur, mais il faut le faire par la parole, par l'amour, par la prière mais pas par la violence. Il leur dit ceci: "Ne touchez pas aux Juifs, ils sont la chair et les os du Seigneur." Il ne s'agit pas dire qu'ils ont raison, ils ont tort à ses yeux profondément de ne pas reconnaître que Jésus est le Christ, mais ils sont de façon charnelle le peuple d'où vient Jésus et ils méritent donc d’avoir le droit de vivre. Cela lui vaut la reconnaissance de certains auteurs, notamment un certain Ephraïm de Bonn, dont on aura l'occasion de reparler et qui rend hommage à Bernard de Clairvaux pour cette prise de position assez courageuse, hostile aux violences contre les communautés juives d'Occident lors de la deuxième croisade. Si j'évoquais l'ambivalence de Bernard à l'égard du peuple juif, c'est parce que par ailleurs il a pu lui arriver de ne pas statuer en faveur des Juifs: en particulier lors d'une polémique qui divisa l'Occident brièvement à propos d'un pape dont certains disaient qu'il avait des origines juives qui le rendaient inapte à la fonction de pape et d'autres disaient que non. Finalement ses opposants ont gagné: on l'appelle aujourd'hui antipape cet homme. Or, cet homme, Anaclet II, fut disqualifié par Bernard de Clairvaux qui évoqua ses origines juives en disant que cela le disqualifiait parfaitement pour monter sur le trône de Saint-Pierre. Voilà une position assez étrange: le même homme qui avait défendu les Juifs lors de la deuxième croisade et rappelé qu'il ne fallait pas les convertir autrement que par la bonté, l'amour, la prière, la parole, ce même homme critiquait ainsi un antipape pour des raisons évidemment d'hostilité profonde à ce peuple. Toutefois pour ce qui est la deuxième croisade, les persécutions ont été relativement contenues, notamment grâce à Bernard de Clairvaux, mais pas complètement. La troisième croisade, une quarantaine d'années plus tard en 1188, occasionne de nouveau des violences contre les Juifs. Les Juifs d'Angleterre, une communauté assez jeune, assez peu nombreuse, font l'objet de quelques violences à la fin du XIIème siècle. Les Juifs du monde germanique encore et toujours et de diverses parties donc de l'Occident. Bref, il y a des persécutions postérieures. L’enluminure ci-dessous, terriblement violente représente des Juifs tués par des croisés ou par des chevaliers chrétiens, ce n'est pas très clair. Il est clair en outre que ces chevaliers semblent même coiffés de couronnes, donc une image dont l'élucidation n'est pas très claire, mais qui est visiblement celle d'un massacre par des hommes armés d'épées démesurées, de Juifs reconnaissables à leur barbe et à leur chapeau. 2 Des Juifs tués par des croisés (ou des chevaliers chrétiens ?) Bible française, vers 1250 Dans la suite des siècles, alors même que la croisade n'est plus qu'un projet, il demeure un lien entre croisade et persécution des Juifs. Les États croisés chutent en1291, toutefois il y a encore après cette date des projets de croisade et des épisodes qu'on appelle croisades même s'ils n'ont de croisade que le nom. La croisade des Pastoureaux notamment permet en 1320 de donner libre cours à une exaltation religieuse de troupes de fanatiques qui d'ailleurs sont très mal vus du pouvoir. Ils sont souvent massacrés par le pouvoir. Ces Pastoureaux sillonnent la France au milieu du XIIIème siècle au moment où Saint-Louis est parti en croisade et où le royaume de France est un peu déboussolé. Cette image terrible, ci-dessous, qui date de 1320 nous présente des paysans, sans doute des Pastoureaux incendiant la tour de Verdun sur Garonne dans laquelle sont réfugiés 500 Juifs. Ces hommes en armes, avec casque et cotte de maille, jetant des projectiles ont aux côtés de leur cotte de maille une rouelle symbolique. Cette Rouelle rouge et blanche est un 3 signe distinctif qui montre que ce sont des Juifs qui se défendent comme ils le peuvent face à cette troupe d'assiégeants. Des paysans (pastoureaux ?) incendient la tour de Verdun-sur-Garonne où sont réfugiés cinq cents Juifs (1320) (British Library, fin du XIVe siècle) Des phénomènes donc sont attestés pour les Juifs d'Aquitaine, dans la vallée de la Garonne, Pyrénées, Toulouse où des communautés entières sont détruites ou en tout cas attaquées par ces bandes de fanatiques qu'on appelle les Pastoureaux dans une époque de violence remarquable. Le premier tiers du XIVème siècle c'est l'époque où Philippe Le Bel, le roi de France, lance des procès contre les Templiers, où il y a des querelles au sein même de l'Eglise entre différents courants spirituels très opposés, où les grands procès d'Inquisition se font plus récents. Donc c'est une période de tensions, de renforcement du pouvoir royal en tout cas en France, et de tensions religieuses majeures. 4