75-79 Eschle 325_f.qxp 18.1.2008 7:56 Uhr Seite 75 CABINET Forum Med Suisse 2008;8:75–79 75 Céphalées et cécité. 2e partie Daniel Eschle a, Gregor Jaggi b, Hanspeter E. Killer b a RehaClinic Zurzach, b Augenklinik des Kantonsspitals Aarau Introduction Quintessence 쎲 Certaines formes de céphalées et de facialgies plus rares sont parfois associées à une cécité. Il s’agit de l’hypertension intracrânienne idiopathique (HII), de l’artérite à cellules géantes ou artérite temporale (AT) et du glaucome aigu. 쎲 L’HII a fait l’objet d’une description détaillée dans la première partie de cet article de revue. 쎲 L’artérite temporale (AT) touche des sujets de plus de 50 ans, essentiellement des femmes originaires d’Europe du Nord. Hormis les céphalées et la présence éventuelle d’une polymyalgia rheumatica associée, on peut trouver des ischémies oculocérébrales sur fond de vasculite. Typiquement, la vitesse de sédimentation est très augmentée. L’AT répond en général très bien aux corticostéroïdes fortement dosés. 쎲 Le glaucome aigu entre dans le diagnostic différentiel de l’œil rouge douloureux. L’hyperémie conjonctivale et les douleurs oculaires/céphalées aiguës avec perte de vision sont la conséquence d’une augmentation soudaine – le plus souvent unilatérale – de la pression intraoculaire. Les facteurs de risque sont l’âge avancé, l’hypermétropie et les médicaments susceptibles de provoquer des effets indésirables anticholinergiques. Un traitement par substances myotiques et acétazolamide pour abaisser la pression intraoculaire doit être administré sous la supervision d’un ophtalmologue. Summary Headache and visual loss. Part 2 쎲 Some of the rarer headache syndromes and forms of facial pain are associated with a substantial risk of visual loss. They include idiopathic intracranial hypertension (IIH), giant cell arteritis (GCA), and acute forms of glaucoma. 쎲 IIH was discussed in the first part of this review. 쎲 GCA is found in persons aged over 50, usually women of Northern European descent. Apart from headache and possible polymyalgia rheumatica, the main concern is ocular and cerebral ischaemia due to vasculitis. A typical feature is marked elevation of the erythrocyte sedimentation rate. GCA responds well to high dose corticosteroid treatment. 쎲 Acute glaucoma should be considered in the differential diagnosis of the “red eye” syndrome. Venous congestion and acute eye pain with impairment of vision are caused by an acute – usually unilateral – rise in intraocular pressure. Older age, hyperopia (farsightedness) and medication with anticholinergic side effects are the main risk factors. Treatment – directed by an ophthalmologist – with miotic eye drops and reduction of intraocular pressure with acetazolamide should be started immediately. 1 Les céphalées d’apparition récente (<1 mois), à début aigu, survenant chez des personnes habituellement sans maux de tête (surtout si elles ont plus de 50 ans) ou présentant une sémiologie de céphalées totalement différentes, des troubles cognitifs ou des troubles neuro- Le mal de tête est un symptôme fréquent dans la consultation de médecine de premier recours, mais, contrairement à ce que croient trop souvent les patients, la plupart des céphalées ne suggèrent pas en soi l’existence d’un danger pour la santé. Certaines formes de céphalées et de facialgies plus rares peuvent être associées à une cécité. On mentionnera ici l’hypertension intracrânienne idiopathique (HII), l’artérite à cellules géantes ou artérite temporale (AT) et la crise de glaucome aigu. L’HII se manifeste par des céphalées à début insidieux, chez des femmes obèses en âge de procréer. Elle s’accompagne fréquemment de troubles de la vision (papilles de stase) en raison de l’augmentation de la pression intracrânienne, alors qu’aucune tumeur cérébrale n’est décelable et qu’on n’observe aucun signe d’hydrocéphalie ou de thrombose des sinus veineux cérébraux. En dehors de la réduction pondérale, la prescription d’un traitement diurétique d’acétazolamide (Diamox®) constitue la principale mesure thérapeutique conservatrice actuellement préconisée. Il existe, après l’hypertension intracrânienne idiopathique, des formes secondaires, dues à une thrombose des sinus veineux cérébraux ou à certains médicaments, en particulier la minocycline et les rétinoïdes; le lecteur se référera à la première partie de cet article de revue pour une description plus détaillée de ces différentes entités. L’artérite à cellules géantes (ACG) ou artérite temporale (AT) Tableau clinique L’apparition insidieuse d’un premier épisode de céphalées chez un sujet de plus de 50 ans doit faire penser, en l’absence de troubles cognitifs et neurologiques focaux, à une possible artérite temporale (AT)1. C’est la présence caractéristique d’artères temporales indurées et douloureuses logiques focaux, posent l’indication à des investigations complémentaires sous la forme d’un examen d’imagerie approprié. Les névralgies faciales nécessitent le plus souvent une imagerie crâniocérébrale pour exclure une forme secondaire. Vous trouverez les questions à choix multiple concernant cet article à la page 67 ou sur internet sous www.smf-cme.ch. 75-79 Eschle 325_f.qxp 18.1.2008 7:56 Uhr Seite 76 CABINET qui a fait donner le nom à ce tableau d’artérite temporale, même si d’autres segments vasculaires supra-aortiques et aortiques peuvent également être touchés par cette forme de vasculite autoimmune. L’aspect histologique typique des coupes de biopsies de l’artère temporale explique que le terme d’artérite à cellules géantes (ACG) soit parfois encore utilisé pour décrire cette affection. On notera que l’artérite à cellules géantes englobe aussi l’artérite de Takayasu, qui touche cependant surtout des femmes jeunes et affecte d’autres territoires vasculaires [1]. L’AT est l’artérite la plus fréquente avec une incidence de l’ordre de 20/100 000 par an dans la population à risque des femmes de plus de 50 ans originaires d’Europe du Nord [2]. En plus du gold standard, soit la mise en évidence des altérations typiques sur les biopsies de l’artère temporale, le diagnostic repose sur une série de symptômes et d’examens complémentaires. Il n’est pas rare que les patients se plaignent d’une claudication intermittente des muscles de la mastication, d’une hypersensibilité du cuir chevelu, d’un état général altéré, d’une perte de poids, d’un état fébrile et/ou d’une raideur matinale avec des douleurs touchant les ceintures scapulaire et pelvienne («polymyalgia rheumatica»). Les examens de laboratoire mettent en évidence une élévation des paramètres inflammatoires avec en particulier une vitesse de sédimentation (VS) supérieure à 50 mm/h ou une discrète anémie, une thrombocytose ou des tests hépatiques légèrement augmentés. Des examens d’imagerie appropriés permettent parfois de déceler la présence de liquide dans la gaine du tendon du long chef bicipital et des épaississements non athérosclérotiques des parois vasculaires, associés à un halo typique à l’ultrasonographie [3], qui correspond à une zone hypoéchogène entourant la lumière vasculaire, un signe évident de vasculite [4]. Les anticorps caractéristiques des autres maladies de l’immunité font défaut. En l’absence de traitement, les céphalées, les symptômes constitutionnels et les douleurs des membres peuvent se compliquer de troubles neurologiques et ophtalmologiques. On redoute ainsi plus particulièrement la perte soudaine de la vision consécutive à une ischémie non athérosclérotique de l’œil. Des infarctus cérébraux ont aussi été décrits (surtout au niveau du lit vasculaire postérieur). On ne soulignera jamais assez que les «signes avant-coureurs» de ces événements, par ex. les épisodes d’amaurose fugace2, devraient faire procéder à des investigations complémentaires immédiates. Des atteintes des nerfs crâniens s’observent aussi régulièrement. 2 L’amaurose fugace correspond à une attaque ischémique transitoire (TIA), un tableau clinique déjà décrit dans le Forum Médical Suisse 2006;6:479–84. Forum Med Suisse 2008;8:75–79 76 Diagnostic différentiel et considérations physiopathologiques Le tableau classique de l’artérite temporale (AT), associant des céphalées, une sensibilité des artères temporales et une augmentation de la vitesse de sédimentation, ne laisse pratiquement guère place au doute en ce qui concerne le diagnostic. Les ischémies oculocérébrales sont dues à un épaississement inflammatoire des parois vasculaires, donc un rétrécissement de la lumière des vaisseaux, éventuellement péjoré par la thrombocytose. Les symptômes constitutionnels et les myalgies sont le résultat d’une réaction inflammatoire systémique avec libération de cytokines de plusieurs types. Une pathologie musculaire au sens d’une myosite ou d’une vasculite fait défaut. On observe en revanche des atteintes inflammatoires dans d’autres tissus, d’abord sous la forme de bursites ou de ténosynovites et ensuite sous la forme des vasculites déjà décrites précédemment et qui se manifestent surtout au niveau de la tête. On ne sait pas pourquoi certains patients développent plutôt un tableau de polymyalgia rheumatica (PMR), une AT ou une association des deux entités [1]. Comme les atteintes des nerfs crâniens régressent bien sous traitement, contrairement aux lésions ischémiques oculocérébrales, il est possible qu’une méningite aseptique soit impliquée dans de nombreux cas, bien qu’il n’existe pas d’étude systématique sur les paramètres du liquide céphalorachidien dans l’AT (la méningite «aseptique» est de plus un diagnostic d’exclusion) [5]. Devant un tableau de PMR, le diagnostic différentiel est quelque peu plus large: d’autres maladies rhumatismales inflammatoires doivent être évoquées, de même qu’un syndrome paranéoplasique ou une infection latente, telle qu’une endocardite. Comme le traitement repose exclusivement sur les corticostéroïdes ou d’autres immunosuppresseurs, les hémocultures sont certainement justifiées dans les cas atypiques. Une radiographie du thorax à la recherche de séquelles spécifiques et un test au QuantiFERON® peuvent être indiqués pour apprécier le risque de réactivation tuberculeuse sous traitement. La question de savoir si une biopsie de l’artère temporale est nécessaire ou non refait régulièrement surface et reste controversée. Plus le tableau clinique parle en faveur d’une AT et plus les examens d’imagerie tendent à confirmer ce diagnostic, moins il y a de justification à pratiquer la biopsie, estiment certains cliniciens. Avant de faire une biopsie, on recommande souvent de faire un duplex échographique extra-/intracrânien des artères irrigant les régions du cerveau, afin de s’assurer que l’artère temporale n’est pas une collatérale extracrânienne indispensable et que la biopsie n’est pas contre-indiquée. La présence à l’échographie d’un halo entourant la lumière vasculaire autorise à surseoir à la biopsie, selon les guidelines actuelles. Le halo est typique d’une vasculite, mais pas spécifique de l’ACG [6]. Une 75-79 Eschle 325_f.qxp 18.1.2008 7:56 Uhr Seite 77 CABINET fois que la corticothérapie a démarré, la biopsie n’est plus interprétable que durant un laps de temps limité – en principe une semaine au maximum. Or, tout retard dans la mise en route du traitement est déconseillé en raison du risque de perte de la vision. D’autre part, les atteintes caractéristiques ne touchent souvent pas les segments vasculaires de façon homogène, si bien que la biopsie peut toucher des portions indemnes et donc donner un résultat faussement négatif par un effet d’erreur d’échantillonage [2]. Possibilités de traitement La corticothérapie doit débuter rapidement, à fortes doses et durer longtemps! La dose initiale de prednisone est généralement fixée à 1 mg/kg/j. Il suffit alors habituellement de quelques jours pour obtenir une amélioration spectaculaire et durable des symptômes, considérée par de nombreux cliniciens comme un argument supplémentaire en faveur du diagnostic de suspicion. Comme les corticostéroïdes agissent principalement sur l’état inflammatoire systémique («cytokines») et influencent moins le processus de la vasculite proprement dite, des ischémies oculocérébrales restent possibles durant la phase initiale du traitement. Certains recommandent par conséquent d’administrer des doses initiales de corticostéroïdes encore plus élevées, par ex. 500 à 1000 mg/j de méthylprednisolone (Solumedrol®) i.v. durant trois jours, puis 1 mg/kg/j de prednisone per os. La méthylprednisolone est également disponible sous forme orale (Medrol®). Les conseils en matière de schémas de réduction des doses ultérieures de stéroïdes sont assez hétérogènes: la Société allemande de neurologie préconise une réduction des doses journalières de prednisone de 10 mg par semaine, jusqu’à ce qu’on parvienne à 20 mg par jour, puis une réduction de 1 à 2,5 mg toutes les deux à quatre semaines (www.dgn.org). Des écarts par rapport à ce schéma sont possibles, en fonction de l’évolution de la CRP, de la VS et de la clinique, en particulier des céphalées et des douleurs des extrémités. Des épargnants des stéroïdes, tels que l’azathioprine ou le méthotrexate, sont régulièrement mentionnés dans la littérature, mais leur efficacité est controversée. Leur principal inconvénient par rapport aux corticostéroïdes est un délai d’entrée en action long et une moins bonne maniabilité. Compte tenu du risque d’accident ischémique et de thrombocytose souvent associée, l’administration concomitante d’un antiagrégant plaquettaire semble sensée [7]. Un traitement préventif contre l’ostéoporose est en outre justifié au cours de toute corticothérapie de longue durée. En règle générale, on peut s’attendre à une guérison spontanée en l’espace de deux ans environ. La morbidité de la maladie de base est marquée durant cette période par les effets indésirables et la dose cumulée de corticostéroïdes. Le tableau 1 p résume les caractéristiques de l’artérite temporale. Forum Med Suisse 2008;8:75–79 77 Tableau 1. Caractéristiques de l’artérite à cellules géantes ou artérite temporale. Groupe à risque Sujets de plus de 50 ans (les femmes sont plus souvent atteintes que les hommes), plus fréquente chez les personnes originaires d’Europe du Nord que du Sud Symptômes Céphalées à début insidieux avec le cas échéant des douleurs dans les extrémités; cécité apoplectique possible Signes clinique Douleur à la palpation des artères temporales; artérite à cellules géantes à l’examen de la biopsie de l’artère temporale; VS supérieure à 50 mm/h Diagnostic différentiel Douleurs des extrémités en relation avec une autre maladie rhumatismale; VS augmentée par suite d’infection ou de tumeur Traitement Traitement de prednisone au long cours avec une dose initiale de 1 mg/kg/j et administration concomitante d’aspirine et de calcium/D3 La crise de glaucome aigu Tableau clinique Le patient atteint d’une crise de glaucome aigu se présente avec des céphalées d’apparition soudaine (en l’espace de quelques minutes seulement), fronto-orbitaires, en général unilatérales, plutôt sourdes et sous forme de sensations de pression, indépendantes de la position et associées à une vision floue et voilée du côté atteint (aussi bien dans la vision lointaine que rapprochée, avec ou sans les lunettes). La fermeture des paupières et les gouttes humidifiantes n’améliorent pas les symptômes. On observe le plus souvent un œil rouge, parfois accompagné également à l’examen à la «lampe de poche» d’une cornée trouble (ce qui explique la vision floue et voilée). Certains patients décrivent des anneaux de couleur flous, entourant une source lumineuse punctiforme, lorsque le sujet la regarde avec son œil atteint. Les larmoiements spontanés (épiphora) ne font pas partie du tableau classique de la crise de glaucome aigu, mais sont régulièrement signalés [8]. Il n’y a pas habituellement de perte complète de la vision et les patients sont le plus souvent en mesure de percevoir la lumière. Les nausées et les vomissements sont plutôt l’exception, mais peuvent être présents en cas de douleurs violentes, suggérant alors parfois une migraine [9]. Suivant la population étudiée et suivant la qualité de l’étude, l’incidence est d’environ quatre glaucomes aigus sur 100 000/an. Ce chiffre peut néanmoins être plusieurs fois plus élevé à un âge plus avancé, chez les femmes et chez les sujets originaires de Chine [10]. L’hypermétropie et la pré- 75-79 Eschle 325_f.qxp 18.1.2008 7:56 Uhr Seite 78 CABINET sence d’antécédents de glaucome et de maladies glaucomateuses préexistantes constituent des facteurs de risque et les mydriatiques (par ex. anticholinergiques) peuvent augmenter le danger de glaucome aigu chez les sujets prédisposés [11]. L’hypermétropie (le degré de correction des lunettes est décrit par un nombre de dioptries positif) favorise aussi le glaucome aigu chez les adultes jeunes. La crise de glaucome est typiquement unilatérale, mais peut aussi survenir des deux côtés simultanément. Les glaucomes et les crises de glaucome sont très rares chez l’enfant et l’adolescent et forment un groupe à part et dépasseraient le cadre de cet article. Nous ne les aborderons donc pas ici. L’examen clinique doit surtout inclure une appréciation grossière de la vision monoculaire (il suffit souvent de couvrir un œil et de poser la question «Voyez-vous moins bien que d’habitude de ce côté?»), une évaluation de la réaction pupillaire des deux côtés et une palpation des deux globes oculaires. Ces examens sont faciles à réaliser au cabinet de médecine de premier recours et peuvent déjà donner des informations très précieuses. Devant une vision monoculaire diminuée du côté où prédominent les céphalées (sans amélioration par le port de ses propres lunettes, ni après les battements de paupières), une pupille réagissant moins bien et se trouvant en discrète mydriase, un œil qui semble «plus dur» à la palpation par rapport au côté controlatéral et en présence d’un «œil rouge», il y a de fortes chances que l’on soit en présence d’une pression intraoculaire augmentée qui sera confirmée par l’ophtalmologue. Celui-ci pourra ensuite mettre en place le traitement approprié (fig. 1 x). Diagnostic différentiel et considérations physiopathologiques Le mécanisme pathogénique du glaucome aigu réside dans une augmentation soudaine de la pression intraoculaire (PIO) au-delà de la limite supérieure de la norme: 15 8 6 mm Hg [12]. Il existe le plus souvent un obstacle à l’écoulement de l’humeur aqueuse produite au niveau du corps Figure 1 Œil dans un cas de glaucome aigu avec injection mixte, œdème de la cornée et discrète déformation pupillaire. Forum Med Suisse 2008;8:75–79 78 ciliaire. Les différents mécanismes conduisent constamment à la même constatation de fermeture de l’angle de la chambre antérieure. L’augmentation des résistances à l’écoulement de l’humeur aqueuse au niveau du corps ciliaire, de la surface postérieure du cristallin (bloc ciliaire) ou du rideau pupillaire de l’iris et de la surface antérieure du cristallin (bloc pupillaire) induit un arrêt de la circulation de l’humeur aqueuse, qui provoque un déplacement antérieur du diaphragme lentille-iris, jusqu’à ce que la zone d’insertion de l’iris ferme l’angle de la chambre antérieure [13]. L’augmentation de la PIO, qui est ressentie comme une sensation de douleur sourde de pression, augmente d’une part la résistance à l’écoulement veineux des enveloppes externes de l’œil, ce qui explique la rougeur, et diminue d’autre part la capacité d’évacuation de l’humeur aqueuse de l’endothélium cornéen. L’œdème de la cornée qui en résulte, entraîne une vision trouble et voilée, parfois associée au phénomène des anneaux colorés visualisés autour des sources lumineuses. Après le retour de la PIO à des valeurs normales, l’œdème de la cornée est en général complètement réversible en l’espace de quelques minutes ou de quelques heures. Une forte augmentation de la PIO peut entraîner des occlusions vasculaires, capables de provoquer des lésions irréversibles de la rétine (le plus souvent lorsque les valeurs tensionnelles dépassent 40 mm Hg). C’est principalement là que réside le vrai danger du glaucome aigu. L’œil rouge douloureux doit faire évoquer le diagnostic différentiel suivant: érosions et ulcères cornéens. L’anamnèse révèle classiquement un traumatisme oculaire, un corps étranger, une conjonctivite récente ou le port de verres de contact. La principale différence avec le glaucome aigu tient en général au blépharospasme (spasme en fermeture de la paupière). Un œil qui ne peut pas être ouvert, ainsi que toute rougeur douloureuse de l’œil chez un porteur de verres de contact doit être rapidement référé au spécialiste en ophtalmologie. Dans la conjonctivite, on observe typiquement un œil rouge, sans toutefois que les douleurs soient au premier plan. La plupart des conjonctivites sont d’origine virale et s’accompagnent fréquemment d’une surinfection bactérienne. Elles évoluent presque toujours vers la guérison spontanée en quelques jours ou quelques semaines. En cas d’accolement matinal des paupières, une antibiothérapie locale est conseillée, une humidification des paupières pouvant sans cela procurer un certain soulagement. Le cluster headache se présente sous la forme d’attaques de céphalées extrêmement intenses, toujours d’un seul et même côté, dans la région fronto-orbitaire. Elles surviennent typiquement de façon répétée certains jours ou en certaines saisons (cluster) et s’accompagnant de symptômes autonomes, notamment d’un syndrome de Horner, d’un larmoiement, d’une rougeur de l’œil et d’une 75-79 Eschle 325_f.qxp 18.1.2008 7:56 Uhr Seite 79 CABINET rhinorrhée. Entre les crises de céphalées, dont la durée est de l’ordre de 30 à 60 minutes, les patients (en majorité des hommes) sont totalement asymptomatiques. Le larmoiement entraîne une vision légèrement trouble, qui s’améliore en général nettement par le battement des paupières. Les autres signes ophtalmiques, comme l’absence d’opacification de la cornée, la PIO normale et le fond d’œil sans particularités, de même que la présence d’une pupille myotique distinguent le cluster headache de la crise de glaucome aigu. Le traitement de la phase aiguë fait appel à l’oxygénothérapie à fortes doses et à l’administration sous-cutanée de sumatriptan (www.dgn.org). Options thérapeutiques En cas de crise de glaucome aigu, il est conseillé d’adresser le patient à l’ophtalmologue en urgence, dans la mesure où une augmentation importante de la PIO compromet la perfusion rétinienne et peut conduire à des lésions irréversibles de la rétine avec perte de vision de l’œil touché. L’administration immédiate de 1 × 500 mg d’acétazolamide (Diamox®) per os et l’instillation d’un collyre contre l’hypertension IO, par exemple du timolol (Timoptic®), ne fera très certainement pas de mal si le diagnostic de suspicion devait par la suite s’avérer faux et sera suffisamment efficace dans la majorité des cas pour éviter une hospitalisation [14]. Le traitement par myotiques décrit dans la littérature n’est guère recommandé au praticien de premier recours. Théoriquement, il est approprié en cas de bloc de l’angle de la chambre antérieure, mais présuppose un diagnostic correct, ce qui ne peut être assuré que moyennant un examen de l’angle – en général par gonioscopie – à la lampe à fente. Une pupille en fort myosis complique de plus l’examen du fond d’œil, au demeurant essentiel dans l’examen ophtalmologique. Normalement, ni le patient, ni l’ophtalmologue n’attendent du médecin traitant qu’il ait déjà initié un traitement exhaustif avant le consilium en urgence. Il est néanmoins important pour le médecin généraliste de se souvenir que chaque patient présentant des céphalées et un œil rouge Forum Med Suisse 2008;8:75–79 79 peut en fait souffrir d’un glaucome aigu et pour l’ophtalmologue de garde que tout œil rouge n’est pas nécessairement une crise de glaucome aigu. Le tableau 2 p résume les principales caractéristiques du glaucome aigu. Remerciements Nous tenons ici à remercier le Dr Torsten Kallweit, chef de clinique à la RehaClinic Zurzach, et le Dr Esther Juzi, spécialiste en médecine interne et en rhumatologie à Wädenswil, pour leur lecture critique du manuscrit et leurs précieux commentaires. Tableau 2. Caractéristiques de la crise de glaucome aigu (bloc aigu de l’angle). Groupe à risque Sujets de plus de 40 ans hypermétropes, le cas échéant avec antécédents de glaucome et/ou traitement anticholinergique Symptômes Céphalées aiguës à prédominance orbitaire (en général unilatérales), vision trouble et voilée (pouvant aller jusqu’à la cécité en l’absence de traitement), éventuellement nausées, pouvant aller jusqu’à des vomissements Signes cliniques Œil rouge avec globe dur comme de la pierre (comparaison des deux côtés); anisocorie et possible diminution de la motricité pupillaire; surface cornéenne trouble Diagnostic différentiel Œil rouge dans le cadre d’une conjonctivite; cluster headache Traitement Médecin traitant: gouttes de Timoptic® et 1 × 500 mg de Diamox® Ophtalmologue: myotiques (gouttes de pilocarpine), Diamox® (i.v.) ainsi que, le cas échéant, interventions spéciales de chirurgie ophtalmique La première partie de cet article est parue dans le numéro 4/2008 de Forum. Références Correspondance: Dr Daniel Eschle Facharzt für Neurologie FMH RehaClinic Zurzach Quellenstrasse CH-5330 Bad Zurzach [email protected] 1 Weyand CM, Goronzy JJ. Giant-cell arteritis and polymyalgia rheumatica. Ann Intern Med. 2003;139:505–15. 2 Calvo-Romero JM. Giant cell arteritis. Postgrad Med J. 2003;79:511–5. 3 Salvarani C, Cantini F, Boiardi L, Hunder GG. Polymyalgia rheumatica and giant-cell arteritis. N Engl J Med. 2002;347: 261–71. 4 Bock A, Schwegler G. Vertebral artery halo sign in giant cell arteritis. Practical Neurology. 2005;5:360–1. 5 Roelcke U, Eschle D, Kappos L, Moschopulos M, Laeng RH, Buettner UW. Meningoradiculitis associated with giant cell arteritis. Neurology. 2002;59:1811–2. 6 Karassa FB, Matsagas MI, Schmidt WA, Ioannidis JPA. Metaanalysis: Test performance of ultrasonography for giant-cell arteritis. Ann Intern Med. 2005;142:359–69. 7 Thomas DJ. Visual loss when treating giant cell arteritis. 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