qu’être ignorée des Grecs. On ne peut songer qu’à la donation de la Loi comme
événement que les Grecs ne pouvaient qu’ignorer. La Révélation, en rupture avec cette
naturalité dans laquelle les Grecs étaient immergés, par sa donation comme événement
historique, rendant possible l’histoire, ne peut être qu’appel à une double exigence
prenant la forme également d’une double difficulté : la tâche historique elle-même
commandée par la Loi et sous-tendue par la tâche rationnelle d’en dégager toute la
potentialité à travers les images et les obscurités du Texte. La difficulté mise à jour par
Maïmonide est bien moins de savoir si l’acte philosophique doit être libre ou non9 que
de savoir si, le but étant posé, il est possible de le poursuivre sans se laisser ensevelir
incessamment par la force de l’habitude. Problème que Maïmonide pose comme
propre à son temps et non à la culture grecque.
Et pourtant, le danger de l’habitude, comme habituation, semble être commun aussi
bien à la philosophie grecque qu’à la philosophie juive, comme le fait remarquer
Shlomo Pinès : « it seems to me certain that the passage of the Guide quoted above
derives directly or indirectly from this text of Aristotle10[…] As for the meaning, the
two passages treat of the strength of habit and give as an example the uncritical
acceptance by men of the riddles that occur in the nomoi (according to Aristotle) or in
religious texts (according to Maimonides). »11 En comparant ces deux textes, ceux de
Maïmonide et d’Aristote, il semble que les lois païennes comme la Loi monothéiste
courent sans cesse le risque d’être happées par l’habitude, aussi bien comme
quotidienneté, la pratique devenue monotonie, que comme habitus ou èthos, « par
l’habitude [au sens de coutume] et l’éducation. » C’est pour cette raison que pour
Maïmonide, comme pour Aristote, une méthode, particulière aux sujets abordés, doit
être présentée au lecteur du traité pour lui permettre de briser cette habitude qui
transforme la vérité en fausses croyances. Le rôle de cette méthode est particulièrement
9 Ce ne serait ici qu’une lecture rétrospective et donc anachronique de la difficulté posée par
Maïmonide.
10 Aristote, Métaphysique, α, 3, 995a : « Le résultat des leçons dépend des habitudes de l’auditeur. Nous
aimons, en effet, qu’on se serve d’un langage familier, sinon les choses ne nous paraissent plus les
mêmes ; le dépaysement nous les rend moins accessibles et plus étrangères. L’accoutumance favorise la
connaissance. A quel point l’habitude est forte, c’est ce que montrent les lois, où les fables et les
enfantillages ont plus de puissance, par la vertu de l’habitude, que la connaissance de la vérité au sujet
de ces lois. »
11 Shlomo Pinès, « The Limitations of Human Knowledge » in Studies in Medieval Jewish History and
Literature, Cambridge and London, Harvard University Press, 1979, p. 102.