Désintéressement et liberté esthétiques
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être et paraître la chose belle1. Cette détermination contemplative de l’attitude esthétique
est-elle présente dans les Leçons ?
La détermination des deux pôles de l’attitude pratique permet de préciser le sens de la
contemplation dans l’esthétique hégélienne. Elle est décrite par Hegel à partir de la volonté
finie, comprise par la Critique de la faculté de juger sous les termes de désir et de besoin.
Les choses, appréhendées par le sujet selon ses visées et ses intentions, perdent leur
autonomie. Elles ont en lui et non en elles-mêmes leur fin et leur concept2. De
l’intentionnalité théorique à l’intentionnalité pratique, sujet et objet ont échangé leur rôle :
les objets ont perdu leur liberté, les sujets sont devenus libres. Mais ni l’une ni l’autre n’est
le modèle d’appréhension des deux pôles de l’expérience esthétique (le sujet et l’objet).
Elles ne permettent pas de comprendre pourquoi « la considération du beau est de nature
libérale »3. La liberté y est une liberté seulement présumée. L’autonomie des choses étant
seulement présupposée dans la sphère du théorique, le sujet est fini et non libre. Dans la
sphère pratique, il l’est également en raison de l’unilatéralité de ses désirs et visées. Or
l’intérêt suscité par le désir ou le besoin ne laisse pas plus « être libre le jugement sur
l’objet »4. La même finitude et absence de liberté affectent l’objet. Elle est évidente dans le
rapport pratique. Dans la sphère du théorique, son autonomie n’est qu’une liberté
apparente. L’objectivité comme telle ne fait qu’être, sans qu’en elle son concept, comme
unité et universalité subjectives, soit pour elle. Son concept se trouve en dehors d’elle.
C’est pourquoi la faveur, la satisfaction libre est dans la Troisième Critique un plaisir
« spécifiquement différent ».
Hegel, tout en admettant que l’intentionnalité esthétique se distingue de l’attitude
théorique et de l’attitude pratique, la pense comme l’unification de l’une et de l’autre :
« l’examen et l’existence des objets en tant qu’objets beaux sont l’unification de ces deux
points de vue, dès lors qu’ils abolissent l’unilatéralité de l’un comme de l’autre, tant en ce
qui concerne le sujet que son objet, et abolissent par là leur finitude et leur non-liberté »5.
1 D. Lories, « Kant et la liberté esthétique », Revue philosophique de Louvain, novembre 1981, tome 79,
4ème série, n° 44, p. 494.
2 Hegel, Esthétique, tome I, p. 155. Cette détermination est aussi présente chez Kant, puisqu’est bon
absolument ce plaît par le simple concept. Ce qui est bon à quelque chose est ce qui plaît comme moyen.
Dans les deux cas, se trouve contenu le concept d’une fin, par conséquent le rapport de la raison au vouloir, et
donc une satisfaction prise à l’existence de l’objet ou d’une action, c’est-à-dire un intérêt quelconque. Ce qui
est bon l’est comme objet du vouloir : « pour trouver que quelque chose est bon, il me faut toujours savoir
quelle espèce de chose doit être l’objet, c’est-à-dire en avoir un concept » (Kant, Critique de la faculté de
juger, § 4, p. 185).
3 Hegel, Esthétique, tome I, p. 157.
4 Kant, Critique de la faculté de juger, § 5, p. 188.
5 Hegel, Esthétique, tome I, pp. 155-156.