5
monde jusqu’à la fin de la décennie 1980, s’est effondrée faute de cohésion économique,
politique et sociale. Si les capacités militaires restent un critère de puissance primordial, elles
ne sont pas le seul. En particulier, la puissance économique et la maîtrise technologique, sont
aujourd’hui souvent mises en avant comme des critères de plus en plus pertinents. La
mondialisation et la fin de la bipolarité semblent de fait inviter une nouvelle fois à une
relecture de la notion de puissance tenant davantage compte de la complexité des interactions
entre acteurs (États ou non) des relations internationales. De nouveaux critères de puissance
semblent ainsi prendre de l’importance, tels la maîtrise du savoir et de l’information, le niveau
d’éducation ou le rayonnement culturo-linguistique, dont l’appréciation et l’évaluation –
qualitative comme quantitative – semblent néanmoins beaucoup plus incertaines que dans le
cas de critères classiques comme les capacités militaires.
De même, si les puissances ne peuvent s’exprimer de façon indépendante, et doivent
en conséquence tenir compte de systèmes d’alliances et de partenariats, la question de
l’intervention a fait, depuis la fin de la Guerre froide, l’objet de nombreuses interrogations, en
particulier aux États-Unis. S’interrogeant sur les contraintes imposées au fort, certains experts
tel Richard Haass, aujourd’hui conseiller au Département d’État, ont ainsi posé la question de
l’internationalisme, et du statut de Washington en tant que « nation indispensable », répondant
ainsi aux souhaits de Bill Clinton4. Plus récemment, tandis que la diplomatie américaine
faisait l’objet de critiques de la part de certains partenaires européens, l’éditorialiste Robert
Kagan a proposé une lecture néoconservatrice de la puissance et de la faiblesse, justifiant le
« wilsonisme boté » de l’administration Bush, qui voit en l’Amérique un acteur
incontournable des relations internationales, et n’exclut pas une forme d’unilatéralisme pour
garantir le succès de valeurs démocratiques5. Sans doute plus kantien qu’hobbesien, le
mouvement des néoconservateurs américains voit dans les États-Unis une puissance investie
d’une mission particulière, et porteuse de valeurs vertueuses et universelles, telles que les
avait déjà imaginées le philosophe prussien.
Enfin, les événements récents nous rappellent que les puissances trouvent souvent
dans des acteurs asymétriques leurs adversaires les plus coriaces, car susceptibles de remettre
en cause leur leadership, et de provoquer une crise de la représentativité au sein même de
leurs sociétés. Ainsi, à horizon 2030, doit-on considérer que les plus préoccupantes menaces
pour les grandes puissances seront-elles d’autres puissances ou, au contraire, des acteurs
faibles trouvant refuge dans des zones grises ?
4 Richard Haass, The Reluctant Sheriff, Washington DC, Council on Foreign Relations Books, 1997.
5 Robert Kagan, La puissance et la faiblesse, Paris, Plon 2003 (pour la traduction française).