Un demi-dieu au piano - Château de Versailles Spectacles

Date : JUIL/AOUT 16
Périodicité : Bimestriel
OJD : 8872
Page de l'article : p.32,33,34,...,41
Journaliste : Stéphane Friédérich
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Tous droits réservés à l'éditeur
EN COUVERTURE
DIEU
AU PIANO
Surdoué, extraordinaire, exceptionnel, flamboyant, extravagant... Avec
le pianiste chinois, tous les superlatifs sont permis. Sa notoriété planétaire
fascine. Son charisme et son audace dénotent, voire choquent dans l'univers
fermé de la musique classique. Une enfance sacrifiée sur l'autel
de la compétition par un père tyrannique, des rencontres qui allaient changer
le cours de son destin... notre abécédaire raconte une trajectoire hors
du commun et part à la découverte d'un phénomène musical qui reflète,
en ce début de XXIe siècle, révolution de notre société.

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A comme argent
Un sujet qui fâche et suscite bien des jalousies chez ceux qui,
contrairement a Lang Lang, ne sont pas propuetaires d'un luxueux
appartement de î millions de dollars, a New York Dans linconscient
collectif, l'artiste cst un etre « pur », éloigne dc toute tentation
matérielle, qui devrait presque faire vœu de pauvrete. Or, le pianiste
chinois, qui se révèle etre un homme d'affaires hors pair, détonne
On ne compte plus les contrats qu'il a signes avec le constructeur
Audi, les montres Rolex et Hublot, l'électronique Panasonic et
Sonv Electronics, maîs aussi Montblanc, Adidas qui a specia
lement cree le logo « Lang Lang » — ou Giorgio Armani Lang
Lang possède également son propre parfum, \ma7ing I ang
Lang, dont le design du flacon rappelle les courbes d un piano
a queue Dans ses interviews, il affirme sa passion pour les fra
grances « Le jasmin est le plus fiais des ingrédients comme la noie
si » II fallait y penser Le musicien est devenu une marque de
luxe Son nom est dépose Ses mains seraient assurees pour
70 millions de dollars Apres tout, le sourire de Julia Roberts
I est bien pour 40 millions de dollars, et la voix et les jambes de
Mariah Carey, pour 70 millions de dollars également '
B comme ballet
Jouer Chopin en accompagnant des danseurs ' En 2013,
le « Dance Project », ne d'une idée de Lang Lang et du chorégraphe
australien Stanton Welch, se concrétise « La danse est une musi-
que mise en mouvement Elle est un art fur, dénué de complexité
f avais depuis longtemps l'idée déplacer les deux expressions artistiques
— musique et danse — sur un même plan d'égalité Le concept est
d autant p lus fort qu il a pris forme au Theatre des Champs-Elysées
Ce lieu témoigne de maniere Irs1, particuliers de ses rapports historiques
entre la musique et la danse », commente le pianiste
C comme chefs d'orchestre
Deux rencontres décisives ont change le destin de Lang Lang
D'abord, telle avec le pianiste et chef d'orchestre allemand
Christoph Eschenbach Ce dernier a révèle le jeune musicien
age seulement de 17 ans Alors étudiant au Curtis Instruite of
Music de Philadephie, aux États-Unis, Lang Lang court apres
les petits cachetons Eschenbach lui accorde une audition vingt
minutes et pas davantage ' II l'écoute pendant plus de deux heures
et manque sa propre répétition Le lendemain, Lang Lang inter-
prète le Concerto n°l de Tchaikovski avec le Symphonique de
Chicago II remplace Andre Watts, souffrant, au pied leve Celui
qui jouait avec des formations étudiantes et des amateurs est
subitement courtise par les plus grandes phalanges américaines
II devient une célébrité grace a une presse dithyrambique
Puis celle avec Daniel Barenbonn « Côtoyer des pianistes qui sont
aussi de grands chefs d orchestre, cela vous met au contact dè traditions
d interprétation Karajan a dirige Eschenbach, Furtwang/er et
Barenboim Ce sont des artistes si riches qu'ils vous apportent énor-
mément de choses en peu de temps > confie Lang Lang La com-
préhension avec Barenboim est immédiate Tout comme lui,
Lang Lang a été un Wunderkind'et contraint a l'exil Le maestro
israélo-argentin lui enseigne l'approche allemande du piano et

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représente un modele d artiste investi dans, diverses causes Le pia
niste chinois s'en sovrviendra lorsqu'il sera nomme ambassadeur
de bonne volonté de I Unicef et qu'il créera s>a propre fondation
D comme disques
Lang Lang a 18 ans quand il enregistre son premier CD, un recital
d'œuvres diverses « La photo [de l'album] montre un garçon un peu
enieloppe un peu boutonneux et vêtu dim smoking », raconte-t-il
II a signe chez Telarc, un label americain indépendant, moins
presDgieux que Deutsche Grammophon, qui lui fait pourtant déjà
des avances Maîs Telarc lui assure des engagements aux Etats
Unis Les vrais débuts discographiques de Lang Lang se bâtissent
d'abord grace aux orchestres C'est le Concerto n°3 de Rachmamnov
avec Yuri Temirkanov, un disque sidérant de vie, puis les Concertos
n I de Liszt et n°2 de Rachmamnov, aux cotes de Valery Gergiev
ceux de Chopin, diriges par Zubin Mehta, de Tchaikovski et
Mendelssohn, sous la baguette de Daniel Barenboim, les Concertos
ni et n°4 de Beethoven, avec Christophe Eschenbach, jusqu'à
l'inénarrable Concerto du fleuve jaune qui réunit quatre orchestres
et 100 pianos ' Sans oublier la musique de chambre, notamment
le répertoire russe avec Vadim Repm et Mischa Maisky
Le public adore cette « bete de scene » qui ne revendique aucune
ecole, maîs impose un jeu d'une franchise a toute epreuve
Hy a bien des choses que je ferais différemment aujourdhui maîs
je n ai jamais éprouve de deception ou de regrets Je me dis quej ai
fait de mon mieux avec les moyens dont je disposais , reconnaît
Lang Lang En 2010, il quitte Deutsche Grammophon pour
Son) Montant du contrat 3 millions de dollars ' Suivent des
récitals sur CD et DVD au Carnegie Hall, au Musikverem de
Vienne, a Pans, et aussi des concertos de Prokofiev et Bartok
a\ ec Rattle et le Philharmonique de Berlin Les recompenses
pleuvent, jusqu'à un disque de platine pour ses concertos de
Mozart, aux cotes de Nikolaus Harnoncourt
E comme enfance et études
Son tout premier souvenir "> Un dessin anime de Tom et Jerry
Tom joue - du moins, essaie - la Rhapsodie hongroise n°2 de
Liszt, maîs Jerry l'en empêche C'est le declic Lang Lang sera
Tom ' Sa famille a ete en partie bnsce par la Revolution culturelle
Son pere joue du erhu, un instrument traditionnel II est chef
d'orchestre sur une base de l'armée de l'air, et sa mere, standar
diste Le pere reporte ses désirs d'accomplissement sur son fils
« Devenir un pianiste professionnel, e est se sacrifier ' lui assene-
t-d Celui-ci démissionne afin de gerer les débuts de sa carriere
< C était une période ou lamour entre mon pere et moi cobalt trouve
un moyen d'expression Cetait une entente profonde et puissante
maîs dangereuse aussi, un amour mêle dune ambition deiorante
et sans merci suffisamment forte pour transformer un jeu denfant
en obsession », se souvient Lang Lang
Son pere s'identifie a Leopold Mozart <Avec du recul, j éprouve
des sentiments assez mitigés Evidemment, j ai travaille tres dur
Mon pere était severe, impitoyable E pensait bien faire C est l'influence
de lecole russe du piano décuplée par la tradition asiatique, d autant
plus exigeante qual epoque, en Chine, les familles ne pouvaient élever
qu'un enfant, un garçon de preference II ny avait donc pas de seconde
chance dans une societe entierement dominée par la compétition
en Chine, on ne joue pas pour partager la musique avec les autres
maîs pour dominer», poursuit Lang Lang Dans sa biographie
le pianiste décrit son emploi du temps d'enfant «5h45 reveil
et pratique du piano pendant une heure École a 7 heures Dejeuner
a la maison quinze minutes pour manger, quarante-cinq minutes
pour pratiquer Apres lecole deux heures de pratique avant le diner
Diner vingt minutes durant lesquelles je pouvais regarder des dessins
animes Deux heures de pratique apres le diner Devoirs de classe »
Le pere s'installe avec son fils a Pekin A
la dureté de la vie, la pauvrete, l'msalubnte,
les humiliations du professeur et la violence
du pere s ajoute I absence de la mere Un
jour, celui-ci perd la raison et, apres une
querelle, il demande a son fils de se suiader
avaler des pilules ou se jeter par la fenêtre '
L enfant arrete momentanément le piano
pour punir son pere, avant de reprendre la compétition, car pour
entrer au Conservatoire de Pekin, la selection est impitoyable
12 candidats obtiennent le sesame sul des milliers de prétendants
Devenu adulte, apres le succes des prix nationaux et interna
tionaux, Lang Lang doit surmonter des chocs culturels et affectifs
considérables «/avais du mal a gerer tout cela Bien sur, j'étais
tres content de ce qui se produisait maîs tout était venu si vite que
ma tete n arrivait pas a rattraper mon cœur » A 21 ans, il donne
Lang Lang est devenu
une marque de luxe. Son
nom est déposé. Ses mains
seraient assurées pour
70 millions de dollars.
son premier recital au Carnegie Hall, le Graal de tout concertiste
Lors des < bis », il loue en duo avec son pere au erhu « Sans que
j'aie rien oublie des difficultés dupasse, la nature même de ma relation
avec mon pere avait change » Une forme de sagesse peut-être
avant la réconciliation Deux civilisations - bouddhisme et chris
nanisme - se sont heurtées dans la vie du musicien Est-il
croyant ^ II demeure en tout cas convaincu qu il existe une force
spirituelle superieure, qui se révèle par la musique
F comme fondation
< J aime me rendre utile a la societe [ ] Jamais je n oubheiai dou
je viens — la pauvrete, la solitude — et je fais ce que je peux »,
explique Lang Lang, qui cree sa propre fondation — Lang
Lang International Music Foundation — et une ecole pour
enfants en 2007 Fst-ce le souvenir des emissions pédagogiques
« Dance Project »
au Theâtre des
Champs Élysees
de Paris en 2013
un spectacle imagine
parLangLang
et le chorégraphe
Stanton Welch

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Page de gauche
L enseignement
est devenu une
des grandes passions
de LangLang
qu il dispense
a des jeunes
pianistes au sem
de son International
Music Foundation
Page de droite
Séance de dédicaces
apres un recital
a Baden Baden
en Allemagne
de Leonard Bernstem > Ln tout cas, I enseignement est
devenu une de ses grandes passions "fat entame une seconde
carriere grace a la fondation », constate t il Un engagement
qui est sincère et profond Tl lui arrive même de rechigner a
interrompre son tra\ail auprès de dizaines de petits musiciens
alors qu on l'attend pour un recital ' En 2012, Lang Lang
inaugure un complexe artistique en Chine Dans cette msti
nation, les étudiants peuvent suivre des classes de maitre de
grands pianistes et la pédagogie repose largement sur le multi
media La musique, e est un peu comme le sport si-vous ne faites
que regarder ce n est pas drôle ' » plaisante t il
G comme geste
Le geste est théâtral, emphatique Du coup, on I accuse d exhi
bitionmsme Certes, le mmimalisme n cst pas Ic fort dc Lant,
Lang *f ai réfléchi pour trouver un moyen de reduire cela mai
je n y suis pas parvenu Je reste moi même Je ne peux pas change!
ma maniere de jouer J ai besoin de transmettre physiquement
mes sensations Croire que la musique n est qu un effort purement
intellectuel est une vue de I esprit > « Quand je joue mes gestes
accompagnent mon émotion ll ny a rien d intentionnel dans cette
expression , analyse t il, évoquant les interprètes de la musique
chinoise traditionnelle Daniel Bartnboim, lui, s en tient i
ses dons U joue comme un chat qui aurait 12 doigts »
H comme Horowitz
Le « Grand Vladimir » fait partie, avec Arthur Rubinstein
et Glenn Gould des modeles de Lang Lang II éprouve une
fascination pour I energie, le toucher, la personnalisation des
interprétations du pianiste ukrainien « Elie soi sans travestir
la musique , tel est le credo de l'artiste
I comme Ivoire
Ln 2003, Lang Lang, qui joue plusieurs heureb par jour, travaille
sur I un des pianos ayant appartenu a Vladimir Horowitz Son
toucher est particulièrement dur, I épaisseur de I ivoire ayant ete
fortement diminuée Un soir, il est pris d une douleur fulgurante,
allant de son annulaire droit a I epaule C est le blocage tant
redoute que certains jeunes virtuoses actuels connaissent parfois
Comme pour les grands sportifs, il n existe qu un seul remede
Ic repos total des muscles Le pianiste annule alors tous ses