CEFEDEM Bretagne- Pays de la Loire Mémoire A propos de l’autisme : trouver la voie(x) par la musique ? Nom : Fleury Formation Initiale Prénom : Bérengère Promotion 2009-2011 Diplôme d’Etat Session juin 2011 Professeur de Musique Référent : M. Bruneteau Spécialité : violon 1 Remerciements : J’adresse mes vifs remerciements à Madame Maryline Bruneteau, qui a bien voulu accepter de diriger ce mémoire et de m’éclairer par ses remarques pertinentes. Je sais gré aux membres de l’association l’Autre Regard de l’accueil chaleureux qu’ils m’ont réservé et tout particulièrement à Paul, musicien. 2 Sommaire : Introduction 1) Qu’est-ce que l’autisme p4 p5 a) Historique et définition p5 b) Double, îlot de compétence et objets complexes p7 2) Quels liens existe-t-il entre musique et autisme ? p10 a) Exemples d’utilisation de la musique par des autistes p10 b) L’oreille absolue p12 c) Jouissance vocale p13 d) La musique a-t-elle un sens ? p14 e) Langage et musique p15 f) Musique et émotions p17 3) Atelier chant à l’association « l’Autre regard » : comment réagit la personne autiste ? 4) Réinvestissement pédagogique a) Interaction sociale b) Communication et imagination c) Développement des activités et des centres d’intérêts p19 p21 p22 p23 p25 Conclusion p26 Annexes p28 Bibliographie p31 3 Introduction : Différents évènements et contextes m’ont amenée à m’intéresser à la question de l’autisme. Tout d’abord je suis particulièrement sensible aux différences qui font de chacun un être particulier. J’ai été très jeune en contact avec des gens qui étaient mis à l’écart de la société à cause de « particularités » car j’ai vécu à l’intérieur de l’enceinte d’un hôpital psychiatrique pendant quelques années (mon père y avait un logement de fonction). Je me suis ensuite intéressée à l’étude de la psychologie à l’Université en m’inscrivant une année à Rennes. Par ailleurs, j’ai rencontré des personnes qui ont suscité en moi de la curiosité, par rapport à leur comportement original et à leurs aptitudes particulières pour la musique. Une de ces personnes avait un contact très particulier avec les autres, avait l’air très mal à l’aise en public et était très maladroit dans ses échanges avec autrui. Par contre, dès qu’il se mettait à jouer de son instrument, son attitude changeait radicalement. Il faisait preuve d’une mémoire extraordinaire et d’une culture musicale infinie. Son comportement m’a intriguée et interpellée. C’est ce qui a déclenché mon intérêt pour l’autisme. J’ai voulu répondre à des questions en suspens et j’ai ainsi approfondi mon envie de mieux connaître ce trouble, cette maladie ou ce handicap, termes utilisés par les partisans de telle ou telle théorie, que l’on appelle « autisme ». A partir de la situation paradigmatique et exceptionnelle de l’autiste, en ce qui concerne la socialisation, la communication avec autrui, l’usage de la langue et de la répétition, je me suis interrogée sur la possibilité d’une extension et transposition de ce que m’a enseigné un autiste, à mon projet pédagogique en général. 4 1) Qu’est-ce que l’autisme : a) Historique et définition Les premiers qui ont décrit ce phénomène sont Leo Kanner et Hans Asperger en 1943 et 1944. Leo Kanner, pédopsychiatre immigré aux Etats-Unis en 1924, publie un article qui fait référence : Autistic Disturbance of Affectice Contact. Hans Asperger, pédiatre autrichien, publie à la même période un ouvrage intitulé Psychopathie autistique de l’enfance. Tous les deux choisissent de nommer ce trouble de la même manière en reprenant un terme déjà utilisé par Bleuler, psychiatre suisse, en 1911, à propos de certains stades de la schizophrénie : l’autisme. Ce terme, dérivé du grec autos, signifie « soi-même ». Avant les années quarante, cette affection était confondue avec la schizophrénie ou l’arriération mentale. L’autisme de Kanner est un syndrome composé de deux symptômes principaux : la solitude volontaire (retrait, isolement) et l’immuabilité (l’incapacité à supporter le changement). S’y ajoutaient des particularités de la communication verbale et non verbale et assez souvent un déficit intellectuel selon les modalités d’évaluation non spécifiques. Le syndrome décrit par Asperger est très proche de celui de Kanner. « Il se caractérise par un contact perturbé mais superficiellement possible chez des enfants intelligents qui n’acceptent rien d’autrui et qui se consacrent volontiers à des activités stéréotypées. »1 Asperger a observé pendant dix ans plus de deux cents enfants, Kanner a, lui, étudié onze enfants sur cinq ans. Les critères de diagnostic actuels sont explicités dans le Diagnostic and Statistical Manual de l’Association américaine de psychiatrie ainsi que dans l’International Classification of Diseases, publié par l’Organisation Mondiale de la Santé. 1 L’autiste et sa voix de Jean-Claude Maleval p37 5 Les critères essentiels sont spécifiés sous les intitulés suivants : ‐ Déficience qualitative de l’interaction sociale. ‐ Déficience qualitative de la communication verbale et non verbale, et de l’imagination. ‐ Répertoire nettement restreint d’activités et de centres d’intérêts. Le principal symptôme selon Kanner, l’« isolement autistique », reste primordial dans toutes les tentatives de diagnostic. Il est également stipulé, en général, que l’autisme apparaît tôt, c’est-à-dire avant l’âge de trois ans. La communauté scientifique n’est pas d’accord sur les causes de l’autisme : certains, inspirés par les neurosciences, pensent que cela serait lié à une maladie cérébrale d’origine génétique, d’autres à une atteinte neurologique infectieuse, métabolique, toxique… Les thérapies préconisées, à défaut de thérapie génique ou de traitements médicamenteux ayant fait ses preuves, associent des méthodes cognitivistes et comportementalistes à des interventions éducatives et pédagogiques spécifiques telles que la méthode ABA ou la méthode Teacch. La méthode ABA, « Applied Behavior Analysis » (analyse appliquée du comportement), emploie des méthodes basées sur la théorie de l’apprentissage et applique à l’autisme les principes comportementalistes. Les personnes utilisant cette méthode ont un programme de techniques qui visent à modifier le comportement et à développer certaines compétences. Pour cela, deux types d’enseignement sont utilisés : l’enseignement « structuré » et l’enseignement « incidental ». Lorsque l’enfant autiste réagit correctement à ce qui a été demandé, il est récompensé pour le motiver et l’encourager. C’est un conditionnement avec renforcement positif. La méthode Teacch, « Treatment and Education of Autistic and related Communication handicapped Children » (traitement et éducation des enfants autistes ou souffrant de handicaps de communication) est employée pour adapter le milieu d’apprentissage à l’enfant autiste, dans le but de favoriser et de développer son autonomie dans le milieu familial, le milieu scolaire mais également dans la communauté. « Son objectif est d’aider les enfants autistes à 6 mieux se repérer dans le temps mais aussi dans l’espace mais également d’entrer en communication avec le monde qui les entoure. Les moyens utilisés sont : les photos, les gestes ou encore les consignes écrites, l’objectif étant de renforcer l’autonomie de l’enfant autiste en misant sur ses forces et ses aptitudes »2. D’autres, inspirés par la psychanalyse, sans prendre parti sur une éventuelle lésion neurologique, centrent leurs observations et leurs interventions thérapeutiques sur l’environnement social et familial du sujet (« l’état affectif des parents est le premier oxygène émotionnel que respire l’enfant »3) et surtout sur la position adoptée par le petit enfant futur autiste (le diagnostic n’en est jamais établi dans les tous premiers mois) par rapport à son objet primordial, la mère. Ces praticiens parient sur les compétences et stratégies originales de l’autiste pour structurer son monde chaotique et organiser ses relations aux autres, quels que soient les obstacles ou perturbations qu’il rencontre, en mettant à profit les « ponts » et les contacts tangentiels qu’il ne manque pas d’établir avec ses proches et son thérapeute. b) Double, îlot de compétence et objets complexes Ces notions que développe Jean-Claude Maleval, psychanalyste et professeur de psychopathologie à l’Université Rennes 2, permettent de mieux comprendre l’autisme, non pas comme un handicap secondaire à des déficits, selon la conception dite moderne du DSM, mais comme un mode de fonctionnement original d’un sujet : ‐ Le double : ce peut être une personne réelle ou imaginaire (une marionnette par exemple), pacifiante sur laquelle s’appuie l’autiste pour accomplir certains actes qu’il n’aurait pas pu entreprendre lui-même directement ou prendre la parole à sa place (« beaucoup d’autistes utilisent ce procédé, qui consiste à s’effacer pour parler par procuration, se déchargeant ainsi de toute assertion qui leur soit propre. C’est le double qui parle et non eux-mêmes »4). 2 Site de l’Association Socialiste de la Personne Handicapée L’autiste et sa voix de Jean-claude Maleval p25 4 L’autisme et sa voix de Jean-Claude Maleval p114 3 7 ‐ L’îlot de compétence : il répond à la nécessité pour l’autiste de coder le monde par le signe de façon « sûre et sans danger »5, monde dont la représentation signifiante lui parait trop incertaine. L’autiste dresse des règles immuables, s’approprie un savoir totalisant dans un domaine restreint. Par exemple, un grand nombre d’enfants autistes sont absorbés par une préoccupation exclusive et inhabituelle : plan de bus, nombres, calendrier, astronomie, espèces animales ou végétales, arbre généalogique… « A l’égard de ces îlots de compétence, les sujets font le plus souvent montre d’un attachement et d’un intérêt exceptionnels qui témoignent de leur aptitude à capter la jouissance »6. ‐ Les objets autistiques complexes : sont souvent liés à l’îlot de compétence qu’a développé l’autiste. « Ils protègent de l’angoisse, ils permettent d’investir le monde par dérivation, ils contribuent à une intégration par les affects et à une animation du sujet, tout cela par l’entremise d’un traitement imaginaire de la perte »7. Ce sont donc des objets que l’autiste investit ou construit pour se rassurer, se protéger, surmonter des événements difficiles à vivre pour lui ou pour se représenter des notions abstraites (« l’homme pense avec son objet »8). Pour illustrer ces trois termes, voici quelques exemples, tirés de récits d’autistes ou de leurs thérapeutes : ‐ André, chercheur en informatique, a mis au point une manière de surmonter ses difficultés à converser : il a fabriqué plusieurs marionnettes qu’il utilise dans des situations différentes et les a dotées de voix propres. Peut-être vise t-il à multiplier les rôles qu’il peut endosser ? Mais il s’agit surtout d’une manière de parler en s’absentant qui lui permet de se protéger contre le désir de l’Autre (il se met très violemment en colère si on l’interrompt). Les manières utilisées par le sujet autiste pour ne pas 5 Si on me touche, je n’existe plus de Donna Williams p23 Maleval ibid p173 7 Maleval ibid p159 8 Séminaire XI de Jacques Lacan p60 6 8 habiter sa parole sont diverses. La plus radicale est l’énonciation morte, enfouie dans le mutisme. Williams décrit plusieurs manières de gommer l’énonciation (voir p 13). Temple Grandin utilise une méthode plus complexe : l’énonciation technique. Toutes ces méthodes s’accompagnent d’une scission entre la jouissance vocale et le langage. ‐ Temple Grandin, professeur à l’Université de Colorado, s’est fixé sur les mécanismes des trappes à bétail et est devenue une spécialiste en la matière, reconnue dans le monde entier. ‐ Si nous reprenons l’exemple précédent, la trappe à bétail est un objet autistique complexe. Elle a en fait observé que les animaux étaient apeurés lorsqu’ils étaient enfermés dans une trappe à bétail et au contraire, étaient rassurés quand celle-ci se refermait lentement sur leurs flancs. Ce constat, elle l’avait aussi fait sur elle et a ainsi créé une « machine à bien-être ». Selon le DSM, l’autisme fait partie des Troubles Envahissants du Développement. La loi du 11 décembre 1996, en France, reprenant cette conception déficitaire dit que l’autisme est un handicap, confondant ainsi la structure psychopathologique et les désavantages sociaux qui s’ensuivent. Je ne souscris pas à cette idéologie reprenant plutôt à mon compte les propos de Jim Sinclair, lui-même autiste de haut niveau : « l’autisme est une manière d’être »9. 9 L’autisme n’est pas un appendice de Jim Sinclair 9 2) Quels liens existe-t-il entre musique et autisme ? a) Quelques exemples d’utilisation de la musique par des autistes Dans mes lectures, témoignages d’autistes, considérations théoriques, j’ai été particulièrement attentive à ce qui concernait le domaine musical. J’ai ainsi pu relever des caractéristiques propres aux autistes, illustrant l’un ou l’autre des trois types de défense ou de suppléance que l’on a rapportés plus haut (le double, l’îlot de compétence et l’objet autistique). Quand on regarde le devenir des enfants autistes d’une grande intelligence, on les retrouve souvent à des postes de mathématicien, météorologiste ou encore compositeur. En 1978, Rimland, psychologue américain, fait une enquête sur 5400 autistes : « 9,8% ont des capacités étonnantes liées à des aptitudes exceptionnelles mnémoniques ; certains sont des calculateurs prodiges, d’autres de remarquables dessinateurs ; ce qui domine ce sont les talents musicaux »10. Des autistes font remarquer qu’il est plus aisé pour eux de communiquer en chantonnant car cela gomme la présence et l’énonciation de l’Autre. ‐ Dibs, enfant autiste suivant une cure avec le Dr Axline, enregistre sa voix sur magnétophone et cela permet de libérer sa parole. Une autre autiste rapporte que jusqu’à l’âge de cinq ans, son monde « était plein de couleurs et de sons ». ‐ Les parents d’Elly (qui sont anglophones) ont constaté que « cette bizarre enfant, incapable d’assimiler le mot le plus simple, était capable de retenir un air et d’y rattacher une idée ». Une anecdote rapporte que ses parents ne comprenaient pas pourquoi Elly, âgée de quatre ans, chantait Alouette quand ils lui peignaient les cheveux. Ils ont compris que « alouette », en français, égalait « all wet », en anglais, signifiant « tout mouillé », alors qu’elle ne disait pas ce mot et n’avait pas l’air de le comprendre. ‐ Autre cas relevé cette fois-ci dans un film d’un bébé de deux mois et demi, diagnostiqué par la suite autiste. Marco, indifférent au monde qui 10 Autisme et psychose de l’enfant de F.Tustin, Paris, Seuil, 1977, p132 10 l’entoure, regarde soudainement sa mère quand celle-ci chante. Il lui répond en gazouillant. ‐ Dick, cas étudié par Mélanie Klein, psychanalyste britannique d’origine autrichienne, chef de file d’un mouvement psychanalytique qui a promu la psychanalyse des enfants, avait une somme de connaissances techniques assez considérable sur la musique, qu’il avait apprise d’un professeur de piano. Il était intarissable sur les transpositions. ‐ Edouard Séguin, psychiatre américain d’origine française, pionnier en matière d’éducation d’enfants dits attardés mentaux (parmi lesquels probablement des autistes non diagnostiqués à l’époque), rapporte que Tom, jeune aveugle de 13 ans, « aveugle et idiot en toutes choses » parvenait à jouer deux airs différents sur deux pianos différents, tout en chantant un troisième air. Il était aussi capable de jouer un morceau le dos tourné vers le piano et les mains à l’envers. ‐ Le langage de Catherine, une jeune autiste en thérapie avec Susan Reid, était habituellement laborieux. Mais quand elle se mettait à chanter sa voix était puissante et « vibrante d’émotions ». Les chansons qu’elle interprétait, toujours de manière inattendue, exprimaient ses attentes, ses espoirs mais faisaient passer aussi certains messages d’humour à sa thérapeute. ‐ Enfin, Derek Paravicini, autiste lui aussi, a développé ses obsessions pour la musique et pour son objet autistique, son orgue électrique. Cela lui a permis de construire son îlot de compétence et de se produire en concert, seul ou avec orchestre. Certains traits d’«autisme léger » seraient présents dans les personnalités de Mozart, Béla Bartók, ou encore Glenn Gould, selon Norm Ledgin, journaliste et écrivain américain. Dans son livre Ces autistes qui changent le monde, Ledgin relève des rapports à la musique chez des personnages célèbres qu’il soupçonne d’être autistes, comme Einstein qui a fait une « fixation » sur le violon ou Orson Welles qui était très doué pour la musique. 11 b) L’oreille absolue « Il est notable que les compétences les plus fréquentes des autistes savants soient développées dans le domaine musical. Beaucoup sont capables de prodiges mnémoniques dans la répétition de mélodies entendues. L’oreille absolue s’avère d’une fréquence remarquable chez ces sujets ».11 Avoir l’oreille absolue, c’est avoir la faculté de reconnaître et nommer la hauteur d’une note quand on l’entend, sans aucune référence. C’est aussi pouvoir reproduire cette note en la chantant extrêmement juste. Mais si la définition se cantonnait à cela, l’oreille absolue ne serait réservée qu’aux musiciens, car ils auraient appris, par l’éducation musicale, à nommer ce qu’ils entendent. Or, des personnes non-musiciennes peuvent avoir les mêmes capacités, excepté celle de donner un nom à ce qu’ils perçoivent. On peut postuler que cette qualité des autistes à posséder l’oreille absolue a quelques rapports avec leur propension à organiser leur monde de manière immuable et selon un code qui leur est propre. D’autre part, le don de l’oreille absolue s’accompagne souvent d’une mémoire auditive exceptionnelle. Or, les témoignages et les études portant sur des autistes relèvent souvent cette particularité : une mémoire prodigieuse. Certains d’entre eux sont capables de répéter avec exactitude une émission télévisée avec le ton, les injonctions et les différents rythmes qu’adopte le présentateur. Notons encore que la forte prévalence de l’oreille absolue dans la population ordinaire ne dépend pas des gênes mais bien de l’exposition -ce qui ne veut pas dire dans le cas de l’autiste, appropriation !- à la langue maternelle tonale, par exemple le mandarin ou le vietnamien. 11 Extraordinary People de D.A Treffert p33 12 c) Jouissance vocale Un des troubles majeurs diagnostiqués chez les autistes est leur rapport à la communication et au langage. « La voix du sujet autiste constitue un objet de jouissance. Par rapport aux trois autres objets pulsionnels, oral, anal et scopique, la voix possède le privilège d’être celui qui commande l’investissement du langage, cet « appareil (au sens de appareillage) de la jouissance » qui permet de structurer le monde des images et des sensations de l’infans »12. L’objet de jouissance est un objet qui outrepasse le plaisir. C’est une transgression de l’interdit qui abandonne le désir dans une dépendance à l’Autre (à commencer par l’Autre primordial, maternel). L’autiste se protège ainsi de sa voix (par le mutisme par exemple) mais aussi de celle des autres, de l’Autre (par l’évitement ou en se bouchant les oreilles par exemple). Pourtant, l’oreille des autistes n’est pas fermée à la voix et ils souffrent souvent de leur solitude. Alors un moyen de communiquer sans mettre en jeu la jouissance vocale pourrait être la musique. Donna Williams, artiste et auteur australien de best-seller, diagnostiquée autiste, décrit cinq manières pour un autiste de parler sans le mettre en danger : ‐ parler pour ne rien dire ‐ parler pour ne pas être compris ‐ parler sans s’adresser à l’interlocuteur ‐ chanter n’est pas parler (chanter ne convient pas à la communication sérieuse, la présence énonciative s’en trouve allégée) ‐ ne dire que des choses sans importance A la question « pourquoi les autistes ont-ils un attrait pour la musique ? », une première réponse pourrait être que la musique efface la voix en gommant l’énonciation, le « je » du dire. 12 L’autiste et sa voix de J-C Maleval p78 13 d) La musique a-t-elle un sens ? On a souvent pensé que certains autistes sont sourds car ils ne réagissent pas quand on leur parle. C’est qu’ils sont sourds au sens. Privés du sens du son par incompétence ou par choix délibéré- ils ne comprennent pas ou refusent que les mots servent à communiquer. Les autistes refusent ou ne peuvent pas supporter la signification du message, ce qui témoigne du désir de l’autre à leur égard. Mais ils sont par contre sensibles aux sonorités. La preuve en est leur intérêt pour la musique et les chansons. Ils font donc une différence entre le sens du message et la mélodie de celui-ci. D’ailleurs, les autistes, quand ils s’expriment, parlent souvent d’une manière mécanique dissociant ainsi la part musicale de la langue, du sens. C’est en utilisant la puissance musicale des mots que les proches de Marco (cité p 10) rentraient en contact avec lui. A noter les observations de linguistes sur l’articulation du prélangage d’un bébé et du linguistique (l’Autre, trésor des signifiants). Un enfant autiste est filmé en présence de sa mère. Contrairement à un enfant banal, l’enfant du film ne parvient pas à associer son pointage (désigner un objet du doigt pour attirer l’attention de son interlocuteur) avec un jasis intoné. Cet enfant ne semble pas disposer des mots classiques d’enfant de deux ans tels que des onomatopées et des mots à référence variable, comme « ça », « là », « baboum », « bravo », « a pu », « encore ». Ce qui caractérise ce genre de mots c’est de ne pas être attaché à un référent ni à une situation figée mais au contraire qualifier un mélange d’affect et d’intentionnalité. L’enfant autiste n’organise pas son langage de façon telle que le codage de l’affect prenne le pas sur les caractéristiques objectives de l’objet ou de la situation. Du côté de la mère, on note une intonation particulière. D’un point de vue linguistique, l’intonation résulte de l’articulation de quatre paramètres dont on peut facilement voir la correspondance avec le langage musical : hauteur du fondamental de la voix, durée des syllabes, intensité et pause silencieuse. D’ordinaire, dans le langage que l’on adresse à un enfant, on observe une certaine stylisation de l’intonation : les variations du fondamental de la voix sont exagérées ainsi que la longueur des syllabes, notamment à la fin des énoncés exclamatifs. 14 La voix de la mère précitée ne correspond pas à ces caractéristiques. Elle est peu modulée. Surtout la fin des énoncés est particulière : l’intonation y est régulièrement montante, comme s’il y avait un doute et que la mère interrogeait son enfant sur les interprétations qu’elle fait de ses gestes, comme si elle pressentait que quelque chose n’allait pas, qu’elle avait une inquiétude. Par ailleurs, l’articulation de la parole de la mère à celle de son enfant est originale. Comme une mère « banale », cette mère commente les émissions sonores de son enfant mais elle ne commence jamais par reprendre ses essais linguistiques à lui. Il est alors plus difficile à l’enfant d’identifier ce qui, dans son propre discours, constitue la cible du commentaire maternel. D’autres faits similaires ont été constatés chez des bébés en utilisant le « parler-bébé ». Il s’agit d’exagérer la prosodie en valorisant la structure phonétique et rythmique des mots. Alors qu’une mère essayait de rentrer en contact avec son fils (diagnostiqué autiste plus tard) de manière normale (« regarde-moi ! »), ce dernier détournait le regard. Quand son oncle utilisait le « parler-bébé », l’enfant souriait et se mettait à vocaliser avec lui. Les similitudes entre les traits expressifs de la voix et ceux de la musique ont donc été soulignées après qu’on a observé des correspondances entre les intervalles de hauteurs séparant les formants acoustiques de la parole et les intervalles musicaux. Cela a renforcé l’idée que la musique puiserait certains de ses traits expressifs dans la voix et donne des pistes pour, par contournement musical, « réconcilier » l’autiste avec la parole de l’Autre. e) Langage et musique Sans nous attarder à une parenté structurelle de deux types d’expressions humaines, le langage comme fondé sur opposition minimum de deux phonèmes, développée par la sémantique et la syntaxe, et la musique comme opposition de sons, de hauteurs discrètes et de durées variables, structurés en invariants (gammes, nombre réduit de notes, répétition au travers des octaves), on a rappelé plus haut l’étrange cousinage entre la prosodie de la langue maternelle (à l’origine dénuée de sens pour l’infans, qui la préfère chantée que parlée) et la 15 ritournelle et la comptine, apaisante et sécurisante avec ses caractéristiques : contours mélodiques simples, utilisations de répétitions, variété limitée de hauteurs. Bien que l’extrapolation de la neuro-imagerie à la fonction cognitive doivent être maniées avec beaucoup de précautions, notons que cette parenté aurait encore une preuve supplémentaire avec la découvert récente13 (2002) que les circuits cérébraux qui traitent la musique sont en partie les mêmes que ceux qui traitent la parole. Ce qui réforme la conception admise du siècle précédent d’un cerveau gauche dévolu au langage et d’un cerveau droit musical…et émotionnel. Ces derniers constats ne font que renforcer le doute sur l’existence supposée chez l’autiste d’un défaut anatomique du planum temporale, structure dévolue au langage, expliquant ainsi son retard ou son incapacité à entrer dans le langage, alors même que cet autiste serait si sensible ou si doué pour la musique. Notons encore que la musique renforce la mémoire et la coordination motrice, améliore la récupération de la parole chez les personnes victimes d’accident vasculaire cérébral. Parmi tous les effets de la musique, le principal n’est-il pas la capacité de renforcer les liens entre les hommes ? Par de multiples aspects, la musique et le langage semblent être des images miroirs. Chacun joue un rôle dans le développement de l’autre, dans la façon dont nous communiquons et percevons les sons, dans notre compréhension de la langue et dans le fonctionnement de notre cerveau. Les caractéristiques musicales du langage sont essentielles pour le développement du langage chez l’enfant et pour renforcer les liens entre le nourrisson et sa mère. Inversement, la langue maternelle influe sur la façon dont on perçoit une mélodie. On voit bien par quel détour musical un autiste pourrait se réconcilier avec le langage dont il a été banni ou qu’il a refusé. On voit aussi l’intérêt pour tout à chacun d’une écoute et d’une pratique musicale. 13 Le cerveau mélomane p65 16 La musique peut être parfois traduite comme un langage codé fait de signes. « L’autiste s’intéresse volontiers aux signes écrits ou dessinés, parce que ce sont des objets rassurants qui permettent une certaine sortie de la solitude sans s’affronter à la présence de l’Autre ».14 Les notes de musique ont donc cet attrait pour certains autistes. Elles permettent une mise en ordre sonore qui est directement en prise sur la jouissance vocale et un moyen d’expression. Or, la musique est a priori dépourvue de sens, n’a pas de signification comparable au langage parlé. Comment peut-elle alors provoquer des émotions ? Comment les autistes, qui se tiennent à l’écart de toute manifestation émotionnelle, se saisissent de cette discipline artistique ? f) Musique et émotions « La musique est la langue des émotions ».15 « La musique dans son essence est impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de la nature, etc. L’expression n’a jamais été la propriété immanente de la musique ».16 La musique est présentée comme une compétence cognitive largement partagée entre les civilisations et au sein des groupes sociaux. Cette compétence universelle reposerait sur les effets émotionnels de la musique et le lien social privilégié qu’elle constitue. Par exemple, la joie s’exprime plus souvent dans un tempo rapide et avec une large variété de hauteurs. On a montré en imagerie médicale que les émotions ressenties à l’écoute musicale activent les structures participant physiologiquement aux émotions tels que l’amygdale cérébrale et le cortex orbito-frontal17. La musique déclenche un état psychologique et physiologique que n’entraînent pas les sons non musicaux. On reconnaît qu’une musique est triste ou gaie aussi vite qu’on identifie un danger. Toutes les émotions musicales seraient constituées à des degrés divers de quatre émotions fondamentales : la colère, la sérénité, le désespoir et la gaieté. Emotions 14 Ibid. p188 Emmanuel Kant 16 Igor Stravinski 17 Le Cerveau mélomane p15 15 17 provoquées par des paramètres musicaux différents : le mode, le tempo, les hauteurs et les timbres, l’intensité des sons, des harmonies dissonantes ou non…18. Les œuvres musicales ont une structure expressive suffisamment puissante pour imposer des états émotionnels communs à un grand nombre d’auditeurs. La musique peut mettre à l’unisson émotionnel une foule entière. D’où sa force de cohésion sociale essentielle dans la plupart des cultures du monde. Autre étude qui nous intéresse : la musique favoriserait l’intelligence émotionnelle de chaque sujet. Ainsi, les enfants qui écoutent de la musique ont de meilleures performances aux tests d’empathie. Les performances dans les tests d’empathie reflètent la capacité à produire et à reconnaître l’expression liée aux contours prosodiques, c’est-à-dire à percevoir si un extrait est triste, gai, ou encore dynamique. La musique ne transmet pas de message codé signifiant mais est vecteur d’émotions. Elle permet aussi de stimuler les zones neuronales en charge de ces messages émotionnels et serait donc un moyen pour les autistes de développer leurs capacités à ressentir une émotion, à l’interpréter de la bonne manière et ainsi de partager avec autrui. On comprend mieux alors pourquoi des autistes se tournent, consciemment ou non, vers cette discipline pour suppléer ce qui leur fait défaut. La musique leur permet de dépasser leur peur de l’énonciation : ils n’ont pas l’impression d’être engagés de la même façon lorsqu’ils chantent ou lorsqu’ils parlent par exemple. Cela gomme le rapport à l’autre et rend plus facile l’échange. De plus, la musique n’étant pas faite de mots, elle transmet tout de même un message, qui est facilement recevable, comme nous venons de le montrer. Elle permet de contourner leur incapacité à exprimer des émotions : un message trop direct les rend sourds mais quand il est entremêlé dans une mélodie, ils sont plus réceptifs. 18 Le Cerveau mélomane p23 18 Par ces considérations, on pense avoir montré comment un autiste encombré de ses émotions peut apprendre à les discipliner. Ou bien encore incapable de les reconnaître et de les nommer peut apprendre à les rapprocher des mots du langage commun. Ou bien encore par ce vecteur ou cet inducteur des émotions qu’est la musique se rapprocher et s’intégrer à une communauté humaine plus large. 3) Atelier chant à l’association « l’Autre regard » : comment réagit la personne autiste J’ai fait la connaissance de Maryline Bruneteau, qui encadre un atelier de chant dans une association à Rennes. Cette association accueille des personnes « éprouvant ou ayant éprouvé des difficultés psychologiques ». Elle propose différents ateliers autour de l’expression et de la créativité : théâtre, écriture, dessin, peinture, pratique instrumentale et chant choral. J’ai assisté et participé trois fois, jusqu’à aujourd’hui, à cet atelier de chant choral qui compte parmi ses nombreux acteurs (environ une vingtaine) un jeune homme autiste. Personne ne connaît la raison de ma présence mais j’ai réussi rapidement à m’intégrer au groupe malgré mon assiduité épisodique. La personne autiste, que l’on nommera Paul, est un personnage important de ce groupe mais quelque peu marginal et original. Il arrive à la séance quand il le souhaite, souvent en retard, une fois que l’échauffement des voix est fait. Il a un rôle particulier. M. Bruneteau, ayant découvert ses aptitudes pour la musique, le sollicite pour « faire une deuxième voix ». Parfois, il accompagne le groupe au piano électronique. Autre chose notable, sa voix parlée habituelle est perchée dans les aigus. La première fois que je suis venue, Paul n’avait pas son piano. Il essayait sans cesse de trouver d’autres mélodies en forme de contrechant qui pouvaient convenir à ce qui était chanté, à la tierce, à la quinte…mais sans que cela soit nommé tel quel ni par Paul ni par M. Bruneteau. Paul avait parfois des réactions déroutantes ou excessives par rapport à des paroles de chanson qu’il interprétait au premier degré alors que personne d’autre ne semblait y prêter attention ni n’y 19 réagissait avec cette acuité. Ainsi, il s’attrista profondément à l’évocation des paroles de la chanson de Salvatore Adamo, « Inch Allah » : « sa tendre épouse, son amie qui repose sous les décombres…les femmes tombent sous l’orage…Requiem pour des millions d’âmes » C’est cette distanciation qui manque aux autistes qui ne comprennent pas l’ironie par exemple. Une dernière chose que j’ai remarquée lors de ce premier atelier, c’est l’aisance de Paul à s’adapter aux changements de tonalités. Les chanteurs du groupe apprennent le morceau sans partition et la première note donnée par le chef de chœur peut varier souvent. Cela ne dérange personne, sauf Paul qui le fait remarquer mais qui adapte immédiatement ses deuxièmes voix au changement. Il lui arrive parfois d’interrompre le chant car sa fausseté le gêne trop. La deuxième fois que je suis venue, j’ai pris mon violon avec moi, car Paul avait remarqué que j’étais instrumentiste. Je lui avais dit que je viendrais avec mon violon et que je serais contente qu’il vînt avec son piano. Ce qu’il a fait. Cette fois-ci il a essentiellement accompagné au piano ce qui était chanté. Paul n’a jamais bénéficié de cours et il a appris en autodidacte. Ses parents lui ont offert un piano quand il avait six ans et demi. J’ai découvert qu’il ne lisait pas la musique car j’avais demandé les partitions des chants pour que je puisse jouer avec le groupe. Les partitions que j’avais posées sur son pupitre n’intéressaient pas Paul. Je m’en suis rendue compte car il m’a demandé de lui jouer un passage qu’il n’arrivait pas à exécuter. Il l’a répété d’oreille après moi. Ce qui est fascinant, c’est qu’il est capable de transposer ses accompagnements à mesure pour s’adapter aux fluctuations de tonalités des chanteurs. Ses accompagnements sont assez riches et surtout variés. Le fait que j’aie mon violon m’a permis de me rapprocher de lui et de lui poser quelques questions. Une petite anecdote : il a embrassé mon violon plusieurs fois en lui donnant un nom (Saint François…) comme si c’était une relique sainte ou quelque double bienveillant. Au troisième rendez-vous, je suis revenue avec mon violon mais les rôles se sont inversés car je n’avais pas les partitions des nouveaux chants que le groupe travaillait. Ne les connaissant pas, j’étais un peu perdue. C’est donc Paul qui m’a aidée dans cet apprentissage. Je ne faisais que quelques notes de temps en temps ce qui l’a fait beaucoup rire. J’ai compris aussi que depuis notre dernière rencontre, il venait régulièrement avec son piano et avait donc ce rôle attitré 20 d’accompagnateur. Ce qui signale un changement significatif de sa position de prétendu handicapé puisque c’est lui qui est devenu aidant et qui étaye le groupe. J’ai eu encore plusieurs échanges avec M.Bruneteau qui m’ont permis d’en savoir plus sur Paul et ses comportements. J’ai ainsi appris qu’il était effrayé par tout ce qui fait du bruit et qu’il avait peur d’être aspiré. Observation assez fréquente à propos d’autistes qui ont peur des aspirateurs car cela fait beaucoup de bruit mais aussi parce qu’ils craignent d’être aspirés par des orifices (comme aussi par des évacuations d’eau, des bouches d’égouts, des gaines de ventilation). L’atelier chant se produit de temps en temps en concert avec d’autres chorales. Pour préparer ces spectacles, un professeur de chant (une femme) qui dirige une chorale à Rennes vient faire travailler le groupe. Paul réagit très mal à sa présence car il trouve qu’elle chante « trop » fort, que c’est « trop puissant, terrible ». Il ne supporte donc pas des volumes trop élevés mais je suppose aussi, même s’il n’a pas exprimé clairement que cette chanteuse l’effraie. Le trou grand ouvert de sa bouche d’où sort cette voix si forte n’est pas soutenable pour Paul. 4) Réinvestissement pédagogique: Déjà sensible au fonctionnement de chacun, je suis attentive à respecter les particularités de chaque élève. Nous ne pouvons pas, en tant que pédagogue, appliquer une même méthode à tous nos élèves. Chacun réagit à sa façon et n’a pas les mêmes besoins et attentes. Le cas de l’autisme m’a amené à réfléchir encore plus en profondeur aux spécificités qui font que chaque personne est un être unique. Je n’ai pas abordé le sujet de l’autisme, tant du point de vue théorique général, toujours très controversé, que du point de vue des témoignages des sujets autistes, en relation avec la musique et singulièrement avec la voix, pour me « spécialiser » dans l’accueil d’autistes dans ma classe. Je serai bien sûr plus armée si le cas se présente car mon devoir est d’accepter toute personne souhaitant apprendre le violon sans faire de discrimination. Malheureusement, nous sommes peu préparés à cette éventualité et nos premières réactions peuvent être négatives : appréhension, peur, méfiance… 21 Au-delà de la possibilité d’accueillir un ou des autistes dans ma classe de violon, je souhaite repenser ma pédagogie en ne faisant pas de l’autisme un cas exceptionnel, exorbitant et frappé du défaut de la pathologie. Au contraire en m’appuyant sur ses caractéristiques qui semblent transposables à beaucoup de sujets dits ordinaires (ceux-ci ne s’arrêtent pas aux étapes qui mettent en échec l’autiste dans sa relation à l’autre) dans les prémices de l’oralisation et de l’appropriation de la musique, je désire m’inspirer des stratégies des autistes telles que je les ai soulignées dans mon étude pour réfléchir à mon positionnement face à mes élèves et à ma manière d’interagir avec chacun et en fonction de chacun. Reprenons les critères essentiels pour porter un diagnostic d’autisme chez un enfant: ‐ Déficience qualitative de l’interaction sociale. ‐ Déficience qualitative de la communication verbale et non verbale, et de l’imagination. ‐ Répertoire nettement restreint d’activités et de centres d’intérêts. Ces trois points sont spécifiques à l’autisme mais ne sont-ils pas en jeu et développés lors d’un apprentissage artistique comme la musique ? a) Interaction sociale L’interaction sociale fait souvent défaut chez les personnes autistes. Ils la fuient car cela les effraie dans la mesure où les rencontres ne sont jamais reproductibles identiques les unes aux autres, prévisibles, alors que les autistes apprécient la répétition exacte et l’immuabilité. De plus, ils ont des difficultés à décoder les comportements des autres. Ils ne savent pas transposer une situation et un mode de fonctionnement approprié à une autre situation similaire. La théorie sociohistorique de Vygotsky, psychologue russe, place l’interaction sociale en condition constituante de l’apprentissage et du développement cognitif19. 19 Mind in society: The development of higher psychological processes de L.S.Vygotsky, 1978. 22 Les interactions créent une relation, un contact réciproque entre deux personnes. Ces interactions peuvent être verbales ou non verbales : geste, regard, attitude… L’interaction sociale est une des principales composantes de nos situations pédagogiques, que nous soyons en cours individuel (avec un élève) ou en cours collectif. Le cours est le lieu où l’on s’adapte l’un à l’autre, où l’on participe et coopère. Mais cette interaction n’est pas toujours évidente et positive. On peut parfois rencontrer des situations où il y a une certaine compétition voire même rivalité ou conflit. Dans les cas les plus extrêmes comme dans l’autisme, cette interaction non choisie ou contrôlée par le sujet peut provoquer angoisse et repli. Cette notion m’a particulièrement interpellée lors d’une situation que j’ai vécue il y a peu de temps. J’ai eu de nouveaux élèves violonistes en cours d’année car un professeur a quitté la structure où je travaille. Cette situation n’est pas évidente pour les élèves qui ne s’attendaient pas à changer de professeur. Il leur faut alors un temps d’adaptation, pour connaître ce nouveau professeur, qui est plus ou moins long selon les élèves. J’ai remarqué ainsi de grandes différences dans l’interaction avec les élèves que j’ai depuis quelques années ou même depuis le début de l’année, avec ceux que je viens de connaître. Cela est lié au fait que nos réactions ne sont pas les mêmes quand nous sommes habitués à une personne et à ses modes de fonctionnement. Ces nouveaux élèves ont, pour la plupart, montré une certaine retenue et timidité, qui s’effacent au fur et à mesure. L’interaction sociale est donc une relation interhumaine à gérer à tous instants en prenant en compte les personnes qui la composent et les attitudes de chacun. b) Communication et imagination Comme nous l’avons développé dans le paragraphe consacré à la jouissance vocale, la communication verbale et non verbale constitue pour les autistes un autre obstacle qu’il leur est difficile de dépasser. 23 La communication implique deux temps : l’établissement d’un contact entre deux sujets ; la transmission de l’un à l’autre d’une information. Cette transmission d’informations n’est encore qu’une partie du processus de communication. Le message n’est pas simplement transmis par un langage codé. Il s’accompagne très souvent d’éléments plus ou moins conscients comme le ton de la voix, la rapidité des paroles émises, les émotions qui transparaissent… L’outil de la communication est à la base de l’échange pédagogique. Il est à manier avec précaution car il en dit souvent plus que l’on croit. Je suis attentive à ce que la communication laisse une place importante à l’élève. Si le professeur est le seul à parler, l’élève sera sûrement dans une situation passive. De plus, je demande souvent à l’élève de reformuler une notion que je viens d’évoquer. De cette manière, en s’exprimant avec ses mots, l’élève se l’approprie plus vite. L’imagination est aussi différente chez les autistes. Cela est lié au fait qu’ils ont des difficultés à penser de manière abstraite. L’imagination est la faculté que possède l’esprit pour se représenter des images. Temple Grandin, dans son livre Penser en images, décrit de quelle manière elle a d’abord imaginé sa trappe à bétail avant de la réaliser concrètement. Son imaginaire lui a aussi permis d’appréhender des notions abstraites comme la religion. Elle s’est servie d’images mentales pour se représenter Dieu et a fait des parallèles avec des situations concrètes et ses représentations religieuses (la trappe à bétail représentait « l’escalier du paradis » parce qu’il constituait « l’entrée des cieux pour le bétail »). L’imagination est aussi essentielle dans la pratique d’une discipline artistique. Je fais d’ailleurs souvent appel à des images pour rendre plus compréhensible des notions techniques qui sont perçues comme abstraites. C’est surtout le cas avec les jeunes élèves. Ils n’ont pas forcément encore bien conscience de leur corps ; convoquer une image plus parlante a souvent un très bon effet sur une prise de conscience. Par exemple, pour qu’un enfant comprenne comment disposer sa main sur l’archet, je lui demande d’imaginer une pomme dans sa main, de former une tête de lapin avec ses doigts… 24 c) Développement des activités et centre d’intérêts Les autistes ont tendance à s’enfermer dans une activité et à la répéter à l’infini. Mais cette rythmicité qu’ils protègent au début doit pouvoir se diversifier et s‘enrichir progressivement par touches successives, ce qui leur permet quelquefois, en particulier pour les autistes de haut niveau de se spécialiser dans une discipline et d’ainsi développer des compétences qui vont leur servir à s’intégrer socialement avec une reconnaissance du groupe. En général, dans une école de musique, l’apprentissage de la musique ne se réduit pas seulement à un cours d’instrument avec un professeur. Certains élèves se satisfont de ce schéma répétitif et circonscrit et ne voient pas, a priori, l’intérêt de s’ouvrir à d’autres pratiques. Il est donc de mon devoir d’expliquer et de rendre visible le lien qui s’établit avec d’autres disciplines musicales et artistiques. Il est proposé à l’élève d’école de musique, de suivre un apprentissage où le cours d’instrument s’accompagne au minimum de Formation Musicale et de pratique collective. Quand l’école l’offre, je trouve intéressant de varier la pratique collective au fil des années, en suivant des cours d’orchestre, de musique de chambre, de musique traditionnelle, de jazz, de chorale…. Cela permet à l’élève de s’ouvrir à des styles de musiques différents et d’expérimenter des formations instrumentales nouvelles. Cette ouverture peut se faire encore en les encourageant à s’intéresser à la vie artistique de l’école de musique et plus largement à celle de leur ville. Aller au concert, écouter une conférence, découvrir de nouvelles pratiques, élargit leur champ de connaissances et leur donne le goût de s’éveiller à de nouvelles activités et ainsi de découvrir de nouveaux centres d’intérêts tout au long de leur vie. 25 Conclusion : Un des premiers enjeux liés au sujet que j’ai abordé était tout d’abord de mieux comprendre cette particularité du comportement et des affects qui touche environ une personne sur 16620, connaître et apprécier plus en détails le fonctionnement de ce trouble ou maladie qu’est l’autisme. Il s’agissait ensuite de savoir si la musique et la pratique de cette discipline pouvait permettre à des personnes autistes de s’intégrer socialement. Si oui, de quelle manière cela était-il possible ? J’ai ainsi voulu montrer que la musique permettait aux sujets autistes de dépasser leurs peurs et leurs empêchements. Je me suis concentrée sur deux points qui entravent leur progression : le langage et les émotions. Ces deux notions que la musique rappelle et engage ne provoquent pas cependant l’opposition des autistes lorsqu’elles sont convoquées, mises en œuvre dans la musique. Bien au contraire, la musique sert à l’autiste pour sortir de son retrait. J’ai alors cherché quel était le pouvoir de la musique ? La musique ne guérit pas car il n’est pas question de guérison dans le cas de l’autisme mais elle a d’autres vertus. Elle permet de faciliter la communication en gommant la présence et l’énonciation de l’Autre (dans le cas du chant) et transmet un message non signifiant mais porteur d’émotions. Quand ce message est parlé, il est trop direct pour la personne autiste, mais par contre lorsqu’il est véhiculé par la musique elle le reçoit. L’autiste accède ainsi à un élément qu’il refuse dans d’autres situations et enrichit de cette manière son état émotionnel. Ma participation à l’atelier de chant à l’Autre Regard m’a permis de vivre concrètement la rencontre entre la musique et un autiste et ainsi de me rendre compte de l’intérêt d’une pratique musicale. Ce jeune homme, Paul, a une place importante dans le groupe et en est même un élément moteur. C’est grâce au chant et au piano qu’il impose sa présence et qu’il affirme sa particularité. 20 Les études faites sur le nombre de cas d’autisme ont des résultats très différents. Le chiffre donné découle d’une proportion faite par rapport à des résultats américains. Cela donnerait 400000 personnes autistes en France. 26 Enfin, en approfondissant le sujet de l’autisme, j’ai pris conscience de certains phénomènes qui ne sont pas propres qu’à cette particularité. Les notions d’interaction sociale, de communication et d’imagination, et de développement des activités et des centres d’intérêts sont des enjeux primordiaux de la pédagogie. Cela m’a permis de faire des parallèles avec ma pratique de pédagogue et d’être encore plus attentive à ma relation à l’autre. 27 Annexe : Diagnostic and Statistical Manual 28 29 (suite) 30 Bibliographie : ALVAREZ, Diane, et REID, Susan, Autisme et personnalité, Les recherches de l’Atelier sur l’Autisme de la Tavistock Clinic, éd. Du Hublot, octobre 2001. Dr AXILINE, Dibs, éd. Champs Flammarion, Paris, 1967. BONNAT, Jean-Louis, Autisme et psychose, Machine autistique et délire machinique, éd. PUF, 2008. BOUBLI, Myriam, Corps, psyché et langage chez le bébé et l’enfant autiste, éd. Dunod, Paris, 2009. DEHAENE, Stanislas, et PETIT, Christine, Parole et musique, aux origines du dialogue humain, colloque annuel 2008, éd. Odile Jacob, Paris, octobre 2009. DSM IV, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, éd. Masson, Paris, 1996. L’ESSENTIEL, Magazine Cerveau&Psycho, Le cerveau mélomane, Novembre 2010-Janvier 2011. FRITH, Uta, L’énigme de l’autisme, éd. 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