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Philippe Caubère
Dans
l’arène
avec
Mardi,
20h30.
Entrée par
le tunnel
qu’emprun-
tent les tore-
ros. Déjà la
sensation
d’un lieu par-
ticulier. Caubère arrive, prend ses marques,
avec l’équipe technique. Souriant mais concen-
tré, plus préoccupé par la météo que par les
anti-corrida ( qui l’ont obligé à annuler une pré-
cédente représentation ). Véronique Coquet, sa
compagne et productrice, le materne, craignant
qu’il ne prenne froid - « Mais tu me fais passer
pour qui ? ».
Premier contact, simple et concret, agenda à la
main. On comprend vite le rythme : repas en milieu
d’après-midi, travail en début de nuit, et champagne
obligatoire pour terminer. Moi qui suis plutôt du
matin et supporte mal l’alcool…
A la fin du repérage, dans un resto, Caubère offre ses
cadeaux de « fin de tournée d’arène ». Le respect
mutuel, derrière les blagues de potaches, semble préva-
loir. Bizarrement, je ne suis pas impressionné par cet
acteur que j’admire. Sa simplicité.
Mercredi, 16h30. Arrivée chez lui, à la Fare-les-Oliviers, à
l'ouest de Marseille. Un ancien pavillon de chasse qui
appartenait à ses grands-parents, au milieu des pins, domi-
nant l’étang de Berre, où les chats sont chez eux. Dans le
séjour, quelques spots au plafond signalent que là aussi, il travaille. On
va sur « le plateau », un bassin qu’il a aménagé pour répéter en plein air.
Sa maison d’enfance, décrit dans ses spectacles et Les carnets d’un
jeune homme, j’y suis ! Il y a même la batte de base-ball promise aux
anti-corrida ( lire entretien ) !
19h30 :Retour à Arles. Interview pour France 5. Le seul journaliste que je
croiserai. Naïvement, je pensais que la polémique avec les anti-corrida en atti-
rerait plus. Tant mieux, on ne l’a que pour nous. Des ennuis techniques retar-
dent le filage ( répétition générale ). J’imaginais un Caubère colérique quand la
technique ne suit pas, il reste finalement assez zen… Ce ne sera pas toujours le
cas. « Soupe au lait » me résumera quelqu’un de l’équipe.
Les feux du spectacle sont simplement grandioses : les gradins sont couverts de
photophores qui s’illuminent un à un... et l’impression surréaliste d’être là, à
minuit passé, seul dans l’arène avec lui, qui ne joue que
pour moi.
1h30 du mat’ :Entretien en bonne et due forme avec lui
- mon toro à moi ? - que j’« affronte » en journaliste que
je ne suis pas. Puis on se retrouve chez Hervé. La dis-
cussion dérape sur le sexe. Caubère charrie à nou-
veau sa compagne, qui a l’air d’en avoir pris son
parti. Je croyais rencontrer un acteur au rythme de
vie d’un sportif, imprégné de son personnage, ne
le quittant pas. Je trouve un homme attachant,
simple et grivois.
Jeudi 11, jour J : Problème : des installations pour la
féria ont été montées dans l’arène. Manifestement,
dans le petit milieu tauromachique, tout le monde
n’apprécie pas ce spectacle. Caubère a piqué une
colère, menaçant de ne pas jouer si tout ne rentrait
pas dans l’ordre - « j’ai du faire monter la
pression ». Dommage, j’ai raté ça.
20h30 : le public entre dans l’arène, s’installe
dans les gradins et sur les tapis à même la piste.
Pas d’anti-corrida : est-ce « le léger dispositif »
mis en place qui fait son effet ?
21h15 :Caubère entre ; la piste s’embrase. Le
silence, inhabituel en ces lieux. Plus de 1000
personnes et ces flammes qui cernent désor-
mais l’acteur. Un homme pleure la mort de
son frère, que la passion a couvert de gloire
avant de le détruire. L’émotion est
palpable : « Arles, dimanche 9 sep-
tembre 1989, dernière corrida de la
féria des Prémices du riz (…) Dans
quelques minutes va sortir en piste un grand toro
gris. Il me fait déjà peur, mais je ne sais pas enco-
re qu’il est celui que je redoute depuis toujours,
celui qui va briser mon frère, et transformer le
rêve en cauchemar ». Ici même, 14 ans plus tôt, le
taureau Panolero encornait Nimeno II.
A la fin du spectacle, Caubère est resté sur la
piste, disponible. Il nous salue une dernière fois.
On le laisse dans « ses » arènes. Demain, la
féria de septembre y reprendra ses droits.
Je n’aime pas la cor-
rida, je ne connais à
peu près rien au
théâtre, mais j’aime
le travail de
Philippe Caubère, qui
depuis plus de 20
ans joue sa vie, seul
sur scène, avec exu-
bérance et autodéri-
sion.
Alors, lorsqu’il a
accepté que je le
suive ( avec Hervé, un
ami photographe )
lors des préparatifs
de la dernière repré-
sentation de
« Recouvre-le de
lumière » dans des
arènes, je ne pouvais
plus reculer. Rendez-
vous pris à Arles le
mardi 9 septembre,
deux jours avant son
spectacle, l’hommage
d’un homme à son
frère, Niméno II.
par Marc Trigueros
Photos hervé Hote
Caubère
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