Document n° 2. Prélot, M., Boulouis, J., Institutions politiques et
droit constitutionnel, Dalloz, 1990, pp. 28-37 (extraits).
« […] Dans le langage courant, on parle de la ‘constitution’ d’un être humain ou de celle de
la matière. Si nous transposons cette notion dans le domaine des sciences sociales, nous
constaterons aisément que chaque groupe, à partir du moment où il se différencie,
possède une organisation déterminée, c’est-à-dire une certaine constitution. Celle-ci est
embryonnaire ou plus ou moins développée, mais partout elle existe. Restreindre à la
seule société politique cette notion de constitution, c’est jeter les esprits dans une
première incertitude, sinon dans une première erreur. Il y a du droit constitutionnel en deçà
et au-delà de l’Etat.
En deçà de l’Etat, il existe une constitution de la famille. L’expression est courante chez
les sociologues. Elle doit sa vogue à Le Play, mais l’idée est beaucoup plus ancienne ; elle
se trouve déjà chez Bodin. Malgré la résistance de beaucoup de juristes, dominés par les
traditions individualistes du code napoléonien, sa notion n’a pas cessé de s’imposer à
l’esprit. Il en va de même pour les sociétés commerciales, notamment pour les sociétés
anonymes. Sur ce point, les spécialistes eux-mêmes ont souligné les analogies. Par
exemple, Thaller a comparé à plusieurs reprises l’assemblée générale des sociétés
anonymes au pouvoir délibérant dans le droit constitutionnel politique ; de même, Bourcart
a insisté sur la correspondance profonde entre les différentes structures des sociétés
commerciales et les diverses constitutions des Etats. Dans le droit du travail, on constate
pareillement qu’il n’existe pas seulement, entre l’entreprise et ses membres, le lien d’un
droit contractuel, mais les obligations d’un droit constitutionnel.
Au-delà de l’Etat, l’Eglise catholique et d’autres sociétés religieuses possèdent un droit
constitutionnel dont la mise en relief est plus aisée encore. Les beaux travaux de Léo
Moulin ont montré l’influence exercée jadis par les constitutions des ordres religieux sur
les constitutions politiques. Le déroulement de Vatican II a montré le concile réinventant
peu à peu les règles de la procédure parlementaire qu’il avait d’abord cru pouvoir
dédaigner. La communauté universelle du droit des gens elle-même repose, ainsi que les
collectivités internationales plus étroitement intégrées, sur un ensemble de règles
constitutives essentielles. Georges Scelle s’est particulièrement attaché à mettre en
lumière l’existence et les caractères de ce droit constitutionnel international.
Ainsi, chaque discipline juridique connaît-elle un droit ‘constitutionnel’, produit de la
fonction organisatrice du milieu qu’elle a vocation à régir et qui se distingue d’un droit
‘relationnel’ correspondant à la fonction régulatrice des relations qui se développent dans
ce milieu ainsi organisé […]. A s’en tenir toujours à la logique des termes, le droit public
constitutionnel couvre un très vaste domaine. Il englobe l’ensemble des règles qui fondent
l’Etat dans son existence, en déterminent les formes, lui procurent ses structures et son
organisation. Or, un Etat n’est pas constitué lorsque le statut de l’autorité politique y est
seul fixé. Il ne le devient qu’à partir du moment où, par le statut des nationaux, est
circonscrite la collectivité humaine dont il est l’expression, déterminée l’organisation
administrative, établie la justice.
Cette extension du droit constitutionnel à toute la contexture de l’Etat n’est pas, comme on
l’a objecté, une vue de l’esprit ou une simple opinion. Elle correspond au contraire à une
réalité sociologique que confirme le droit positif. Sociologiquement, il existe, en effet, des
affinités étroites, des correspondances fondamentales, une solidarité institutionnelle
inévitable entre la détermination de la collectivité nationale, l’organisation politique, les
structures administratives, le statut de la justice […]. Cette conception large du droit public
constitutionnel est confirmée par le droit positif tel qu’il résulte du texte des constitutions
elles-mêmes […].
De nature contingente, la conception qui résulte […] pour le droit constitutionnel de sa