Extrait de la publication Extrait de la publication Extrait de la publication BIBLIOTHÈQUE DE PHILOSOPHIE Extrait de la publication Extrait de la publication Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S. © Éditions Gallimard, 1968. De temps à autre, après de longs efforts, la clarté tant désirée nous fait signe, nous croyons les résultats les plus magnifiques si proches de nous que nous n'aurions plus qu'à tendre la main. Toutes les apories semblent se résoudre, le sens critique tranche les contradictions par le calcul, et il ne reste plus dès lors qu'un dernier pas à accomplir. Nous faisons le total; nous commençons avec un « donc très conscient et alors nous découvrons tout à coup un point obscur, qui ne cesse de s'accroître. Il se développe en énormité effrayante, qui engloutit tous nos arguments et anime d'une vie nouvelle les contradictions que l'on venait de trancher. Les cadavres revivent et se dressent en ricanant. Le travail et le combat reprennent au point de départ x. E. HUSSERL. 1. Fragment du début de l'introduction des Vorlesungen zur Phânomenologie des inneren Zeitbewusstseins, supprimé dans l'édition de 1928, relevé sur les manuscrits et traduit par H. Dussort. Extrait de la publication PREMIÈRE PARTIE Les Vorlesungen zur Phânomenologie des inneren Zeitbewusstseins d'E. Husserl (1905-1917)11 1. Ces Vorlesungen ont été publiées par M. Heidegger, chez Niemeyer (Halle), en 1928. Les deux dates que nous indiquons 1905-1917, correspondent aux dates extrêmes entre lesquelles sont compris les textes qui les composent. La date réelle des textes est en effet plus importante que celle de leur publication (encore que celle-ci puisse avoir aussi sa signification, par exemple en tant que publication retardée, comme c'est précisément le cas ici). Les Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps constituent le seul texte sur le temps qui ait paru du vivant de Husserl. C'est donc ce texte qu'il faut interroger pour connaître la pensée de Husserl sur les problèmes de la temporalité, quel que puisse être par ailleurs l'intérêt des manuscrits inédits qui portent sur le même sujet. Non point tant parce que les Leçons bénéficient de l'autorité de la chose publiée, que parce que l'acquis de ce travail, et d'abord son langage, sont indispensables à la compréhension des inédits. Davantage, l'étude de cet unique texte publié est sans doute la meilleure façon de parvenir à comprendre que les recherches de Husserl sur le temps ne sont pas restées pour la plus grande part inédites par accident, mais, si l'on ose dire, inédites par destin. Elles correspondent en effet au niveau ultime des difficultés que la phénoménologie rencontre à l'intérieur d'elle-même, et dont le caractère inextricable fait sans cesse reculer pour Husserl la possibilité effective et peut-être même la signification de ce fameux commencement qu'il aura désiré jusqu'au dernier souffle. Dans l'édition de 1928, les Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps comprennent une introduction et trois sections (à quoi s'ajoutent les « compléments » en fin de volume, rituels dans les ouvrages husserliens) L'introduction, réduite à deux paragraphes, pose les ques- Extrait de la publication Le Sens du Temps et de la Perception tions de méthode. Datant pour l'essentield'un cours de igo5, elle constitue le premier effort de systématisation de ce qui s'appellera quelques mois plus tard la « réduction ». La première section, assez courte elle aussi, comporte l'exposition et la critique de la théorie du temps de Brentano. La deuxième section est de beaucoup la plus développée, comme le laisse prévoir son titre « Analyse de la conscience du temps. » En dépit d'un certain désordre de détail, cette section se laisse diviser assez bien en trois groupes de textes Paragraphes7à 10(plus le § 11,er alinéa) établissement de la notion de tempo-objet2 et description de la structure temporelle fondamentale; Paragraphes i1 (2e alinéa) à 29 analyses de la conscience du présent ou conscience du perçu et de la conscience de passé ou conscience de souvenir (un seul paragraphe étant consacré à la conscience du futur ou conscience d'attente); Paragraphes 3o-33 analyse de la constitution du temps objectif. La troisième section enfin ne diffère de la seconde indique le paragraphe 34 que comme une reprise « systématique » diffère d'une simple description « des phénomènes les plus manifestes3 ». La constitution de la temporalité immanente (perception et souvenir) et celle de la temporalité objective se trouvent en effet rapportées toutes deux, dans cette dernière section, à un point d'origine plus élevé, d'où l'ensemble reçoit sa cohérence systématique. Ce point d'origine est appelé le « Flux de la Subjectivité absolue », ou encore le « Présent Vivant ». L'importance de ces thèmes fait à vrai dire de la troisième section quelque chose de plus que la simple reprise systématique des analyses précédentes elle en fait le lieu où l'ouvrage tout entier prend sa signification métaphysique. Ce découpage de l'édition de 1928 en une introduction 1. Nous disonspour l'essentiel », parce que tous les manuscrits de base (le cours de 1905, les textes de 1908-1909, ceux de 1911) ont été touchés par des remaniements datant de 1917, parfois minimes (comme c'est le cas ici), parfois plus importants. 2. Nous traduisons par « tempo-objets» l'expression husserlienne « Zeitobjekte . L'originalité de la notion, que nous aurons à reconnaître par la suite, explique l'étrangeté de la traduction. 3. Cf. Vorlesungen, Niemeyer, § 34, p. 427-428 t Nachdem wir, von den augenfâlligsten Phfinomenen ausgehend, das Zeitbewusstsein studiert haben. wird es gut sein, die verschiedenen Konstitutionstufen. systematisch durchzugehen. i Extrait de la publication Le Sens du Temps et de la Perception ne peut cependant servir sans plus à et trois sections guider notre lecture du texte, même s'il convient, avant toute mise en question, de « recenser » pour ainsi dire simplement son contenu. L'unité de ce contenu n'apparaît pas en effet d'elle-même à travers sections et paragraphes. Elle ne peut apparaître que si nous faisons ressortir le lien entre les pages du début, où l'attitude phénoménologique s'assure d'elle-même et de son terrain, les analyses centrales sur le temps immanent et le temps objectif, enfin la métaphysique du Présent Vivant. Or ce lien se noue (c'est-à-dire que tout par conséquent se joue) dès le début dans la façon dont Husserl conquiert une notion phénoménologique du temps. De cette notion en effet dépend entièrement la compréhension des détours des analyses centrales et celle de la doctrine du Présent Absolu. Mais la conquête de cette notion ne se réduit pas aux seules considérations de méthode contenues dans l'introduction elle s'effectue en outre à travers la critique de Brentano, et surtout par l'élaboration de l'idée de « tempo-objets », sur laquelle Husserl établit ce qui, pour tout l'ouvrage, restera de façon décisive la structure fondamentale du temps. Il faut donc étudier comme un tout (comme une véritable « première partie ») cet ensemble de textes qui, dans la publication de Niemeyer, va du paragraphe i (et même du « chapeau » de l'Introduction) au premier alinéa du paragraphe 1inclus, soit l'introduction, la première section et le début de la deuxième section. L'importance de cette première partie véritable est telle qu'elle justifie un recensement du texte paragraphe par paragraphe, et souvent dans le plus petit détail. Extrait de la publication Extrait de la publication CHAPITRE I LA CONQUÊTE D'UNE NOTION PHÉNOMÉNOLOGIQUE DU TEMPS (§ i-n, ier alinéa) A. SPÉCIFICITÉ DE L'ATTITUDE PHÉNOMÉNOLOGIQUE (Introduction « chapeau » et § 2) « Unser Absehen geht auf eine phânomenologische Analyse des Zeitbewusstseins » 1 « Ce que nous nous proposons est une analyse phénoménologique de la conscience du temps.» Cette déclaration sous la plume de Husserl va de soi, et nul lecteur ne s'attend, en ouvrant le livre, à y trouver autre chose qu'une analyse phénoménologique. Mais il faut se souvenir que l'introduction des Leçons sur le temps2 remonte au cours de 1905 qui sert de base à l'ouvrage publié en 1928 (et explique aussi son titre). Son intérêt provient de ce que les « réflexions générales3» qu'elle contient sont les premières réflexions dans lesquelles la phénoménologie s'assure de sa spécificité et de sa méthode. Elle s'assure de sa spécificité par rapport aux deux seules dimensions culturelles dans lesquelles, jusqu'ici, il eût été possible de mener une analyse du temps la psychologie et la philosophie (celle-ci envisagée dans son moment kantien et appelée alors, conformément à l'usage constant de l'époque, « théorie de la connaissance »). La première phrase de l'introduction traduit déjà ce souci de se situer à l'égard des disciplines existantes 1. Vorlesungen, Niemeyer, § 1, p. 369. 2. Ainsi appellerons-nous, pour faire plus court, les Leçons pour une phénoméiwlogie de la conscience intime du temps. De même les références à l'original allemand sont données sous la forme « Vorlesungen, Niemeyer, p. xx..» 3. « Allgemeine Bemerkungen(Vorlesungen, Niemeyer, § 1, p. 369). Le Sens du Temps et de la Perception « L'analyse de la conscience du temps est une très ancienne croix de la psychologie descriptive et de la théorie de la connaissance 1. » Le rapprochement même de ces deux termes demande à être expliqué, car il n'a rien de fortuit sous la plume de Husserl à cette époque. Le sens (ou mieux l'un des sens.) de l'introduction des Leçons sur le temps est en effet de terminer une période d'hésitation, dans laquelle la phénoménologie oscille entre une parenté longtemps évidente avec la psychologie et une parenté de plus en plus affirmée avec les problèmes de type kantien. Ce moment d'hésitation de la phénoménologie sur sa propre situation et sa propre nature connaît son point culminant en igo3. Alors que dans les Recherches logiques (1901) Husserl acceptait encore (quoique de mauvais gré) de considérer son travail comme une sorte de « psychologie descriptive », il déclare au contraire dans un texte de igo32 qu'il s'agit pour lui de résoudre « les difficultés profondes attachées à l'opposition entre la subjectivité de l'acte de la connaissance et l'objectivité du contenu et de l'objet de la connaissance (la vérité et l'être) ». Un tel travail est conçu alors par Husserl lui-même comme une « critique de la connaissance », ou encore « il exige une phénoménologie de la connaissance » (expression qui se retrouve dans l'introduction des Leçons sur le temps, mais pour désigner un niveau plus primitif que celui d'une théorie de la connaissance) 3. Cette « Erkenntnissphânomenologie » est décrite d'une façon qui l'oppose à la psychologie descriptive « Elle a à fixer, à analyser les vécus de connaissance, en qui se trouve l'origine des idées logiques, en écartant toute interprétation qui dépasse leur contenu réel, puis à mettre en évidence la visée propre des idées logiques, leur essence générale. La nécessité de se faire comprendre amène le phénoménologue à user d'expressions objectivantes, comme lorsqu'il dit "nous trouvons" dans le "vécu" immédiat ceci ou cela. Mais en vérité ce ne sont là que des termes à signification indirecte; toutes les objectivations 1. Vorlesungen, Niemeyer, p. 368. 2. Cité par H. Dussort et tiré des« Archiv für systematische Philosophie », t. IX Bericht über deutsche Schriften zur Logik in den Jahren1895-1899 », p. 398-400. 3.« Erkcnntnissphânomeiiologic », dernier mot du § 1, Vorlesungen, Niemeyer, p. 373. Extrait de la publication La conquête d'une notion phénoménologique scientifiques ou métaphysiques restent complètement exclues. Aussi ne doit-on pas désigner sans plus la phénoménologie comme "psychologie descriptive". Elle ne l'est pas au sens rigoureux et propre. » Cependant ce que la phénoménologie est elle-même « au sens rigoureux et propre », le texte de igo3 ne permet encore pas de le formuler positivement, mais seulement dans un difficile et obscur équilibre entre deux négations. Car lorsque Husserl insiste sur le rapport de sa pensée à la théorie de la connaissance, c'est avant tout pour nier qu'elle soit une psychologie; et lorsqu'il nie qu'elle soit une psychologie « au sens rigoureux et propre », il laisse par là même entendre qu'elle est tout de même en un certain sens (en un sens nouveau et indéfini) une « psychologie », c'est-à-dire qu'il nie qu'elle soit purement et simplement une réitération du kantisme. L'introduction de igo5 aux Leçons sur le temps marque la fin de cette période de gestation où la phénoménologie ne peut se définir dans son quid proprium que par une double et obscure référence négative à ce qui existe positivement avant elle. Désormais elle s'assure de sa positivité, en niant cette fois tout à fait, et tout à fait clairement, la possibilité d'être comprise soit à partir de la psychologie, soit à partir de la théorie de la connaissance. Pour la première, elle est rangée définitivement dans la catégorie des sciences de la nature et relève comme elle de l' « objectivité » ou « réalité » qu'il faut mettre hors circuit « Pas plus que la chose réelle, le monde réel ne sont un donné phénoménologique, pas plus n'est un tel donné le temps chosique (reale Zeit), le temps de la nature au sens de la science de la nature, et aussi au sens de la psychologie en tant que science de la nature qui a pour objet le psychique 1. » Pour la seconde, c'est-à-dire pour la philosophie de type kantien, elle est clairement conçue maintenant comme une problématique qui laisse derrière elle quelque chose de plus primitif. En tant que question sur la « possibilité de l'expérience », la théorie de la connaissance est ou 1. Vorlesungen, Niemejer,§1, p. 3ôtf. Extrait de la publication Le Sens du Temps et de la Perception doit être ce que précisément elle n'est pas encore chez Kant une question sur l'essence de l'expérience 1. Mais une telle question ne peut s'instruire que dans le « retour aux données phénoménologiques, desquelles tire sa consistance cela même dont l'expérience est l'expérience2 ». C'est ce retour aux données primitives, par rapport auxquelles les dimensions traditionnelles de l'analyse du temps psychologie et philosophie apparaissent comme un niveau dérivé, qui ne saurait être celui d'un authentique commencement c'est ce retour que Husserl appelle « la question de l'origine du temps » « D'après quoi la question de l'essence du temps ramène à la question de l'origine du temps. Mais cette question de l'origine s'oriente sur les formes primitives de la conscience du temps, dans lesquelles les différences primitives du temporel se constituent intuitivement et authentiquement comme les sources originaires de toutes évidences qui ont rapport au temps 3. » Ainsi se trouve clairement revendiquée, dans l'introduction, la spéci ficité de la phénoménologie. Le moment du commencement, en toute pensée, est le moment décisif. C'est ce dont Husserl, à la fin de son œuvre, était lui-même conscient, comme en témoigne le texte d'une lettre de mars ig33dont H. Dussort, au cours de ses recherches, a remarqué l'intérêt et dont il cite le passage suivant « La phénoménologie constitutive, depuis qu'elle a percé pour la première fois jusqu'à la conscience de soi de sa signification méthodique (en igo5 avec la réduction phénoménologique), possède son développement cohérent absolument propre (hat ihre absolut eigene Konsequenz), exactement comme la physique exacte des modernes depuis Galilée. » Le sentiment et même la revendication de l'unité de l'œuvre à travers son développement, tel qu'il s'exprime dans ces lignes contemporaines de l'élaboration de la Krisis, nous paraît, et paraîtra à tout connaisseur de Husserl, 1. Vorlesungen, Niemeyer, § 2, p. 373. En s'exprimant ainsi, Husserl retrouve l'équivalence, traditionnelle dans la métaphysique, de la a possibilitas » et de l' essentia». 2. Loc. cit. Nous traduisons parcela même dont l'expérience est l'expérience» l'allemanddas Erfahrene », dont le rapport àa die Erfahrungfait tout le sens du passage. 3. Vorlesungen, Niemeyer, § 2, p. 373. C'est Husserl qui souligne. Extrait de la publication La conquête d'une notion phénoménologique absolument fondé. Il est en effet vrai que l'ensemble des pensées husserliennes forme un certain « monde » de la pensée, qui reste essentiellement le même de son commencement véritable à sa fin. La question est seulement de savoir comment cette unité foncière, cette « Konsequenz » doit se comprendre. Conformément à ce que la phrase de Husserl suggère (il est vrai peut-être plus en français qu'en allemand, parce qu'en français le substantif « conséquence » ne retient de l'adjectif « conséquent » que le sens de « consécutif » et non celui de « cohérent avec soi-même », tandis que « Konsequenz » exprime aussi bien la « Folgerichtigkeit » que la « Folgerung ce qui a été décidé ment reste décisif l'oeuvre, quoi qu'il »), nous la comprenons en ce sens, que au commencement et par le commencepour tout développement ultérieur de en soit des efforts de Husserl, de plus en plus fréquents vers la fin, pour tenter un retour de la phénoménologie elle-même (qui déjà, par rapport à toute tradition, se conçoit comme un retour au « plus primitif ») vers une primitivité absolue qui lui rende compte, et à la fois la délivre, de son propre envahissement par la « naïveté ». C'est pourquoi l'examen des textes de igo5 où s'accomplit la conquête de la spécificité phénoménologique nous paraît d'un intérêt non seulement partiel c'est-à-dire la sorte d'intérêt qui peut s'attacher à la reconstitution d'un « moment » (qui pourrait être ensuite purement et simplement « dépassé ») dans l'évolution d'une pensée mais bien d'un intérêt permanent et essentiel pour l'interprétation de cette pensée tout entière. Il est vrai que nous allons ainsi à contre-courant d'une affirmation de Husserl contenue dans la lettre citée à l'instant, et également relevée par H. Dussort « Une élucidation authentique du développement histo- rique d'une philosophie (chez le philosophe) ne peut être donnée qu'à partir de sa forme significative à son point de maturité; c'est seulement alors que l'on comprend la structure de sa dynamique en chacun de ses degrés préalables. » Mais c'est une question de savoir s'il y a, dans l'œuvre de Husserl, un tel point de maturité, ou si au contraire le perpétuel effort de maturation (d'autofondation et autocritique, finalement d'autorecherche) qui caractérise Extrait de la publication Extrait de la publication Extrait de la publication