<Ecoute,
Israël»
RÉFLEXIONS
SUR
LA
VIE
CONSACRÉE
«Écoute,
Israël,
le
Seigneur
notre
Dieu,
le
Seigneur
un,
et
tu
aimeras
le
Seigneur
ton
Dieu
de
tout
ton
cœur,
de
toute
ton
âme,
de
tout
ton
pouvoir»
ÇDt
6,
4-5).
Le
Shema
Israël,
confession
de
foi
du
peuple
d'Israël,
sous-tend
toute
la
vie
et
l'enseignement
de
Jésus,
qui
l'accomplit
par
sa
résurrection.
Avec
Jésus,
nous
sommes
appelés
à
accomplir
le
Shema
Israël
dans
notre
vie,
dans
notre
mort
et
notre
résurrection.
Et
la
vie
religieuse,
qui
se
pro-
pose
humblement,
à
la
suite
du
Christ
et
avec
les
moyens
qui
lui
sont
propres,
d'exprimer
la
radicalité
d'un
don
demandé
à
tous,
peut
prendre
au
sérieux
les
ressources
insondables
de
la
personne
humaine
évoquées
dans
le
Shema
Israël
et
ses
commentaires
rab-
biniques.
Le
Shema
Israël
est
la
confession
de
foi
par
excellence
du
peuple
juif.
Il
est
parmi
les
premières
paroles
que
l'enfant
apprend
de
ses
parents,
les
dernières
que
l'on
murmure
avant
de
mourir.
Bien
des
Juifs
les
ont
eues
sur
les
lèvres
en
entrant
dans
les
chambres
à
gaz.
Ils
témoignaient
ainsi
que
seul
l'Unique
avait
droit
sur
leur
vie,
et
que,
contre
toute
apparence,
nul
autre
ne
pouvait
la
leur
arracher.
Ils
affirmaient,
comme
le
dit
Elle
Wiesel1,
qu'envers
et
contre
tout,
envers
Dieu
et
contre
Dieu,
au
vu
et
au
su
de
tous,
ils
continueraient
à
le
proclamer
«Un
et
son
Nom
Un».
Pour
s'en
rendre
compte,
il
faudra
parcourir
les
interpréta-
tions
que
la
tradition
juive
donne
du
Shema
dans
la
liturgie
et
dans
ses
commentaires.
Jésus
a
prié
le
Shema
Israël,
il
l'a
vécu.
Il
y
voit
le
premier
com-
mandement,
auquel
le
second
est
semblable.
A
sa
suite,
les
chré-
tiens
continuent
de
recevoir
d'Israël
le
Shema
en
parole
et
en
acte.
C'est
pourquoi
son
étude
peut
aussi
aider
tout
chrétien,
et
particulièrement
les
religieuses
et
les
religieux,
à
enraciner
leur
vocation
dans
le
terreau
sain
et
nourrissant
de
la
Parole
de
Dieu,
et
les
stimuler
dans
leur
réponse
à
son
appel.
On
découvre
alors
jusqu'où
peut
mener,
dans
sa
radicalité,
l'obéissance
à
ce
com-
mandement:
Tu
aimeras
le
Seigneur
ton
Dieu
avec
toute
la
1.
Un
iuif
aujourd'hui.
Paris.
SeuiL
1977.
710
A.-C.
AVRIL,
N.D.S.
richesse
de
ton
cœur,
de
ta
volonté,
avec
toute
ta
vie
et
ses
aspira-
tions,
ses
désirs,
avec
tout
ce
qui
te
rend
puissant
en
ce
monde.
Ainsi
tu
exprimeras
que
ton
Dieu
est
un
et
qu'il
est
Amour.
Une
lecture
du
Nouveau
Testament
pourra
utilement
prolonger
notre
réflexion
sur
ce
thème
et
ne
manquera
pas
d'ouvrir
des
perspec-
tives
sur
la
vie
consacrée.
Commençons
par
deux
constatations
préliminaires:
la
place
du
Shema
dans
la
liturgie
juive,
et
son
rap-
port
à
la
vie
consacrée.
Nous
consulterons
ensuite
les
commen-
taires
juifs
avant
de
préciser
l'importance
que
Jésus
donne
à
ce
texte.
I.
-
Le
«Shema
Israël»:
prière
juive
quotidienne
Récité
deux
fois
par
jour,
le
matin
et
le
soir,
le
Shema
Israël
habite
et
façonne
la
mémoire
juive.
Il
est
encadré
de
trois
béné-
dictions
dans
la
liturgie.
La
première
bénédiction
rappelle
la
Création.
Sa
vision
est
universelle.
Elle
atteint
son
sommet
avec
le
«Saint,
Saint,
Saint»
(Is
6,
3),
qui
affirme
la
transcendance
de
Dieu
Créateur,
dont
la
gloire
remplit
toute
la
terre.
Ce
Dieu
saint,
séparé,
n'est
pas
indifférent
à
sa
création.
Il
s'y
révèle,
il
y
est
donc
aussi
présent
et
agissant.
Mais
pour
que
son
immanence
à
son
oeuvre
ne
prête
pas
à
confusion,
la
prière
s'empresse
d'ajou-
ter:
«Bénie
soit
la
gloire
du
Seigneur
depuis
son
Lieu»
(Ez
3,
12).
Le
Lieu
de
Sa
gloire
demeure
au-delà
de
toute
connaissance.
La
deuxième
bénédiction
est
centrée
sur
l'élection
d'Israël
par
amour,
et
par
conséquent
sur
la
révélation
particulière
que
Dieu
a
faite
de
Lui-même,
à
Israël,
par
sa
Torah.
La
troisième
bénédic-
tion,
qui,
elle,
suit
le
Shema
Israël,
évoque
la
rédemption,
dont
l'événement
fondateur
est
la
sortie
d'Egypte.
La
récitation
du
Shema
Israël
comprend
trois
passages
d'Écri-
ture:
Dt
6,
4-9,
Dt
11,
13-22
et
Nh
15,
37-41,
qui
manifestent
la
relation
d'Alliance
entre
le
Dieu
unique
et
Israël.
Selon
un
com-
mentaire
rabbinique
il
y
aurait
ici
allusion
aux
«Dix
Paroles».
Le
procédé
peut
sembler
artificiel;
il
n'est
qu'un
moyen
au
service
de
l'affirmation
d'une
vérité:
Dieu
est
un
et
unique,
s'engager
à
l'ai-
mer
implique
l'observance
des
commandements,
dont
les
«Dix
Paroles»
sont
le
résumé.
Or
la
première
des
deux
Tables
de
la
Loi
(les
cinq
premières
Paroles)
vise
la
relation
à
Dieu,
tandis
que
la
seconde
(les
cinq
dernières
Paroles)
porte
sur
la
relation
au
pro-
chain.
Le
premier
passage
{Dt
6,
4-9)
se
situe
à
l'intérieur
de
la
rela-
tion
d'Alliance
entre
Dieu
et
son
peuple.
Il
est
la
confession
de
«ÉCOUTE,
ISRAËL»
711
foi
d'Israël
en
l'unité
de
Dieu:
«Entends,
Israël,
le
Seigneur
notre
Dieu,
le
Seigneur
est
un.»
Cette
confession
de
foi
implique
une
réponse
d'amour
à
l'amour
reçu:
«Et
tu
aimeras
le
Seigneur
ton
Dieu»,
réponse
qui
engage
la
personne
dans
tout
ce
qui
la
consti-
tue:
-
son
cœur
(lev),
qui
est
le
lieu
l'on
s'engage,
-
son
âme
Çnefesh),
c'est-à-dire
sa
vie,
sa
liberté
d'être,
son
identité,
-
et
enfin
sa
puissance
(me'od),
que
l'on
peut
traduire
par
«beau-
coup»,
c'est-à-dire
ce
que
l'on
possède
et
qui
rend
puissant.
Le
Shema
Israël
est
donc
en
même
temps
confession
de
foi
dans
le
Dieu
Un
et
affirmation
des
exigences
qui
en
découlent
dans
l'aujourd'hui.
«Que
ces
commandements
ne
soient
pas
à
tes
yeux
comme
un
commandement
ancien
auquel
on
n'attache
pas
d'importance,
mais
comme
un
commandement
nouveau
au-devant
duquel
tout
le
monde
court2.»
Les
tefillin
ou
phylac-
tères,
portés
sur
le
front
et
sur
le
bras
pendant
la
prière,
et
les
mezuzot
aux
portes
des
villes
ou
des
maisons
contiennent
les
paroles
du
Shema.
Le
Shema
Israël
affirme
encore
l'importance
des
commande-
ments
comme
moyen
concret
pour
manifester
sa
propre
réponse
d'amour
à
l'amour
de
Dieu.
Dieu
a
multiplié
les
commandements
pour
accroître
le
mérite
d'Israël,
lui
donnant
ainsi
d'innom-
brables
occasions
de
lui
montrer
son
amour3.
Tel
est
le
sens
du
deuxième
passage
(Dt
11,
13-21).
Mais
le
Shema
Israël
est
aussi
confession
de
foi
en
Celui
qui
a
fait
sortir
Israël
d'Egypte
(Nb
15,
37-41).
Autrement
dit,
les
com-
mandements
sont
une
voie
de
libération.
Israël
n'a
pas
quitté
l'es-
clavage
d'Egypte
pour
retomber
sous
le
joug
de
ses
propres
ser-
vitudes,
mais
pour
recevoir
le
joug
qui
rend
libre,
le
joug
du
Seigneur
et
de
sa
Torah.
C'est
ce
que
rappellent
les
tsitsit
ou
franges.
La
vie
chrétienne
se
situe
dans
ce
mouvement
d'alliance.
A
for-
tiori
la
vie
religieuse
engage
la
personne
tout
entière,
dans
sa
volonté
et
son
discernement
(lev),
dans
sa
globalité
et
son
unicité
(nefesh),
dans
l'instinct
qui
la
pousse
à
vouloir
exercer
sa
puis-
sance
et
à
posséder
(me'od).
Le
consacré
offre
son
être
au
pouvoir
rédempteur
du
Christ
pour
qu'il
le
recrée
à
l'image
et
à
la
res-
semblance
de
Dieu
en
le
référant
à
l'Unique.
Ce
faisant,
il
témoigne
du
prix
de
la
personne
humaine
et
de
la
bonté
originelle
des
énergies
de
son
être.
Il
témoigne
aussi
du
prix
de
la
rédemp-
tion.
Dans
une
lettre
adressée
aux
religieux
et
religieuses
et
mtitu-
2.
Sifré
Deutéronome
sur
Dt
6,
6.
3.
Mishna,Af«Uot3,16.
712
A.-C.
AVRIL,
N.D.S.
lée
«Le
don
de
la
Rédemption»,
le
Pape
Jean-Paul
II
présente
la
vie
religieuse
comme
un
témoignage
rendu
à
l'amour
rédempteur
du
Christ,
et
une
réponse
au
regard
d'amour
de
Jésus
Sauveur
sur
toute
personne.
La
voie
pour
rendre
ce
témoignage
est
la
suite
radicale
du
Christ,
la
décision
prise
publiquement
devant
l'Église
de
n'avoir
à
la
suite
du
Christ
d'autre
but,
d'autre
sens
pour
sa
vie,
que
l'Unique,
de
référer
toute
capacité
d'aimer
à
son
amour,
toute
sa
liberté
d'être
à
sa
personne.
Les
commentaires
du
Shema
Israël
permettent
d'approfondir
cette
réflexion.
II.
-
Ses
commentaires
1.
Faire,
entendre,
garder
«Entends,
Israël»
est
la
première
de
ces
paroles.
En
hébreu,
plu-
sieurs
verbes
signifient
l'écoute:
le-hate'ozen
veut
dire
«prêter»,
«incliner»
l'oreille;
le-haqshiv,
«écouter
en
élargissant
l'oreille»;
le-ha'azin,
«écouter
avec
l'oreille».
Ces
trois
verbes
préparent
à
l'action
d'entendre,
lishmo'a.
«Entends»,
shema',
ne
vise
pas
l'ouïe,
le
fait
d'écouter
avec
l'oreille,
mais
la
compréhension,
la
foi
du
cœur,
tout
comme
dans
les
versets
parallèles:
«Nous
ferons
et
nous
entendrons»
et
«tu
entendras,
ô
Israël,
et
tu
garderas
ces
commandements
pour
les
faire.»
Le
verbe
shema'
n'a
pas
seulement
le
sens
de
ouïr,
mais
de
croire
et
de
recevoir4.
En
effet
lorsque
Moïse
achève
de
lire
le
livre
de
l'Alliance,
Israël
déclare:
«Nous
ferons
et
nous
entendrons»
{Ex
24,
7).
Ce
qui
ne
manque
pas de
poser
question:
pourquoi
la
mise
en
pra-
tique
précède-t-elle
le
fait
d'entendre?
Le
peuple
s'engage
à
prati-
quer
la
Torah
avant
même
de
l'avoir
entendue.
En
effet
le
peuple
sait
que
lorsque
Dieu
parle,
il
s'agit
d'entrer
dans
l'expérience
qu'il
propose,
sans
prétendre
en
saisir
immédiatement
tout
le
sens.
C'est
ainsi
que
l'on
comprendra
peu
à
peu
la
portée
d'une
parole
d'abord
entendue
et
vraiment
reçue
une
fois
mise
en
pra-
tique.
Entendre
et
faire
sont
ici
liés
et
il
est
difficile
de
les
disso-
cier
pour
donner
préséance
à
l'un
ou
à
l'autre5.
Un
commentaire
4.
Bahya
ben
Joseph
Ibn
Paquda
(XI"
s.),
Introduction
aux
devoirs
des
coeurs,
5.
Le
NT
fait
plusieurs
fois
référe'qce
au
couple
faire-entendre
(voir
Mt
7,24;
13.
1-23;In
2.
5).
«ÉCOUTE,
ISRAîL»
713
rabbinique
d'Ex
24,
7
va
jusqu'à
dire:
«Celui
qui
entend
sans
avoir
l'intention
de
faire,
il
eût
mieux
valu
qu'il
ne
t
pas
créé6
Lishmo'a
veut
donc
dire
entrer
dans
un
processus
qui
suppose
la
confiance
en
un
Dieu
dont
on
sait
qu'il
ne
demande
ni
l'ab-
surde
ni
l'impossible.
Lishmo'a
demande
du
temps.
La
Parole
ne
se
révèle
que
par
niveaux.
C'est
pourquoi,
il
faut
savoir
la
«gar-
der».
Ainsi,
en
Gn
37,
11,
il
est
dit
de
Jacob
qu'il
a
«gardé»
la
parole
(ou
la
«chose»,
l'«événement»:
davar).
Jacob
ne
comprend
pas
les
songes
de
son
fils.
Il
y
perçoit
quelque
chose
qui
le
dépasse,
et
il
«garde
la
parole».
Il
en
est
de
même
pour
Marie
(cf.
Le
2,
19.51).
Elle
sait
que
ce
qu'elle
vit
vient
de
Dieu,
elle
fait
confiance,
et
c'est
ainsi
qu'elle
entre
dans
l'événement
dont
elle
ne
saisira
la
portée
que
plus
tard.
Lishmo'a,
«entendre»,
suppose
donc
lishmor,
«garder»,
c'est-à-dire
garder
la
Parole
dans
la
mémoire
du
cœur,
de
sorte
que
cette
parole
d'abord
écoutée
mûrisse,
grandisse,
jusqu'à
ce
que
Dieu
en
révèle
la
signification.
Ces
considérations
sur
le
sens
du
mot
Shema
se
trouvent
comme
résumées
dans
le
commentaire
suivant:
Et
ils
dirent:
«Tout
ce
qu'a
dit
le
Seigneur
nous
le
ferons»
(Ex
24,
3).
Du
fait
qu'ils
avaient
commencé
par
s'engager
à
mettre
en
pratique
«Tout
ce
qu'a
dit
le
Seigneur
nous
le
ferons»
{Ex
24,
3)
—,
Moïse
leur
dit:
«Est-il
possible
de
faire
sans
entendre,
est-ce
qu'entendre
(la
Parole)
n'incite
pas
à
la
mettre
en
pratique?»
Alors
ils
reprirent:
«Tout
ce
qu'a
dit
le
Seigneur
nous
le
ferons
et
nous
l'entendrons»
(Ex
24,
7)
(na'ase
venishma'),
c'est-à-dire:
nous
ferons
ce
que
nous
entendrons.
Cela
nous
indique
qu'ils
s'engagè-
rent
à
mettre
en
pratique
et
à
entendre
les
Paroles
de
la
Torah
avant
même
de
l'avoir
reçue7.
Ainsi
dit
l'Ecriture:
«Tu
n'as
désiré
ni
sacrifice
ni
oblation,
tu
m'as
ouvert
l'oreille.
Tu
n'as
voulu
m
holocauste
ni
sacrifice
pour
le
péché,
alors
j'ai
dit:
Voici
je
viens
ainsi
qu'il
est
écrit
à
mon
sujet
dans
le
rouleau
du
Eivre
('J'ai
voulu,
mon
Dieu,
faire
ta
volonté
et
ta
loi
est
dans
mes
entrailles',
PS
40,
7-9)»8.
«Tu
m'as
ouvert
l'oreille»
signifie
l'écoute
de
la
Parole;
«Alors
j'ai
dit:
Je
viens»,
l'intention
de
la
mettre
en
pratique;
«J'ai
voulu
faire
ta
volonté»,
le
désir
d'entrer
progressivement
dans
la
com-
préhension
de
la
volonté
de
Dieu
exprimée
dans
sa
Parole.
Lishmo'a,
c'est
donc
aussi
obéir,
ob-audire,
écouter
«en
avant».
6.
Mekilta
de
R.
Shimon
ben
Yohaï,
sur
Ex
24,
3.
7.
On
suppose
que
ce
qui
est
écrit
en
Ex
24
précède
le
don
de
la
Torah,
rap-
porté
en
Ex
20.
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