Vlaicu Ionescu
Après un numéro introductif à la cyclologie traditionnelle, la Revue de cyclologie traditionnelle
(RCT) entreprend la publication de trois numéros formant un ensemble consacré à trois témoins de la
Tradition, sous la forme de trois numéros thématiques, dans l’ordre suivant : Vlaicu Ionescu, Raoul
Auclair, Jean Phaure. Par la suite, nous prévoyons de publier des numéros non thématiques, composés
par la présentation de textes de ces trois auteurs, accompagnés de nos commentaires. Rappelons
toutefois que cette revue est appelée à s’ouvrir à bien d’autres figures ayant à voir avec la cyclologie
traditionnelle ; nous pensons notamment à Gaston Georgel et à d’autres dont les noms apparaîtront au
fil des parutions de la revue, rythmées par les Solstices d’été et d’hiver.
Un mot à propos de ma rencontre personnelle avec l’œuvre de
Vlaicu Ionescu, puis avec lui-même et ma relation épistolaire avec
ses filles établies aux États-Unis. Dans le numéro 325 de la revue
Atlantis, paru en 1983, figurait un article de Vlaicu Ionescu sur les
planètes transsaturniennes, avec l’interprétation de trois quatrains
des Centuries reliés au thème de découverte de chacune des trois
planètes : Uranus en 1781, Neptune en 1846 et Pluton en 1930.
C’est au début du printemps 1988 que je pense avoir lu cet article,
qui me fit grande impression, changeant du tout au tout l’idée peu
fameuse que je me faisais alors du « mage de Salon ». J’allai trouver
le directeur de la revue Atlantis, Jacques d’Arès, et de cette
rencontre s’ensuivit une démarche plus personnelle qui eut pour
conséquence un rattachement durable à l’orthodoxie. La lecture que
je fis par la suite de l’ouvrage de Raoul Auclair consacré à
Nostradamus me confirma dans l’admiration et le grand respect que
j’éprouvais dorénavant à l’égard de l’œuvre prophétique de
Nostradamus, en dépit de certaines réserves guénoniennes envers la thématique du Grand Monarque.
Durant les années 1990, j’eus le bonheur de rencontrer Vlaicu Ionescu et son épouse Lidia lors d’un de
leurs passages à Paris, en compagnie de quelques amis du Pèlerin de Paris. Enfin, après la parution de
mon article « Trois témoins de la Tradition » (rédigé en octobre 2003, à l’occasion du premier
anniversaire de la naissance au ciel de Jean Phaure), je fus contacté par Alina et Simona Budeiri, les
deux filles de Vlaicu Ionescu vivant aux États-Unis, et depuis une correspondance régulière s’est
établie au fil des ans. Cela fait longtemps que j’évoque la perspective de publier une monographie
consacrée à Vlaicu Ionescu : le lancement de la Revue de cyclologie traditionnelle, au Solstice d’hiver
2015, rend enfin possible la réalisation de ce projet.
Ce numéro comportera deux grandes parties et quelques annexes. La première partie sera
consacrée à des éléments biographiques – le milieu familial, les grandes étapes de l’existence, le
milieu spirituel dans lequel se sont développées la personnalité et la pensée de Vlaicu Ionescu,
marquées à la fois par l’orthodoxie et par la pensée traditionnelle (dans la mouvance de René
Guénon). Une seconde partie traitera d’un survol général de l’œuvre, concernant aussi bien l’artiste et
le peintre que fut Vlaicu Ionescu, que l’exégète de Nostradamus et le cyclologue. Enfin, nous
donnerons en Annexes notre ancien article sur les « Trois témoins de la Tradition », une étude de
quelques thèmes astrologiques relatifs à Vlaicu Ionescu, enfin un entretien que nous avons eu en 2003
avec Silvia Chitimia à propos des destinées de la Roumanie et des relations entre astrologie mondiale
et cyclologie traditionnelle.
2
Éléments biographiques
LE MILIEU FAMILIAL
C’est près de Calimanesti - une ville de la Petite Valachie ou Olténie, région du sud-ouest de la
Roumanie bordée au sud par le Danube et à l’est par la rivière Olt – à Jiblea que s’étaient installés les
parents de Vlaicu Ionescu. Son père, Dominique, né en 1887, y avait été ordonné prêtre en 1907, après
avoir achevé ses études au Séminaire de Curtea de Arges, ancienne capitale de Valachie, une des plus
anciennes villes de Roumanie, dont la fondation remonterait au début du XIVe siècle, du temps du
prince de Valachie Rodolphe le Noir ; l’église épiscopale est également une nécropole royale, abritant
les tombeaux des premiers couples de rois et de reines de Roumanie.
Calimanesti
Curtea de Arges
Église Saint Nicolas
Monastère Église épiscopale et royale
3
Vlaicu Ionescu attachait un grand prix à Calimanesti également du fait de la proximité avec deux
monastères, celui de Cozia, fondé en 1388 et celui de Sihastra Ostrov, situé sur une petite île au milieu
de la rivière Olt.
Durant la Première Guerre mondiale, le père Dominique s’était engagé volontairement comme
prêtre militaire. Il participa aux combats sanglants qui, durant plus d’un mois, entre le 6 août et le 8
septembre 1917, opposèrent Allemands et Roumains autour de la ville de Marasesti, en Moldavie, et
s’achevèrent par une victoire roumaine. Gravement blessé, et se débattant durant plusieurs jours entre
la vie et la mort, le père Dominique eut des visions et des contacts avec l’au-delà que Vlaicu Ionescu
qualifia de « cycle karmique septénaire ». En effet, le père Dominique eut la vision de six vies
antérieures : selon une sentence karmique, il devait endurer la même mort violente au bout de sept vies
consécutives à cause de conflits politico-religieux. Il s’était vu prêtre sous le Pharaon Akhenaton, qui
avait régné en Égypte sous la XVIIIe dynastie, et s’était opposé au clergé de Thèbes, remplaçant le
polythéisme égyptien par un culte centré sur le dieu-soleil Aton ; appartenant au clergé conservateur,
le père Dominique se voyait alors condamné à mort. Dans une autre vie, il se voit en prêtre et
théologien, adepte de la réforme de Jan Hus et brûlé sur le bûcher avec lui ; comme Hus, le père
Dominique a traversé une période de radicalisme profond et d’une crise de conscience au terme de
laquelle l’amour de la patrie devient synonyme de l’amour de Dieu. Dans une vie suivante, le père
Dominique s’incarne dans la personne de Jérôme de Prague, le meilleur ami de Jan Hus et le maître de
ses disciples. Vlaicu Ionescu avait été impressionné par les visions mystiques de son père, et il a
observé que, toute sa vie, il fut accompagné par la figure de saint Jérôme. C’est d’ailleurs un tableau
du peintre flamand Marius van Reymerswaele représentant saint Jérôme qui a inspiré à Vlaicu Ionescu
la couverture de son premier livre sur Nostradamus, Le Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire,
paru en 1976. Le père Dominique a aussi transmis à son fils l’intérêt pour les religions, l’ésotérisme, la
gnose et les prophéties, lui léguant une bibliothèque d’une richesse incomparable. Au nombre de ces
influences, il convient d’accorder une place à la religion des Daces, dont le dieu suprême est
Zamolxis. Selon Doina Uricariu :
Monastère de Cozia
Ostrov – Monastère de la Nativité de la Mère de Dieu
4
Les rituels d’immortalisation, d’initiation et le rôle fondamental accordé à la musique sont
mis à profit dans les dessins et peintures de Vlaicu Ionescu. Ils définissent la peinture
abstraite de l’artiste qui exalte le sens invisible, mystique et spirituel…1
Durant deux ans (1927-1928), le père Dominique séjourna à Paris afin d’étudier l’histoire des
religions à la Sorbonne ; il servit comme prêtre à côté de Vasile Radu dans la chapelle roumaine et, à
la fin de ses études, il se rendit à Rome, où il rencontra le pape Pie XI.
Après avoir suivi pendant deux décennies son ami et maître Nicolae Iorga, co-fondateur du Parti
National Démocrate, et devenu Premier ministre en 1931-1932, le père Dominique, déçu par les
orientations politiques alors mises en œuvre, se tourna vers Corneliu Codreanu, créateur charismatique
de la « Légion de l’Archange Michel », qui visait à développer un enseignement civique et religieux
afin de contrer l’infleunce du communisme. Le père Dominique, qui fut l’ami de nombreux membres
de l’ancienne élite du mouvement légionnaire et fut le confesseur de Codreanu et du général
Cantacuzène, mourut le 1er avril 1938 (le jour du seizième anniversaire de son fils Vlaicu), à un
moment crucial dans l’histoire de la Roumanie de l’entre-deux-guerres : en effet, à la suite des
élections qui avaient donné la majorité à une alliance entre Codreanu et le parti national-paysan, le roi
Charles II de Roumanie avait, le 13 février 1938, annulé les élections, suspendu la Constitution et
instauré une dictature personnelle. Trois mois plus tard, Codreanu était arrêté, condamné à dix ans de
prison, puis assassiné par ordre du roi dans la nuit du 29 au 30 novembre 1938.
C’est le 1er avril 1922, après 14 ans de mariage, que
l’épouse du père Dominique, Maria, donna naissance à Sibiu
à Vlaicu ; deux ans plus tard, le 7 juin 1924, naissait sa sœur
Doina. Leur grand-père, Nicolae Ionescu, était également
prêtre. Dans son enfance, Vlaicu Ionescu a été marqué par sa
participation aux offices célébrés par son père ou son grand-
père, attentif au chant liturgique, au son des cloches, à la
cadence de la simandre. Il visita aussi le monastère de Cozia,
situé dans les Carpathes méridionales, au milieu d’un parc
national. Ces impressions ont certainement charpenté la
structure intérieure d’un enfant né dans une famille de prêtres.
En même temps, le jeune Vlaicu fut attiré par le spiritisme,
l’occultisme et les traditions ésotériques dès l’âge de 14 ans, et il commença
à s’intéresser à l’astrologie à l’âge de 16 ans ; il avait réussi à acquérir les
ouvrages les plus importants dans la collection de 8 000 livres du vénérable
Constantin Nicolau. Sans doute fut-il stimulé par la publication, en 1941,
d’un ouvrage d’Armand Constantinescu, intitulé Cer si destin, qui eut alors
un grand succès. Doina Uricariu signale que, dans ses notes
autobiographiques, Vlaicu Ionescu avoue avoir commencé son initiation
avec un maître invisible à 20 ans et six mois… Il a pratiqué les exercices de
méditation décrits par Rudolf Steiner dans l’Initiation ou Comment acquérir
des connaissances sur les mondes supérieurs. Dans le même temps, il
s’initiait à la prière du cœur de la tradition hésychaste orthodoxe. Une
personnalité marquante de l’université de Bucarest, professeur de logique et
de mathématique, Nae Ionescu, eut également une influence sur la
personnalité de Vlaicu Ionescu. En 1925 déjà, Mircea Eliade avait suivi ses cours et était devenu
disciple et ami de Nae Ionescu, engagé sur le plan politique dans le Mouvement Légionnaire de
Corneliu Codreanu.
En 1943, Vlaicu Ionescu, âgé de 21 ans, fait la connaissance de Lidia Pecurariu, née le 11 juin
1923. Son grand-père et divers oncles de cette famille étaient des prêtres. Dans un document
autobiographique inédit datant de 1994, Vlaicu Ionescu évoque cette rencontre qui fut pour lui à la fois
un «véritable « coup de foudre » et dont les conséquences furent des plus bénéfiques :
1 URICARIU Doina, Vlaicu Ionescu The Artist / Pictorul, Bucarest, Universalia, 2012, p. 18.
5
Après cette expérience, ma vie changea complètement. Dans le domaine sentimental, par
exemple, j’avais une vie désordonnée et chaotique : plusieurs liaisons érotiques à la fois, des
changements et ruptures fréquentes, des périodes de chasteté, etc. Après mon retour de Jiblea,
au commencement de l’année 1943, j’ai connu Lidia, qui suivait quelques cours communs
avec les miens à la faculté de philosophie. C’était le « coup de foudre » qui changea toute ma
vie. Elle fut l’être envoyé par le destin pour me concentrer dans un seul amour, pour me
défendre contre les dangers de la terreur communiste, pour me critiquer et me conseiller
quand mon âme de Bélier ignorait la prudence, pour m’inspirer dans mes recherches et mes
créations.2
Vlaicu et Lidia se marient le 29 avril 1944 à Jiblea, où ils s’étaient réfugiés. De ce mariage
naîtront trois enfants : Simona, née en 1944, Alexandru, surnommé Pilu, en 1946 et Alina, née en
1950. En 1945, Vlaicu Ionescu complète son cursus universitaire avec une thèse sur l’Ethique de
Spinoza exposée selon une logique symbolique, puis, de 1948 à 1952, il étudie la composition et la
musicologie, tout en travaillant comme graphiste à la Chambre de commerce, tandis que Lidia travaille
comme traductrice et est embauchée en septembre 1957 par la Télévision roumaine, à un poste de
direction théâtrale.
LES GRANDES ÉTAPES DE LEXISTENCE
Dans ses Notes autobiographiques, Vlaicu Ionescu se définit lui-même comme un homme
préférant la paresse contemplative à l’esprit missionnaire, n’étant ni écrivain ni philosophe et
concevant les doctrines et les certitudes comme des cages où l’esprit vient s’emprisonner lui-même.
Ce qui le meut, c’est le goût de la liberté et de la recherche. Par ailleurs, il témoigne de sa fascination
pour la pensée traditionnelle qu’il découvre cachée à l’ombre des mythes, des légendes et des
monuments symboliques du passé. Ce n’est pas étonnant si l’œuvre nostradamienne est devenue le
principal objet de ses recherches :
Car Nostradamus n’a pas voulu prêcher des doctrines pour épater ses contemporains ou les
gens de l’avenir. Au contraire, il a si bien caché ses découvertes et spécialement aux yeux
profanes, que, pendant quatre siècles, en dépit des efforts de tant de savants, il n’a permis des
solutions à ses énigmes qu’au fur et à mesure de la marche de l’histoire et par des doses
proportionnées à notre entendement.3
C’est une vocation intérieure qui a conduit Vlaicu Ionescu vers Nostradamus. Évoquant son
intérêt, pendant ses études, envers l’aspect traditionnel et ésotérique de la philosophie - il était alors
lecteur de René Guénon, Frithjof Schuon, Julius Evola, aussi bien que des anthroposophes – il signale
une sorte d’illumination qui lui arriva en 1942 :
A l’âge de vingt et un ans, en faisant les exercices spirituels de Rudolf Steiner, j’ai eu une
expérience mystique au cours de laquelle j’ai demandé à cet « être intérieur » qui
communiquait avec moi comme mon alter ego ce que je ferais de ma vie. (Je rêvais à
l’époque d’être un grand peintre). A mon profond étonnement, il m’a répondu : « Tu seras
une sorte de Nostradamus ». Pour moi, Nostradamus, ce n’était qu’un nom, mais ce jour-là
naquit mon intérêt pour ce personnage hors du commun - un intérêt qui allait se transformer
en passion.4
Il éprouve alors le sentiment d’une mission relative à Nostradamus. Cette sorte d’initiation au
travers de visions se produisit à l’automne 1942 et se prolongea quatre mois durant. Tout se passait
comme si une force occulte veillait sur lui, lui suggérant discrètement ce qu’il allait faire. C’est ainsi,
par exemple, qu’il observe que des livres rares viennent à lui au bon moment, comme envoyés par les
forces supérieures qui semblent veiller sur lui. Sa vie sera marquée du sceau de l’Invisible et jalonnée
de tant de signes qu’il faudrait être aveugle pour ne pas y lire l’annonce d’un destin particulier. On
2 Document aimablement transmis par Mme Simona Budeiri, fille de Vlaicu Ionescu.
3 IONESCU Vlaicu, Le Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire, Dervy-Livres, Paris, 1976, p. 14
4 IONESCU Vlaicu et Marie-Thérèse de BROSSES, Les Dernières victoires de Nostradamus, Editions Filipacchi, Paris, 1993, p.
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