20 Magazine LVS | Décembre 2015
DOSSIER SPÉCIAL
Être Sépharade en Israël
Magazine LVS | Décembre 2015 21
ÉDITORIAL
Voici ce deuxième numéro du LVS
consacré à l’identité sépharade au-
jourd’hui, cette fois ci en Israël.
J’espère que vous aurez autant de
plaisir à le lire que nous en avons eu à
le concevoir et à découvrir les textes des
collaborateurs que nous avons sollicités.
Treize articles composent cette
livraison littéraire qui essaye d’appré-
hender, d’un point vue historique,
sociologique, religieux, humain et ar-
tistique, la réalité sépharade contem-
poraine en Israël se trouve la communauté sépharade, dans
son acceptation large, la plus importante au monde. Je vous les
présente ci-dessous sans préjuger de leur ordre d’apparition dans
notre magazine.
Daniel Haik revient sur les frustrations et les discriminations
que les Juifs sépharades ont ressenties au sein du jeune État hé-
breu et qui perdurent parfois encore de nos jours. Mais surtout, il
met en valeur leur résilience, leur réussite sur de nombreux plans
et leur volonté d’avancer et de préserver leur identité sépharade
comme un atout vers le succès. Ce désir de pallier diverses ca-
rences, tout en affirmant son identité sépharade, se retrouve aussi
au travers des initiatives du groupe féministe d’origine orien-
tale «Ahoti» (ma sœur). L’universitaire Nelly Las nous permet
de mieux connaître ce groupe actif qui se bat pour les droits des
femmes et la justice sociale.
Il sera à nouveau question, dans ce numéro, d’une tendance
à l’ultra-orthodoxisation, voire de l’ashkénisation d’une partie
du monde sépharade dans l’entretien avec le sociologue Yaakov
Loupo. Mais aussi de la manière dont certains, jeunes filles et
jeunes hommes, choisissent de fuir ou de sortir de ces commu-
nautés dans lesquelles ils se sentent étouffés comme le souligne
l’anthropologue Florence Heyman dans son dernier ouvrage.
Le jeune Gabriel Abensour que nous avions eu le plaisir de re-
cevoir à ALEPH, il y a deux étés, nous montre une fois de plus toute
l’ingéniosité et la souplesse dont peuvent faire preuve les rabbins
sépharades israéliens en matière de loi juive, tout en respectant
les impératifs de celle-ci. Vous serez plus d’une fois étonnés et
ses propos vous rappelleront, sans doute, le judaïsme sépharade
ouvert de votre enfance.
Le Dr. Mikhael Benadmon, tout en résumant les nou-
veaux défis auxquels sont confrontés les rabbins sépharades au
21e siècle, présentera le programme de formation sur l’héritage
sépharade que certains choisissent de suivre et qui les met au
cœur du passage entre l’Orient et l’Occident et aussi dans le dia-
logue avec l’Islam.
Nous donnerons la parole dans notre prochain numéro au
rabbin Haim Amsellem, figure importante de ce renouveau de la
réflexion rabbinique sépharade en Israël.
Gabriel Goldenberg, jeune montréalais francophone, issu
d’un mariage sépharade/ashkénaze, a accepté de répondre à nos
questions sur sa préparation à l’alya, la «montée» ou l’immigra-
tion en Israël et son vécu là-bas depuis quelques années. Ses pro-
pos inspireront peut-être d’autres jeunes à faire le pas. Qui sait?
Le psychanalyste et éducateur Henri Cohen-Solal nous
montre comment, le fait d’être sépharade de culture franco-
phone a participé à la réussite en Israël du projet des «maisons
chaleureuses», structures d’accueil pour les jeunes Sépharades
en difficulté sociale, économique ou psychologique. Modèle qui
se décline maintenant dans d’autres continents et pour d’autres
communautés!
Il était impossible de couvrir tous les arts et la culture sépha-
rade en Israël. De grâce, n’oubliez pas qu’il s’agit d’un magazine…
Aussi avons-nous choisi de parler du cinéma avec un article ins-
tructif sur le personnage du juif sépharade dans le cinéma israé-
lien, du cinéaste Serge Ankry, que nous publierons en deux par-
ties. Et nous avons montré un aspect de la littérature sépharade
israélienne grâce à l’extrait d’un texte du linguiste Cyril Aslanov.
Nous avons également donné la parole à Sidney Saadya
Elhadad, leader de la communauté sépharade et hassidique bres-
lev de Montréal, afin de compléter le précédent dossier consacré à
«être sépharade à Montréal».
L’entretien d’Elias Levy avec l’intellectuel Georges
Bensoussan replace le départ des Juifs du Maroc, notamment vers
Israël, dans le cadre de ce que fut cet exode des Juifs des pays arabes
et d’Iran. Exode que nous commémorons depuis deux ans, chaque
30novembre, au sein du Festival Sefarad, dans le cadre d’une jour-
née qui leur est mondialement consacrée.
La chronique de Maurice Chalom, notre fidèle collaborateur,
conclut ce dossier par un texte personnel, dans lequel plus d’un
ou d’une se retrouvera car il met en exergue les liens qui nous
unissent à Israël, et «le rêve inachevé» pour reprendre son titre,
d’y habiter.
«Car mon cœur est à Sion et mes yeux sont là-bas»1, me
reviennent ces vers du poète sépharade Judah Halevi (1075-1141)
au moment de mettre le point final à ce dossier.
Il ne me reste donc plus qu’à vous souhaiter une bonne
lecture!
Dr Sonia Sarah Lipsyc
P.-S. : l’orthographe de séfarade ou sépharade diffère
d’un auteur à l’autre. Nous avons choisi de respecter le choix
de l’auteur(e). Nous nous sommes efforcés de traduire tous les
termes en hébreu de sorte que personne, de notre communauté
ou en dehors de celle-ci, ne soit pénalisé dans la compréhension
des termes. Le sigle ndr correspond à «note de rédaction», nous
l’introduisons généralement, entres parenthèses, après avoir
explicité une expression. Enfin, nous avons inséré les dates et
siècles des personnalités dont il était à chaque fois question afin,
cher lecteur et chère lectrice, de vous offrir un maximum d’infor-
mations dans la compréhension d’une histoire et d’une réalité qui
nous sont communes.
1Dans «Le Cœur éveille», poème traduit dans Ami Bouganim, Le Feu et l’or,
Pathways édition, Israël 1992, page 232.
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ÊTRE SÉPHARADE EN ISRAËL | DOSSIER SPÉCIAL
Les Séfarades d’Israël :
de la frustration
à la contribution
Dans l’État d’Israël d’aujourd’hui, la discrimination entre
Séfarades et Ashkénazes n’a pas encore totalement disparu. Elle
a subi une mutation et s’exprime bien plus discrètement que par
le passé. Mais surtout, elle est mise à l’écart par de plus en plus
de cadres sociaux qui, au lieu de gémir sur leur sort, préfèrent
construire en utilisant les clés renfermées dans l’inestimable
patrimoine culturel et religieux séfarade, et en les mettant au
service d’une société israélienne en perpétuelle quête d’unité et de
solidarité sociale.
Daniel Haïk
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ÊTRE SÉPHARADE EN ISRAËL | DOSSIER SPÉCIAL
La persistance d’une discrimination à l’encontre
des Séfarades
En février dernier, en 2015, un mois avant les élec-
tions législatives qui ont conduit à la formation du gouver-
nement Nétanyaou, une étonnante rencontre s’est tenue
à Jérusalem. Une délégation d’anciens responsables des
« Panthères Noires » conduite par l’ex-député Charlie
Bitton, est venue faire acte d’allégeance politique au parti
sépharade orthodoxe Chass et à son leader Arié Dérhy. La
chaleureuse poignée de main entre Bitton, l’ex-commu-
niste laïc et Derhy l’ultra-orthodoxe pouvait paraitre sur-
réaliste. Outre leurs mêmes origines marocaines, que pou-
vait-il bien y avoir de commun entre l’ex-communiste laïc
et le rabbin ultra-orthodoxe ? Réponse : un même senti-
ment persistant de discrimination des séfarades en Israël.
Car pour eux, pas de doute possible : 40 ans après l’apo-
gée du grand mouvement de protestation sociale déclenché
par les Panthères Noires dans les quartiers défavorisés de
Mousrara et Katamon à Jérusalem, et 30 ans après la créa-
tion par Ovadia Yossef, zal, (1920-2013) Grand Rabbin Sé-
pharade d’Israël de 1973 à 1983, et par Arié Derhy lui-même,
du parti orthodoxe séfarade Chas dont la devise appelait à
restaurer l’honneur perdu des Séfarades, il existe toujours
dans l’Israël de 2015 une forme de ségrégation entre Sépha-
rades et Ashkénazes.
Un sentiment qui s’est consolidé au cours des dernières
années au travers de plusieurs développements sociaux
marquants, comme cette surprenante affaire de l’école or-
thodoxe de la localité d’Immanuel en Samarie dont les diri-
geants avaient dressé un mur au centre de la cour afin de
séparer écolières sépharades et ashkénazes1 ! Par la suite,
en 2013, un passionnant documentaire réalisé par le jour-
naliste israélien Amnon Levy avait prouvé la profondeur
du sentiment de frustration des Séfarades vivant dans cer-
taines villes de développement du Néguev. Levy avait alors
appuyé son argumentaire en avançant des données perti-
nentes. Ainsi, on apprenait que dans les universités israé-
liennes, seul un étudiant sur quatre est Séfarade; que dans
le corps universitaire, on ne compte guère plus d’un pro-
fesseur séfarade sur dix; que les salaires des Séfarades sont
inférieurs de 25 % à ceux des Ashkénazes et que 90% des
juges israéliens dans les plus hautes instances sont Ashké-
nazes, alors que l’immense majorité des délinquants incar-
cérés dans les prisons israéliennes sont d’origine séfarade.
Au lieu d’analyser ces conclusions préoccupantes, plu-
sieurs faiseurs d’opinions avaient reproché à Lévy d’avoir
voulu délibérément faire rejaillir le «démon communau-
taire», terme effrayant qui curieusement, ne s’est jamais
appliqué à d’autres qu’aux Séfarades d’Israël.
Des bouleversements dans la société
israélienne depuis 40 ans
Alors bien évidemment, il est difficile de balayer d’un
revers de manche des données qui confirment la persistance
du problème. Toutefois, les brandir pour prétendre que rien
n’a changé en 40 ans et que les Séfarades sont toujours au-
jourd’hui les laissés-pour-compte de la société israélienne,
serait falsifier l’histoire.
Car durant ce laps de temps, l’État d’Israël a vécu plu-
sieurs bouleversements qui ont irrémédiablement modifié
son paysage social.
—Bouleversement politique d’abord, avec l’arrivée au
pouvoir en 1977, d’un Menahem Begin (1913-1992) qui, en
dépit de ses origines ashkénazes-polonaises, avait été le
premier à percevoir le cri de colère des ces Séfarades d’Israël
envers un establishment travailliste, ashkénaze et laïc, qui
les avait plongé, eux qui étaient si fiers de leur patrimoine,
dans une réelle détresse sociale. En offrant une chance po-
litique à plusieurs jeunes «loups» séfarades , tels David
Lévy ou Meir Chitrit, Begin avait déjà commencé à laver
l’affront de ceux que les pères fondateurs appelaient, avec
mépris, le «Second Israël» et que Golda Meir avait qualifié
dans une formule bien malheureuse de «pas sympas».
Bouleversement sociologique ensuite, avec l’ar-
rivée, dans les années 1990, de plus d’un million et demi
d’immigrants de l’ex-Union Soviétique : une alya (mon-
tée en Israël) massive qui a eu deux effets majeurs: elle a
d’abord permis aux Séfarades de grimper d’un cran dans
l’échelle sociale d’Israël en trouvant dans cette population a
forte majorité ashkénaze, plus nécessiteux qu’eux-mêmes.
Et par ailleurs, elle a rompu définitivement une forme de
parité numérique qui existait jusque dans la société israé-
lienne entre Ashkénazes et Séfarades.
—Autre bouleversement majeur, religieux cette fois,
avec le développement fulgurant, dans les années 1990, du
parti Chass qui a su, en particulier grâce à la personnalité
hors normes du gand rabbin Ovadia Yossef canaliser les dé-
sirs de revanche d’une partie des Séfarades d’Israël, et les
orienter vers un retour à la tradition juive sans toutefois,
aux yeux de certains - dramatique paradoxe - vouloir sin-
cèrement extraire cet électorat des couches sociales les plus
défavorisées, en leur proposant, par exemple, un réseau
éducatif de qualité de crainte qu’il ne lui échappe, défini-
tivement.
Ces bouleversements expliquent pourquoi, s’il existe
toujours une discrimination sociale entre Séfarades et
Ashkénaze, celle-ci a opéré une profonde mutation.
1Pour plus de détails sur cette affaire qui débuta en 2009 voir Adrien Jaulmes,
«Les Ultra Orthodoxes déent Israël», Le Figaro, 17.06.2010 (note de la rédaction)
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ÊTRE SÉPHARADE EN ISRAËL | DOSSIER SPÉCIAL
Une discrimination dans tous les milieux
qui ne dit pas toujours son nom
Elle demeure certes omniprésente et décomplexée dans les milieux ortho-
doxes-harédi (ultra orthodoxe littéralement «craignant Dieu»). Outre l’affaire
de l’école d’Immanuel, il est de notoriété publique que pour espérer être accep-
dans les plus prestigieuses yéchivot (écoles académiques) ashkénazes-litua-
niennes de la ville de Bné Brak, il est préférable de s’appeler Goldberg plutôt que
Bensoussan et que certains candidats séfarades sont prêts à «retoucher» leurs
origines pour y être admis! De même, un jeune étudiant harédi-séfarade, même
particulièrement brillant, n’aura aucune chance d’être présenté à une jeune fille
de bonne famille ashkénaze. Les exemples d’une telle ségrégation ne manquent
pas. Et le comble de l’absurde est que même les leaders du Chass, préfèrent au-
jourd’hui encore user de la vitamine P (Protection ou Piston) pour faire accepter
leurs enfants dans les grandes yéchivot ashkénazes plutôt que de les inscrire dans
des yéchivot séfarades moins cotées.
Ceci dit, dans le reste de la société israélienne, par contre, tout est plus
diffus, plus discret, moins voyant. D’abord, parce que toute discrimination sur
fond d’origine communautaire est officiellement proscrite. D’ailleurs, signe de
temps nouveaux: le Bureau national des Statistiques prétendant qu’il est devenu
impossible de qualifier de Séfarades ou d’Ashkénazes des jeunes israéliens dont
les parents sont issus des deux communautés ou dont les grands-parents sont
originaires de quatre diasporas différentes, a cessé de fournir des données en
fonction des origines des Israéliens. Ensuite parce que le «politically correct» a
travaillé des heures supplémentaires, au cours des dernières années, sur le dos-
sier séfarade: la presse et les médias israéliens ont modifié leur terminologie.
Ainsi, ils préfèreront parler de la «Périphérie» et du «Centre», plus pré-
cis que les définitions de Séfarades et Ashkénazes. Mais les dérapages existent
bel et bien: dans son documentaire, Amnon Levy cite le cas d’une jeune femme
d’origine séfarade qui s’est mariée à un ashkénaze: à la recherche d’un emploi,
elle a envoyé son CV sous son nom de jeune fille et s’est vue opposer une fin de
non recevoir. Quelques jours plus tard, elle a renvoyé le même CV avec son nom
de femme mariéeet elle a été admise.
Il y a également le poids d’un héritage discriminatoire que l’on ne parvient
pas toujours à effacer. Exemple : dans le secteur immobilier, les kibboutzim
proches de la métropole telavivienne, et dont la population est très majoritai-
rement ashkénaze ont pu sans difficulté et avec l’aval de l’État, s’enrichir en
vendant au prix fort à des promoteurs, une partie de leur terres cultivables. Par
contre dans les villes de développement, les Israéliens nécessiteux, en forte ma-
jorité séfarades sont sommés d’acheter le vétuste appartement de HLM qu’ils
louent de longue date sous peine d’en être expulsés. Personne bien entendu
n’affirmera qu’il y a là discrimination. Mais en regardant de plus près, elle existe
bel et bien.
«De la douleur à la force», des initiatives constructives séfarades
Toutefois face à cela, un changement passionnant est en train de se pro-
duire. Longtemps, dans la réalité israélienne, les Séfarades ont été perçus
comme d’éternels mécontents, de sempiternels frustrés, se plaignant de leur
sort et fustigeant ceux qu’ils tenaient pour responsables de leur statut social. À
tel point que souvent, «Séfarade» est devenu synonyme de «pleurnicheur».
L’ex-chef de la diplomatie David Levy en a été la personnification la plus mar-
quante, suivi de près par Arié Derhy et Elie Ichai, leaders de Chass...
«... La presse
et les médias
israéliens ont
modié leur
terminologie. Ainsi,
ils préfèreront
parler de la
«Périphérie» et
du «Centre»,
plus précis que
les dénitions
de Séfarades et
Ashkénazes.»
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