spintronique COURANT DE SPIN DANS LE GERMANIUM Contact : Matthieu Jamet - SP2M - [email protected] Créer un courant électrique polarisé en spin dans un semiconducteur, ce n’est pas facile, mais on sait faire. Avoir beaucoup de porteurs polarisés en spin à température ambiante c’est mieux. Le faire dans un matériau compatible avec la microélectronique, c’est le paradis. Et nous l’avons atteint, en collaboration avec Thalès, le CNRS, l’UJF et Crocus. Nous injectons des spins dans du germanium à température ambiante et le courant reste polarisé sur une distance supérieure à 1 micron, ouvrant la voie à de multiples utilisations. Le but de la spintronique, ou électronique de spin, est d’offrir un deuxième degré de liberté à l’électronique conventionnelle en utilisant le spin des porteurs de charges (électrons ou trous). Pour cela il faut pouvoir disposer de porteurs polarisés en spin – on dit injecter – et ce dans les matériaux communément utilisés par la microélectronique et à température ambiante. Cela fait quelques années maintenant que l’on sait injecter des spins dans les semiconducteurs. Mais on n’arrivait pas à en injecter beaucoup, ni à les transporter sur une grande distance, car les semiconducteurs utilisés dépolarisaient trop vite les spins. Nous avons donc travaillé avec des semiconducteurs qui dépolarisent beaucoup moins. Injection et transport des spins Il s’agit de partir d’une « source » de spin, c’est à dire une électrode ferromagnétique. Afin que cela marche à la température ambiante, il faut prendre un métal ferromagnétique (Fe, Co, Ni) ou un de leurs alliages. La condition principale pour obtenir un courant de spin dans un semiconducteur en partant d’une électrode métallique est d’avoir une barrière tunnel entre les deux. L’empilement que nous avons utilisé est constitué de CoFeB/MgO. Reste le choix du semiconducteur, qui doit être compatible avec la microélectronique. Cela limite le choix au silicium et au germanium. Nous avons choisi le germanium (Fig. 1). Effet Hanle Fig. 2 : Le dispositif avec 32 paires d’électrodes. Pourquoi ? La réponse n’a rien à voir avec l’amitié franco-allemande. Plus prosaïquement, elle est liée au couplage spin-orbite. Celuici est proportionnel à la masse. Le germanium est sous le silicium dans le tableau de Mendeleïev, donc le couplage spin-orbite est plus fort. Pourtant le couplage spin-orbite cause la dépolarisation du courant de spin ! En effet, mais si l’on veut manipuler le courant de spin autrement qu’avec un champ magnétique, il est nécessaire ; il faut donc accepter une certaine dépolarisation. Pour la détection nous avons choisi une méthode basée sur la dépolarisation des porteurs (l’effet Hanle, voir encart), plutôt qu’une méthode optique certes très sensible, mais non quantitative. Bonne surprise à haute température Nous avons ainsi montré que nous sommes capable d’injecter des spins dans le germanium Fig. 1 : Schéma du montage à 3 contacts et une grille qui nous a permis de démontrer l’injection et la manipulation de spin dans le Ge. L’effet Hanle permet de mesurer le temps de vie des spins en utilisant la décroissance de leur précession dans un champ magnétique. Partons d’une électrode magnétique planaire et injectons les porteurs polarisés dans un matériau non magnétique. On a alors une accumulation de spin hors d’équilibre à l’interface. Celle-ci disparait au bout d’une certaine distance qui dépend du matériau. En présence d’un champ magnétique, les spins précessent. Si le champ est perpendiculaire à l’aimantation de l’électrode, on détruit l’accumulation de spin en augmentant le champ. Ce signal est proportionnel à la polarisation en spin de la barrière et à la résistance du canal. CoFeB MgO Ge à température ambiante (Fig. 2). Puis nous avons regardé ce qui s’y passe quand on fait varier la température. Au-dessus de 200 K, l’amplitude du signal est compatible avec le modèle de diffusion de spin établi par Fert. Donc on injecte bien des porteurs dans la bande de conduction, et le modèle indique que ces porteurs se propagent et gardent leur polarisation sur des distances d’environ 1,5µm. En revanche en dessous de 200 K, l’amplitude du signal augmente fortement. Que se passe-t-il ? En fait les porteurs sont injectés sur des niveaux d’impuretés à l’interface, et ils y restent. Sur ces niveaux, ils sont moins dérangés, donc ils se dépolarisent moins. Mais comme ils ne sont pas injectés dans la bande de conduction, ils ne peuvent pas servir à véhiculer de l’information. Ce n’est pas si grave, c’est à basse température … ce qui est plutôt contraire à l’habitude. LA FEUILLE ROUGE - N° 587 novembre 2012 - inac.cea.fr/feuille_rouge Comité de rédaction : E. Molva, J. Planès, H. Ulmer-Tuffigo (DIR), P. Dalmas de Réotier (SPSMS), L. Dubois (SCIB), N. Luchier (SBT), S. Lyonnard (SPRAM), G. di Pendina (SPINTEC), P. Warin (SP2M) - Mise en page : M. Benini (DIR) tél. 04 38 78 36 33 INSTITUT NANOSCIENCES ET CRYOGÉNIE Commissariat à l’Énergie Atomique et aux Énergies Alternatives - Direction des Sciences de la Matière - Centre de Grenoble