comment evaluer le developpement de competences ethiques en

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L’évaluation des compétences en milieu scolaire et en milieu professionnel
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COMMENT EVALUER LE DEVELOPPEMENT DE COMPETENCES ETHIQUES EN
FORMATION INITIALE D’ENSEIGNANTS ?
Antoine Sautelet*
* Institut Supérieur de Pédagogie Galilée antoine.sautelet@galilee.be, Université Catholique de
Louvain antoine.s[email protected]ouvain.be
Mots-clés : évaluation compétences formation initiale des enseignants éthique
développement moral
Résumé. Cette communication présente un outil de mesure développé spécifiquement pour
évaluer la compétence éthique des étudiants en formation initiale d’enseignants. Basé sur une
approche développementale de la morale et de l’éthique (Kohlberg, 1981) et sur la théorie du
double aspect des comportements éthiques de Lind (2008), cet outil devrait permettre aux
chercheurs et aux formateurs d’approcher la compétence éthique professionnelle des enseignants
et des futurs enseignants.
Introduction
De nombreux auteurs tels que Gohier (1997), Moreau (2009), Desaulniers et Jutras (2006)
insistent sur la nécessité de prendre en compte la dimension éthique dans la formation des
enseignants. En Communauté Française de Belgique, le cret Dupuis (12/12/2000), a instauré un
référentiel pour la formation initiale des enseignants qui comporte notamment la compétence «
mesurer les enjeux éthiques liés à sa pratique quotidienne ». Dans le cadre de la formation des
enseignants en haute école, différents cours et modules visent le développement de cette
compétence.
L’évaluation de la compétence éthique visée par ces cours pose question. Celle-ci se fait souvent
au travers de rapports réflexifs sensés retracer le développement de la compétence chez l’étudiant,
ses réflexions, son évolution. Une des limites de ce type de rapport écrit, est la tendance de
certains étudiants à écrire ce que l’évaluateur veut lire et non pas toujours sa propre réflexion. Ce
problème se révèle particulièrement présent dans les questions éthiques (Johnson, 2008).
Dans une recherche récente, Johnson (ibidem) a montré que les futurs enseignants semblent
parfois faire preuve de compétences éthiques élevées en répondant à des questions types telles que
« quelles sont les responsabilités éthiques des enseignants ? ». Toutefois, lorsqu’ils se retrouvent
en face de dilemmes éthiques concrets, ils éprouvent beaucoup plus de difficultés à raisonner par
eux-mêmes. Selon Johnson, si les étudiants peuvent facilement répéter des discours éthiques
proches de ceux qu’ils entendent durant leur formation, cela ne veut pas dire qu’ils savent mesurer
les enjeux éthiques ni mettre en œuvre leurs valeurs dans des réflexions à dimensions éthique.
Johnson (ibidem) nous enjoint à ne pas confondre une « régurgitation éthique » avec une
« réflexion éthique ».
Un des objectifs de l’outil présentés dans cette communication est de parvenir à mesurer le
développement d’une compétence en raisonnement éthique qui se distinguerait clairement de la
capacité des étudiants à répéter un discours éthique entendu pendant leur formation.
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I. Cadre théorique
L’outil se base sur l’approche développementale de l’éthique et de la morale de Lawrence
Kohlberg (1981) et sur la compétence de jugement éthique telle qu’elle a été définie par Georg
Lind (2008).
1.1 Les stades du jugement moral selon Kohlberg
Kohlberg (1981) distingue trois formes d’opération caractérisant la cognition morale, trois niveaux
différents qui correspondent à trois logiques de construction du sens dans le domaine moral : le
niveau préconventionnel, le niveau conventionnel et le niveau postconventionnel. Selon
Kohlberg, un individu au niveau postconventionnel est capable de prendre des décisions éthiques
en tenant compte des perspectives des autres membres de la société et en se basant sur des
principes universels de justice qu’il préférera à l’application pure et simple de règles juridiques ou
de normes sociales. Ces 3 niveaux sont eux-mêmes chacun divisés en 2 stades. Le développement
moral s’opérerait, selon Kohlberg, du premier stade au sixième stade en suivant un ordre bien
déterminé :
Stade
Niveau
1er stade : orientation punitive et obéissance à l’autorité (obéissance aux
personnes qui disposent du pouvoir, afin d’éviter les punitions) ;
Préconventionnel
2ème stade : morale individuelle et instrumentale (but pragmatique :
maximiser la satisfaction de ses besoins etsirs et en minimiser les
aspects négatifs)
3ème stade : orientation en fonction des relations interpersonnelles
(l’individu considère bien agir s’il est gentil et s’il plait à autrui)
Conventionnel
4ème stade : moralité de l’autorité et du maintien de l’ordre social (le
sujet ne se conforme plus aux standards d’autres individus, mais bien à
l’ordre social en tant que tel.)
5ème stade : les droits individuels et la loi démocratiquement acceptée
(La moralité se fonde sur des accords entre individus, qui désirent
respecter des normes qui leur paraissent nécessaires pour maintenir l’ordre
social et les droits des personnes) ;
Postconventionnel
6ème stade : orientation des principes éthiques universels (les principes
universels de justice, réciprocité, égalité, respect représentent un idéal
intériorisé qui guide les actions du sujet indépendamment des réactions
d’autrui).
Tableau 1 : stades de développement moral selon Kohlberg (1981)
1.2 La compétence de jugement éthique (Lind 2008)
Cette compétence de jugement éthique est liée à « la capacité de l’individu de percevoir les
implications éthiques d’une situation et d’organiser et appliquer de façon cohérente des règles et
des principes éthiques à des situations concrètes » (Lind, 2008). Dans cette optique, le
comportement éthique est fondé sur des principes éthiques propres aux individus et non pas sur
des normes sociales externes ou imposées. Cette vision des comportements éthiques intègre les
aspects affectifs et comportementaux. La compétence de jugement éthique, inclut, en outre, la
capacité de réflexion critique et de discours rationnel.
Un des intérêts de l’approche de Lind est qu’elle permet de distinguer clairement les aspects
affectifs des aspects cognitifs de l’éthique. Les aspects affectifs étant définis comme les idéaux, les
principes et les valeurs des individus ; tandis que les aspects cognitifs concernent les capacités
cognitives à mettre en œuvre des idéaux ou des principes éthiques. C’est cette capacité à mettre en
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en œuvre des principes éthiques ou moraux propres à chacun que Lind définit comme compétence
éthique.
Figure 1 : la compétence éthique selon Lind (2008)
Pour illustrer cette conceptualisation, prenons un exemple concret issu du test MJT (Test de
jugement éthique) conçu par Lind pour évaluer cette compétence en jugement éthique. Face au
dilemme d’un médecin qui accepte d’euthanasier une patiente, les sujets peuvent être ou non avec
le comportement du médecin, ce n’est pas cela qui déterminera une compétence en jugement
éthique. Mais la façon dont ils jugent des arguments en faveur et en défaveur du comportement du
médecin est un bon indicateur de cette compétence. Un sujet qui juge des arguments en fonction
du niveau de raisonnement de cet argument démontre une compétence de jugement éthique élevée.
Tandis que celui qui juge des arguments en fonction de sa position (pour ou contre le
comportement du médecin) sans tenir compte des principes sous-jacents (du niveau de
raisonnement moral modélisé par Kohlberg) révèle une compétence de jugement éthique faible.
Ainsi, à un niveau conventionnel de l’échelle de Kohlberg (1981), on peut être d’accord avec
l’euthanasie parce que beaucoup de médecins l’acceptent déjà ou bien on peut être en désaccord
parce que sa religion l’interdit. Au niveau postconventionnel, on peut accepter l’euthanasie par
respect pour la dignité humaine ou bien la refuser en estimant que la vie est plus importante que
les autres considérations. Les sujets qui sont en accord (ou en désaccord) avec les arguments cités
ci-dessus, uniquement parce qu’ils sont soit « pour », soit « contre » l’euthanasie, obtiendront un
score de jugement éthique faible. Alors que les sujets qui jugent les arguments en fonction de leur
niveau de raisonnement (peu importe qu’ils soient pour ou contre l’euthanasie) obtiendront un
score de compétence morale élevée.
II. Création d’un test de jugement éthique original
2.1. Un test basé sur le MJT (Lind, 2008)
Le test créé s’inspire du fonctionnement MJT développé par Lind (2008) mais est composé
d’items originaux créés pour répondre aux spécificités de la formation initiale des enseignants. Il
existe de nombreux tests pour mesurer le développement éthico-moral des mais le système du MJT
imaginé par le Professeur Lind nous parait être un des plus intéressant pour deux raisons : 1) il ne
se cible pas sur les valeurs ou les idéaux des étudiants mais sur leur aptitude à mettre ces valeurs
en pratique dans une réflexion. 2) il est articulé autour d’une tâche éthique à résoudre et en ce sens
permet d’évaluer une compétence morale.
Le MJT a été créé par Lind afin d’évaluer la compétence en jugement éthique telle que Kohlberg
l’a définie : la capacité à prendre des décisions et des jugements basés sur des principes internes et
d’agir en accord avec ces jugements (Kohlberg, in Lind, 2008). Outre la compétence en jugement
éthique (qui correspond à l’aspect cognitif du comportement éthique) le MJT, mesure également
les préférences morales du sujet (les stades kohlbergiens de cognition morale préférés). Ces deux
aspects sont évalués simultanément, mais de façon indépendante. Le MJT offre donc des mesures
pour chacun de ces deux aspects. L’intérêt de mesurer ces deux aspects de façon distincte est que
ceux-ci ne sont pas forcément liés. Une personne peut très bien valoriser les valeurs universelles
de justice, mais être incapable de les utiliser avec cohérence lorsqu’il évalue une position morale
avec laquelle il est en désaccord.
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Le MJT comporte deux histoires comportant un dilemme moral. Pour chacun de ces dilemmes, le
test propose six arguments qui justifient le comportement du protagoniste de l’histoire et six autres
qui sont en désaccord avec ce comportement. Chacun de ces arguments est construit en référence à
un stade Kolhbergien de raisonnement moral. Les sujets doivent 1° se positionner en accord ou en
désaccord avec le comportement des protagonistes de l’histoire et évaluer dans quelle mesure
les arguments en faveur ou en défaveur du comportement des protagonistes sont acceptables ou
non (entre pas du tout acceptable et tout à fait acceptable).
Le score principal obtenu par ce test, l’index-C, est compris entre 0 et 100 et mesure la consistance
des jugements émis par les sujets à propos des différents arguments. Un individu qui valide les
arguments en référence aux principes qu’ils sous-tendent (les stades de raisonnement moral)
obtiendra un haut score de compétence en jugement moral. Ainsi un sujet qui attribue de façon
consistante un score élevé aux arguments d’un niveau spécifique aura un score C élevé.
Le MJT est un outil qui a été utilisé dans de nombreuses recherches et qui, au cours de celles-ci, a
acquis un degré de validité élevé, ainsi que de nombreuses données permettant des comparaisons
variées. Toutefois, les dilemmes qu’il propose sont fort éloignés de la réalité professionnelle des
enseignants. Le premier concerne une situation de conflit social entre une direction et des ouvriers
et l’autre un cas d’euthanasie pratiqué par un médecin.
Les recherches autour des compétences professionnelles ont régulièrement mis en avant
l’importance de la contextualisation des tâches qui visent à mesurer des compétences. Une
compétence professionnelle se mesure au mieux dans un contexte le plus authentique possible, le
plus proche de la réalité professionnelle concernée. Au vu de ces considérations, il nous semblait
nécessaire de concevoir un outil basé sur le fonctionnement du MJT mais dont les dilemmes
proposés aux sujets se dérouleraient dans un milieu scolaire.
2.2. Construction de l’outil
Pour construire cet outil, nous avons commencé par élaborer deux dilemmes moraux susceptibles
de se dérouler dans une école primaire ou secondaire. Le premier concerne la question de la
dénonciation d’un comportement non adapté d’un collègue à la direction. Et le deuxième à trait à
l’évaluation d’une élève. Nous avons scrupuleusement suivi les consignes de Lind (2008) pour la
création de ces dilemmes. Ce dernier estime, en effet que pour être opérationnel, un dilemme doit :
- raconter l’histoire d’une personne fictive qui est susceptible d’exister et qui doit avoir un
prénom ;
- montrer que la décision prise par le sujet comporte une difficulté ;
- comporter une décision claire du sujet ;
- être court et aisément compréhensible ;
- doit être intéressant pour des raisonnements moraux élevés (stades 5 et 6 de Kohlberg) mais
aussi pour des raisonnements plus bas ;
- doit permettre des arguments intéressants, aussi bien pour les sujets qui sont en accord avec
la décision du protagoniste que pour les sujets qui sont en désaccord avec elle.
- Une fois les deux dilemmes rédigés, nous avons conçu les six arguments en accord avec le
comportement du protagoniste et les six arguments en désaccord, et ce pour les deux
dilemmes, soit 24 arguments.
Ici aussi, nous avons suivi les prescriptions du professeur Lind (ibidem), à savoir que les
arguments doivent:
- être aussi courts que possible, de préférence une phrase, pas trop complexe et pas trop
technique ;
- représenter le plus possible chacun des six stades Kohlbergiens ;
- être tous abordés positivement (ils ne doivent pas sembler ironiques ou dépréciatifs) ;
- être compatibles pour un même stage : deux arguments d’un même stade doivent être
équivalents sans être contradictoires au point de ne pas pouvoir être acceptés en même temps.
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2.3. Procédure de validation de l’outil
Une fois les deux dilemmes et les vingt-quatre arguments construits, l’outil a été soumis à un
Professeur reconnu au niveau académique pour son expertise dans le domaine du développement
moral et la théorie Kohlbergienne, afin de vérifier la représentativité conceptuelle des arguments
conçus. Dans un second temps, l’outil a été soumis à un prétest auprès de 5 étudiants afin de
détecter les problèmes de compréhension des dilemmes. Les sujets ont répondu au test en situation
réelle avec la consigne supplémentaire de souligner les termes ou formulations qui semblaient
ambigus, ou peu clairs. Un entretien semi-directif a également été mené afin de permettre aux
étudiants d’exprimer leurs remarques. Ces multiples regards ont permis d’adapter et de clarifier
certaines formulations dans les dilemmes et les arguments conçus. La version adaptée de l’outil a
ensuite été administrée à 44 sujets.
La validation de cet outil ne peut se faire selon les mêmes critères que ceux en vigueur pour les
questionnaires classiques, tels que les critères de consistance interne. En effet, la consistance des
réponses des sujets est justement l’élément que nous voulons mesurer par ce test. Nous avons suivi
les critères de validité énoncés par Lind (ibidem) pour valider notre outil. Lind (ibidem) distingue
3 critères auxquels une version adaptée du MJT devrait répondre.
Le premier de ces critères concerne les préférences morales des sujets. Celles-ci, devraient être
suivre un ordre de préférence prévisible : les arguments de stade six devraient être préférés aux
arguments de stade 5, eux-mêmes préférés aux arguments de stade 4 et ainsi de suite. Selon Lind,
cette préférence hiérarchique se retrouve dans tous les tests étudiant le raisonnement moral, et ce,
dans des cultures très différentes (Lind, 2008, p. 203). Cela n’empêche pas que certaines petites
inversions se retrouvent, par exemple entre les stades 1 et 2 ou entre les stades 5 et 6. Ces petites
inversions n’invalident pas la version étudiée, elles sont même fréquentes.
Le deuxième critère de validité énoncé par Lind (ibidem) est que les données doivent suivre une
structure quasi-simplex, c'est-à-dire que les stades voisins (5 et 6, par exemple) doivent être
davantage corrélés que les stades plus éloignés (stades 3 et 6 par exemple).
Le troisième critère concerne le parallélisme affectif-cognitif : les préférences morales pour les
stades élevés doivent être clairement corrélées positivement avec le score de l’index-c, alors que
les préférences morales pour les stades moraux les plus bas doivent être clairement corrélées
négativement avec l’index-c.
Les résultats de l’analyse menée sur l’échantillon (n=44) montrent que le test de jugement moral
professionnel que nous avons conçu répond au premier critère de validation. Les arguments du
stade 5 sont ceux qui s’avèrent les plus préférés, suivis du stade 6, 4, 3, 2, et 1. Une inversion
existe entre les stades 5 et 6, mais celle-ci n’est pas suffisante pour invalider le test et se retrouve
fréquemment dans le MJT (Lind, 2008)
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