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Le Soir Samedi 7 et dimanche 8 novembre 2015
L'ÉCONOMIE 23
ENTRETIEN
L
e secteur pharmaceutique
est l’un des fleurons
belges. Avec 34.000 em-
ployés, il représente 12 % de nos
exportations. Parmi les figures
du secteur belge, Patricia Mas-
setti. Vice-présidente de la fédé-
ration pharma.be, elle dirige
aussi MSD, filiale du géant amé-
ricain Merck à qui on doit no-
tamment le Zocor et l’Aerius.
Une société qui emploie quelque
1.100 personnes en Belgique.
« L’un des plus grands centres de
production au monde se trouve
en Belgique, à Heist, près d’An-
vers. Les médicaments que nous
y produisons sont envoyés dans
140 pays », se félicite la CEO
française.
Combien de temps faut-il pour
concevoir un nouveau médica-
ment ?
Entre le jour où on a l’idée et le
jour où il arrive sur le marché, il
y a entre 15 et 20 ans. C’est vrai-
ment un travail de longue ha-
leine. Parfois, on a une idée
mais on ne sait pas trop ce que
ça va donner. Mais on essaie.
Parmi le nombre d’idées ini-
tiales, combien aboutissent ?
Pour une molécule qui va arri-
ver sur le marché, on a plus de
10.000 idées testées au début. Et
les coûts de production d’une
nouvelle molécule ont explosé
ces 15 dernières années. Dans les
années 90, il fallait à peu près 1
milliard de dollars pour déve-
lopper une nouvelle molécule.
Aujourd’hui, on est à 1,5 mil-
liard. La recherche ne fait que se
complexifier, parce qu’on arrive
dans des champs de recherche
où tout est à imaginer.
Comment décide-t-on à quelle
maladie on veut s’attaquer ?
Selon les retombées écono-
miques du futur médicament ?
Non. Parfois, on fait de la re-
cherche sur le diabète et on se re-
trouve in fine avec un produit
pour traiter Parkinson. Est-ce
la cause pour quoi on ne com-
mercialisera pas ce produit ?
Non. Un des exemples, c’est le
projet sur la cécité des rivières
(une maladie qui rend aveugle,
transmise par une mouche vi-
vant au bord des rivières,
NDLR). C’était un produit que
l’on travaillait, au départ, du
côté de la division animale.
Mais on s’est aperçu que ce pro-
duit-là avait des avantages ex-
traordinaires chez l’humain,
pour traiter la cécité des ri-
vières. Aucune commercialisa-
tion n’était possible, mais on
s’est dit qu’on se devait de rendre
le produit disponible en Afrique
ou dans certaines régions
d’Amérique latine, où les gens
sont touchés par cette maladie.
Donc on a décidé de poursuivre
la recherche jusqu’à la fin, d’ob-
tenir les autorisations régula-
toires, et le produit est entré sur
le marché. Mais on ne le com-
mercialise pas, on le donne. 250
millions de personnes en bénéfi-
cient. Ce qui a valu à l’un de nos
chercheurs retraités le dernier
prix Nobel de médecine.
Si vous faites ça pour tous les
produits, c’est la faillite…
Évidemment. Mais il faut aussi
regarder la valeur scientifique
d’un projet, sa contribution
pour la société. Autre exemple,
on a actuellement un produit en
recherche sur Alzheimer. Si ça se
trouve, ce produit pourrait cau-
ser la révolution dans le do-
maine de la prévention et du
traitement de l’Alzheimer. D’ici
deux, trois ans, on aura les pre-
miers résultats. Il est pour l’ins-
tant en phase 3.
Phase 3, ce sont les essais
cliniques ?
Oui, mais sur des personnes dé-
jà atteintes de la maladie, et qui
répondent à des critères bien
particuliers.
Ces essais ont lieu en Belgique ?
Oui, on est très actif en Belgique.
Si on compare notre empreinte
au niveau étude clinique à notre
empreinte commerciale en Bel-
gique, elle est double. Il y a une
expertise au niveau des grands
centres académiques belges qui
est tout à fait particulière. On a
la chance de travailler avec 20 à
25 centres de recherche en per-
manence. Ce qui a aussi beau-
coup aidé les entreprises phar-
maceutiques belges, c’est que le
temps d’approbation pour pou-
voir conduire une étude clinique
est très rapide en Belgique. 28
jours dans le cas de la phase 3.
Mais ça va changer fin 2017
avec la directive européenne qui
arrive, qui harmonisera le délai
dans tous les pays européens.
Donc on va perdre notre atout ?
C’est le risque. Mais pharma.be
travaille sur une harmonisa-
tion des co-
mités
d’éthique
qui ap-
prouvent
les études
cliniques.
Avoir un comité unique, plutôt
que d’avoir autant de comités
que d’études, ferait gagner du
temps. On pourrait aussi tra-
vailler sur l’accélération du re-
crutement des patients. Et sur
une meilleure information des
patients aussi. Actuellement, il
n’existe pas de plate-forme pour
trouver facilement l’informa-
tion en tant que patient. Ce se-
rait l’une des premières actions
à faire pour améliorer le recru-
tement : rendre l’information
publique sur les études cliniques
en cours.
On dit souvent que les groupes
pharma essayent de soudoyer
des médecins. Vous invitez des
groupes de médecins au ski
chez MSD ?
Non, non. On ne fait pas ça. On
a un code de déontologie extrê-
mement sévère, adopté par
toutes les compagnies membres
de pharma.be.
Donc les médecins qui partent
au ski, ce n’est pas vous ?
Ça ne peut pas être nous. Mais
ça pourrait exister.
On a toujours dit que la Bel-
gique chouchoutait fiscalement
ses fleurons pharmaceutiques.
Vous confirmez ?
On a effectivement des arrange-
ments fiscaux, mais ils sont dis-
ponibles à tous ceux qui font de
la recherche et développement en
Belgique. Pas uniquement à la
grande pharma.
Vous avez bien lobbyé pour
obtenir ces avantages…
Ils permettent de garder les in-
vestissements en Belgique, et
donc les centres de recherche. Au
niveau international, la Bel-
gique ne doit plus rivaliser avec
l’Allemagne ou la France, mais
avec Singapour ou la Chine.
Elle se doit de rester compétitive.
Compétitive, elle l’est toujours ?
Oui. Si on regarde les investisse-
ments depuis 2008, ils n’ont
cessé d’augmenter.
Vous n’avez donc plus de reven-
dication pour renforcer la com-
pétitivité ?
On en revient toujours au pa-
tient. La vraie revendication,
c’est de s’assurer que, dès qu’une
nouvelle molécule est dispo-
nible, les patients puissent en
profiter. Or en Belgique, il y a
un délai de 9 à 13 mois pour
s’entendre avec l’Inami sur le
remboursement d’un nouveau
médicament. Résultat, on est
souvent le dernier
pays d’Europe à
obtenir le rem-
boursement. Et la
Belgique est sou-
vent le dernier
marché sur lequel
un médicament
rentre. Il y a
comme une dicho-
tomie : des inves-
tissements en
croissance alors
que le patient est
souvent le dernier
à pouvoir bénéfi-
cier des innova-
tions.
C’est l’Inami qui
doit accélérer ?
Un nouveau
« Pacte pour le fu-
tur » vient d’être
signé. Il va per-
mettre, nous l’espérons, de ré-
duire très rapidement ces 9 à 13
mois à beaucoup moins, de telle
façon à ce que les patients belges
soient logés à la même enseigne
que les autres.
■
Propos recueillis par
XAVIER COUNASSE
« Pour un médicament,
il faut 10.000 idées »
RENDEZ-VOUS Patricia Massetti demande à l’Inami de travailler un peu plus vite
Patricia Massetti,
patronne de MSD
Belgique, demande
à l’Inami d’accélérer
les négociations
sur le remboursement
d’un nouveau
médicament.
Chaque samedi, « Le
Soir » reçoit un patron.
Patricia Massetti, CEO de MSD Belgique et vice-présidente de pharma.be. © S.PIRAUX
Sur notre site, durant tout le week-end,
découvrez des capsules vidéo inédites
de l’interview de Patricia Massetti.
Elle y aborde notamment la question
des médicaments pour animaux,
un secteur en pleine expansion.
« J’aime beaucoup
les Fred Vargas »
Parce qu’il n’y a pas que les
médocs dans la vie, Patricia
Massetti s’est prêtée au jeu
des dilemmes.
Plutôt Bruxelles ou Copen-
hague, où vous avez tra-
vaillé ?
J’aime beaucoup Bruxelles.
D’abord parce que je peux
parler de nouveau en français.
Puis je retrouve beaucoup
d’éléments de la culture
connue au Canada. La Bel-
gique est un pays qui est
partagé entre différentes
langues et différentes cultures,
et on trouve différentes façons
de s’accommoder. C’est un peu
ça Bruxelles, très multiculturel
mais avec une spécificité.
C’est très agréable.
Gastronomie belge ou fran-
çaise (son pays natal) ?
La gastronomie est très bonne
ici. Je me suis habituée aux
spécialités locales. Et on m’a
appris récemment à faire
revenir mes chicons dans la
cassonade pour ne plus qu’ils
restent amers (alléluia, elle
dit « chicons », NDLR).
007 ou Amélie Poulain ?
Amélie Poulain. Ce film m’a
particulièrement marquée. J’ai
adoré.
Molière ou Agatha Chris-
tie ?
Les deux. J’adore le théâtre en
général. Agatha Christie, c’est
plutôt de la littérature, même
si elle a écrit une pièce sur la
fin. Mais j’aime autant la
littérature de type « roman
policier » que le théâtre plus
classique. J’aime aussi beau-
coup la série des Fred Vargas.
C’est une anthropologue fran-
çaise de formation, qui écrit
des polars où il y a toujours
une dimension un peu philoso-
phique. C’est très drôle.
Rap ou opéra ?
Je préfère la musique clas-
sique. Je n’ai pas encore es-
sayé La Monnaie, ici à
Bruxelles. Mais j’avais un
abonnement à Montréal, et
j’allais régulièrement à l’opéra.
Je suis tellement occupée
depuis que je suis ici que je
n’ai pas encore pris le temps
de prendre un abonnement
pour La Monnaie. Ça fait
partie de ma « to do list ».
X.C.
LE JEU DES DILEMMES
Née à Nice, en France, Patri-
cia Massetti a entamé des
études de commerce à Lille
(EDHEC), avant de terminer
sa formation à l’Université
de Montréal. Sans être
scientifique de formation,
elle rentre directement dans
le secteur pharmaceutique,
une fois le diplôme en poche.
Canada, Etats-Unis, Dane-
mark, puis aujourd’hui Bel-
gique, où elle dirige la socié-
té MSD. Elle est également
vice-présidente de la fédéra-
tion sectorielle pharma.be.
Patricia
Massetti
Jeudi 12 novembre
Déjeuner conférence
Jean Lemierre
Président de BNP Paribas
Présenté par
Maxime Jadot
CEO de BNP Paribas Fortis
Sur le thème :
« Evolution dans l’environnement économique international »
Jean Lemierre Maxime Jadot
Le Soir, en collaboration avec Degroof-Petercam
qui soutient l’esprit d’entreprise, interviewe chaque
semaine des entrepreneurs qui ont mis leur
passion et leur savoir au service de l’économie.
www.lesoir.be/rdvceo