CULTURE-MATCH | VENDREDI 27 JUILLET 2012 LES AMES EN PEINE, PAR VALÉRIE TRIERWEILER Frédéric Lenoir | Photo Eric Garault / Pasco « L’âme du monde », éd. Nil, 216 pages, 18 euros. Valérie Trierweiler - Paris Match Dans son nouveau texte, le philosophe Frédéric Lenoir imagine un monde où Dieu serait remplacé par une « âme du monde ». Passionnant ! F rédéric Lenoir revient. Après le « Petit traité de vie intérieure » et « Dieu », le philosophe des religions publie « L’âme du monde » déjà en tête des ventes. Tiré à 90 000 exemplaires, ce conte philosophique s’arrache dans toutes les librairies. Preuve que les âmes sont bien en peine. Lenoir nous livre ici le récit d’une rencontre entre huit sages, de religions et de cultures différentes : un moine chrétien américain, un kabbaliste israélien, une philosophe néerlandaise, une mystique indienne, un maître soufi africain, une chamane de Mongolie, un maître taoïste chinois et un lama tibétain. En l’espace de quelques heures, tous sont appelés à se retrouver « au pied de la montagne blanche » située au Tibet. Ils parcourent chacun des milliers de kilomètres pour échanger et enseigner les piliers de la sagesse. Deux adolescents les accompagnent, Tenzin et Natina, qui, plusieurs jours durant, écouteront leurs précieux conseils tout en vivant leurs premiers émois amoureux. Le lendemain de leur arrivée, les huit élus font le même rêve étrange. Chacun d’entre eux a vu la ville sainte ou le lieu symbolique lié à leur religion entièrement détruit : Jérusalem anéantie par un tremblement de terre, La Mecque dévastée, Bénarès engloutie, la basilique Saint-Pierre en ruine, etc. Jusqu’à cet instant, les sages ignoraient ce qui les avait réunis. Ensemble, ils réfléchissent à la signification du songe et en déduisent qu’ils « vont peut-être assister à la fin d’un monde fondé sur les grandes traditions religieuses et à l’émergence d’une nouvelle ère coupée de ses racines métaphysiques ». Aussi décident-ils d’en tirer un enseignement et de le transmettre aux deux adolescents. Les voilà enfermés dans le monastère de Toulanka, à établir, tout d’abord, une démarche. La question des rituels est évacuée au profit des préceptes et des expériences. Exit également la référence au Dieu, au Dharma, au Tao, à l’Absolu. Ils décrètent « l’âme du monde ». Cette formule provenant des philosophes grecs signifie « la présence dans l’univers d’une force mystérieuse et bonne qui maintient l’ordre du monde ». En sept jours, les sages font l’examen des sept piliers de la sagesse. C’est alors que la référence à leur religion disparaît. L’auteur choisit de faire intervenir « un sage » puis un autre « sage » et l’on ne sait plus qui est qui, et surtout plus aucun d’entre eux n’est le porte-voix d’un culte. C’est au travers de mini-contes que chacun exprime une expérience qui recèle une leçon de vie. Frédéric Lenoir, avec l’aide d’Aurélie Godefroy, a collecté des centaines de légendes vieilles de plusieurs siècles et parfois transmises uniquement de façon orale à travers les générations. Le philosophe a choisi d’enlever les références culturelles afin d’en révéler le caractère universel. Le premier jour, les sages s’interrogent sur le sens de la vie. Pourquoi sommes-nous sur terre ? Avonsnous une destinée à accomplir ? Comment atteindre un bonheur véritable et durable ? Notre esprit disparaît-il avec le corps physique ? Au troisième jour, ces érudits analysent les ressorts de la liberté. « On ne naît pas libre, on le devient », explique un des personnages. « Etre libre, c’est aussi ne pas agir en fonction du regard d’autrui. Or, bien souvent, nos actions ou nos réactions sont mues par le désir de plaire ou de ne pas déplaire, de se conformer aux usages communs ou bien au contraire de se rebeller contre eux, d’attirer l’attention ou de rester discrets. Agissant ainsi, nous sommes prisonniers du regard des autres », ajoute un autre. Le débat s’installe sur la conquête de la liberté. Un des sages s’appuie alors sur le conte suivant : un père conseille à son fils, pour devenir adulte et apprendre à se défaire du regard des autres, de se rendre dans un cimetière. D’insulter les morts. Il ne se passe rien. Puis de chanter les louanges des morts. Rien non plus. « Eh bien, voici mon conseil : pour être libre, passe comme un mort entre le mépris et la louange », dit-il en guise de conclusion. Tandis qu’un autre père intime à son fils : « Le secret du bonheur ? [...] Fais ce que tu aimes ou ce que tu penses juste de faire, et tu seras heureux. » Pas étonnant que les livres de Frédéric Lenoir, qui se décrit au carrefour de la psychologie, de la philosophie et de la spiritualité, aient un tel succès. Chacun y trouve la réponse à ses questionnements… Et Dieu sait qu’ils sont nombreux. Créé 13-06-2012 18:24 Frédéric Lenoir est historien des religions et philosophe. Photo : Baltel/SIPA Frédéric Lenoir nous rend spirituels Après le carton de son "Petit traité de vie intérieure", son nouveau livre, "L'âme du monde" (Nil), fait un tabac. Rencontre avec Frédéric Lenoir, sur la popularité croissante des spiritualités. La spiritualité est-elle la nouvelle valeur refuge des Français ? Je ne crois pas que ce soit une mode. C'est dans la logique de l'évolution de nos sociétés. Tout homme se pose des questions sur le sens de sa vie, comment être heureux, quelles sont les valeurs essentielles... Ce sont des questions fondamentales, qui ont été longtemps captées par la religion. On allait donc chercher ses réponses dans la religion. Et devant la crise très forte du religieux en France, qui est le pays le plus athée d'Europe - on n'est plus qu'à 10% de pratique religieuse -, il est logique que ces questions continuent d'exister et qu'on les cherche ailleurs. Où ? Dans la philosophie, d'où le renouveau de la philosophie comme sagesse de vie, avec le succès des ouvrages d'André Comte-Sponville, de Luc Ferry, de Michel Onfray... Ces philosophes donnent du sens, répondent à des questions existentielles comme comment vivre mieux. Dans le bouddhisme, dans les religions asiatiques, qui n'apparaissent pas comme des religions dogmatiques mais plus comme des sagesse pratiques. Aujourd'hui, la Chine a pris le relais, les gens s'intéressent plus à Confucius, à Lao-Tseu, et tout ce qui va avec, le feng shui, le tai chi... Ce sont des spiritualités très concrètes. Et puis, il y a le développement personnel, avec un certain nombre d'ouvrages entre la spitirualité et la psychologie, comme ceux de Christophe André, sur la méditation replacée dans un contexte psychologique. Regardez "Le pouvoir du moment présent", d'Eckhart Tolle, il ne quitte pas les listes des best-sellers en poche alors qu'il est sorti il y a dix ans ! Et vous, où vous situez-vous ? Je suis un peu au carrefour de la philosophie, de la psychologie et de la spiritualité. Mes références, ce sont Jung, Freud, mais aussi Socrate, Spinoza, et Jésus et Bouddha ! Je fais une synthèse de tous les grands penseurs et sages de l'humanité, qui se posent la question de comment vivre bien. Dans "L'âme du monde", l'idée était de faire un conte universel, accessible à tous, sous la forme d'une fiction qui donne un peu la quintessence des sagesses du monde. En prenant sept sages dont une philosophe spinoziste, une chamane de Mongolie, une hindouiste, un maître soufi, un taoïste, un moine, un kabbaliste... Ces gens se retrouvent réunis dans un monastère au Tibet, où ils devront transmettre les fondements de la sagesse universelle à deux adolescents, un Tibétain et une Européenne. Je fais une synthèse que j'appelle les sept clés de la sagesse, via un enseignement un peu poétique, avec des contes et légendes collectés un peu partout. Ils sont confrontés à la nécessité de voir ce qui les rassemble, au-delà de toutes leurs divisions culturelles. Qu'est-ce qui divise les religions ? C'est la culture. C'est l'histoire, les rituels, le dogme, le nom qu'on donne à l'absolu. Ce sont les croyances qui divergent, alors que l'expérience spirituelle rassemble. On retrouve des conseils de sagesse qui sont les mêmes partout : vivre l'instant présent, être attentif à ce qu'on fait, savoir s'intérioriser pour se connaître... Que la liberté doit conduire à l'amour, l'amour doit passer par un amour de soi, tellement de choses qu'on retrouve partout, mais dites autrement. S'il n'y a qu'un message à retenir ? Si on porte en soi un certain regard, une certaine conception du monde, où qu'on soit, on retrouvera les mêmes problèmes ou les mêmes joies. C'est donc un travail sur soi qu'il faut faire avant tout dans sa quête de sagesse. Le bonheur et le malheur sont en nous, pas dans les événements extérieurs. Rien que prendre conscience de ça, ça change la vie ! C'est très individuel, pourtant ça a tout l'air d'un sport d'équipe... C'est une démarche individuelle qui a besoin des autres, oui. Mais c'est d'abord une démarche individuelle. A l'inverse des religions, qui peuvent être vécues comme un rite social, culturel, collectif. La spiritualité engage la personne, pour se transformer, s'améliorer. On a donc besoin de guides, voire d'un psy, de lire certains auteurs. C'est aussi collectif dans la mesure où ça s'incarne dans la relation aux autres. La spiritualité débouche sur l'amour, sur une meilleure relation avec les autres. Au niveau planétaire, il y a de quoi changer le monde, non ? La guérison du monde viendra par le fait que de plus en plus de gens seront transformés et vivront autrement. C'est tout à fait possible, d'ailleurs ça progresse. Le développement durable, le bio, le refus de faire souffrir les animaux... De plus en plus de gens veulent vivre et agir de manière responsable. C'est un mouvement de la société qui grandit, qui va se démocratiser de plus en plus. Et si j'ai écrit "L'âme du monde", c'est aussi pour démocratiser la spiritualité pour les jeunes. De plus en plus de jeunes font de courtes retraites dans les monastères. Tout ce que je transmets, c'est la sagesse vécue par des hommes depuis des millénaires. Nul besoin d'être croyant. Ce sont des conseils de vie qui ont fait leurs preuves. A lire : "L'âme du monde", éditions NIL, 198 p. 18 euros. Notre sélection L'Âme du monde Frédéric Lenoir NiL, 2012 Dans son dernier ouvrage, L’Âme du monde, Frédéric Lenoir nous offre un conte initiatique : à la veille d’une catastrophe apocalyptique, un jeune moine tibétain et une jeune Européenne reçoivent l’enseignement de huit sages, issus des diverses religions et spiritualités. Captivant. Votre roman se passe au Tibet, dans un monastère bouddhiste. Pourquoi ? Avec les écoles de philosophie grecque, dont je m’inspire beaucoup, le bouddhisme tibétain est sans doute le courant de sagesse actuel qui insiste le plus sur l’expérience personnelle et la transformation de soi. Comment la transmission de la sagesse pourrait-elle sauver le monde ? Bergson disait que notre monde avait besoin d’un « supplément d’âme » pour faire face aux défis nouveaux. La grande révolution à venir ne sera donc pas politique, mais spirituelle et éthique. Des différents enseignements transmis à vos héros, lequel retenez-vous ? Un des sages dit : « Tout le chemin de la vie, c’est de passer de l’ignorance à la connaissance, de l’obscurité à la lumière, de l’esclavage des sens à la liberté de l’esprit, de l’inaccompli à l’accompli, de l’inconscience à la conscience, de la peur à l’amour. » J’ajouterais : « En demeurant attentif à l’instant présent ! » Propos recueillis par Elsa Godart Prix 18,00 € Actualité et nouveautés littéraires l'âme du monde, Frédéric LENOIR 22 juin 2012 l'âme du monde, Frédéric LENOIR C'est un récit aux accents très spirituels que nous propose ici Frédéric LENOIR. D'une densité sémantique forte, le livre se tient en poseur de questions. Ces réflexions mutliples pourraient toutefois être un peu difficiles à gérer pour le lecteur, prit entre une intrigue désiquilibrée et ces questionnements réccurents. L'âme du monde se compose de plusieurs sens, à définir selon chaque lecteur. Il est cependant ce thème dont il est question au fil du texte, porté par de - trop ? nombreux personnages. En effet, cette affluence de protagonistes pourrait rendre le récit plus complexe à assimiler - l'esthétique des prénoms s'y ajoutant. Le foisonnements de phrases philosophiques, prêtant à réfléchir, rend le texte quasi onirique et mystique. On pourrait également rapprocher L'âme du monde du conte, dont l'intrigue n'est pas foncièrement recherchée. Il n'y a donc pas de réelle surprise narrative, l'intrigue étant fondée sur des considérations approximatives sur l'homme et la vie. Des questions intéressantes sont parfois posées, mais elles ne sont malheureusement amenées nul part. Un lecteur lambda pourrait se demander si Frédéric LENOIR ne choisit pas d'écrire un récit existentiel pour écrire un récit existentiel uniquement. La structure narrative serait donc peu stable; Tout comme le style du texte. En effet, étroitement lié au contenu, il se compose majoritairement d'un assemblage de préceptes sans réel usage pour le livre, qui ne prétendent cependant pas avoir une réelle utilité. L'écriture en soi est, par ailleurs, fluide, simple, et sans faux pas notoire dans l'appréhension des choses. Typique d'un livre de développement personnel, les amateurs de réflexions existentielles trouveront leur compte dans L'âme du monde. Malgré une impression d'inabouti sur de nombreux points, le travail de recherche sur les différentes civilisations présentées est à saluer. L'âme du monde, Frédéric LENOIR, Nil, mai 2012, 18€