PROPOS RECUEILLIS
À l’origine
Ce spectacle est né au Festival de la Correspondance de Grignan en juillet 2012.
Le thème était « la Philosophie » et j’ai souhaité y lire la correspondance d’un philosophe contemporain. J’ai
alors songé à Vladimir Jankélévitch, et Anne Rotenberg (la directrice artistique du Festival), m’a fait découvrir
Une vie en toute lettres - correspondance entre Vladimir Jankélévitch et Louis Beauduc, ainsi qu’un échange de
lettres entre Jankélévitch et Wiard Raveling, qui venait de paraître dans Philosophie Magazine.
En 1980, Wiard Raveling, jeune Allemand, professeur de français, écoutait depuis la Basse-Saxe en
Allemagne, l’émission Le Masque et la Plume sur France Inter. Il y entendit Jankélévitch réafrmer sa
rupture avec tout ce qui pouvait représenter l’Allemagne de près ou de loin : langue, philosophie,
musique. « Les Allemands ont tué 6 millions de Juifs, mais ils dorment bien, ils mangent bien et le
mark se porte bien (…). J’attend toujours une lettre d’un Allemand qui n’y serait pour rien, mais qui
reconnaitrait tout. »
Wiard Raveling décide alors d’écrire à Jankélévitch, en français, et lui explique, pourquoi, tout en étant
innocent des crimes nazis (puisque né en 1939) il en ressent malgré tout une honte, depuis sa
découverte adolescent de la Shoah à travers le lm « Nuit et Brouillard ». Jankélévitch lui répondra, ému,
qu’il a attendu cette lettre pendant 35 ans, et l’invitera chez lui, à Paris. Cette rencontre aura bien lieu.
Quand j’ai lu cet échange de lettres, j’ai été bouleversé.
J’ai été élevé comme Jankélévitch et comme Romain Gary d’ailleurs, dans un amour inconditionnel de la France.
Ma famille, accueillie en France, a toujours été reconnaissante envers ce pays et n’a cessé de l‘aimer.
Je trouve exceptionnel qu’un grand intellectuel de 75 ans soit capable de ce retournement intérieur, de cette
révolution. Après avoir afrmé avec tant de force son rejet absolu de l’Allemagne, une main se tend avec sincé-
rité, et il accepte d’inaugurer, comme il le dit, « une ère nouvelle ».
Enn, je ne pouvais pas ne pas me souvenir que ma mère, avait été élève de Vladimir Jankélévitch, et qu’elle
m’avait emmené quand j’avais 15 ans, assister à l’une de ses conférences sur Ravel. Je n’avais certainement
pas tout compris… mais je me souviens avoir été ébloui, par celui qu’elle appelait toujours son « Maître ».
Tout cela a naturellement conduit mon choix à faire de cette correspondance, un spectacle.
Des thèmes récurrents :
La Vie
Dans tous mes spectacles, et ici évidemment, il est question de la Vie et de sa célébration.
Peut-être parce que la première fois que je me suis retrouvé sur un plateau de théâtre, il y a 35 ans, je me suis
senti enn vivant. C’est une chance inouïe que j’essaye de partager encore aujourd’hui. Même lorsqu’il s’agit
de sujets violents, dramatiques, j’essaye toujours, dans mes spectacles, de me souvenir des mots d’Etty
Hillesum : « comme la vie est belle, pourtant… ».
Jankélévitch, lui, utilise une autre très belle formule : « Hélas, donc en avant ! » et je partage, oh combien, cette
philosophie. Vivre même s’il y a des obstacles. Lutter. Honorer la vie, même si on sait qu’on va mourir. Tenter de
poser un acte, d’être « l’acteur de sa vie ». Essayer de transmettre une pensée vivante, incarnée… pour qu’elle
agisse peut-être !
L’engagement
Il y a des moments dans la vie et dans l’Histoire, où on est sommé de choisir. De s’engager.
Jankélévitch l’a fait. Il a été résistant pendant la guerre, et après, par délité aux morts, il a rompu tout lien avec
l’Allemagne, lui, le ls d’un grand germaniste, premier traducteur de Freud en français.
Ce qui est magnique dans la correspondance de Jankélévitch, c’est la découverte d’une adéquation absolue
entre une pensée et des actes. Quand on lit ces soixante ans de correspondance entre les deux hommes, on
mesure la qualité de leurs décisions et de leur amitié. Ça fait du bien d’entendre ces propos à l’heure où nous
traversons une vraie crise morale, une crise de sens, je dirai même une crise de l’humanité.
René Char disait « Il ne nous reste qu’une ressource face à la mort, faire de l’art avant elle » et je pense que le rôle
du théâtre est d’essayer de donner du sens, d’ouvrir une perspective, de retrouver une conance en la vie.
Dorothée Duplan et Aurélie Baguet, assistées d’Eva Dias / 01 48 06 52 27 / bienvenue@planbey.com / www.planbey.com
4
P