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Au terme de cette exploration des sources talmudiques de “l’Autre”... qui ouvre
sur l’Évangélique, une question va refaire surface : aurions-nous pu décortiquer
l’altérité plus en amont pour moins risquer l’anachronisme de son « jeu » sous
l’Antiquité ? Faute de quoi, comme tout le monde, on la manipule naïvement, en
donnée anthropologique trop immédiate. L’humanitas a ses impasses.
Une histoire revisitée de l’antique souci de soi fut amorcée par Michel Foucault
(L’Herméneutique du sujet, 1981) dans le but de montrer, selon Frédéric Gros
(Postface de 2001), « comment les pratiques de soi de la période hellénistique et
romaine » auraient produit une mutation de l’hellénisme inaugural du Connais-
toi toi-même, survolté par une neuve approche de soi par l’autre... En
systématisant “l’examen de conscience” du pythagoricien, le stoïcien, sentinelle
éthique du cosmos, aurait “fait le lit du christianisme”. Ainsi Foucault,
« Retour à la morale » : “Si j’ai entrepris une si longue étude, c’est bien pour
essayer de dégager comment ce que nous appelons la morale chrétienne était
incrusté dans la morale européenne, non pas depuis le monde chrétien, mais
depuis la morale ancienne” (d’entre IIe siècle « avant » et IIe « après »).
Mais “faire le lit” n’est pas la « Noce »... et il faut distinguer entre la façon dont
le judéo-christianisme émerge dans une confrontation avec des formes d’hellé-
nismes, dont le « cynisme » de L’Ecclésiaste, mais sur un axe (théurgique) des
plus judaïques, et la façon, par ailleurs, dont des éclectismes alexandrins et la
recherche stoïcienne d’un rapport à soi cosmopolitain participent d’une « prépa-
ration » au christianisme gréco-romain. Celui du “rentre en toi !” augustinien.
Ce “rentre en toi, homme, car c’est à l’intérieur de l’homme qu’habite la vérité”
(dont Husserl fit encore le sceau de son Cogito *) scelle la fin de l’Antiquité. Il
nous sort de « notre » époque. Passant par Epictète, de l’époque de Yabnéh, nous
devons en rester aux Apulée, Numenios ou Galien (131-201), ce contemporain
des apôtres, assez informé pour écrire que les dures zizanies entre ses collègues
médecins étaient pires que les divisions “entre juifs et chrétiens”. C’est dire...
Foucault pointe la fonction thérapeutique de « l’autre » dans son Traité des Passions.
De même, Thomas 32, aux échos canoniques : “Nul n’est prophète pour ses voisins, ni
médecin en sa maison.” (Cf. Berakhot 5.b : une guérison ne va jamais de (soi... à) soi.)