dépasser ces conditions pour faire surgir d’autres possibles.
Autrement dit, c’est la compréhension de l’être de l’homme ou de la condition humaine qui nous donne la clé du problème insoluble de la philosophie réflexive.
la troisième voie consiste à répondre au problème fondamental de la philosophie en en dénonçant les termes qui ne pouvaient conduire qu’à une aporie. C’est ensuite la
compréhension de la condition humaine, à travers la description ( ou phénoménologie) des rapports concrets de l’homme au monde, qui nous dévoile, non point l’origine historique
( et la genèse) du problème, mais bien son fondement : c’est l’ambiguïté de la condition humaine qui rend compte du dilemme de la réflexion : l’homme est cet être duel qui ne peut
être libre qu’autant qu’il est déterminé, parce qu’il est fondamentalement le seul être qui puisse dépasser sa condition : L’existence humaine n’est rien d’autre que ce dépassement,
par lequel un homme a toujours - jusqu’à l’échéance de sa vie - à faire la preuve de son « humanité
En fin de compte, la solution au problème philosophique des rapports de la conscience à l’être tient tout entière dans la description (phénoménologique) de la condition humaine.
« Tout se passe comme si », c’est la locution qui permet de passer de la phénoménologie à l’ontologie…« Tout se passe comme si » j’étais déterminé par les choses qui m’entourent,
mais en tant qu’homme je suis capable de nier, de dépasser ces déterminations. Comme le développe le dernier chapitre de la Phénoménologie de la perception, c’est cette
transcendance qui constitue la liberté et définit la condition humaine.
Les différents rapports qui constituent nos rapports conscients avec le monde, et que l’on peut exprimer sous la forme prédicative (sujet, verbe, prédicat) sont précédés d’un rapport
primitif avec le réel que Husserl appelait le monde de la vie : Lebensweltet que Merleau-Ponty appelle dans ses derniers ouvrages l’être sauvage.
. La publication de Le Visible et l’Invisible (1963), dont la rédaction commencée en 1959 fut interrompue par la mort de l’auteur (1961), a permis de mesurer le chemin parcouru par
celui-ci depuis la phénoménologie de la perception.
Dans la Phénoménologie de la perception Merleau-Ponty avait explicité le sens de nos rapports avec le monde : en tant qu’être concret, dont la subjectivité est inséparable de la
corporéité, car le corps est bien ce par quoi, d’abord, nous sommes en rapport avec le monde et pour ainsi dire situés dans le monde.
Dans Le Visible et l’Invisible il va plus loin : il fallait rompre avec la philosophie de la conscience qui animait l’enquête psychologique de la Phénoménologie de la perception ; et
même il fallait rompre avec cette forme subtile de la philosophie de la conscience que l’auteur avait élaborée sous le titre du « cogito tacite » et avec l’appui des significations non
langagières. La rupture avec la psychologie du vécu n’est complète que si l’on cesse de partir de la distinction conscience-objet et si l’on adopte le préalable heideggérien de
l’implication du sujet dans l’être ;
Les notes obscures, en appendice à l’ouvrage posthume, sur l’être des lointains, sur l’être de latence, sur l’être sauvage, sur le langage de l’être annoncent une ontologie en lutte
avec le langage traditionnel et avec son propre langage ; en particulier le concept même de chair – ma chair est la chair du monde –, appliqué désormais au visible, au monde, à
l’histoire, vise à une inscription sensible du rapport avec l’être qui devient, pour la philosophie, l’innommable
Par la chair que je suis, ma rencontre avec ce qu’on nommait l’objet prend un caractère de réciprocité radicale dans l’unité et l’immanence transcendante de l’Être.
Toute la philosophie de Merleau-Ponty consiste à exprimer notre entrelacs, ce qu’il appelle notre chiasme, notre connivence ou notre co-existence au monde et à autrui. Par notre
incarnation, au sein même du corps propre, se confonde la corporéité et la subjectivité : C’est cette puissance, cette dimension, que Merleau-Ponty nomme la chair. Dans un de ses
derniers livre, le visible et l’invisible, il écrit « la chair n’est pas matière, n’est pas esprit, n’est pas substance. Il faudrait pour la désigner le vieux terme d’élément au sens où on
l’employait pour parler de l’eau, de l’air, de la terre et du feu, c'est-à-dire au sens d’une chose générale, à mi-chemin de l’individu spatio-temporel et de l’idée, sorte de principe
incarné qui importe un style d’être (une façon d’être au monde) partout où il s’en trouve une parcelle. »
Phénoménologie de la perception
Avant propos
Dès l’avant propos, Merleau-Ponty revendique l’héritage de Husserl, mais il pose immédiatement la question : qu’est-ce que la phénoménologie ?
Cela, pour nous conduire jusqu’à l’interprétation qu’il en donne et la voie qu’il va ouvrir à partir de cette réflexion de Husserl.
« La phénoménologie, écrit-il, c’est une philosophie transcendantale qui met en suspens, pour les comprendre ; les affirmations de l’attitude naturelle (c'est-à-dire l’affirmation de
l’existence du monde indépendamment de la conscience), mais c’est aussi une philosophie, pour laquelle le monde est toujours « déjà-là » avant la réflexion, comme une présence
inaliénable et dont tout l’effort est de retrouver ce contact naïf avec le monde pour lui donner enfin un statut philosophique. »
Et il exprime immédiatement ce qui constitue son interprétation de la phénoménologie : « il s’agit, écrit-il de revenir aux choses mêmes. Et revenir aux choses mêmes, c’est revenir à
ce monde avant la connaissance, dont la connaissance ‘‘parle’’ toujours et à l’égard duquel toute détermination scientifique est abstraite, singnitive, et dépendante. Comme la
géographie à l’égard du paysage, nous avons d’abord appris ce que c’est qu’un forêt, qu’une prairie, ou qu’une rivière. »
Et il nous explique immédiatement le sens de sa démarche dans la phénoménologie, lorsqu’il met en œuvre une phénoménologie de la perception : « La perception, écrit-il, n’est
pas une science du monde, ce n’est pas même un acte, une prise position délibérée, elle est le fond sur lequel tous les actes se détachent et elle est présupposée par eux. Le monde
n’est pas un objet dont je possède par devers moi la loi de constitution (voici une allusion à la philosophie transcendantale), le monde est le champ de toutes mes pensées, de toutes
mes perceptions explicites. »
Et dès cet avant propos, il nous révèle la portée de cette démarche, qui est sans aucun doute le désaveu de la science c'est-à-dire de toute explication objective des phénomènes
humains.
Il écrit de façon parfaitement claire : « cette première consigne que Husserl donnait à la phénoménologie : revenir aux choses mêmes, c’est d’abord le désaveu de la science. Et il
poursuit, je ne suis pas le résultat ou l’entrecroisement des multiples causalités qui déterminent mon corps ou mon psychisme, je ne puis pas me penser comme une partie du monde,
comme le simple objet de la biologie, de la psychologie et de la sociologie, ni fermer sur moi l’univers de la science. Tout ce que je sais du monde, même par science, je le sais à
partir d’une vue mienne ou d’une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire. Tout l’univers de la science est construit sur le monde vécu,
si nous voulons penser la science elle me^me avec rigueur, en apprécier exactement le sens et la portée, il nous faut réveiller d’abord cette expérience du monde dont elle est
l’expression seconde. (…) Je suis non pas un ‘‘être vivant’’ ou même ‘‘un homme’’, ou même une ‘‘conscience’’ avec tous les caractères que la zoologies, l’anatomie sociale, ou la
psychologie reconnaissent à ces produits de la nature ou de l’histoire. Je suis la source absolue, mon existence ne vient pas de mes antécédents, de mon entourage physique et
social (…) Les vues scientifiques selon lesquelles je suis un moment du monde sont toujours naïves et hypocrites, parce qu’elles sous-entendent, sans la mentionner, cette autre vue,
celle de la conscience, par laquelle d’abord un monde se dispose autour de moi et commence à exister pour moi. »
Un tel exposé par Merleau-Ponty du sens de sa démarche « phénoménologique », suscite immédiatement une objection : l’accusation d’idéalisme, à laquelle il s’empresse de
répondre : « Ce mouvement de retour aux choses mêmes, est absolument distinct du retour idéaliste à la conscience . » La démarche mise en œuvre échappe à la fois, à « l’explication
scientifique » qui fait de l’homme un objet, et à l’analyse réflexive qui conçoit ou qui réduit l’homme à être le sujet de la connaissance. Que l’on se réfère, poursuit-il, au cogito
cartésien, ou au renversement copernicien de Kant, « l’analyse réflexive consiste à partir de notre expérience du monde, à remonter au sujet comme à une condition de possibilité
distincte de cette expérience, et elle fait voir la synthèse universelle, comme ce sans quoi il n’y aurait pas de monde. »
Et Merleau-Ponty alors, marque sa distance à l’égard de la phénoménologie husserlienne :
« Pendant longtemps , écrit-il, et jusque dans des textes récents, la réduction phénoménologique, est présentée comme le retour à une conscience transcendantale, devant laquelle le
monde se déploie dans une transparence absolue, animée de part en part, par une série d’aperceptions que le philosophe serait chargé de reconstituer à partir de leur résultat. Ce