pour une approche plus physio-pathologique des cancers

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Article paru dans le « Journal du Réseau Cancer de l’ULB » 2006
POUR UNE APPROCHE PLUS PHYSIO-PATHOLOGIQUE DES CANCERS
THYROIDIENS ET DE LEURS TRAITEMENTS PAR IODE-131 !
Prof Pierre BOURGEOIS
Chef de Clinique
Spécialiste en Médecine Nucléaire et en Radiothérapie
Service de Médecine Nucléaire
Institut Jules Bordet
Cancéropôle de l’ULB
Les traitements et imageries par iode-131 (I-131) occupent une place essentielle dans la
prise en charge des patients opérés de la thyroïde et présentant un cancer thyroïdien
différencié.
Néanmoins, les activités (les nombres de MégaBecquerels –MBq) administrées à ces
patients et destinées –notamment- à détruire les résidus thyroïdiens et/ou les lésions
secondaires iodo-fixantes relèvent souvent à l’analyse d’un certain empirisme, sinon
d’un empirisme certain…
Ces activités varient ainsi de 1110 à 7400 MBq (et plus), suivant que l’on vise
l’éradication de résidus, de ganglions ou de métastases à distance. Pour certains,
l’activité à administrer après une thyroïdectomie dite totale est forfaitaire (3700 mBq) et
ne tient pas compte de l’existence éventuelle ou non de résidus thyroïdiens ou de
localisations ganglionnaires. De même, devant des lésions métastatiques iodo-fixantes,
l’attitude est-elle « simplement » de donner des doses répétées d’I-131 jusqu’à
disparition de toute fixation de l’iode.
Ces approches empiriques ont certes démontrés leur efficacité dans la pratique mais
elles ne tiennent plus compte des fondements de la thérapie métabolique des cancers
thyroïdiens par l’I-131. En effet, il est depuis longtemps bien établi qu’il est nécessaire
mais aussi qu’il est souvent suffisant de délivrer une dose donnée de radioactivité
(exprimée en Gray -Gy) à une quantité précise de tissu thyroïdien pour le détruire. Cette
dose absorbée dépend de 2 paramètres : la fixation initiale de l’I-131 (le nombre de MBq
fixées, « l’uptake » après 24 heures) et la demi-vie effective (T1/2 eff) du traceur (en fait,
le nombre de jours, d’heures pendant lesquels l’I-131 reste dans le tissu et l’irradie
effectivement).
Quelles sont les implications pratiques de la prise en compte de ces 2 paramètres et de
cette caractérisation physio-pathologique des lésions iodo-fixantes ?
Pour une administration (en post-opératoire) d’activités I-131 « sur mesure » ?
Connaissant leur(s) uptake(s) et le T1/2 eff de l’iode-131 au niveau du ou des foyers
iodo-fixants et posant a priori une dose en Gy à atteindre par chacun de ceux-ci, il est
possible de calculer l’activité nécessaire pour les éradiquer. Une telle attitude permet
d’administrer des activités plus faibles (de 1110 à 1850 Mbq) que les 3700 MBq
forfaitaires ainsi proposés dans les récents guidelines européens.
Les conséquences de cette attitude sont les suivantes :
- l’hospitalisation du patient en chambre d’isolement métabolique (d’ordinaire d’une
durée de 3 jours avec 3700 MBq) et le coût pour la société en sont d’autant réduits,
- la dose corporelle totale absorbée par le patient et l’exposition, l’irradiation du
personnel hospitalier en charge de ces malades en sont également d’autant diminués,
- les activités excrétées (qui doivent être gérées par les services de Médecine
Nucléaire) sont d’autant moindres, permettant une meilleure utilisation des chambres
métaboliques.
Une évaluation a posteriori des doses absorbées et une adaptation du suivi ?
La réalisation d’au moins 2 imageries après l’administration d’une dose thérapeutique
permet de calculer le T1/2 eff du traceur au niveau des foyers iodo-fixants. Connaissant
leur uptake à la 24ème heure (qui peut également être extrapolé à partir de ces
imageries), les doses absorbées peuvent être alors calculées a posteriori et leur
caractère ablatif ou non être ainsi estimé.
Si la dose s’avère insuffisante, la réinvestigation ultérieure du patient après sevrage
nous semble s’imposer, ce sevrage –malgré ses désagréments- représentant le
préalable nécessaire à une probable dose thérapeutique complémentaire.
Par contre, si la dose absorbée est ablative, le suivi du patient peut être allégé (dosage
de la Tg sous Thyrogen).
Une prise en considération des notions d’uptake et de demi-vie effective… qui
débouche sur un meilleur staging ?
Certaines lésions iodofixantes (ganglions cervicaux, médiastinaux, métastases
osseuses, pulmonaires ou hépatiques) ne sont détectées que sur l’imagerie réalisée
après dose thérapeutique. Leur captation peut en effet être telle (de l’ordre de 10e-5 ou
10e-6 de la dose) qu’elles sont « invisibles » après des activités diagnostiques (de 18.5
à 74-185 MBq d’I-131 ou d’I-123).
En outre, le T1/2 eff de l’Iode au niveau de ces lésions peut être si court que l’isotope
n’y est plus présent ou détectable quand l’imagerie est réalisée (suivant la littérature, de
3 à 7 jours et parfois plus après la prise orale de la gélule d’iode),
Ainsi, réalisant des images 3 (J+3) et 7 (J+7) jours après l’administration de doses
thérapeutiques d’I-131, avons-nous vu :
- des résidus cervicaux connus avant traitement et évidents à J+3, disparaître à J+7,
- dans deux cas, une métastase unique n’être détectée que sur l’imagerie à J+3.
Ces observations sont importantes à plusieurs titres :
- sur base de notre imagerie habituelle à J+7, ces patients auraient été classés M0 et
leur pronostic –péjoré- méconnu,
- si ces métastases avaient été identifiées par une autre technique, elles auraient été
considérées –sur base de la seule imagerie tardive- comme non iodo-captantes avec les
mêmes considérations péjoratives.
Une prise en considération de la notion d’uptake et/ou de demi-vie effective… qui
débouche sur de nouvelles approches thérapeutiques ?
Or, ces patients dont les lésions présentent des T1/2 eff courts (et donc des doses
absorbées faibles) sont des candidats pour des traitements au lithium qui a été
démontré allonger la rétention de l’I-131 et augmenter ainsi la dose absorbée.
D’un autre côté, des lésions dont l’uptake diminue sont suspectes de dédifférenciation
et, pour leur part, représenteraient alors des indications pour l’essai de traitements
redifférenciateurs.
Quand les doses absorbées sont si faibles que…
Enfin, il est des situations où l’uptake de l’I-131 par les lésions est si faible que l’on peut
sensément se poser la question de l’utilité d’un tel traitement.
Dans un contexte de maladie résiduelle microscopique et non évolutive sous traitement
thyroïdien substitutif, imposer un sevrage et une hospitalisation pour administrer de l’I131 avec l’irradiation corporelle et les précautions qu’il implique nous semble ainsi
discutable.
D’un autre côté, dans un contexte de maladie évolutive, les autres alternatives
thérapeutiques doivent alors être mises en action.
Pour conclure :
Cette caractérisation physio-pathologique des lésions iodo-fixantes des cancers
thyroïdiens est donc déjà aujourd’hui possible dans le cadre de nos traitements usant de
l’I-131. Cette approche nous semble devoir être prise en considération dans la prise en
charge thérapeutique de ces patients. Dans l’avenir, il peut être espéré que, l’iode-124
devenant disponible (l’I-124 émet un positon), cette approche appliquée à tous les cas
métastatiques gagne en précision au travers de l’usage des techniques combinant PET
et CT.
Iconographie
bulletin
A cancer ULB
réseau
B
C
D
n
De Gauche à droite, balayages corps entier en vue antérieure (A et C) et postérieure (B et D)
obtenus 3 (A et B) et 7 (C et D) jours après la prise orale d’une dose thérapeutique de 145 mCies
d’iode-131 chez un patient opéré en 02/2000 d’un cancer papillaire variante folliculaire de la
thyroïde repris en 02/2005 pour traitement complémentaire suite à une Tg dosable sous traitement
hormonal thyroïdien substitutif et augmentant après Thyrogen.
Les images précoces (A et B) obtenues à la sortie d’hospitalisation montrent les éléments
suivants intéressants en termes de mesures de radioprotection à suivre à domicile par le patient:
- un activité urinaire marquée, source potentielle de contamination,
- une contamination cutanée au niveau de la sphère génitale et des mains, impliquant un rappel
des consignes de radioprotection.
Les images tardives (C et D) montrent la persistance de zones de contamination cutanée au
niveau des mains et de la sphère génitale et impliquent la répétition des consignes de
radioprotection.
Du point oncologique, la vue postérieure précoce (B) montre un foyer d’activité dorsal inférieur
médian net (activité estimée à 5.8 µCies soit 4 10e-5 de la dose administrée) qui disparaît sur
l’imagerie tardive (D) et soulève la question à ce niveau d’une lésion métastatique iodofixante
présentant un relargage rapide de l’iode.
Au niveau cervical, nous avons (cliché A, flèche) la même situation d’un foyer sus-claviculaire G
net précocement (4.5 µCies) devenant à peine discernable 4 jours plus tard (0.7 µCies). La demivie effective est calculée égale à 36 heures.
D’un autre côté, un foyer cervical supérieur médian peu net après 3 jours (1.36 µCies : voir
clichés A) devient clair après 7 (1 µCie : voir flèche cliché C). Au niveau de ce foyer, la demi vie
effective de l’iode est de 216 heures.
Dans les deux cas, la dose absorbée n’est que de 2.5 Gy, un dose qui est théoriquement loin d’être
ablative.
Références:
Koong SS et al
« Lithium as a potential adjuvant to 131I therapy of metastatic well-differentiated thyroid
carcinoma »
J Clin Endocrinol Metabol 1999 ; 84 ;912-916
Pons F et al
“Lithium as an adjuvant of iodine-131 uptake when treating patients with well differentiated
thyroid carcinoma”
Clin Nucl Med 1987;12;644-647
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