PRÉPARATION Cerner les enjeux • Ce texte est à resituer dans l’œuvre dans la mesure où il désigne le discours proprement philosophique, celui que Socrate rapporte de Diotime. Le thème en est Éros, c’est-à-dire le désir. Il convient d’être très vigilant aux différents niveaux de sens. En effet, le texte se présente d’abord comme l’interprétation d’un mythe : Éros fils de Poros et de Pénia (mythe qu’il faudra être capable de restituer en quelques phrases, il ne faut donc pas hésiter à revenir un peu en arrière) ; puis comme une thèse sur le désir (manque et élan à la fois) ; Éros comme figure à l’image de Socrate luimême ; Éros enfin comme l’interprétation d’un désir bien particulier : le désir de savoir, autrement dit la philosophie. Éviter les erreurs • Votre plan, qui peut ici être linéaire, doit vous permettre de bien distinguer ces différents niveaux de compréhension du désir et de vous montrer capable d’aller de l’un à l’autre sans les confondre. • Ce texte a donc bien pour enjeux de définir le désir dans toute sa complexité mais aussi des notions moins explicites telles que l’interprétation ou encore le savoir et la vérité. PRÉSENTATION Introduction Le Banquet est un dialogue de Platon qui rapporte la réunion d’amis autour d’Agathon, qui fête sa victoire au concours de tragédies. Chacun est invité à y faire l’éloge de l’amour (première partie du livre). Vient la seconde partie où Socrate se soustrait à cette « obligation » pour rapporter le dialogue qu’il a eu avec Diotime quelques années auparavant. On passe dans cette partie à une approche plus philosophique du désir. Qu’est-ce que le désir ? Ce n’est pas seulement le manque, l’absence d’une fusion perdue comme dans le mythe précédent d’Aristophane mais la volonté de combler ce manque par un élan, une puissance d’agir. Éros est un intermédiaire entre la ressource et la pauvreté, de la même manière que ©HATIER le philosophe est une figure intermédiaire entre celle du sage et celle de l’ignorant. Le texte montre d’abord ce qu’Éros tient de sa mère (la pauvreté), puis dans un second temps ce qu’il tient de son père (la richesse) pour enfin, dans un dernier temps, en déduire la nature du désir philosophique. Développement 1. Le mythe d’Éros, ce qu’il tient de sa mère Le discours philosophique de Diotime commence par l’exposé d’un mythe. Mais contrairement au mythe d’Aristophane, il s’agit « d’interpréter », de comprendre une origine logique, c’est-à-dire un fondement, une raison d’être. C’est parce qu’il cherche à saisir la raison des choses (logos) que ce discours est philosophique. Dans un premier temps, le texte explique la condition d’Éros qui lui vient de sa mère. Il convient ici de rappeler ce mythe. Lors d’une fête organisée pour l’anniversaire de la naissance d’Aphrodite, déesse de la beauté, Poros, le fils de Métis, s’endort ivre dans le jardin de Zeus. Pénia, une mendiante, s’y introduit sans y être invitée. Elle profite de l’ivresse de Poros pour s’allonger auprès de lui et ainsi tomber enceinte d’Éros. Pénia représente la pauvreté, l’indigence, donc un manque, une déficience de sa nature. On peut voir dans sa description la parfaite apparence de Socrate. À noter que le principe féminin est de l’ordre de l’extériorité sensible. Éros est ici, comme Socrate, « va-nu-pieds », sans logis, c’est-à-dire « a-topos », sans lieu, toujours sur les chemins. Il se présente comme le principe même du mouvement lié à une insatisfaction. Mais toujours sur le pas des portes, Éros est prêt à opérer des transitions, des changements. La rudesse de la vie d’Éros traduit l’idée que l’amour n’est pas nécessairement quelque chose de confortable ou de réconfortant. Le confort ne peut se confondre avec le bonheur. De la même manière, on ne peut attendre de la philosophie qu’elle soit réconfortante intellectuellement dans la mesure où elle cherche toujours à dépasser les idées reçues, arrêtées donc stables et rassurantes. C’est la conscience d’un manque radical, d’une déficience qui permet de se mettre en mouvement, d’amorcer une recherche. 2. Ce qu’Éros tient de son père Dans un deuxième temps, le texte décrit la condition d’Éros héritée de son père Poros qui est lui-même le fils de Métis. Il se situe donc sous le signe d’une forme de sagesse ou d’intelligence pratique ou technique qui est celle de la ruse. Ses caractéristiques sont déjà plus profondes que celles qui sont liées à l’apparence de Pénia. Il « traque » les choses belles et bonnes, cherche des moyens et c’est en cela qu’il utilise sa ruse. Éros n’est pas seu©HATIER lement un mouvement de fuite par rapport à une situation indigente, mais il s’oriente vers un bien : son mouvement est intentionnel. Mais Éros n’est plus seulement amour charnel, il se porte sur le savoir. En effet, son rapport au savoir est double : d’une part, il en est « passionné de savoir », en ce sens il est irrésistiblement attiré par lui, donc ici le désir est soumis à son objet ; et d’autre part, Éros est « fertile en expédients », c’està-dire en idées ; il produit un savoir. Ce rapport, où le savoir est à la fois le sujet du désir (quand le désir est mû par le savoir) et son objet (quand le désir produit un savoir), semble se faire en un seul et même mouvement. L’Éros philosophique est donc qualifié ainsi : « c’est un sorcier redoutable, un magicien et un expert ». Si cet Éros philosophique est inconfortable, c’est parce que « ce qui lui procure ses expédients sans cesse lui échappe ». En raison de sa double nature, Éros est toujours en quête et en manque ; le savoir n’est jamais acquis définitivement, il est toujours à réactualiser, à se réapproprier, sous peine de se transformer en idée figée, arrêtée ou même en dogme. On retrouve ici l’idée d’une pensée comme dialogue de l’âme avec elle-même. La pensée n’est vivante, n’existe que si elle est questionnée et questionnante. 3. La spécificité du désir philosophique En conséquence de cela, dans un troisième temps (204a), est affirmée la thèse de Diotime : Éros est un intermédiaire entre savoir et ignorance, entre une nature divine et une nature mortelle. Les dieux ne philosophent pas, c’est-à-dire qu’ils ne désirent pas être sages, ils le sont déjà. Les ignorants non plus ne philosophent pas car ils ne peuvent vouloir ce dont ils n’ont pas conscience de manquer. Ainsi, celui qui ne s’imagine pas en être dépourvu ne désire pas ce dont il ne croit pas devoir être pourvu : on peut faire un parallèle avec tout phénomène d’aliénation. En effet, tant que l’on n’a pas pris conscience de son état de servitude et de souffrance, on ne peut s’en émanciper. Cette partie est au cœur du paradoxe de la connaissance énoncé dans le Ménon en 80c : On ne peut chercher ni ce qu’on connaît, ni ce qu’on ne connaît pas. Pour connaître, il faut chercher ce que l’on ne connaît pas, or pour le chercher, et le « reconnaître » (grâce à la maïeutique), il faut savoir ce que l’on cherche, donc le connaître. Celui qui cherche à savoir, le philosophe, n’est donc ni tout à fait savant, ni tout à fait ignorant. Conclusion Ainsi Éros est fils de Poros et de Pénia, de richesse et de pauvreté : dans un état instable de recherche continuelle. Il est donc à la fois manque et élan pour combler ce manque. Il est dans un état de souffrance qui vise à ©HATIER se dépasser. Dans cet extrait, Diotime passe successivement de l’analyse de l’amour à celle du désir de savoir, à la philosophie. Le philosophe serait finalement un éternel amoureux. On anticipe ici une nouvelle définition du désir qui n’est plus seulement manque mais puissance d’agir. Dans la suite du texte, Éros n’est plus un Dieu mais un démon, un intermédiaire (un entre-deux), mais aussi un médiateur (ce qui fait du lien) entre les mortels et le divin. Éros est philosophe, mais le philosophe n’est pas un sage, il aime et recherche partout la sagesse mais ne la possède pas. On a donc ici une vision dynamique de la philosophie qui n’est pas fixée dans les hauteurs intelligibles mais explore successivement les différents degrés de la réalité. ENTRETIEN Voici d’autres questions que l’examinateur pourrait vous poser lors de l’entretien. m Vous comparez Éros à Socrate, pourtant réputé pour sa laideur. Comment expliquer alors cette phrase : « ... il s’en faut de beaucoup qu’il soit délicat et beau » ? Éros serait beau par nature, c’est-à-dire dans son essence, et non pas dans son apparence. m Vous faites mention de la virilité d’Éros mais qu’est-ce que la virilité et quel est le lien avec le texte ? Le sens courant renvoie à ce qui a des caractéristiques typiquement masculines. Le terme est ambigu car il renvoie à la fois à des signes purement physiologiques, et à la fois à des valeurs morales comme le courage, la force, ou encore la volonté. Le moteur de l’action serait donc un principe masculin. « Chasseur redoutable », Éros cherche grâce à une ruse, à une technique qui lui est propre, de quoi s’alimenter. Il n’est plus seulement décri par rapport à son apparence sensible. Éros est celui qui est capable de faire preuve d’intelligence pratique. Il va alors prendre une dimension plus intellectuelle. m En quoi cette conception du désir est-elle radicalement différente de celle d’Aristophane ? Celle d’Aristophane repose sur l’idée d’un bonheur de fusion avec l’autre, quitte à en mourir et le désir est décrit comme manque radical. En revanche ici, le désir selon Diotime produit la vie et le changement et n’est pas seulement un manque mais puissance d’agir, pouvoir de combler ce manque. ©HATIER