Vlaicu Ionescu Après un numéro introductif à la cyclologie traditionnelle, la Revue de cyclologie traditionnelle (RCT) entreprend la publication de trois numéros formant un ensemble consacré à trois témoins de la Tradition, sous la forme de trois numéros thématiques, dans l’ordre suivant : Vlaicu Ionescu, Raoul Auclair, Jean Phaure. Par la suite, nous prévoyons de publier des numéros non thématiques, composés par la présentation de textes de ces trois auteurs, accompagnés de nos commentaires. Rappelons toutefois que cette revue est appelée à s’ouvrir à bien d’autres figures ayant à voir avec la cyclologie traditionnelle ; nous pensons notamment à Gaston Georgel et à d’autres dont les noms apparaîtront au fil des parutions de la revue, rythmées par les Solstices d’été et d’hiver. Un mot à propos de ma rencontre personnelle avec l’œuvre de Vlaicu Ionescu, puis avec lui-même et ma relation épistolaire avec ses filles établies aux États-Unis. Dans le numéro 325 de la revue Atlantis, paru en 1983, figurait un article de Vlaicu Ionescu sur les planètes transsaturniennes, avec l’interprétation de trois quatrains des Centuries reliés au thème de découverte de chacune des trois planètes : Uranus en 1781, Neptune en 1846 et Pluton en 1930. C’est au début du printemps 1988 que je pense avoir lu cet article, qui me fit grande impression, changeant du tout au tout l’idée peu fameuse que je me faisais alors du « mage de Salon ». J’allai trouver le directeur de la revue Atlantis, Jacques d’Arès, et de cette rencontre s’ensuivit une démarche plus personnelle qui eut pour conséquence un rattachement durable à l’orthodoxie. La lecture que je fis par la suite de l’ouvrage de Raoul Auclair consacré à Nostradamus me confirma dans l’admiration et le grand respect que j’éprouvais dorénavant à l’égard de l’œuvre prophétique de Nostradamus, en dépit de certaines réserves guénoniennes envers la thématique du Grand Monarque. Durant les années 1990, j’eus le bonheur de rencontrer Vlaicu Ionescu et son épouse Lidia lors d’un de leurs passages à Paris, en compagnie de quelques amis du Pèlerin de Paris. Enfin, après la parution de mon article « Trois témoins de la Tradition » (rédigé en octobre 2003, à l’occasion du premier anniversaire de la naissance au ciel de Jean Phaure), je fus contacté par Alina et Simona Budeiri, les deux filles de Vlaicu Ionescu vivant aux États-Unis, et depuis une correspondance régulière s’est établie au fil des ans. Cela fait longtemps que j’évoque la perspective de publier une monographie consacrée à Vlaicu Ionescu : le lancement de la Revue de cyclologie traditionnelle, au Solstice d’hiver 2015, rend enfin possible la réalisation de ce projet. Ce numéro comportera deux grandes parties et quelques annexes. La première partie sera consacrée à des éléments biographiques – le milieu familial, les grandes étapes de l’existence, le milieu spirituel dans lequel se sont développées la personnalité et la pensée de Vlaicu Ionescu, marquées à la fois par l’orthodoxie et par la pensée traditionnelle (dans la mouvance de René Guénon). Une seconde partie traitera d’un survol général de l’œuvre, concernant aussi bien l’artiste et le peintre que fut Vlaicu Ionescu, que l’exégète de Nostradamus et le cyclologue. Enfin, nous donnerons en Annexes notre ancien article sur les « Trois témoins de la Tradition », une étude de quelques thèmes astrologiques relatifs à Vlaicu Ionescu, enfin un entretien que nous avons eu en 2003 avec Silvia Chitimia à propos des destinées de la Roumanie et des relations entre astrologie mondiale et cyclologie traditionnelle. 2 Éléments biographiques LE MILIEU FAMILIAL Calimanesti C’est près de Calimanesti - une ville de la Petite Valachie ou Olténie, région du sud-ouest de la Roumanie bordée au sud par le Danube et à l’est par la rivière Olt – à Jiblea que s’étaient installés les parents de Vlaicu Ionescu. Son père, Dominique, né en 1887, y avait été ordonné prêtre en 1907, après avoir achevé ses études au Séminaire de Curtea de Arges, ancienne capitale de Valachie, une des plus anciennes villes de Roumanie, dont la fondation remonterait au début du XIVe siècle, du temps du prince de Valachie Rodolphe le Noir ; l’église épiscopale est également une nécropole royale, abritant les tombeaux des premiers couples de rois et de reines de Roumanie. Monastère Église Saint Nicolas Curtea de Arges Église épiscopale et royale 3 Vlaicu Ionescu attachait un grand prix à Calimanesti également du fait de la proximité avec deux monastères, celui de Cozia, fondé en 1388 et celui de Sihastra Ostrov, situé sur une petite île au milieu de la rivière Olt. Monastère de Cozia Ostrov – Monastère de la Nativité de la Mère de Dieu Durant la Première Guerre mondiale, le père Dominique s’était engagé volontairement comme prêtre militaire. Il participa aux combats sanglants qui, durant plus d’un mois, entre le 6 août et le 8 septembre 1917, opposèrent Allemands et Roumains autour de la ville de Marasesti, en Moldavie, et s’achevèrent par une victoire roumaine. Gravement blessé, et se débattant durant plusieurs jours entre la vie et la mort, le père Dominique eut des visions et des contacts avec l’au-delà que Vlaicu Ionescu qualifia de « cycle karmique septénaire ». En effet, le père Dominique eut la vision de six vies antérieures : selon une sentence karmique, il devait endurer la même mort violente au bout de sept vies consécutives à cause de conflits politico-religieux. Il s’était vu prêtre sous le Pharaon Akhenaton, qui avait régné en Égypte sous la XVIIIe dynastie, et s’était opposé au clergé de Thèbes, remplaçant le polythéisme égyptien par un culte centré sur le dieu-soleil Aton ; appartenant au clergé conservateur, le père Dominique se voyait alors condamné à mort. Dans une autre vie, il se voit en prêtre et théologien, adepte de la réforme de Jan Hus et brûlé sur le bûcher avec lui ; comme Hus, le père Dominique a traversé une période de radicalisme profond et d’une crise de conscience au terme de laquelle l’amour de la patrie devient synonyme de l’amour de Dieu. Dans une vie suivante, le père Dominique s’incarne dans la personne de Jérôme de Prague, le meilleur ami de Jan Hus et le maître de ses disciples. Vlaicu Ionescu avait été impressionné par les visions mystiques de son père, et il a observé que, toute sa vie, il fut accompagné par la figure de saint Jérôme. C’est d’ailleurs un tableau du peintre flamand Marius van Reymerswaele représentant saint Jérôme qui a inspiré à Vlaicu Ionescu la couverture de son premier livre sur Nostradamus, Le Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire, paru en 1976. Le père Dominique a aussi transmis à son fils l’intérêt pour les religions, l’ésotérisme, la gnose et les prophéties, lui léguant une bibliothèque d’une richesse incomparable. Au nombre de ces influences, il convient d’accorder une place à la religion des Daces, dont le dieu suprême est Zamolxis. Selon Doina Uricariu : 4 Les rituels d’immortalisation, d’initiation et le rôle fondamental accordé à la musique sont mis à profit dans les dessins et peintures de Vlaicu Ionescu. Ils définissent la peinture abstraite de l’artiste qui exalte le sens invisible, mystique et spirituel…1 Durant deux ans (1927-1928), le père Dominique séjourna à Paris afin d’étudier l’histoire des religions à la Sorbonne ; il servit comme prêtre à côté de Vasile Radu dans la chapelle roumaine et, à la fin de ses études, il se rendit à Rome, où il rencontra le pape Pie XI. Après avoir suivi pendant deux décennies son ami et maître Nicolae Iorga, co-fondateur du Parti National Démocrate, et devenu Premier ministre en 1931-1932, le père Dominique, déçu par les orientations politiques alors mises en œuvre, se tourna vers Corneliu Codreanu, créateur charismatique de la « Légion de l’Archange Michel », qui visait à développer un enseignement civique et religieux afin de contrer l’infleunce du communisme. Le père Dominique, qui fut l’ami de nombreux membres de l’ancienne élite du mouvement légionnaire et fut le confesseur de Codreanu et du général Cantacuzène, mourut le 1er avril 1938 (le jour du seizième anniversaire de son fils Vlaicu), à un moment crucial dans l’histoire de la Roumanie de l’entre-deux-guerres : en effet, à la suite des élections qui avaient donné la majorité à une alliance entre Codreanu et le parti national-paysan, le roi Charles II de Roumanie avait, le 13 février 1938, annulé les élections, suspendu la Constitution et instauré une dictature personnelle. Trois mois plus tard, Codreanu était arrêté, condamné à dix ans de prison, puis assassiné par ordre du roi dans la nuit du 29 au 30 novembre 1938. C’est le 1er avril 1922, après 14 ans de mariage, que l’épouse du père Dominique, Maria, donna naissance à Sibiu à Vlaicu ; deux ans plus tard, le 7 juin 1924, naissait sa sœur Doina. Leur grand-père, Nicolae Ionescu, était également prêtre. Dans son enfance, Vlaicu Ionescu a été marqué par sa participation aux offices célébrés par son père ou son grandpère, attentif au chant liturgique, au son des cloches, à la cadence de la simandre. Il visita aussi le monastère de Cozia, situé dans les Carpathes méridionales, au milieu d’un parc national. Ces impressions ont certainement charpenté la structure intérieure d’un enfant né dans une famille de prêtres. En même temps, le jeune Vlaicu fut attiré par le spiritisme, l’occultisme et les traditions ésotériques dès l’âge de 14 ans, et il commença à s’intéresser à l’astrologie à l’âge de 16 ans ; il avait réussi à acquérir les ouvrages les plus importants dans la collection de 8 000 livres du vénérable Constantin Nicolau. Sans doute fut-il stimulé par la publication, en 1941, d’un ouvrage d’Armand Constantinescu, intitulé Cer si destin, qui eut alors un grand succès. Doina Uricariu signale que, dans ses notes autobiographiques, Vlaicu Ionescu avoue avoir commencé son initiation avec un maître invisible à 20 ans et six mois… Il a pratiqué les exercices de méditation décrits par Rudolf Steiner dans l’Initiation ou Comment acquérir des connaissances sur les mondes supérieurs. Dans le même temps, il s’initiait à la prière du cœur de la tradition hésychaste orthodoxe. Une personnalité marquante de l’université de Bucarest, professeur de logique et de mathématique, Nae Ionescu, eut également une influence sur la personnalité de Vlaicu Ionescu. En 1925 déjà, Mircea Eliade avait suivi ses cours et était devenu disciple et ami de Nae Ionescu, engagé sur le plan politique dans le Mouvement Légionnaire de Corneliu Codreanu. En 1943, Vlaicu Ionescu, âgé de 21 ans, fait la connaissance de Lidia Pecurariu, née le 11 juin 1923. Son grand-père et divers oncles de cette famille étaient des prêtres. Dans un document autobiographique inédit datant de 1994, Vlaicu Ionescu évoque cette rencontre qui fut pour lui à la fois un «véritable « coup de foudre » et dont les conséquences furent des plus bénéfiques : 1 URICARIU Doina, Vlaicu Ionescu The Artist / Pictorul, Bucarest, Universalia, 2012, p. 18. 5 Après cette expérience, ma vie changea complètement. Dans le domaine sentimental, par exemple, j’avais une vie désordonnée et chaotique : plusieurs liaisons érotiques à la fois, des changements et ruptures fréquentes, des périodes de chasteté, etc. Après mon retour de Jiblea, au commencement de l’année 1943, j’ai connu Lidia, qui suivait quelques cours communs avec les miens à la faculté de philosophie. C’était le « coup de foudre » qui changea toute ma vie. Elle fut l’être envoyé par le destin pour me concentrer dans un seul amour, pour me défendre contre les dangers de la terreur communiste, pour me critiquer et me conseiller quand mon âme de Bélier ignorait la prudence, pour m’inspirer dans mes recherches et mes créations.2 Vlaicu et Lidia se marient le 29 avril 1944 à Jiblea, où ils s’étaient réfugiés. De ce mariage naîtront trois enfants : Simona, née en 1944, Alexandru, surnommé Pilu, en 1946 et Alina, née en 1950. En 1945, Vlaicu Ionescu complète son cursus universitaire avec une thèse sur l’Ethique de Spinoza exposée selon une logique symbolique, puis, de 1948 à 1952, il étudie la composition et la musicologie, tout en travaillant comme graphiste à la Chambre de commerce, tandis que Lidia travaille comme traductrice et est embauchée en septembre 1957 par la Télévision roumaine, à un poste de direction théâtrale. LES GRANDES ÉTAPES DE L’EXISTENCE Dans ses Notes autobiographiques, Vlaicu Ionescu se définit lui-même comme un homme préférant la paresse contemplative à l’esprit missionnaire, n’étant ni écrivain ni philosophe et concevant les doctrines et les certitudes comme des cages où l’esprit vient s’emprisonner lui-même. Ce qui le meut, c’est le goût de la liberté et de la recherche. Par ailleurs, il témoigne de sa fascination pour la pensée traditionnelle qu’il découvre cachée à l’ombre des mythes, des légendes et des monuments symboliques du passé. Ce n’est pas étonnant si l’œuvre nostradamienne est devenue le principal objet de ses recherches : Car Nostradamus n’a pas voulu prêcher des doctrines pour épater ses contemporains ou les gens de l’avenir. Au contraire, il a si bien caché ses découvertes et spécialement aux yeux profanes, que, pendant quatre siècles, en dépit des efforts de tant de savants, il n’a permis des solutions à ses énigmes qu’au fur et à mesure de la marche de l’histoire et par des doses proportionnées à notre entendement.3 C’est une vocation intérieure qui a conduit Vlaicu Ionescu vers Nostradamus. Évoquant son intérêt, pendant ses études, envers l’aspect traditionnel et ésotérique de la philosophie - il était alors lecteur de René Guénon, Frithjof Schuon, Julius Evola, aussi bien que des anthroposophes – il signale une sorte d’illumination qui lui arriva en 1942 : A l’âge de vingt et un ans, en faisant les exercices spirituels de Rudolf Steiner, j’ai eu une expérience mystique au cours de laquelle j’ai demandé à cet « être intérieur » qui communiquait avec moi comme mon alter ego ce que je ferais de ma vie. (Je rêvais à l’époque d’être un grand peintre). A mon profond étonnement, il m’a répondu : « Tu seras une sorte de Nostradamus ». Pour moi, Nostradamus, ce n’était qu’un nom, mais ce jour-là naquit mon intérêt pour ce personnage hors du commun - un intérêt qui allait se transformer en passion.4 Il éprouve alors le sentiment d’une mission relative à Nostradamus. Cette sorte d’initiation au travers de visions se produisit à l’automne 1942 et se prolongea quatre mois durant. Tout se passait comme si une force occulte veillait sur lui, lui suggérant discrètement ce qu’il allait faire. C’est ainsi, par exemple, qu’il observe que des livres rares viennent à lui au bon moment, comme envoyés par les forces supérieures qui semblent veiller sur lui. Sa vie sera marquée du sceau de l’Invisible et jalonnée de tant de signes qu’il faudrait être aveugle pour ne pas y lire l’annonce d’un destin particulier. On 2 Document aimablement transmis par Mme Simona Budeiri, fille de Vlaicu Ionescu. IONESCU Vlaicu, Le Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire, Dervy-Livres, Paris, 1976, p. 14 4 IONESCU Vlaicu et Marie-Thérèse de BROSSES, Les Dernières victoires de Nostradamus, Editions Filipacchi, Paris, 1993, p. 20. 3 6 peut mettre au nombre de ces extraordinaires coïncidences la diversité de ses études universitaires : philosophie, architecture, mathématiques, peinture, musicologie, qui le rendront apte à produire à la fois son œuvre artistique et son exégèse de l’œuvre prophétique nostradamienne. En ce qui concerne Nostradamus, après quelques années d’études, il découvre des choses auxquelles personne n’avait pensé jusqu’alors : notamment que Nostradamus était un alchimiste et que son principal objectif avait été de présenter une large fresque de notre époque, l’Ère Prolétaire, l’accent étant porté sur le phénomène du communisme. Il devait sans doute revenir à un être ayant fait personnellement l’expérience du communisme et connaissant les réalités d’au-delà du Rideau de Fer, d’être attentif à certains textes nostradamiens qui, en général, sont passés inaperçus auprès des chercheurs occidentaux. Une des manifestations de l’aide invisible qui accompagne la destinée de Vlaicu Ionescu a été le fait de jouir d’une bibliothèque d’une extraordinaire richesse. Il avait à sa disposition une riche collection d’éditions rarissimes concernant la littérature alchimique, astrologique et kabbalistique, la plupart des grands occultistes français en éditions originales, des tirages anciens des œuvres de Nostradamus, ainsi que des interprètes célèbres, au premier rang desquels Le Pelletier, qui constitue, aux yeux de Vlaicu Ionescu, la base de toute étude sérieuse sur Nostradamus. Vlaicu Ionescu n’entre pas dans les détails relatifs à la provenance de cette bibliothèque, mais il oriente vers quelques pistes. Il signale qu’après la mort de son père en 1938, certaines influences étranges avaient commencé à se manifester dans son destin : Parmi celles-ci, quelques « coïncidences » ou « chances » ont fait que je suis entré en possession d’une très riche bibliothèque de sciences traditionnelles, dont les livres avaient été procurés par des antiquaires parisiens grâce à la peine et la patience d’un grand passionné.5 Outre la riche bibliothèque héritée de son père, Vlaicu Ionescu acheta les meilleurs ouvrages de celle de Constantin Nicolau, qui dépassait les 8 000 livres. Au terme d’une dizaine d’années de recherches, de 1947 à 1957, Vlaicu Ionescu avait rédigé une étude sur Nostradamus, un manuscrit qui, dans les conditions politiques de l’époque, n’était pas destiné à être publié. Or, ce manuscrit fut détruit dans des circonstances dramatiques, lors d’une perquisition menée au domicile de Vlaicu Ionescu, le 18 novembre 1958. Vlaicu Ionescu introduit ainsi le contexte dans lequel se produisit cet événement : Après l’instauration du régime communiste en Roumanie, moi et ceux qui s’étaient formés à la lumière d’une culture libre ont dû, ou choisir l’adaptation servile aux nouveaux impératifs (quand cette adaptation n’était pas faite par des moyens très raffinés de persuasion qu’on appelait vulgairement « bourrage du crâne » dans les prisons), ce qui a conduit à la dégradation spirituelle de beaucoup de personnalités de valeur ; ou adopter la position conservatrice de résistance, pour sauver l’intégrité intérieure et l’authenticité morale et spirituelle. J’ai choisi la dernière. Mais c’était une attitude que le nouveau régime de pouvait pas pardonner facilement.6 A cela s’ajoutait le fait que Vlaicu Ionescu était le fils d’un prêtre bien connu pour son idéalisme religieux et nationaliste. Peintre d’avant-garde, avec des vues mystico-métaphysiques, Vlaicu Ionescu était par ailleurs considéré comme décadent et cosmopolite, deux tares impardonnables en régime communiste. En outre, la perquisition avait pour objet de dresser le catalogue d’importantes collections de tableaux et de dessins du père de Lidia – collections privées qui furent confisquées sans autre forme de procès. Voici le récit que donne Vlaicu Ionescu de cette perquisition à laquelle il assistait, totalement impuissant : 5 6 Ibid., p. 19. Ibid., p. 16. 7 J’avais donné le manuscrit de mon livre sur Nostradamus à quelques amis, qui l’avaient lu. A cette heure, je l’avais dans mon bureau et j’étais comme paralysé à l’idée que l’un de mes amis eût commis des indiscrétions qui seraient arrivées aux oreilles de la Police. Quand un des officiers trouva le manuscrit et commença à l’examiner, j’étais sûr que c’était là l’objectif de leur visite. Je suis resté pétrifié, parce que je savais que la suite pouvait être une sentence du Tribunal Militaire pour au moins vingt années de prison, s’ils confisquaient le livre. Le capitaine feuilletait tranquillement le manuscrit devant moi. J’ai commencé alors à prier pour un miracle. Et c’est alors que l’incroyable s’est produit. L’officier mit le manuscrit sur la table, pensant peut-être le reprendre plus tard. J’ai profité d’un moment favorable et je l’ai glissé dans un tiroir. Après la perquisition, j’ai été emmené à la Direction Générale de la Police. Après neuf mois d’enquête, j’ai été condamné à deux ans de prison avec la confiscation de 32 peintures, qui formaient notre collection de vieux maîtres. Le soir même de mon arrestation, ma femme a détruit le manuscrit, effrayée à l’idée qu’il pourrait être trouvé à l’occasion d’une autre perquisition, par un officier plus vigilant.7 Ce fut une chance que cette perquisition n’ait pas été effectuée par les organes de la Sûreté : la bibliothèque aurait sûrement été détruite et le manuscrit sur Nostradamus découvert et mis en vedette. A la suite de cette tragique journée, Vlaicu Ionescu est arrêté et enquêté pendant neuf mois. Il fit, en prison, le vœu, au cas où il lui serait donné d’aller dans un pays libre, de refaire son livre sur Nostradamus et le communisme et de le publier. C’est ce qu’il put faire après s’être installé et fixé aux États-Unis avec sa famille. Mais c’est en France qu’il voulut que son ouvrage fût publié ; il estimait que ce livre écrit en français et consacré à celui qu’il considérait comme un des plus grands poètes français devait paraître dans ce pays. Dans la Préface au Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire, ouvrage dont il avait favorisé la publication en France par Dervy-Livres, Jean Phaure révèle un curieux fait : Je vais faire une indiscrétion. Vlaicu Ionescu s’est décidé à ne pas publier une extraordinaire révélation touchant à la Roumanie, seulement parce que le même quatrain fait allusion à sa propre biographie. On peut en effet reconnaître dans ce texte les circonstances de la perquisition qui fut faite chez lui à Bucarest, le 18 novembre 1958, par les agents de la Direction Générale de la Milice, qui trouvèrent le premier manuscrit de ce livre, qu’on a pu heureusement détruire en catastrophe.8 Suite au succès de deux expositions de ses œuvres à Bucarest, Vlaicu Ionescu est invité en 1969 pour ouvrir une exposition dans une galerie d’art en République Fédérale allemande. Il obtient un visa et l’autorisation de sortir du pays des tableaux qui devaient être exposés à Munich. La plupart seront acquis par des particuliers, ainsi que quelques autres peintures réalisées à Munich. Vlaicu Ionescu n’était pas parti avec l’intention de rester à l’étranger, car il avait en Roumanie, sa famille, un appartement, une collection de peintures et d’icônes ainsi que des meubles anciens. Le succès des expositions en Allemagne fut tel cependant que Vlaicu Ionescu fut invité à donner des conférences de philosophie de l’art à l’Université populaire. Habitant désormais dans un pays libre et disposant à la Bibliothèque nationale de Munich d’un fond documentaire sans équivalent à Bucarest, il recommença ses recherches sur Nostradamus et reconstitua le manuscrit détruit lors de la perquisition de novembre 1958. L’arrivée de Lidia à Munich relève d’un conte fantastique, que Vlaicu Ionescu interprétait comme une sorte de téléportation secrètement programmée par les forces de l’au-delà… Lidia avait été déléguée par la Télévision roumaine pour signer des contrats avec des artistes de la RDA et de la RFA, alors que la direction de la Télévision ne savait pas encore que son mari était en RFA. Les époux purent ainsi se retrouver à Berlin et, revenus ensemble à Munich, ils s’inscrivirent au bureau de l’immigration pour les États-Unis. La famille résida à New York à partir de 1971. 7 8 Ibid., p. 18-19. Ibid., p. 11. 8 C’est en 1976 que parut à Paris le premier ouvrage de Vlaicu sur Nostradamus, qui modifiait radicalement la méthode de décodage appliquée au texte nostradamien et comportait une prévision spectaculaire : la chute de l’Empire soviétique et du régime communiste en juin 1991. Vlaicu Ionescu fut aussi à même d’avertir le président Nixon que son second mandat présidentiel serait écourté à la suite d’un scandale retentissant. Sa lettre fut retenue par le secrétaire de la Maison Blanche sous prétexte qu’il ne pouvait adresser ce genre de message au Président. En mars 1991, Vlaicu Ionescu se trouvait au Japon, à un moment où sortait en japonais la traduction d’un de ses ouvrages et où une série d’émissions de radio lui étaient consacrées au début avril ; Mikhaïl Gorbatchev se trouvant alors en visite au Japon, Vlaicu Ionescu prédit que ce dernier aurait perdu le pouvoir avant septembre 1991 – ce qui se réalisa à la suite du putsch raté du 19 août à Moscou, qui vit le triomphe de Boris Eltsine. En 1993, la journaliste Marie-Thérèse de Brosses se rendit à New York afin de s’entretenir avec Vlaicu Ionescu et d’écrire un livre lui permettant de développer ses conceptions philosophiques (Les Dernières victoires de Nostradamus). Entretemps, un second ouvrage avait été publié en 1987 (Nostradamus - L’Histoire secrète du monde). Dans son ouvrage de 1993, Vlaicu Ionescu, se distinguant des nombreux commentateurs du « Roy d’effrayeur » de 1999 évoqué dans le quatrain X72, lesquels associaient cela avec la fin du monde, l’Armageddon, la venue de l’Antéchrist, etc., assurait qu’il y avait là l’annonce de la naissance du futur Roi de France, à propos duquel Nostradamus a consacré une vingtaine de quatrains. En 1998, Vlaicu Ionescu fut reçu avec honneur en Roumanie et put s’exprimer à plusieurs reprises à la radio et à la télévision, et en 1999 certains de ses ouvrages furent enfin publiés dans son pays natal. Vlaicu Ionescu est né au ciel le vendredi 22 février 2002 à son domicile new-yorkais, au milieu de sa famille. Quelques mois plus tard, le 13 octobre 2002, c’était au tour de Jean Phaure de quitter ce monde. Dans sa présentation du premier livre de Vlaicu Ionescu, Jean Phaure évoquait ainsi « l’heure cosmique » au milieu de laquelle paraissait Le Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire : Pour celui qui sait à quelle « Heure » cosmique touche le cours de notre humanité – « Heure » qui n’est évidemment pas la « Fin du Monde » des vaticinateurs hystériques, mais celle d’une suite d’échéances cruciales déterminables par la Connaissance traditionnelle des Cycles du « Temps qualifié » - la résurgence actuelle du prophétisme prend un visage non seulement logique mais providentiel. Venue du fond de l’Histoire avec les Écritures des diverses traditions, révélée en notre siècle comme les Annonciations mariales de Fatima à Garabandal, ou reflétées par des prédictions privées dont certaines paraissent authentiquement inspirées, une Gerbe foisonnante et inépuisable d’Avertissements divins s’efforce aujourd’hui d’éveiller l’homme somnambule en marche vers les précipices que son inconséquence a creusés. Des plus grands mystiques comme Anne-Catherine Emmerich ou le Padre Pio à ces « éveilleurs laïques » et courageux que sont un Raoul Auclair ou un Alexandre Soljénitsyne, mille voix nous crient aujourd’hui que l’heure de certains « chocs en retour » est advenue.9 Rappelant – en 1976 ! – la prédiction faite par Vlaicu Ionescu de la chute du communisme en Russie pour le mois de juin 1991 (73 ans et sept mois après la prise du pouvoir par les bolcheviks), Jean Phaure évoquait son propre « calendrier », exposé dans son Cycle de l’humanité adamique, paru en décembre 1973 : Grande fut mon émotion à cette lecture, car dans mon Cycle de l’Humanité Adamique, Introduction à l’étude de la Cyclologie traditionnelle et de la Fin des Temps, paru en décembre 1973, je faisais coïncider l’achèvement de cette première Tribulation de l’Apocalypse avec la fin du « Grand Cycle de Daniel » de 2592 ans, ouvert avec Nabuchodonosor en 603 av. J.-C., et qui se clôra donc entre 1989 et 1990, avec « l’appui surnaturel » supplémentaire de la Grande Doriphorie de la Noël 1989 ! Il est émouvant de voir entre les mains de chercheurs qui ne se connaissaient pas alors qu’ils écrivaient leurs livres s’assembler les pierres de la connaissance de notre proche avenir, et ceci dans une lumière mystique et métaphysique.10 9 Ibid., p. 9. Ibid., p. 10-11. 10 9 LE MILIEU SPIRITUEL – ORTHODOXIE Après ce survol biographique, nous évoquerons maintenant les deux sources auxquelles Vlaicu Ionescu a puisé son inspiration et structuré les grandes lignes de sa vie intellectuelle et spirituelle : l’orthodoxie et la pensée traditionnelle, en référence, principalement mais non pas uniquement, à l’œuvre de René Guénon. Deux lieux sont attachés à un renouvellement de Monastère d’Antim - Bucarest l’hésychasme en Roumanie à partir de la Seconde Guerre mondiale. Le monastère de Cernica, construit en 1608 sur un site pittoresque, non loin de Bucarest, au milieu d’un lac encerclé de forêts séculaires. Et à Bucarest même, le monastère d’Antim, fondé en 1715 par le métropolite Antim Ivireanu, connu comme poète, miniaturiste et orateur. Dans la foulée d’un groupe de prière constitué dès les années 1939-1940, un groupe d’intellectuels, moines et laïcs, passionnés d’hésychasme et de la prière de Jésus, se constitue discrètement en 1943 sous le nom de « Buisson Ardent ». Le Buisson Ardent devint un lieu de réflexion sur un renouveau de l’orthodoxie à travers l’hésychasme. Ses réflexions ne se cantonnaient pas au domaine religieux mais s’ouvraient à tous les champs du savoir, mis en perspective par la théologie. Il se proposait de faire vivre parmi les intellectuels la foi orthodoxe dans son expression hésychaste, faisant de la recherche scientifique et de toute activité humaine un lieu de rencontre avec Dieu et avec les hommes. Le Buisson Ardent visait à établir un rapport entre la spiritualité hésychaste et la prière de Jésus, et le monde moderne. Le choix de ce terme répond, selon André Scrima, à plusieurs aspects de la spiritualité orthodoxe : Dans la tradition spirituelle de l’Église d’Orient, le Buisson Ardent marque un véritable « lieu » mystique, discret peut-être, mais très haut : révélation du nom ineffable, du mystère marial, vision ignée de l’eucharistie et de la théosis (voir le bel hymne de saint Syméon le Nouveau Théologien, septième prière préparatoire à la communion dans l’office orthodoxe) ; il résume spontanément les thèmes essentiels de la spiritualité hésychaste.11 L’initiateur du groupe a été Sandu Tudor (alias Alexandre Teodorescu, 1896-1960), éditeur dans les années trente d’une revue intitulée Florea de foc (la Fleur de feu), dont le titre anticipait celui du groupe. Ancien officier, poète et écrivain, ayant mené une longue quête spirituelle qui l’avait conduit à un pèlerinage au Mont Athos en 1929, Sandu Tudor entre dans le monachisme en 1946 et recevra le nom de père Daniel12. Le groupe qui s’est formé autour de lui était composé de nombreuses personnalités religieuses et culturelles de l’époque.13 Les réunions avaient lieu le dimanche soir dans la bibliothèque du monastère Antim. La persécution communiste s’abattit sur tous les groupes religieux, interdits en 1948. Sandu Tudor fut arrêté l’année suivante et les réunions d’Antim cessent en 1950. Des réunions clandestines ont lieu cependant lors de brefs passages du père Daniel, sorti de prison en 1952, à Bucarest. Les participants seront arrêtés dans la nuit du 13 au 14 juin 1958 et condamnés pour haute trahison. L’acharnement du régime communiste contre le cercle d’Antim s’explique, selon Radu Dragan, par le fait que le groupe représentait un noyau diffus de résistance spirituelle plus difficile à contrôler que l’encadrement ecclésiastique constitué. Par ailleurs, il existait des liens entre certains religieux avec la résistance anti-communiste active dans les montagnes jusqu’au milieu des années 11 SCRIMA André, « L’avènement philocalique dans l’orthodoxie roumaine », Istina, n° 3, juillet-septembre 1958, p. 295-328. Sandu Tudor reçut au monastère d’Antim le nom de moine Agathon ; après son emprisonnement et sa libération en 1952, il vécut en ermite au sommet du mont Rarau sous le nom de père Daniel. 13 DRAGAN Radu, « Une figure du christianisme oriental du XXe siècle : Jean l’Étranger », Politica Hermetica, n° 20, 2006, p. 124-142. L’auteur de cette étude donne la liste suivante des plus connues de ces personnalités : outre les guénoniens Anton Dumitriu et Marcel Avramescu, le poète et médecin Vasile Voiculescu et le professeur Alexandru Mironescu. Moins assidus, ont participé aussi le grand poète et mathématicien Ion Barbu, l’écrivain Ion Marin Sadoveanu, le professeur Octav Onicescu, le mathématicien Valentin Poenaru. Parmi les nombreux ecclésiastiques, le père Dumitru Staniloae, considéré comme un des plus grands théologiens orthodoxes, André Scrima (à l’époque étudiant de Dumitriu à l’Université de Bucarest), les archimandrites Sofian Boghiu, Benedict Ghius, Roman Braga et Felix Dubneac, les pères Arsenie Papacio et Adrian Fageteanu.. 12 10 cinquante. Enfin, la publication, en 1957, d’un article d’Olivier Clément dans le journal protestant Réforme, a pu accroître la méfiance de la Securitate envers un mouvement religieux pour lequel l’Occident témoignait de son intérêt.14 La pratique de l’hésychasme liée au cercle d’Antim est présentée comme la preuve de l’existence d’un « ésotérisme chrétien » en terre roumaine par Anton Dumitriu, un savant qui succéda à Nae Ionescu à la chaire de logique et de métaphysique à Bucarest et qui avait longtemps fréquenté le cénacle du Buisson Ardent. Dumitriu déclare avoir reçu l’initiation sous la forme d’une « bénédiction de grâce » initiale et il précise que la voie hésychaste qu’il suit comporte sept degrés d’initiation. Par ailleurs, il fait remonter le réveil initiatique dans l’orthodoxie roumaine au grand starets Païssios Vélitchkovsky, qui vécut au XVIIIe siècle au monastère de Neamt en Moldavie. L’autorité spirituelle du groupe était le père Ivan (Ioan) Kouliguine (1885- ?), un moine russe qui s’était enfui d’Union soviétique en novembre 1943 avec le métropolite Nicolas de Rostov et avait trouvé refuge dans le monastère de Cernica, près de Bucarest. A travers la personne de « Ioan, le père étranger », les intellectuels du Buisson Ardent purent entrer en contact avec une branche de l’hésychasme qui avait été ranimée dans les monastères moldaves puis à Optina Poustyne par le moine ukrainien Païssius Vélitchkovsky (1722-1794) et par les startsi de la fin du XVIIIe siècle. Nous reprenons ici, pour la biographie du père Jean l’Étranger, les éléments fournis par l’étude publiée par Radu Dragan dans la revue Politica Hermetica n° 20, datée de 2006, lequel s’appuie sur un récit autobiographique qui fait partie des rares textes laissés par Jean l’Étranger. Le nom d’Ivan Strannik (Jean l’Étranger) est celui qu’il s’est vu attribuer par son père spirituel ou par lui-même à la suite de son initiation – nom porteur d’une vocation et d’un destin dont il souligne lui-même la portée et la signification : on peut y lire le thème de l’itinérance perpétuelle de « l’étranger » associé au thème de « l’envoyé ». Ivan Kouliguine est né le 24 février 1885 à Elet, dans la province d’Orel, et son père meurt deux semaines après sa naissance. Dès son jeune âge, il se sent attiré par la religion, ébloui par la beauté des chants religieux. Ayant suivi quelque temps des cours à l’École d’Art Dramatique, il renonce à cette carrière, déçu par la vie bohême des artistes. Dès l’âge de 16-17 ans, il estime que la Grâce divine est avec lui ; la vision dans son sommeil d’une église blanche en cours de construction et une voix lui disant que l’église lui appartient, le rendent convaincu de sa vocation. En 1904, âgé de 19 ans, il part à Kiev et visite plusieurs monastères abritant des reliques de saints russes. Il arrive à Optina Poustyne, ermitage célèbre fondé par le grand archimandrite Païssios Vélitchkovsky, où avait séjourné Dostoïevski au moment de la rédaction des Frères Karamazov. Il sent là quelque chose de mystique et décide d’y rester. Il constate que le prieur Josèphe était, comme les saints, entouré d’un halo lumineux pendant qu’il faisait sa prière. C’est Josèphe qui lui donne la bénédiction. Ce terme revêt, chez les moines pratiquant la « prière du cœur », une signification particulière : il s’agit de la transmission mystique de la Grâce divine, que seul le « père spirituel » peut accomplir. La guerre trouve Jean à Optina en 1914 quand il sera mobilisé. Il parle de l’assassinat des moines par l’Armée Rouge à la fin de la guerre ; cet épisode s’est vraisemblablement passé au monastère de Valaam sur le lac Ladoga. Il n’y échappera que parce qu’il n’était pas moine, mais frère novice. Revenu à Rostov après la guerre, il sera ordonné prêtre célibataire et officia dans plusieurs églises de village jusqu’en 1930, quand il sera emprisonné sous l’accusation d’avoir désobéi aux autorités communistes. Sorti de prison en 1937, Jean devient confesseur et archiprêtre de Nicolas, le métropolite de Rostov. Celui-ci, plusieurs fois déporté, a été déposé par les Soviétiques en 1939 et sera rétabli dans ses fonctions en 1942 par les Allemands. En 1943, à l’approche des troupes de l’Armée Rouge, le métropolite se réfugie à Odessa, à l’époque occupée par l’armée roumaine alliée des Allemands ; de là, il entre en Roumanie et trouve asile au monastère de Cernica. C’est dans ce monastère aux environs de Bucarest que Nicolas, âgé de 85 ans, va mourir et sera enterré, en 1944. Pendant toutes ces pérégrinations, il a été accompagné par son confident Jean Kouliguine. Le père Jean participe à la rencontre fondatrice du « Buisson Ardent », qui a lieu du 1er au 7 août 1943 à Cernàutsi en Bucovine. Il devient le « père spirituel » du groupe jusqu’à son arrestation par les Soviétiques en octobre 1946. Torturé, jugé pour 14 CLÉMENT Olivier, « L’Église orthodoxe roumaine et le Buisson ardent, Réforme, n° 644 du samedi 20 juillet 1957. 11 trahison en tant que citoyen soviétique et condamné à dix ans de travaux forcés, il est déporté fin janvier et on n’entendra plus parler de lui. Dans un entretien donné au printemps 2000, l’archimandrite Sofian Boghiu affirme que Jean est mort à Odessa où, après avoir été emprisonné, il a fini ses jours en s’occupant du jardin de la prison. Il n’existe pas d’autre témoignage en ce sens. La dernière lettre avant l’arrestation, datée du 25 mars 1946, est une lettre d’adieu : Jean désigne Sandu Tudor comme héritier spirituel. Il lui transmet l’héritage des startsi de la vie contemplative d’Optina. Tudor sera aussi dépositaire de ses écrits et son légataire testamentaire. De sa prison, avant d’être déporté, Jean écrit entre le 9 et le 21 janvier 1947 six lettres dont le contenu est nettement différent de ses écrits précédents. C’est un homme vieux, malade et effrayé qui craint le froid de son pays natal et le long chemin qu’il aura à parcourir. Il supplie ses amis de lui envoyer ses vêtements chauds et ses gros souliers d’hiver. Il demande avec insistance l’intervention du patriarche Nicodème auprès des autorités d’occupation pour intercéder en sa faveur, ce que celui-ci fera, sans grand succès d’ailleurs. Il demande de faire le tri de ses livres et de ses manuscrits et de ne garder que ceux ayant un rapport avec l’orthodoxie. Il paraît se rendre bien compte du caractère subversif, aux yeux de l’occupant, des écrits ayant un rapport avec le cercle du Buisson Ardent, vu par les Russes comme une organisation contre-révolutionnaire de gens riches et cultivés dirigée contre les Soviets. Un témoignage d’Alexandru Mironescu traduit bien le sens de cette transmission spirituelle, qui relie les startsi Optina du XIXe siècle au monastère d’Antim, dans un climat de tension cauchemardesque : Il est parti pour de bon, le pauvre et énigmatique étranger, par le chemin des errances bizarres de ces temps d’apocalypse, quand certains des mystères de la vie chrétienne sont semés des manières les plus étranges qui soient. Peu avant son arrestation, Jean l’Étranger a adressé à ses fils spirituels une lettre qui devint son « testament spirituel », texte publié et commenté par son jeune disciple André Scrima, qui a providentiellement échappé à la persécution qui a fondu sur le groupe d’Antim en décembre 1946. Voici le début de ce texte à travers lequel Jean l’Étranger rend compte de la bénédiction qu’il a reçue et de la mission qui lui a été confiée : Gloire et grâce soient rendues au Seigneur qui, en cet instant même, nous témoigne sa complaisance. Pour que votre esprit et votre cœur soient affermis, sans défaillance, dans l’union totale opérée avec le Seigneur, et que ne fléchissent votre foi en les voies de la divine Providence, ni votre confiance dans l’« Étranger » que vous avez rencontré, non sans mystère, sur la voie du salut des âmes qui sont les siennes, je vous montrerai, avec l’aide de Dieu vivant, en vous les remettant en mémoire seulement, brièvement, quelques signes et instants épars, autant du moins que l’on peut laisser transparaître à travers eux le vrai sens de l’écrit. Je confesse avec force l’œuvre de la Providence qui s’accomplit et continue à s’accomplir en moi. Et je confesse aussi la plénitude de la miséricorde divine qui s’épanche sur nous et sur tous ceux que le Seigneur voudra choisir encore comme instruments à la gloire de son Nom, selon ses voies si impénétrables et si diverses. Heureux ceux qui n’ont pas douté de moi, votre indigne père et starets, qui me trouve parmi vous comme un « envoyé étranger ». Ce n’est pas en effet, que, créature humaine avec les qualités et les défauts de notre nature, je possède quelque chose de particulier ; mais c’est la volonté de Dieu, la merveilleuse volonté de Dieu. C’est elle qui m’a choisi malgré mon indignité ; c’est elle qui guide mes pas et qui repose sur moi, son serviteur. Du temps même de ma jeunesse, la douce énergie de la Providence s’est complu dans mon cœur et, sur la voie de mon salut, m’a fait don de la bénédiction charismatique de l’Héritage. Elle m’a également fait don d’un père spirituel en qui agissait la grâce qui remplissait sa vie. Et encore, et surtout, tout au long de mon pèlerinage, elle m’a fait le don direct de l’esprit de force et de sagesse. Un autre témoignage qui permet d’entrer dans la spiritualité propre à Jean l’Étranger et à ses disciples, est l’hymne composée par le père Daniel sous le titre « Acathiste du Buisson Ardent », chef d’œuvre poétique qui glorifie la Mère de Dieu, la « Mère de la prière continuelle » : 12 Le Seigneur est Amour à jamais, et son Nom aussi est Amour. Venez, laissons-nous imprégner de Dieu, profondément, avec tout l’élan de l’amour. Toi, Vierge sainte, tu l’as porté ; nous aussi, souvenons-nous que nous le portons, que nous vivons, que nous avons l’être et le mouvement dans le Dieu vivant. En tout lieu, ayons conscience d’être avec lui, et par sa vertu notre vertu grandira, si, à chaque respiration, nous invoquons le Nom du Seigneur. Alors nous clamerons, comme un seul être en fête : Alléluia ! Kondakion IV, Acathiste du Buisson Ardent Le groupe du Buisson Ardent se réunissait discrètement et ses intérêts ne touchaient pas, directement au moins, la politique ; toutefois, la police secrète roumaine eut vent des activités du Buisson Ardent et y mit fin brutalement en arrêtant la plupart de ses membres ; tous sont allés en prison sauf André Scrima. Certains membres du groupe meurent en prison, d’autres sortiront des années plus tard et sont marginalisés dans les milieux intellectuels et par l’Église roumaine. Le Buisson Ardent a néanmoins eu une très grande influence sur la spiritualité roumaine au XXe siècle et son rayonnement continue de se répandre, grâce en partie à la publication à Bucarest en 1996 du livre d’André Scrima, Le temps du Buisson Ardent, La tradition du Père spirituel dans le christianisme oriental. Le père André Scrima15, figure attachante et originale, grand spirituel et intellectuel, philosophe, mathématicien, théologien, était un homme d’une grande ouverture, engagé dans un dialogue avec une très large gamme de personnalités et de groupes, ayant lui-même des intérêts les plus variés, depuis l’hésychasme dans la tradition orientale, la spiritualité occidentale, les mouvements religieux de l’Inde, la symbolique, l’art... André Scrima est né en 1925 en Transylvanie, dans une famille d’intellectuels. En 1942, après la mort prématurée des ses parents, il s’installe à Bucarest. D’une grande précocité intellectuelle, il s’inscrit à quinze ans à l’université ; il fait des études en philosophie, mathématiques et physique. Il s’intègre dans le groupe du Buisson Ardent, qui à cette époque se rassemblait au monastère d’Antim. En 1948, André Scrima commence des études approfondies de théologie ; sa thèse portera sur « Une anthropologie apophatique dans l’esprit de la tradition orthodoxe ». En 1956 il devient moine au monastère de Slatina. À cette époque, il a rencontré plusieurs personnalités politiques et culturelles indiennes en Roumanie. Servant d’interprète au patriarche Justinien, en 1958 il rencontre le vice-président de l’Union indienne, Sarvepalli Radhakrishnan, qui, frappé par sa connaissance de la pensée hindoue, l’invite à passer deux ans à l’université Hindoue de Bénarès. André Scrima quitte la Roumanie en novembre 1956, en vue de se rendre en Inde, par un périple qui le mène d’abord à Genève, Paris, le Mont Athos et Beyrouth. Il a des contacts et des échanges dans les milieux théologiques et monastiques occidentaux. C’est en décembre 1956, peu après son départ de la Roumanie, que tous les membres du groupe du Buisson Ardent sont arrêtés. Arrivé en Inde au début de 1957, André Scrima élabore une thèse sur « L’Ultime selon le Vedanta advaïta » et il écrit une grande étude sur « Le renouveau philocalique dans l’orthodoxie roumaine ». Il fréquente les plus grands spirituels hindous et considère que l’hésychasme sera la clé d’un dialogue entre le christianisme et l’hindouisme. À la fin de son séjour en Inde en 1959, André Scrima décide de ne pas rentrer en Roumanie en raison des difficultés rencontrées par ses amis du Buisson Ardent. Il se fixe alors au Liban, centre d’un renouveau spirituel dans le cadre du Patriarcat d’Antioche, auquel participe activement le père Lev Gillet, le « Moine de l’Église d’Orient ». Scrima est ordonné prêtre au Liban et il devient le père spirituel d’une jeune communauté, le monastère SaintGeorges à Deir-el-Harf ; il y restera attaché tout le reste de sa vie. Il enseigne aux universités de SaintJoseph et du Saint-Esprit au Liban et il collabore avec de grands théologiens orthodoxes présents au Liban. En 1961, il rencontre le patriarche Athénagoras Ier, qui fait de lui son représentant au Concile Vatican II, où certaines formulations décisives lui sont dues. Après la clôture du concile, il devient un intermédiaire privilégié entre Paul VI et Athénagoras Ier ; il est présent auprès du patriarche lors de la fameuse rencontre de janvier 1964 avec Paul VI à Jérusalem et à Constantinople, travaillant sur le texte qui abolit les anathèmes de 1054. en même temps, le père André Scrima déploie une intense activité d’enseignement et de participation dans les milieux religieux et laïques en Europe et aux ÉtatsUnis. Après la « chute du mur », André Scrima rentre en Roumanie en 1992, où il exerce une 15 Deux numéros de Contacts – Revue française de l’Orthodoxie, avec notes biographiques, essais, homélies et textes, sont consacrés au père André Scrima : Vol. 55, no. 203, 2003 ; et Vol. 56, no. 207, 2004. 13 influence discrète mais efficace. Il meurt en août 2000 à Bucarest et son corps repose dans le cimetière de l’île Saint-Nicolas, près du monastère de Cernica. André Scrima a souligné, à plusieurs reprises, les rapports entre l’hésychasme et la gnose : « atteindre le cœur » à travers la prière de Jésus, c’est atteindre le centre de l’être spirituel qui se confond avec l’Esprit Saint. Cette expérience s’accompagne d’une sensation de douleur physique suivie par un sentiment de paix exprimé par des larmes de joie quand l’identification avec Dieu devient manifeste. Ce phénomène est typiquement gnostique. Le texte le plus instructif dans ce sens est probablement l’entretien de saint Séraphim de Sarov avec Nicolas Motovilov : la face du saint brille comme le soleil à midi, il ressent un silence et une paix inexprimables, une douceur et une béatitude indicible envahir son âme. Une odeur qu’on ne peut comparer à rien sur terre et qui est l’aromate de l’Esprit Saint flotte autour de lui. Nulle part nous n’avons trouvé de mention qui relierait directement Vlaicu Ionescu au cercle du Buisson Ardent. Néanmoins, il nous paraît probable que, dans le milieu que fréquentait Vlaicu Ionescu, il a dû rencontrer des personnes qui lui ont fait part de l’existence et des activités de ce groupe. En revanche, dans ses écrits, et notamment dans ses entretiens avec Marie-Thérèse de Brosses, Vlaicu Ionescu fait de nombreuses références explicites à la pensée traditionnelle et au principal représentant de ce courant, René Guénon, qui a d’ailleurs exercé une influence considérable sur nombre d’intellectuels et artistes français durant le XXe siècle, comme le montre la thèse de Xavier Accart.16 LE MILIEU SPIRITUEL – TRADITION (INFLUENCE GUÉNONIENNE) Comme l’indique Claudio Mutti dans son ouvrage consacré à l’influence de René Guénon en Roumanie et à celle de Julius Evola à Prague, en Roumanie et en Hongrie17, parmi tous les pays de l’Est européen, c’est en Roumanie que l’œuvre de René Guénon a exercé l’influence la plus profonde. L’accueil réservé à l’œuvre de Guénon en Roumanie entre les deux guerres doit être mis en relation avec l’influence exercée par un courant traditionnel très fort après la Première Guerre mondiale. Établi au carrefour de l’Orient et de l’Occident, de l’Europe septentrionale et de la Méditerranée, dans une région dont Vasile Lovinescu (alias Geticus) a souligné le caractère « crucial » lié aux migrations de l’antiquité la plus reculée, le peuple roumain a manifesté une vocation spéciale à assumer un rôle de médiateur culturel et de créateur de synthèses.18 Ce sens d’une continuité traditionnelle fait que, pour les Roumains, le christianisme – que Mircea Eliade qualifiait de « christianisme cosmique » - n’est pas le fruit d’une rupture traumatisante avec un avant païen, mais bien plutôt l’accomplissement de la doctrine de l’Unité divine qui était la caractéristique essentielle de la religion géto-dace. C’est ainsi que les Roumains ont généralement la conviction d’être chrétiens depuis toujours. C’est ainsi que, dans son livre sur la géographie sacrée de l’Eurasie (Le Mystère de l’Eurasie, 1992), Alexandre Douguine évoque « l’enracinement des tendances hyperboréennes sur le territoire roumain ». Le 9 juin 1991, pour la première fois, Guénon avait été évoqué à la télévision russe par Alexandre Douguine qui avait évoqué, dans des termes qui font penser à Vlaicu Ionescu, « la fin de l’ère prolétarienne ». Mais à cette continuité temporelle qui relie la Roumanie à la tradition hyperboréenne de la Dacie et au christianisme eschatologique des temps de la fin, s’ajoute une vocation particulière de liaison entre Occident latin et Orient byzantin et, plus largement, entre Europe et Islam. Claudio Mutti signale la présence, aux marges du territoire roumain, d’importants centres spirituels islamiques, comme celui qui apparut dans la Dobroudja vers la moitié du XIVe siècle, après l’arrivée du derviche Sari Saltik, vénéré comme un saint dans les Balkans. Un savant de l’envergure de Nicolae Iorga (1871-1940) a montré comment les principautés valaque et moldave exercèrent un rôle hégémonique jusqu’à Tiflis, Antioche, Le Caire, c’est-à-dire dans quelques-unes des plus importantes communautés chrétiennes de l’aire islamique. C’est ainsi que la tradition de la Constantinople chrétienne continuait de vivre grâce à ces princes roumains, « Byzance après Byzance ». 16 ACCART Xavier, Guénon ou le renversement des clartés, Edidit, Paris / Archè, Milano, 2005. MUTTI Claudio, La grande influence de René Guénon en Roumanie, Akribeia, 2002 [Parme, 1998]. 18 Ibid., p. 21. 17 14 Nombreuses sont les personnalités roumaines qui ont été marquées par leur rencontre avec l’œuvre de Guénon. Nous ne pouvons que renvoyer à ce propos à l’ouvrage de Claudio Mutti qui aborde de manière détaillée quelques-unes de ces personnalités : Gelu Voican Voiculescu, qui adhéra à la doctrine de Guénon aux alentours de 1970 et qui vit en Khomeiny le promoteur potentiel d’une restauration traditionnelle ; Michel Vâlsan, qui, entré en contact avec le groupe de l’Ordre alawite qui s’était constitué à Lausanne autour de Frithjof Schuon, entra en islam et reçut l’investiture initiatique à la fin de l’année 1937 ; Vasile Lovinescu, qui s’était rattaché à l’islam et à cette même tariqah en mars 1936. D’autres, comme Anton Dumitriu ou Marcel Avramescu avaient approfondi leur enracinement traditionnel dans le cadre de l’orthodoxie et de la voie de l’hésychasme, en relation avec le cercle d’Antim. On pourrait évoquer encore Paul Barba-Negra, qui réalisa avec Jean Phaure une série de films remarquables sur des hauts lieux traditionnels français (Paris, Notre-Dame, Versailles, le MontSaint-Michel, Reims), Jean Parvulesco, qui tente une synthèse risquée entre guénonisme et gaullisme, la princesse Emmanuela Kretzulesco-Quaranta, connue pour une étude remarquable du Songe de Polyphile, et bien d’autres. Un épisode curieux avait marqué Michel Vâlsan peu avant sa rencontre avec le milieu guénonien à Paris. En 1935 (il avait alors 28 ans), Michel Vâlsan se rend dans la localité de Maglavit, située en Olténie, devenue la destination de véritables pèlerinages, car elle était alors le théâtre d’un phénomène retentissant : depuis le 31 mai de cette année-là, un berger illettré du nom de Petre (Petrache) Lupu (1908-1994) est le destinataire des communications d’une entité qu’il appelle Mosul, c’est-à-dire « le Vieux » et qui est interprété comme une sorte de théophanie. Mihail Vâlsan reçoit du voyant de Maglavit une sorte de « bénédiction » ; et, comme les messages du « Vieux » semblent annoncer aux Roumains que leur terre deviendra le siège d’un centre spirituel comme l’avait été déjà la Dacie dans l’antiquité, Vâlsan pense que tout cela a affaire avec le Roi du Monde dont parle René Guénon. Arrivé à Paris en décembre 1936, Vâlsan consacra tout son temps à prier et à écrire pour Guénon une énorme relation de cette histoire de Maglavit à laquelle Guénon s’intéressait. Il la lui envoya au bout de deux mois. Vasile Lovinescu, né le 30 décembre 1905 à Falticeni, dans le nord de la Moldavie, traduit en roumain le livre de René Guénon Le Roi du Monde. Après avoir effectué un pèlerinage au Mont Athos, il choisit la voie du soufisme et, préparé par Titus Burckhardt, il est initié en 1936 au sein de l’Ordre alawite de Frithjof Schuon. Il consigne dans une page de son journal l’impression que produit sur lui sa rencontre avec Schuon : « Singulier, fatal, quelque chose pèse sur lui. Étranger au monde et vulnérable ». En 1938, Lovinescu rencontre Julius Evola à Bucarest, et arrange, par l’intermédiaire de son frère Horia, la rencontre entre le penseur italien et Corneliu Codreanu. Entre 1970 et 1976, Lovinescu élabore Columna Traiana (la Colonne Trajane). Prenant comme point de départ la figure de l’empereur qui conquit la Dacie, l’étude développe le thème de la fonction impériale, dans laquelle autorité spirituelle et pouvoir politique réalisent leur synthèse, et s’achève par un chapitre sur l’idée impériale de Dante et sur le symbolisme gibelin de la Divine Comédie. En mai 1936 avait commencé à paraître dans les Études traditionnelles une série d’articles intitulée « La Dacie hyperboréenne », signée sous le pseudonyme de Geticus. Il s’agit d’un ouvrage d’histoire et de géographie sacrées que Lovinescu avait entrepris d’écrire après son retour de l’Athos et avait terminé avant de se rendre en France. La « Dacie hyperboréenne » ne trouvera une résonance que cinquante ans plus tard, après la parution de la traduction française en 1987. Il n’est pas ici dans notre propos de nous étendre sur ce thème et de présenter toute la riche substance du livre de Lovinescu, qui s’inspire d’ailleurs des idées et des écrits d’historiens roumains tels que Nicolae Densusianu - qui publia en 1913 un ouvrage sur la Dacie préhistorique – ou Bogdan Hasdeu, qui fut directeur des Archives de l’État roumain. Tous deux étaient des collaborateurs réguliers de la revue Romania, fondée en France en 1872 par Gaston Paris et Paul Meyer. Vlaicu Ionescu était un familier de ces auteurs ainsi que de Lovinescu, dont les ouvrages se trouvaient dans sa bibliothèque. Geticus présente la tradition des Daces comme étant directement reliée à celle de l’Hyperborée, une migration ayant conduit ce peuple de l’extrême nord jusque dans le bassin du Danube et sur les bords de la Mer Noire, et que la tradition daco-hyperboréenne a subsisté jusque vers la fin du XIXe siècle. Vasile Lovinescu démontre savamment que le terme de Bassaraba, qu’on a cru longtemps être le nom de la dynastie régnante, était en fait celui d’une caste, celle des sarabi terei (les Sarabes portant tiare), parmi lesquels étaient ordonnés les rois et les sacerdotes, caste perpétuée pendant mille 15 ans dans les montagnes impénétrables de la Transylvanie et qui ne se manifesta qu’au moment du renouveau traditionnel que fut le Moyen-Âge. L’auteur montre aussi comment le « Noir-Voïvode » ou « Radu le Noir » est un nom collectif, celui d’une fonction initiatique sacerdotale et royale – le noir étant ici un symbole hyperboréen en relation avec la couleur de Saturne. Geticus évoque aussi un thème qui nous est cher depuis longtemps, celui qui a trait au repli du Graal dans un centre initiatique caché, présenté, à la fin de la Queste del Saint-Graal comme le Temple spirituel de la Cité sainte de Sarras : Dans le cycle arthurien, Joseph d’Arimathie, s’en allant sur une nef, en Grande-Bretagne avec le Saint Graal, fit un long séjour dans la Cité de Sarras, dont le Roi était Evalac, qui devint Mordrain, le « Roi méhaignié ». A la fin de la Quête du Graal, à cause des péchés des Bretons, Galaad, Perceval et Bohort, s’embarquèrent avec le Saint Vessel, dans la même « nef » qui les porte jusqu’à la « Cité de Saras », dont Galaad devint le « Roi ». Galaad « enferma » le Graal dans le « Temple spirituel » de cette Cité. De Saras sont sortis les Sarrasins, dit le conte. Saras, Sarabes ; Evalac, Valaques ; Sarabe transformé en Arabe, désignation populaire du Noir, exactement de la même façon que Sarrasin (ou More) dans le Moyen-Âge occidental. Résorption du Graal dans le « Temple Spirituel » de Saras, autant de choses formidables, difficiles à préciser, non tant à cause du manque de faits, mais parce qu’ineffables.19 Enfin, le livre se termine sur deux chapitres consacrés au conte Harap-Alb et à son interprétation, avec l’évocation de l’Empereur Vert, mythe dont Geticus estime qu’il représente la réunion du pouvoir royal et du pouvoir sacerdotal dans la même personne et la même fonction. L’Empereur Vert est pour lui une des désignations du Roi du Monde dans la tradition roumaine. Or, ce conte a été écrit en 1877 par un auteur du nom de Creanga. Cette œuvre témoigne qu’il existait encore, au XIXe siècle, une organisation initiatique du « Sanglier Blanc » d’inspiration hyperboréenne, de la descendance spirituelle de Ram, possédant un symbolisme révélateur d’une vaste et profonde doctrine spirituelle. Or il se trouve que ce mythe de Ram a été écrit par un homme dont le pseudonyme, Creanga, est en roumain l’équivalent de Ram. Geticus conclut son ouvrage en signalant que, dans un milieu encore si peu moderne, couvert de forêts, qui en 1870 n’avait pas encore de voies ferrées, le prolongement d’une voie initiatique jusqu’au milieu du XIXe siècle n’aurait rien d’extraordinaire : Ce qu’il y a de curieux, c’est que cette date de 1877 est réellement la plus importante de l’histoire roumaine au XIXe siècle : c’est l’année de la guerre contre la Turquie ; c’est à cette date que commence la modernisation réelle de la Roumanie ; elle a donc très bien pu être aussi l’année de la disparition de la tradition dacique.20 19 20 GETICUS, La Dacie hyperboréenne, Pardès, 1987 [Parme, 1984], p. 87. Ibid., p. 131. 16 Survol général de l’œuvre de Vlaicu Ionescu LES RÉFÉRENCES TRADITIONNELLES DE VLAICU IONESCU Nous allons voir maintenant comment Vlaicu Ionescu s’exprime lui-même, à travers ses ouvrages sur Nostradamus, à propos de la pensée traditionnelle et de ses divers aspects. Et tout d’abord le sens qu’il donne au concept de « tradition » qui ne fait pas référence, comme c’est le cas de René Guénon, à l’idée d’une Tradition primordiale d’origine transcendante, mais plutôt au fait d’une transmission de génération en génération. Voici ce qu’il en dit dans Les Dernières victoires de Nostradamus : Le mot « tradition » désigne tout contenu venu du passé et transmis en vue d’une livraison, toute pensée ou coutume héritée dont il convient d’assurer la persistance. Ce procédé de maintenance est le propre des cultures sacrées qui, pour cette raison, sont souvent appelées « traditions ». La pensée qu’elles véhiculent est alors dite « traditionnelle » dans le sens où il s’agit d’une doctrine reçue, retransmise et revivifiée. Cette pensée se distingue de la mentalité scientiste actuelle qui s’appuie sur l’incessante révision des idées, au gré des découvertes réalisées par la science.21 Ce qui est transmis, ce sont des « cultures sacrées » qui véhiculent une doctrine qui est à la fois reçue et retransmise, mais aussi appelée à être « revivifiée ». Ce qui laisse supposer qu’il revient à chaque génération de retrouver le chemin de la source vivifiante qui rend sacrées ces cultures. On observe enfin que Vlaicu Ionescu, de même que Guénon, oppose nettement la pensée traditionnelle à la mentalité scientifique moderne – sans toutefois inscrire cette opposition dans le cadre d’un antagonisme Orient-Occident. La réflexion se poursuit par une illustration de la pensée traditionnelle avec les capacités prophétiques dont témoigne l’œuvre nostradamienne, qui permet à la conscience « d’accéder à des niveaux où les esquisses de notre Histoire prennent sens, en sorte que l’Histoire y apparaisse programmée avant d’être manifestée ». On trouve là, d’une part, une référence aux capacités étendues de l’être humain lorsqu’il réalise, comme ce fut sans doute le cas de Nostradamus, la plénitude de ses possibilités, correspondant au plan initiatique à l’acquisition des « petits mystères » ; et d’autre part, Vlaicu Ionescu fait allusion à une sorte de double plan où se déploie l’Histoire : dans l’espace transcendant qui est celui d’un « programme » où elle est tout entière concentrée, et dans l’espace temporel de la manifestation, où elle se déroule selon un axe qui la conduit à sa fin – la Prophétie témoignant d’une connaissance plus ou moins intense des relations entre ces deux plans. Nous ne sommes pas loin, ici, d’une formule de Raoul Auclair, pour qui « la Prophétie se réalise en Histoire ». Enfin, dans le même passage, Vlaicu Ionescu signale qu’il appelle « Ère Prolétaire » cette période noire du Kali Yuga au cours de laquelle les valeurs sont inversées et les hérésies antitraditionnelles ont pris corps. La référence au Kali Yuga ou Âge de Fer, s’inscrit dans la cyclologie traditionnelle exposée par René Guénon dans son article de 1929.22 Le terme d’ « Ère Prolétaire » ayant par ailleurs le mérite de relier les deux moments fondamentaux que constituent la Révolution française et la Révolution russe, conçus comme deux phases d’un même processus qui, selon nos analyses astrologiques prend naissance au moment de la conjonction Uranus-Pluton de 1711 à 28° Lion (conjonction conjointe à Hadès passant sur Régulus). Processus qui n’est sans doute pas terminé et qui pourrait connaître une nouvelle phase significative lors de la conjonction Hadès-Kronos de 2030-2031. Dans Le Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire, Vlaicu Ionescu, évoquant la « Pensée Traditionnelle », l’associe en premier lieu aux noms de René Guénon et de Julius Evola, dont on connaît les liens avec la Roumanie, notamment par le lien établi avec Vasile Lovinescu et avec Michel Vâlsan, qui s’installera en France où, après la mort de Jean Reyor, il assumera la charge de la direction littéraire de la revue des Études Traditionnelles de 1960 à 1974. A ces deux noms, Vlaicu Ionescu ajoute ceux, communément associés à ce courant de pensée de Frithjof Schuon et de A.K. Coomaraswamy, mais aussi, ceux d’autres penseurs qui ne s’inscrivent pas véritablement dans une orientation guénonienne, voire s’en distinguent nettement, tels Paul Vulliaud, Francis Warrain, A.E. Waite, Kérényi, Mircea Eliade, C.G. Jung. Nous décelons, chez Vlaicu Ionescu, comme chez Jean Phaure, une ouverture d’esprit qui semble s’accommoder d’incompatibilités théoriques par ailleurs 21 IONESCU Vlaicu et Marie-Thérèse de BROSSES, Nostradamus. Les Dernières victoires de Nostradamus, Éditions Filipacchi, 1993, p. 257. 22 GUÉNON René, Formes traditionnelles et cycles cosmiques, Gallimard, 1970. 17 substantielles. Sans doute le tempérament artistique et le cheminement intellectuel et spirituel propre à ces deux personnalités que nous considérons malgré tout comme d’authentiques « témoins de la Tradition » rend-il compte de ce qui, à des esprits plus rigoureux, pourrait paraître comme de singulières incompatibilités. Vlaicu Ionescu s’en explique d’ailleurs en quelque sorte lui-même, puisqu’il fait aussitôt après cette liste mention d’« un fond doctrinaire commun, dont l’unité a été mise en valeur par des chercheurs sérieux et vérifiée par ceux qui en ont pénétré le fond métaphysique » ; et de citer la triple initiation de Ramakrishna, qui a suivi, successivement, la discipline Yoga hindoue, l’initiation musulmane et l’ascèse chrétienne. Reprenant alors le thème traditionnel de la « Descente cyclique », de l’involution qui conduit de l’Âge d’or au Kali Yuga, Vlaicu Ionescu signale que la perte d’actualité de la Pensée traditionnelle dans la mentalité moderne – particulièrement en Occident – est un phénomène prévu depuis l’antiquité la plus reculée, et il cite à ce propos un fragment d’un texte hindou intitulé Vishnou Purana (qui pourrait remonter entre le IIIe et le Xe siècle de notre ère), décrivant certains aspects caractéristiques de l’Âge Sombre, dont plusieurs correspondent à des traits significatifs de la modernité occidentale des XXe et XXIe siècles. Il est intéressant de voir comment Vlaicu Ionescu associe certains passages à des aspects spécifiques de l’Ère Prolétaire : La caste prédominante sera celle des esclaves. Ceux qui possèdent (propriétaires, commerçants) abandonneront l’agriculture et le commerce et essaieront de s’assimiler à la vie des esclaves, pratiquant des métiers mécaniques (prolétarisation et industrialisation). D’autre part, les chefs, au lieu de protéger leurs sujets, les spolieront et, sous des prétextes fiscaux, ils dépouilleront les propriétaires et la caste des commerçants (les « nationalisations » des régimes communistes). Seules les valeurs matérielles donneront le rang (la nouvelle élite du monde capitaliste et les classes fondées sur la quantité de dollars). La dévotion sera inspirée seulement par la condition physique, la seule liaison entre les sexes sera le plaisir, la seule voie vers le succès, la fausseté. La terre ne sera appréciée que pour les richesses minérales (allusion à la désacralisation de la nature et à la disparition des divinités de la terre). La qualité de prêtre sera donné seulement par l’habit (la perte du sens de la grâce). La faiblesse sera la seule cause de la dépendance et de la subordination (la perte du sens de l’honneur). (…) Dans cette époque, les mariages cesseront d’être un rituel (un mystère), et les normes qui liaient un disciple à son maître spirituel n’auront plus de pouvoir. On croira que n’importe qui pourra arriver au stade de « régénéré » (vulgarisation des connaissances initiatiques, spécifique à certaines sociétés « spiritualistes » modernes). Les actes de dévotion qui pourront encore être accomplis n’auront plus d’effet. Il y aura un type de vie égal, et la même promiscuité pour tous. (les conceptions égalitaires et l’abaissement de l’idéal humain). Celui qui donnera le plus d’argent conduira les hommes, et la descendance cessera d’être un titre de prééminence (la fin de la noblesse traditionnelle, l’égalitarisme et la ploutocratie capitaliste). Les hommes concentreront leur intérêt sur les acquisitions – même par voie malhonnête – et sur les richesses. (la vie de la société capitaliste). Les gens de toute catégorie penseront qu’ils sont égaux aux « Brahmanes ». (la présomption de l’homme civilisé devant les sages des cultures anciennes). Le monde aura de plus en plus la terreur de la mort. (on perdra la foi dans la vie après la mort) et on sera effrayé par la pauvreté : cette peur seule le fera se maintenir en relation avec le Ciel. (l’intérêt concentré seulement sur le bien-être d’ici-bas et la perte du sens du sacrifice et de la souffrance).23 23 IONESCU Vlaicu, Le Message de Nostradamus sur l'Ère prolétaire, P., Dervy-Livres, 1976, p. 32-33. 18 Toutefois, Vlaicu Ionescu n’omet pas de signaler que, durant le Kali Yuga, subsisteront des représentants des Traditions primordiales, qui seront la semence de nouvelles générations qui orienteront l’humanité vers une nouvelle ère, une résurrection de la culture de l’Âge d’Or. Et Vlaicu Ionescu mentionne que Nostradamus, lui aussi, promet, à la fin de l’Épître à Henri Second, un renouvellement cyclique à la fin de l’époque obscure. La question se pose de savoir comment Vlaicu Ionescu situait le Christianisme par rapport à sa conception de la Pensée Traditionnelle. Pour lui, il ne fait pas de doute qu’il existe une tradition ésotérique chrétienne. La nouvelle religion a, d’une part, assimilé le néoplatonisme, mais a aussi adopté les théories pythagoriciennes sur les nombres et les proportions – thème développé dans l’ouvrage de Matila Ghyka sur Le Nombre d’Or, paru en 1931, et qui a profondément marqué la pensée et l’esthétique de Vlaicu Ionescu. Il fait allusion également à l’héritage des traditions celtiques avec les variantes chrétiennes du Graal et des Chevaliers de la Table Ronde. Il considère surtout que le christianisme a conservé « un côté secret, transmis par l’initiation, un ésotérisme et une métaphysique centrés autour du Logos, l’Intelligence créatrice », et il précise que ces aspects de la Tradition ésotérique chrétienne se reflètent dans l’œuvre nostradamienne. Toutefois, Vlaicu Ionescu attire l’attention sur la présence de deux courants au sein du christianisme primitif, phénomène mis en valeur par la découverte des évangiles gnostiques de Nag Hammadi, en Égypte. L’opinion de Vlaicu Ionescu est que les Gnostiques ont voulu intégrer l’enseignement du Christ dans la Pensée traditionnelle des grandes religions orientales. Ils ont montré l’accord entre l’enseignement du Christ et le fond initiatique et métaphysique de la pensée orientale. Ils ont souligné le sens intérieur, atemporel et suprahistorique du « Royaume de Dieu ». Tandis que le deuxième courant du christianisme primitif a été plus perméable au Judaïsme (peut-être à cause de la formation rabbinique de saint Paul) et c’est ce courant qui l’a emporté ; le dogme fondamental de cette Église « catholique » est qu’il n’y a pas de salut hormis la foi et les sacrements institués au sein de cette même Église. Aussi s’est-elle laissée séduire par l’historicité d’un Royaume de Dieu sur terre – dont le communisme, pourrions-nous ajouter, a constitué la forme perverse par excellence, dont le mondialisme du XXIe siècle paraît prendre le relais sous une forme spécifique. Pour Vlaicu Ionescu, le seul Évangile écrit dans l’esprit gnostique qui échappa aux grandes purges des premiers siècles a été celui de saint Jean. Et c’est cette circonstance qui a permis une continuité de la tradition gnostique, spécialement chez les grands mystiques et dans les monastères grecs et égyptiens. On sait que la tradition monastique « hésychaste » de l’Église orthodoxe ou de l’Orient a maintenu jusqu’à nos jours comme moyen de réalisation intérieure la relaxation, la paix de l’âme, la méditation et des exercices spirituels qui, dans leur essence, ne sont pas loin du Yoga. Ce sont des exercices similaires que Nostradamus avait pratiqués pour arriver à cette réalisation intérieure qui lui a permis de surpasser la condition du temps.24 On observera au passage que Vlaicu Ionescu assimile sans problème la tradition monastique hésychaste de l’Église orthodoxe avec l’esprit d’un ésotérisme chrétien remontant, par-delà les Gnostiques, à l’Évangile de saint Jean. Et l’on notera encore qu’il considère que c’est grâce à une réalisation intérieure que Nostradamus a été capable d’accéder à des visions prophétiques. Pour Vlaicu Ionescu, le rapprochement entre le texte nostradamien et les anciens écrits gnostiques tient à une conception commune relative au mystère de la présence divine dans les profondeurs de l’âme : Ce qui rapproche encore plus le texte nostradamien des anciens écrits gnostiques est la conception du Royaume de Dieu comme réalité mystique présente et intérieure, au-delà des rituels et des sacrements offerts par l’Église. Le vrai Royaume de Dieu est le produit d’une alchimie qui agit par transmutation au niveau des profondeurs.25 24 25 Ibid., p. 20. Ibid., p. 21. 19 Et, parlant d’alchimie, Vlaicu Ionescu laisse bien entendre qu’il ne parle pas par métaphore, mais bien d’un processus opératoire très concret : En alchimie, même quand il s’agit de chaos primordial, on doit le trouver et toucher au moins son reflet dans le sein de la substance, car c’est dans ce chaos que gît la « matière première » qui, elle non plus, n’est pas une abstraction. La substance-mère, par laquelle le Logos a créé toute chose, est quelque réalité très concrète, qui doit être trouvée, car la simple spéculation là-dessus ne nous ouvre pas la porte de l’œuvre et, sans sa présence effective, toute tentative dans cette voie resterait stérile.26 Processus qui, s’appliquant en l’occurrence à cette transmutation qui s’opère dans les profondeurs de l’être, a certainement un lien avec le souffle et avec les techniques de respiration qui accompagnent la prière du cœur dans la tradition hésychaste. Vlaicu Ionescu attire en outre l’attention du lecteur sur le fait que, au cours de l’ère chrétienne, la voie de la réalisation hermétique, qui conduit au Grand Œuvre alchimique nommé aussi Pierre Philosophale, a été mise sous la protection du troisième apôtre qui a participé avec Jésus à la Transfiguration, saint Jacques le Grand. Il voit, dans ce ternaire entre Pierre associé à la voie exotérique, Jean qui représente la voie métaphysique et Jacques la voie hermétique, le prolongement d’un ternaire qui existait déjà avant l’époque chrétienne. A propos du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle, que Nicolas Flamel met en résonance avec la suite des opérations philosophales, Vlaicu Ionescu fait allusion à une étude de Grillot de Givry sur Les Foyers du mysticisme populaire qui apporte un éclairage fondé sur la géographie sacrée : Ce qui est tout à fait inédit dans cet essai est la démonstration du fait que l’emplacement des grands centres de pèlerinage n’est pas fortuite. Elle paraît impliquer une certaine géométrie mystique, qui évoque l’orientation de la Grande Pyramide et d’autres constructions mégalithiques, récemment découvertes.27 Que le monde moderne écarte avec mépris toutes ces références transmises par la Pensée Traditionnelle et se moque d’un personnage comme Nostradamus, réduit à la figure d’un mage plus ou moins sulfureux ou d’un faiseur habile, n’empêche en aucune manière la validité du jugement porté par l’œuvre nostradamienne sur l’Ère Prolétaire, dont la chute du communisme en Russie ne marque certainement pas la fin ultime. Vlaicu Ionescu caractérise les erreurs commises par les commentateurs superficiels de Nostradamus par un manque de connaissances dans le domaine traditionnel ou par un esprit superficiel. Mais il évoque aussi une autre catégorie de chercheurs : Ils sont cultivés, raffinés et assez bien informés : mais ils manifestent un orgueil spécifique de notre époque. Se montrant d’une inconséquence étrange, ils donnent d’une part des exemples où Nostradamus prouve une indiscutable précision dans la peinture des événements, mais d’autre part, ils montrent, avec une satisfaction masquée, des passages où Nostradamus aurait « fait des fautes ». Ils pensent ainsi prouver leur « objectivité ». Ils n’imaginent pas que c’est leur interprétation qui puisse être erronée !28 26 IONESCU Vlaicu, Nostradamus. L’Histoire secrète du monde, Paris, Editions du Félin, 1987, p. 21. IONESCU Vlaicu, Le Message de Nostradamus, p. 45, note 2. 28 Ibid., p. 52. 27 20 LE PEINTRE L’esprit traditionnel dans lequel a été forgée la conception du monde de Vlaicu Ionescu se manifeste naturellement dans le choix qu’il a fait de consacrer une grande part de son existence à déchiffrer et interpréter l’œuvre de Nostradamus, mais il est présent également dans son activité artistique propre et dans sa peinture, ce dont rend compte, magnifiquement, le livre publié en 2012, à la fois en roumain et en anglais, par Doina Uricariu sous le titre Vlaicu Ionescu The Artist / Pictorul. L’auteur montre la complexité et la modernité de cette œuvre picturale qui demeure toutefois fidèle à ses fondements métaphysiques traditionnels. Il est vrai que Vlaicu Ionescu a exploré plusieurs modalités d’expression : Il a également évolué de l’image sensorielle vers des structures formelles et matérielles plus épurées. Pourtant, essentiel dans son évolution est le fait de ne pas abandonner une voie pour une autre. Ses deux dernières expositions à Bucarest (1968 et 1969) et les suivantes à Munich (1969 – 1970) ont montré son habileté à organiser des formes et des couleurs pures. A la recherche du pan invisible de la réalité, les métaphores picturales sont empruntées aux cellules et structures microbiologiques, construites sur (et contre) un arrière-plan nonfiguratif de l’expressionnisme abstrait. Le résultat a été une expression visionnaire d’un niveau transcendant de l’être, une sorte de lieu intermédiaire où les forces démiurgiques semblent transmettre la réalité invisible à la réalité visible.29 Cette partie de recherche picturale a continué pendant le séjour de l’artiste aux États-Unis. Parallèlement, Ionescu a cultivé et développé des recherches antérieures : une représentation figurée de l’objet, quoique étrangère à toute forme de réalisme. Albert Cernuschi compare la démarche créatrice de Vlaicu Ionescu avec celle des impressionnistes et avec l’expressionnisme de Van Gogh : 29 URICARIU Doina, Vlaicu Ionescu The Artist / Pictorul, Bucarest, Universalia, 2012, p. 5. 21 Cette partie de recherche picturale a continué pendant le séjour de l’artiste aux États-Unis. Parallèlement, Ionescu a cultivé et développé des recherches antérieures : une représentation figurée de l’objet, quoique étrangère à toute forme de réalisme. L’expérience impressionniste lui a donné l’idée de créer une couleur à partir de sa composition spectrale et de la renforcer par la juxtaposition de tons complémentaires. L’expressionnisme de Van Gogh l’a aidé à employer la force du coup de pinceau dégradé linéaire. Van Gogh faisait éclater les contours de l’objet et les projetait dans l’espace telles des flammes ardentes. Il employait des vagues de lignes segmentées afin d’exprimer la dynamique des formes nouvelles. Nous retrouvons un équivalent dans la technique de Ionescu, à la seule différence qu’il utilise le couteau à la place du pinceau. Il s’ensuit que sa peinture ne représente pas une atmosphère extérieure comme dans l’Impressionnisme, et ne reste pas à la surface de l’objet. Il pénètre dans la matière et en retire ce que le domaine de la nature peut offrir de plus noble et pur : l’or, l’argent et les pierres précieuses des tréfonds de la terre. Le pinceau de Van Gogh changeait l’arbre en flamme. Le couteau de Ionescu coupe, polit, travaille et sépare la sève jusqu’à l’obtention d’une transmutation alchimique. C’est la tâche du forgeron et du bijoutier, guidée par la vision de l’alchimiste.30 L’aspect rythmique et musical n’est pas absent dans ces tableaux qui s’inscrivent dans l’harmonie du contrepoint. L’œuvre artistique de Vlaicu Ionescu témoigne du fait que la vie et l’esprit ne se trouvent pas seulement dans le monde des formes et des idées pures, mais aussi dans la substance cachée, dans la profondeur même de la matière qui révèle ses trésors aux yeux de l’artiste authentique. La pensée artistique de Vlaicu Ionescu est exposée par lui-même dans les conférences qu’il a données lors de son séjour en Allemagne, en 1969-1970. Cela constitue une introduction générale intitulée Une méthode de connaissance des beaux arts, où l’auteur démontre que la succession déconcertante des courants artistiques et l’apparition de nombreuses doctrines esthétiques, souvent contradictoires, mettent en difficulté l’amateur d’art qui veut s’y initier. Il passe ainsi en revue ces divers courants, partant du réalisme, passant par le post-impressionnisme et le cubisme et débouchant sur la peinture métaphysique, alchimique et ésotérique. Dans les propres tableaux de Vlaicu Ionescu, c’est qui domine, c’est un réalisme magique, mystérieux, irréductible, prophétique, effrayant et protecteur, descendant d’un autre monde. Critiquant dans le monde contemporain et la création artistique un processus de désacralisation, Vlaicu Ionescu met en valeur des exemples d’artistes messianiques et mystiques. Dans ses conférences en Allemagne, Vlaicu Ionescu cite, en les présentant comme ses modèles de pensée, la Révolte contre le monde moderne de Julius Evola et les deux ouvrages de René Guénon qui diagnostiquent les maux de la civilisation moderne, La Crise du monde moderne et Le Règne de la quantité et les Signes des temps. Le livre d’Evola Chevaucher le tigre a eu également un impact profond et de longue durée sur la peinture de Vlaicu Ionescu. Celui-ci fait référence, par ailleurs, à des auteurs de talent, qu’il juge doués d’une grande intuition et de pénétration, tels Aldous Huxley et George Orwell. Il ressort enfin de ces conférences que, pour Vlaicu Ionescu, la finalité de l’art ne réside pas dans l’imitation de l’objet, mais dans la communication d’une réalité et dans la création d’un choc émotionnel et spirituel à travers le phénomène de vibration et de résonance chez celui qui contemple l’œuvre artistique. Doina Uricariu résume en ces termes la démarche à la fois artistique et herméneutique de Vlaicu Ionescu : Pour définir Vlaicu Ionescu, nous n’exagérons pas de parler d’une synthèse entre ces deux directions : la culture mystique et la mystique des arts et de la culture. La passion et la précision le caractérisent également, un acharnement bénéfique, la joie d’admirer les valeurs, de les transmettre aux autres et de s’en laisser influencer à travers toutes ses recherches. Une passion et une précision vitales, actives, sans la crainte d’assumer les plus grands risques. Rien de morbide, de chaotique, de hasardeux. Une curiosité vibrante pour nombre de domaines de la connaissance. Un admirable côtoiement des sciences autres qu’ésotériques ou occultes. Une pensée de mathématicien prolongée par la main du peintre. Une pensée de philosophe, de déchiffreur, d’historien, de lecteur des codes symboliques quand il aborde les textes de Nostradamus.31 30 31 Ibid., p. 5. Ibid., p. 206. 22 Durant son séjour en Allemagne, Vlaicu Ionescu a peint une collection d’icônes sur verre ; il laissait aussi, dans son appartement de Bucarest où il ne devait plus revenir, des dizaines d’icônes anciennes de grande valeur, collectionnées par lui-même ainsi que par le père de Lidia, et sa bibliothèque comptait de nombreux auteurs et livres consacrées à ce domaine. Plus tard, il peindra quelques icônes sur bois, dont deux offertes à l’église St-Mary-Queens de New York : La Transfiguration (1984) et L’Annonciation (1985). Il faut signaler l’importance du Nombre d’or dans la pensée artistique de Vlaicu Ionescu, qui marque sa dette à l’égard de Matila Ghyka, mais aussi d’un remarquable savant, D’Arcy Wentworth Thompson qui s’est intéressé aux moyens par lesquels la peinture aborde les formes et la croissance : la peinture de Vlaicu Ionescu est comme un équivalent pour les beaux-arts du livre majeur de D’Arcy Wentworth Thompson, Forme et croissance. Ce biologiste et mathématicien écossais (1860-1948) a montré dans ce livre (paru en 1917 et révisé en 1942) qu’on peut passer d’une forme d’une espèce à la forme d’une espèce proche par certaines transformations géométriques. Et en particulier, il retrouve dans les relations numériques entre des structures en spirale dans les plantes, la fameuse suite de Fibonacci. Or, la spirale, sur laquelle poussent et s’organisent les formes géométriques et la proportion du Nombre d’Or est omniprésente dans les tableaux de Vlaicu Ionescu. Dans les expositions personnelles de Vlaicu Ionescu à New York, en 1985 et 1997, surgit un univers gouverné par l’entropie et la néguentropie, qui s’exprime dans toute une série de toiles impressionnantes représentant une nouvelle étape dans la création de l’artiste. Doina Uricariu en dresse la liste : La planète Neptune. La section musicale d’or (1977), Femme (1980), Lidia (1981), La Voie lactée (1983), Le premier avatar de Vishnou (1984), Le mystère géométrique de la vie (1984), Les carrés d’or enchaînés (1984), Dimensions nocturnes (1984), La pyramide du soleil (1985), Des triangles impossibles atterrissant dans une forêt (1986), La vie commence par le décagone (1986), Élevant les puissances terrestres (1988), L’Oiseau de Feu (1988), Les carrés d’or fleuris (1989), La mer (1991), Le Saint Esprit et la Section d’Or (1992), Les carrés d’or fleuris (1994), Transmutations ou Sonate au clair de lune (1994), A la recherche du Saint Esprit (1995). A l’ouverture de cette nouvelle synthèse plastique, La planète Neptune. La section musicale d’or, datant de 1977, donne le ton : Le tableau La planète Neptune. La section musicale d’or (1977) offre une splendide palette de couleurs qui renvoient aux pierres précieuses gigantesques et aux jardins fleuris des monastères. La peinture frappe par cette symphonie chromatique et la danse des couleurs. Lorsqu’on essaie de déchiffrer cet autel multicolore, qui ressemble aux offrandes votives autour des reliquaires et aux icônes couvertes de bijoux en Russie ou en Grèce, on découvre un tableau iconique ou iconostase et une apothéose sacrée.32 L’obsession des courbes et des spirales présentes dans un nombre important des toiles et dessins de Vlaicu Ionescu témoigne de la conscience de la proportion parfaite qui se retrouve dans la nature comme dans l’art, ayant pour fondement l’analyse mathématique et reposant sur le nombre irrationnel ɸ , appelé le Nombre d’Or, en relation avec les séries de chiffres découvertes au XIIe siècle par le mathématicien Leonardo di Pisa, surnommé Fibonacci. 32 Ibid., p. 294. 23 L’EXÉGÈTE DE NOSTRADAMUS LA PRÉVISION DE LA FIN DU COMMUNISME EN RUSSIE Entre tous les commentateurs de Nostradamus qui ont reçu un temps les faveurs du public en France au cours du XXe siècle, Vlaicu Ionescu se distingue par la justesse et par la qualité de sa principale prévision, celle qui concerne la date de la chute du communisme, décelée par lui dès le milieu des années cinquante, à un moment où personne au monde ne doutait de la pérennité de l’Empire soviétique au sortir de la Seconde Guerre mondiale, où Staline apparaissait comme le principal vainqueur avec Roosevelt dans le conflit gigantesque qui avait bouleversé la face du monde et déclassé durablement les vieilles puissances européennes, malgré la persistance pour un peu de temps de leurs empires coloniaux en Afrique et en Asie. Une prévision qui est remarquable par sa justesse, parce que Vlaicu Ionescu annonce la chute du communisme non au moment de la Chute du mur de Berlin - qui en est certes le prélude, le 9 novembre 1989, suivi, à la Noël, de la chute tragique du régime de Ceausescu, alors que se dessinait dans le ciel une extraordinaire configuration à laquelle Jean Phaure avait attaché le nom de « Trompette de l’Apocalypse » - mais bien au mois de juin 1991, qui vit la victoire de Boris Eltsine sur Mikhaïl Gorbatchev et la proclamation d’indépendance de la Fédération de Russie à l’intérieur de l’Union soviétique. Deux mois plus tard, le putsch manqué des nostalgiques du stalinisme, le 19 août 1991, entraînait l’éviction de facto de Gorbatchev et l’interdiction du Parti communiste, et avant la fin de l’année l’Union soviétique n’existait plus. Mais c’est aussi la qualité de la prévision qu’il convient de souligner, et qui tient à la méthode grâce à laquelle Vlaicu Ionescu, plus de trente ans avant l’événement, était arrivé à cette conclusion. De cette méthode, il s’en explique dans ses entretiens avec Marie-Thérèse de Brosses, venue le trouver à New York, qui ont abouti en 1993 à la publication au titre quelque peu aguicheur et journalistique : Les Dernières victoires de Nostradamus. Vlaicu Ionescu tient l’Épître à Henry, Roy de France Second, le dernier écrit nostradamien, publié en 1568, pour un texte capital, qui contient les prédictions des événements les plus importants de notre Histoire. Et il cite un paragraphe, qu’il considère comme le texte fondamental pour notre époque : … et sera au Moys d’Octobre que quelque grande translation sera faicte, et telle que l’on cuidera la pesanteur de la terre avoir perdu son naturel mouvement, et estre abismée en perpetuelles ténèbres, seront precedens au temps vernal et s’en ensuyvant après d’extremes changements, permutations de regne, par grand tremblement de terre, avec pullulation de la neufve Babylone, fille misérable augmentée par l’abomination du premier holocauste, et ne tiendra tant seulement que septante trois ans, sept mois.33 Passage que Vlaicu Ionescu interprète en relation avec la Révolution russe de 1917, fille de la révolution française. Dans ce passage, l’expression au temps vernal renvoie au mois de mars, et à la révolution de mars qui aboutit à l’abolition de la monarchie en Russie ; la neufve Babylone, fille misérable désigne la Révolution russe, fille de la révolution française ; augmentée par l’abomination du premier holocauste fait référence à l’exécution de Louis XVI et de sa famille (premier holocauste) et au massacre de la famille impériale à Ekaterinenbourg, le 17 juillet 1918. Ainsi, Vlaicu Ionescu relève cinq points qui permettent d’attribuer sans hésitation ce paragraphe à la Révolution russe de 1917 : l’indication du mois aujourd’hui devenu un paradigme de cette Révolution dite « d’Octobre » ; la claire allusion à la Révolution de mars qui aboutit à l’abdication forcée du Tsar Nicolas II ; la comparaison de la Révolution russe avec la Révolution française et leur filiation ; la contemporanéité de cette révolution d’octobre avec une grande guerre ; la claire allusion à deux « holocaustes » : l’exécution de Louis XVI et l’assassinat de la famille impériale de Russie. Or la dernière phrase de ce paragraphe consacré à la Révolution russe assigne à ce phénomène une durée de 73 ans et 7 mois. Le 25 octobre 1917, date de la prise du palais d’Hiver de Saint-Pétersbourg du calendrier julien correspond au 7 novembre du calendrier grégorien. C’est le 12 juin 1991 que l’élection libre de Boris Eltsine à la présidence de la Fédération de Russie sonne effectivement le glas du communisme. Vlaicu Ionescu remarque en outre que la même durée de 73 ans et sept mois sépare la date de fondation officielle par Lénine de la RSFSR (République soviétique fédéraliste socialiste de Russie), le 31 janvier 1918, lors du 3e congrès des Soviets, de la date de dissolution du Parti communiste, le 29 août 33 IONESCU Vlaicu et Marie-Thérèse de BROSSES, Nostradamus. Les Dernières victoires de Nostradamus, Editions Filipacchi, 1993, p. 28. 24 1991. Aux yeux de Vlaicu Ionescu, ce passage de l’Épître à Henri Second doit être considéré comme la pierre angulaire de tout l’échafaudage prophétique concernant la génération qui a vécu à l’époque de l’Union soviétique. Pour lui, l’Épître est le foyer central des Prophéties de Nostradamus, le centre autour duquel gravitent toutes les Centuries : [Nostradamus] désirait souligner à la fois les grandes lignes de l’Histoire qu’il prophétisait dans les quatrains et la philosophie des cycles historiques, chose qu’il ne pouvait faire dans des textes de quatre lignes. Elle est donc une sorte de charpente des grands événements dont les quatrains préciseront les détails secondaires.34 Vlaicu Ionescu pousse son analyse plus loin encore, lorsqu’il relie l’Ère Prolétaire prophétisée par Nostradamus à la cyclologie traditionnelle en affirmant que l’Ère Prolétaire est l’apogée du Kali Yuga. Pour lui, la doctrine communiste n’est pas à proprement parler athée (sans Dieu, indifférente), mais « anti-théiste », basée sur une propagande virulente contre la foi et contre Dieu. Il y voit une mystique à rebours, une mystique des contre-valeurs. En cela, Vlaicu Ionescu rejoint les vues de Vladimir Volkoff qui, pour sa part, porte ce jugement sur le communisme : La Révolution russe n’a pas été un changement de régime politique dans un pays, elle a été la plus grande catastrophe internationale des temps modernes. Loin d’être de simples méthodes de combat, la propagande, la désinformation, l’influence constituent l’essence même du bolchevisme, le « mutant régressif » est simplement l’homme qui est né et a grandi dans l’enfournement quotidien du mensonge. Il faut expliquer au monde que le communisme est fondamentalement, substantiellement, par vocation, une régression mentale.35 Dans la Préface qu’il a donnée à l’Histoire secrète du monde, publié en 1987, quatre ans avant la date fatidique de juin 1991, Raymond Abellio signale la concordance de la prévision de Vlaicu Ionescu avec celle de Jean Phaure qui, se situant sur le plan cyclologique du cycle de Daniel attendait l’échéance de 1989 : Signalons en passant que, dans sa préface précitée, Jean Phaure souligne la concordance entre cette échéance et celle qu'il a lui-même calculée par d'autres voies pour la « fin de la première tribulation apocalyptique » : le « Grand cycle » de 2592 ans du prophète biblique Daniel, qui s'est ouvert, dit-il, avec Nabuchodonosor en 603 av. JC, se termine entre 1989 et 1990 avec « l'appui surnaturel de la Grande Doriphorie de la Noël 1989 ».36 2592 ans représente un dixième du grand cycle précessionnel de 25 920 ans. Rappelons que Jean Phaure avait mis en évidence le fait que la durée de la monarchie en France, depuis le Pacte de Reims (le baptême de Clovis à la Noël 496) jusqu’à la déchéance de Louis XVI et la proclamation de la République le 21 septembre 1792 est de 1296 ans, soit un vingtième du même grand cycle précessionnel. Pour sa part, Raoul Auclair considérait l’année 1917 comme marquant la fin du cycle de Daniel (d’une durée de 2520 ans soit une Semaine de 7 Jours de 360 ans). Entre les deux dates de 1917 et 1989 s’écoule un Jour de 72 ans, que Raoul Auclair désigne comme étant « le Jour de Yahvé », le jour de la Colère. Les perspectives cyclologiques, avec les nuances qu’elles comportent, ne se contredisent pas, mais apportent des éclairages divers sur une toile de fond semblable. L’année 1989, avec le symbole de la chute du Mur de Berlin et sa position de relais entre deux périodes cycliques distinctes – 72 ans de 1917 à 1989 et 42 ans de 1989 à 2031 – a peut-être une valeur plus générale pour le monde que 1991 qui se rapporte plus précisément au phénomène du communisme en Russie. Gardons ces données à l’esprit comme éléments de réflexion pour tenter de qualifier cette période de 42 ans qui a franchi son point médian au bout de 21 ans, en 2010 et qui est engagée maintenant sur le versant descendant qui doit conduire à la date cyclique de première importance qu’est 2031, tant du point de vue de l’approche « biblique » qui est celle de Raoul Auclair que de l’approche « globale » développée par Gaston Georgel, et qui trouve une résonance dans les cycles astrologiques prenant en compte les Transneptuniens (avec la conjonction Hadès-Kronos de 2031, déjà en orbe actuellement). La raison d’être de notre Revue de cyclologie traditionnelle est précisément de 34 Ibid., p. 33. VOLKOFF Vladimir, Le Berkeley à cinq heures, Editions de Fallois / L’Âge d’Homme, 1993, p. 72. 36 IONESCU Vlaicu, Histoire secrète du monde, p. 14. 35 25 méditer sur ces choses en se gardant de trancher de façon péremptoire entre diverses approches qui, sans doute, sont bien plus complémentaires que contradictoires. Dans la même préface, Raymond Abellio faisait allusion au point de vue des astrologues et à la concentration planétaire durant la période 1989-1992 : Pour leur part, les astrologues contemporains n’ont pas manqué de signaler l’accumulation assez extraordinaire des « aspects » planétaires au cours de la période 1989-1992, et ils y voient le signe de grands bouleversements. Si le communisme russe obéit, comme on le croit, aux mouvements du cycle Saturne-Neptune, il est en effet certain que la conjonction de ces deux planètes, en 1989, ne peut qu’avoir une importance capitale, comme l’eurent, en leur temps, les deux précédentes conjonctions, en 1917 lors de la Révolution d’octobre, en 1953 pour la mort de Staline.37 Sans qu’il soit nommé, on reconnaît là une allusion aux travaux d’André Barbault sur le cycle Saturne-Neptune et son association avec le phénomène du communisme en Russie. André Barbault signale lui-même, dans son article « Histoire d’une prévision », sa connaissance de la prévision de Vlaicu Ionescu : Un pas de plus est fait lorsque je sors en 1980 un Nostradamus au Club du livre, où je rédige un chapitre intitulé « Le destin de l’Union soviétique ». Je commence par y évoquer la prévision d’un exégète du prophète de Salon, Vlaicu Ionescu. Selon celui-ci, un passage de l'Épître à Henry second -« ... et sera au mois d’octobre, neuve Babylone, fille misérable (...) et ne tiendra tant seulement septante trois ans, sept mois ... » - se rapporte à la Révolution d’octobre dont le régime est condamné à l’entrée de 1990. Et d’ajouter le verdict du quatrain 74-VI: «Trois et septante à mort trop assurez ».38 La conjonction Saturne-Neptune se produit en 1989, mais André Barbault prend en compte, à juste titre, l’ensemble du massif constitué par les deux conjonctions de Saturne à Uranus et Neptune en 1988 et 1989 avec la grande conjonction Uranus-Neptune de 1992, qui renouvelle un cycle commencé en 1821, l’année de la mort de Napoléon Ier. Ainsi, André Barbault reconnaît pleinement la pertinence de la prévision émise par Vlaicu Ionescu : Il ne fait strictement aucun doute que l’U.R.S.S. est appelée à passer par un tournant capital et décisif de son histoire lorsque se renouvellera ce cycle Saturne-Neptune avec la conjonction de 1989. De surcroît, les circonstances veulent que cette grande conjonction se formera en même temps et au même lieu que deux autres, précédée qu’elle sera d’une conjonction Saturne-Uranus en 1988 et suivie d’une conjonction Uranus-Neptune en 1992. Autant dire que cette triple réunion astrale est annonciatrice, pour le groupe d’années 19881992, d’un grand bouleversement planétaire, d’un changement de société étendu au monde entier et concernant notamment ou particulièrement la Russie. Le phénomène astronomique relatif à ce pays est centré entre décembre 1989 et mars 1990, mais est susceptible d’un décalage d’une année à une année et demie dans la manifestation de ses conséquences. Voilà pourquoi il se pourrait, en fin de compte, que l’échéance nostradamique perçue par son exégète Ionescu reçoive une consécration historique.39 Cette force de conviction de l’astrologue reposait aussi sur d’autres indices : en 1989-1990, Pluton allait transiter le Soleil à 15° du Scorpion de la prise du pouvoir communiste du 7 novembre 1917, tandis que le Soleil à 8° du Capricorne de la Constitution de l’Union des républiques socialistes était transité par la conjonction Saturne-Neptune. Toutefois, c’est bien à Vlaicu Ionescu qu’il revient d’avoir mis en valeur les caractéristiques extrêmement négatives et douloureuses de l’Ère Prolétaire et d’avoir mis le doigt sur le fait que cette période de l’histoire du monde, relativement brève, est, selon la déclaration même de Nostradamus dans la préface des Centuries - Je me suis voulu étendre sur le commun advènement par obscures sentences – considérée d’une particulière importance. Vlaicu Ionescu précise, d’ailleurs, que la 37 Ibid., p. 14. BARBAULT André, « Histoire d’une prévision », L’Astrologue n° 89, 1990, p. 1-21. 39 Ibid. 38 26 période de l’Ère Prolétaire, englobant, entre la Révolution française et la fin du communisme russe, l’histoire des XIXe et XXe siècles, n’est pas si brève que cela ; mais surtout, cette période semble fonctionner comme un modèle de tribulations futures dans les temps eschatologiques que traverse le monde actuel : Mais ne pensez pas qu’après cette « ère prolétaire » de deux cents ans il n’y aura pas d’autres périodes semblables. Dans l’avenir, de telles tribulations provoquées par des idéologies antitraditionnelles secoueront encore le monde. Dans l’Épître, Nostradamus présente ces périodes comme des « antéchrists » (et il y en aura plusieurs) qui déclencheront des tragédies encore plus graves que la Babylone soviétique ou celle de Mao. Le Prince de ce monde est délié des prisons infernales d’une manière cyclique, pour éprouver les mortels.40 La réception du premier livre de Vlaicu Ionescu sur Nostradamus, paru en 1976, ne fut pas à la hauteur de la qualité de l’ouvrage : en France, les médias encensaient alors Charles de Fontbrune, qui prédisait l’invasion de la France par les Soviétiques, la destruction de Paris, de Genève et de Toulouse, ainsi que l’assassinat de Jean-Paul II à Lyon…41 Cette chape de silence sur le livre de Vlaicu Ionescu finit par se fissurer là où on ne s’y serait pas attendu : au Japon. Le terrain était alors, en 1991, doublement favorable. D’une part, la grande université de Tsukuba avait été le lieu d’un congrès fameux, prolongeant les travaux du colloque de Cordoue, où l’on s’efforçait d’établir un lien entre la Tradition et la Science. D’autre part, les prédictions nostradamiennes sur la chute du Mur de Berlin et la réunification de l’Allemagne en 1989, telles que les avait décodées Vlaicu Ionescu, s’étaient bien réalisées dans les temps annoncés. Aussi le professeur Tadao Takemoto, directeur de l’Institut de langues et cultures modernes de l’université de Tsukuba, persuadé qu’il était que les prévisions relatives à l’effondrement du communisme en Union soviétique s’accompliraient également, avait obtenu de l’éditeur de sa traduction du livre de Vlaicu Ionescu qu’il fasse paraître l’ouvrage au mois de mars 1991. En avril 1991, Vlaicu Ionescu profita de son passage à Tokyo pour annoncer à la télévision nippone le terme proche de la carrière politique de Gorbatchev. Un tel résultat prévisionnel, pleinement vérifié par les événements, incite naturellement à prendre en compte la méthode d’interprétation de l’exégète et à revenir sur la dimension authentiquement prophétique de l’œuvre nostradamienne. ÉRUDITION ACADÉMIQUE ET EXÉGÈSE TRADITIONNELLE Nous commencerons, à propos de la fonction prophétique, par deux citations que Vlaicu Ionescu met en exergue à l’Introduction de son Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire : Il est dit que dans le Kali Yuga on ne peut entendre la voix de Dieu, excepté par la bouche d’un enfant, d’un fou, ou d’une personne de cette sorte. (Sri Ramakrishna) Il y a une folie qui est un don de Dieu, et la source de la plus grande bénédiction accordée à un homme. Car la prophétie est une folie, et la prophétesse de Delphes et la prêtresse de Dodone ont apporté de grands bienfaits à l’Hellade, quand elles étaient hors de leurs sens. (Platon, Phèdre, 244 B). Durant ces dernières décennies, des travaux d’érudition importants sont venus éclairer maints aspects relatifs aux circonstances liées à la rédaction, à la publication, à la réception au fil des siècles de l’œuvre nostradamienne. Cette approche érudite est bienvenue lorsqu’elle est menée avec sérieux et sans apriori hostile à Nostradamus, quoique, le plus souvent, elle demeure sceptique en ce qui concerne la dimension prophétique elle-même de cette œuvre. Mais les exégètes de la qualité d’un Vlaicu Ionescu peuvent tirer profit de telles recherches, qui permettent d’écarter des visions romantiques ou saugrenues, sans pour autant renoncer à l’essentiel : la portée proprement prophétique dont est revêtu le texte nostradamien. 40 IONESCU Vlaicu, Les Dernières victoires de Nostradamus, p. 38. Marie-Thérèse de Brosses exprime à ce propos ses remords : « Parce que j’avais plus que largement contribué au succès de Jean-Charles de Fontbrune, le silence fait en France autour de l’œuvre de Ionescu m’a longtemps mise mal à l’aise. », Ibid., p. . p. 15. 41 27 On constatera toutefois que les purs érudits ont tendance à témoigner d’un certain mépris à l’égard des exégètes qui prennent au sérieux le « message » de Nostradamus, tels Vlaicu Ionescu ou Raoul Auclair. Ainsi, dans un « Panorama de la recherche nostradamique en France au XXe siècle »42, l’auteur ne trouve rien à dire du livre sur Les Centuries de Nostradamus publié en 1958 par Raoul Auclair43, sinon « qu’il accorde quelque importance à l’histoire moderne des Juifs au Proche-Orient » ; quand on connaît l’œuvre de Raoul Auclair, on sait combien est centrale dans sa pensée cyclologique la Déclaration Balfour qui ouvre, en 1917, la porte au Retour d’Israël, au moment même où s’achève le cycle de la prophétie de Daniel dont le point de départ se situe en 603 av. J-C., date assignée à l’épisode fameux du Songe de Nabuchodonosor. Mais en outre, réduire l’ouvrage de Raoul Auclair sur Nostradamus à cet épisode, si important soit-il, c’est une manière peu glorieuse de donner à penser que l’auteur de ce livre n’a rien à dire sur Nostradamus… Raoul Auclair n’est pas mieux traité dans les « Commentaires bibliographiques » de Robert Benazra, qui se contente de mentionner l’existence de cet ouvrage sans le qualifier d’aucune manière. En ce qui concerne Vlaicu Ionescu, le même érudit qui signale, par exemple, que l’ouvrage de Serge Hutin paru en 196644 présente une introduction très intéressante, il ne trouve à rien dire du « gros ouvrage » de cet auteur roumain qui vit aux États-Unis sinon que c’est un livre « fortement teinté d’anti-communisme » - tare qui, semble-t-il, peut être pardonnée à quelqu’un qui a vécu un temps de sa vie derrière le Rideau de Fer. Robert Benazra signale par ailleurs, avec une réserve sensible, le fait que Vlaicu Ionescu considère Nostradamus comme un alchimiste. Le « Panorama de la recherche nostradamique au XXe siècle » concerne le second ouvrage de Vlaicu Ionescu (L’Histoire secrète du monde) paru en 1987, avec une préface de Raymond Abellio. Le commentaire porte ici surtout sur la prévision d’André Barbault fondée sur le cycle SaturneNeptune et ne dit pratiquement rien du contenu du livre de Vlaicu Ionescu. Pour 1975, l’auteur du Panorama mentionne la réédition de l’ouvrage de Jean-Charles de Fontbrune, Les Prophéties de Maistre Michel Nostradamus expliquées et commentées ainsi que la réédition du même ouvrage l’année suivante sous un autre titre (Ce que Nostradamus a vraiment dit), mais l’on saute ensuite au début des années quatre-vingt sans qu’il ait été fait mention de l’œuvre majeure de Vlaicu Ionescu, dont le titre apparaît simplement dans le commentaire sur l’ouvrage de 1987. On constatera au passage que l’érudition la plus poussée a parfois des distractions, comme celle qui transforme l’Ère Prolétaire en Ère Prolétarienne… S’il n’y a pas à chercher dans ce labeur érudit quelque intérêt pour la qualité herméneutique des travaux de Vlaicu Ionescu sur Nostradamus, on peut toutefois tirer profit de certaines conclusions relatives à l’état des recherches académiques sur le texte nostradamien et sa réception, notamment aux XIXe et XXe siècles. Nous retiendrons d’abord que dans la première moitié du XXe siècle on trouve parmi ceux qui écrivent sur Nostradamus de nombreux astrologues ou bons connaisseurs de l’astrologie, parmi lesquels Maurice Privat (qui, en 1939, imagine la vie du Grand Monarque à la fin du XXe siècle), Dom Néroman, Émile Ruir, Horicks et Michaux, Fomalhaut (alias Charles Nicoullaud), Pierre-Vincent Piobb, qui postulait notamment que Nostradamus avait connu l’existence d’Uranus et de Neptune et qui menait une étude comparative des Centuries et des Prophéties de Malachie, abordant également la Prophétie d’Orval relative au Grand Monarque. Il convient aussi de retenir le fait que sont en présence deux canons de l’œuvre nostradamique : une version réduite, dont le témoin est l’édition de Pierre Rigaud de 1566, et une version ample, celle de l’édition d’Amsterdam de 1668, qui comporte le maximum de données : non seulement les Centuries, mais les Présages (qui sont des quatrains issus des Almanachs de Nostradamus) et les Sixains, ainsi qu’une troisième Épître datée de 1605, et même le Brief Discours sur la Vie de Michel de Nostredame, ainsi qu’un frontispice qui fait référence à deux événements marquants de l’histoire de l’Angleterre au XVIIe siècle, la décollation à la hache du roi Charles Ier en 1647 et l’incendie de Londres de 1666. A partir de la publication chez Droz, en 1996, par le spécialiste canadien Pierre Brind’Amour, de l’édition critique des « premières Centuries », l’édition de Macé Bonhomme de 1555 fait désormais référence à la place de l’édition de Pierre Rigaud de 1566, adoptée par les commentateurs de la seconde moitié du XIXe siècle, et en particulier par Antoine Le Pelletier, pour lequel Vlaicu Ionescu a la plus grande considération. 42 http://nostredame.chez-alice.fr/nhalb81.html. AUCLAIR Raoul, Les Centuries de Nostradamus, Paris, Ed. Des Deux Rives, 1958 (rééd. Nouvelles Editions Latines, 1975). 44 HUTIN Serge, Les Prophéties de Nostradamus présentées et interprétées par Serge Hutin, Paris, Editions Pierre BelfondPoche, 1966. 43 28 En ce qui concerne la conception que se faisait Vlaicu Ionescu du corpus nostradamique, nous pouvons nous en faire une idée par les réponses données sur le site (apparemment désactivé aujourd’hui) de l’International Center of Nostradamian Studies¸ qui était en fait consacré essentiellement aux travaux de Vlaicu Ionescu. On pouvait y lire que Nostradamus est l’auteur de 940 quatrains regroupés en dix centuries, publiées en trois fois : 1555, 1556 et 1558. Les éditions de 1555 et 1558 sont respectivement précédées de deux épîtres distinctes. les autres quatrains et sixains sont apocryphes. Par ailleurs, de 1550 à 1554, puis de 1555 à 1567, Nostradamus est l’auteur de deux séries d’Almanachs. Il a aussi écrit quelques Pronostications pour l’an courant – et l’on précise que « ces œuvres restent encore plus mystérieuses que les Centuries ». Tel est donc le corpus pris en compte par Vlaicu Ionescu, que les érudits ne manqueront pas de comparer avec celui de son modèle du XIXe siècle, Antoine Le Pelletier, et avec les deux canons – ample et réduit – qui ont cours au début du XXIe siècle. On peut lire sur le même site une remarque intéressante concernant les dates données en clair dans les Prophéties de Nostradamus. Selon Vlaicu Ionescu, ces dates sont toujours cryptées, ainsi que les noms propres, et il en va particulièrement ainsi de la date de 3797 donnée comme échéance ultime de ces prophéties. Autre point digne d’être signalé : l’intérêt que portait Vlaicu Ionescu à François Buget, connu uniquement par son étude sur Nostradamus, publiée dans le Bulletin du Bibliophile entre 1860 et 1863, étude que Vlaicu Ionescu considère comme « la plus sérieuse et la plus complète qui ait été jamais réalisée, même si aujourd'hui des travaux plus récents ont corrigé certaines erreurs secondaires ». Les récents travaux d’un érudit qui signe sous le pseudonyme de « Sergius Bernardinus », helléniste et latiniste distingué selon Patrice Guinard, paraissent ouvrir des voies inédites et passionnantes à tous ceux qui s’intéressent à Nostradamus et à ses commentateurs. Toujours sur le même site de l’ICNS, il est fait mention de nombreux ouvrages sérieux écrits par des universitaires ou des érudits, et l’on peut penser que les noms cités bénéficiaient d’une considération réelle de la part de Vlaicu Ionescu : Le Dr. Edgard Leroy a écrit une biographie qui fait toujours autorité. Robert Benazra et Michel Chomarat ont publié, chacun de leur côté, des études critiques des publications de Nostradamus et sur Nostradamus. Entre autres ouvrages, Pierre Brind'Amour a écrit un livre sur Nostradamus astrologue. Enfin, d'autres auteurs méritent d'être lus : Bernard Chevignard, Jean Dupèbe, Jacques Halbronn, Pierre Rollet, etc. La plupart, qui ne voient dans Nostradamus qu'un charlatan de génie (sic), se mettent néanmoins à délirer dès qu'ils rentrent dans le domaine de l'interprétation (par exemple sur les intentions prêtées au Mage de Salon), et plus particulièrement quand ils parlent des Centuries.45 En ce qui concerne l'exégèse des Centuries ou les aspects hermétiques, quelques auteurs ont publié des essais que Vlaicu Ionescu considère comme honorables : Raoul Auclair, Georges Dumézil, Jean Robin, Daniel Ruzo, etc. Les seuls recueils d'exégèses sérieux sont ceux d'Anatole Le Pelletier et de Vlaicu Ionescu (i.e. 10 % des quatrains sont correctement attribués aux événements historiques avec une critique dépassant le stade de la paraphrase). Pour la bibliographie, Vlaicu Ionescu recommande en premier lieu François Buget, en déplorant le fait que ses écrits ne soient accessibles que dans de rares bibliothèques.46 Sont mentionnés ensuite la biographie d’Edgar Leroy47 et le répertoire de Robert Benazra48, enfin les indications bibliographiques contenues dans les écrits d’Antoine Le Pelletier49 et de Vlaicu Ionescu. Enfin, en ce qui concerne les bonnes éditions du texte de Nostradamus, les indications de l’ICNS, qui rapportent certainement la pensée de Vlaicu Ionescu, sont les suivantes : 45 International Center of Nostradamian Studies, FAQ sur Nostradamus, « Existe-t-il des auteurs sérieux sur Nostradamus ? » Ce n’est plus le cas aujourd’hui, puisque le signalé « Sergius Bernardinus » offre aux chercheurs l’insigne cadeau d’un document PDF contenant l’ensemble des écrits de François Buget, parus dans le Bulletin du Bibliophile dans les années 1860 à 1863. 47 LEROY Edgar, Nostradamus, ses origines, sa vie, son œuvre, Editions Jeanne Laffitte, Paris, 1972 (1993). 48 BENAZRA Robert, Répertoire chronologique nostradamique, Guy Trédaniel & Editions de la Grande Conjonction, Paris, 1990. 49 LE PELLETIER Anatole, Les Oracles, Michel de Nostredame, Slatkine Reprints, Genève, 1969 (Réimpression de l'édition de Paris, 1867). 46 29 L'édition des 353 premiers quatrains, par Macé Bonhomme en 1555, a été reproduite par Michel Chomarat. Elle est épuisée. Le texte est néanmoins disponible dans un des ouvrages de Pierre Brind'Amour. L'édition des 640 premiers quatrains, par Antoisne du Rosne en 1557, a aussi été reproduite par Michel Chomarat. La première édition complète des 940 quatrains, par Benoist Rigaud en 1568, n'est accessible que dans certaines bibliothèques. (Les sixains et tous les autres quatrains rajoutés, excepté les présages, ne sont pas de Nostradamus). Cela étant dit, il existe de nombreuses autres éditions plus tardives de moins bonne qualité. Les meilleures sont celles basées sur l'édition de Troyes, par Pierre Chevillot en 1611. Vlaicu Ionescu, disparu au printemps 2002, n’a pu faire mention des travaux considérables contenus dans la partie du CURA (le site de Patrice Guinard) consacrée aux études nostradamiques, ni à celles que l’on trouve sur le site de Robert Benazra, contenues dans « l’Espace Nostradamus ». Parmi la nouvelle génération de chercheurs et d’érudits qui se vouent aux études nostradamiennes, il nous semble que l’auteur d’un ouvrage récemment paru, Nostradamus et la Fin des temps, mérite certainement l’attention des lecteurs50. Retenons surtout le fait que ce nouvel exégète considère l’Épître à Henri Second comme l’œuvre clef propre à éclairer l’ensemble des Prophéties dans leur déroulement chronologique – une idée déjà émise, en son temps, par Vlaicu Ionescu : Dans sa lettre à César, il nous dit avoir rédigé une œuvre en prose décrivant l'ensemble des événements devant survenir en Occident. Or, ce texte en prose, c'est précisément l'épître à Henri. Elle permet de connaître chronologiquement l'histoire du futur depuis la Révolution française jusqu'à la fin des temps. Elle dépeint de manière sanglante l'épopée de l'Europe. De nombreuses exégèses ont tenté d'étudier le texte à Henri, sans toutefois comprendre son caractère profondément chronologique. Estimant à tort, que la description était désordonnée, à l'image des centuries. Attribuant, pêle-mêle un passage à chaque période de l'histoire, au gré de leur inspiration. Dans la lettre à César, le prophète nous dit que l'épître constitue la clef chronologique pour comprendre et analyser ces quatrains. La lettre à Henri doit servir de canevas aux quatrains. Elle permettra de limiter, les lieux, le temps et le terme de sa prophétie. Tout se passe comme si, chaque quatrain devait être raccordé à un passage de l'épître afin d'en éclairer le sens.51 Le livre de Chaulveron est dédié – tout simplement – « Au Grand Monarque ». Une des dernières exégèses marquantes de Vlaicu Ionescu concerne le fameux quatrain qui concerne la date de 1999, et que Vlaicu Ionescu attribue à la naissance de ce futur grand roi. Dans une lettre à Marie-Thérèse de Brosses, Vlaicu Ionescu rappelait que la première prophétie concernant ce personnage a été faite par saint Méthode, évêque du IIIe siècle. Il signale que les écrits attribués à saint Méthode ont été publiés dans un incunable de 1497, rarissime ouvrage qui faisait partie de la bibliothèque de Daniel Ruzo, un savant qui possédait la plus riche bibliothèque nostradamienne du monde : quinze cents volumes. Or, cet incunable, enrichi de gravures sur bois dont certaines représentent ce légendaire roi des Francs appelé à rétablir l’empire romain chrétien, fut offert à Vlaicu Ionescu par le petit-fils de Daniel Ruzo. L’apparition inattendue était considérée par Vlaicu Ionescu comme un signe confirmant son exégèse relative à la naissance du futur Grand Monarque en 1999. On connaît les réserves émises par René Guénon sur cette thématique du Grand Monarque, que nous avons évoquées, d’ailleurs, dans l’un de nos articles consacrés à Jean Phaure. On voit que, sur ce point comme sur d’autres, Vlaicu Ionescu n’hésitait pas à s’affranchir d’une « orthodoxie » guénonienne. En revanche, Vlaicu Ionescu paraît en plein accord avec la pensée de Raoul Auclair lorsqu’il évoque la signification de la date d’apparition des Prophéties, en 1557 (année donnée par Nostradamus dans l’Épître à Henri Second comme date de référence de ses prophéties). Entre la prophétie de Daniel, commencement des prophéties bibliques, qui date de 603 av. J-C. et 1557, il y a 2160, soit six Jours de la grande Semaine de Daniel (6 x 360 = 2160). Grande Semaine qui s’est achevé avec la fin du septième Jour, en 1917, année fatidique qui vit l’accomplissement de la prophétie de Daniel pour le retour des Juifs en Palestine (par la déclaration Balfour). Cette même année voit l’entrée en guerre des États-Unis, la révolution russe, les apparitions mariales de Fatima. Ainsi, l’œuvre de Nostradamus 50 CHAULVERON, Nostradamus et la fin des temps - 1555-2027, Editions Bender, janvier 2016. En dépit, hélas, d’une syntaxe et d’une orthographe bien déficientes et d’une détestable absence de pagination dans cette première édition ! 51 Ibid., Introduction. 30 apparaît à une date cyclique essentielle par rapport à l’ancienne Babylone, à la nouvelle Babylone et à la fin de l’exil d’Israël. LA TRILOGIE DE VLAICU IONESCU SUR NOSTRADAMUS Présentant en 1987 son ouvrage Nostradamus. L’Histoire secrète du monde, Vlaicu Ionescu le présente comme étant le deuxième d’une trilogie, dont le premier volet a été, en 1976, son Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire, et le troisième volet sera ses entretiens avec Marie-Thérèse de Brosses publiés en 1993 sous le titre Les dernières victoires de Nostradamus. Nous verrons que cette trilogie est en fait une tétralogie dont la dernière partie demeure encore inédite. Vlaicu Ionescu explique ainsi le but de son premier livre : Ce premier livre avait avant tout pour objet de réhabiliter la personnalité du grand savant de la renaissance, trop souvent discrédité et compromis par l’exégèse contemporaine, plutôt naïve et plus d’une fois opportuniste, cherchant le sensationnel et le succès de librairie.52 Et il ajoute une précision importante concernant la nature du don prophétique de Nostradamus : A la différence de la majorité des interprètes nostradamiens, qui ont voulu « expliquer » le don prophétique de notre sage par des moyens occultes (magie plus ou moins blanche, cartomancie, lecture dans la boule de cristal, nécromancie, médiumnité, ou voyance des anciennes pythies attribuée à des vapeurs hallucinogènes, ou, dans le meilleur des cas, à ce qui nous nommons maintenant ESP), nous avons avancé l’hypothèse d’une double initiation : hermétique et gnostique, hypothèse qui nous semble découler d’une analyse appropriée de ses textes.53 Dans ses entretiens avec Marie-Thérèse de Brosses, Vlaicu Ionescu insiste sur l’appartenance de Nostradamus à la grande lignée des philosophes hermétiques et sur l’importance des textes alchimiques parsemés tout au long de son œuvre prophétique : L’appartenance de Nostradamus à la Tradition Alchimique ouvre une perspective tout à fait nouvelle sur son langage secret. Ce qu’on a nommé Langue des Oiseaux, des anges ou des Dieux, était à la base des mythes anciens, constituait la méthode secrète des prêtres initiés des plus vieilles religions, s’est transmis par des confréries et sociétés à travers les âges et s’est concrétisé dans les écrits des alchimistes par ce qu’on a nommé la Cabale Hermétique.54 Vlaicu Ionescu fait alors référence au chapitre intitulé « La cabale Hermétique » des Demeures Philosophales de Fulcanelli, ainsi qu’à la tradition johannite de l’ésotérisme chrétien à laquelle était attaché Nostradamus. Pour Vlaicu Ionescu, la connaissance de la pensée Traditionnelle est une condition sine qua non pour pénétrer l’énigme nostradamienne. La force et la valeur du message nostradamien tient à ce que son autorité n’est pas de ce monde : Le message nostradamien a une autorité qui n’est pas du tout « autoritaire ». Elle n’a pas besoin de s’imposer elle-même, ni se soutenir par des arguments, car c’est le temps qui s’est chargé au cours de quatre siècles de nous prouver la vérité, la justesse et les concordances historiques des écrits nostradamiens.55 La seconde thèse fondamentale des études de Vlaicu Ionescu est que Nostradamus a eu comme mission essentielle la présentation critique de l’Ère Prolétaire du point de vue de la Pensée Traditionnelle : c’est de cette époque que nous parlent une très grande partie de ses quatrains. Vlaicu Ionescu insiste sur l’importance du passage de la Préface aux Centuries dans laquelle Nostradamus affirme, on ne saurait plus clairement, qu’il s’est proposé de s’étendre sur le thème du Communisme : « Puis me suis voulu estendre declarant pour le commun advennement par obstruses et perplexes 52 L’Histoire secrète du monde, p. 17. Ibid., p. 19. 54 Les Dernières victoires de Nostradamus, p. 21. 55 L’Histoire secrète du monde, p. 24. 53 31 sentences les causes futures ». Le but n’est pas d’effrayer l’humanité, mais de l’aider à tirer les enseignements suite au fléau constitué par le communisme : Nostradamus a insisté sur cette période historique, comme pour avertir l’humanité de nos jours qu’il s’agit d’un fléau, dont elle devra souffrir les conséquences et dont elle devra tirer les enseignements nécessaires pour la reconstruction d’une nouvelle ère. Si les prophéties nostradamiennes ne sont pas de nature à nous rendre trop optimistes sur le destin de l’humanité à venir, au moins elles donnent des dates très exactes – c’est notre analyse qui le prouvera – sur la défaite du Communisme russe et la prochaine libération des pays captifs.56 Il convient de souligner ici que l’Introduction au Message de Nostradamus sur l’Ère Prolétaire d’où est tirée cette citation a été rédigée par Vlaicu Ionescu à New York le 1er avril 1975, jour de son 53e anniversaire, soit 16 ans avant la réalisation de son annonce de la fin du communisme en Russie au mois de juin 1991 (73 ans est sept mois après son instauration par les bolcheviks). Et c’est, finalement, dans la perspective d’une restauration traditionnelle des valeurs de l’Âge d’Or que Vlaicu Ionescu inscrit sa propre contribution qui passe par l’exégèse d’une œuvre qui constitue pour lui un des plus grands miracles de l’esprit humain : Par la présentation de cette œuvre, nous espérons que notre effort pourra contribuer, dans une mesure modeste, à la compréhension de la crise spirituelle de notre époque et à la lutte de la véritable intellectualité pour une nouvelle ère, qui devra, après la chute de la grande hérésie anti-traditionnelle – la Nouvelle Babylone de Nostradamus – rétablir les véritables valeurs de l’Époque d’Or des Anciens.57 Ainsi le premier livre de la trilogie regroupe les écrits de Nostradamus se référant à la grande hérésie anti-traditionnelle de cette Ère Prolétaire qui commence avec la Révolution française – que Nostradamus appelle « L’Avènement » ou la « Première Babylone » et qui se poursuit avec l’éclosion et la chute du communisme soviétique, présenté sous les diverses dénominations de « Commun Advènement », « Seconde Babylone » ou « Second Antichrist ». Ce premier ouvrage annonçait la chute du régime soviétique, la libération des pays situés derrière le Rideau de Fer et l’unification de l’Allemagne. Il faut signaler toutefois que, contrairement à ce que semblait penser Vlaicu Ionescu au début des années 1970, cette chute du communisme n’a pas été la conséquence d’une Troisième guerre mondiale, à moins d’attribuer cette étiquette à la guerre froide et au projet de « Guerre des étoiles » du président américain Ronald Reagan, qui a contribué à mettre en évidence les défaillances systémiques du régime soviétique vieillissant. Cependant, au-delà de cette perspective historique concernant l’éclairage porté sur l’Ère Prolétaire dans son plein développement, le but final du message nostradamique est ailleurs : exposant le drame de l’humanité, ses traumatismes et ses hérésies, Nostradamus se soucie d’indiquer la solution valable en tous temps pour l’homme en tant qu’individu : le retour au Logos d’un être spirituel qui émane du Logos. Vlaicu Ionescu se réfère ici aussi bien à la tradition chrétienne avec une référence à Ruysbroek l’Admirable qu’à la tradition hindoue du Vedanta : Ce retour au Verbe est exprimé par Nostradamus sous trois aspects : du pouvoir, de la connaissance et du bonheur. Ils correspondent aux trois voies principales du Yoga : Radja Yoga, Jnana Yoga, Bakti Yoga, ainsi qu’à la célèbre formule du Vedanta « sat-chit-ananda », où « sat » est la puissance inconditionnée de l’être, « chit », la pensée pure ou intelligence substantielle, et « ananda » le bonheur et le bien suprême. D’après Ruysbroek l’Admirable, que Nostradamus a pu connaître par les manuscrits du monastère d’Orval, le Saint Esprit a le rôle de catalyseur par amour. Par lui, la vision contemplative dans le Logos est « une oscillation éternelle entre être, connaître et aimer », une perpétuelle oscillation entre conscience de soi-même et le repos dans l’unité ineffable. 58 Aussi Vlaicu Ionescu met-il en garde les lecteurs de Nostradamus contre une forme « d’apocalypsomanie » qui les amène à négliger les leçons que l’on peut tirer avant tout de l’analyse 56 Ibid., p. p. 25. Ibid., p. 26. 58 Ibid., p. 24. 57 32 des quatrains concernant le passé. Car, pour lui, l’œuvre nostradamienne est avant tout un message pour notre orientation spirituelle, et la méditation sur les quatrains concernant le passé engage dans un dialogue intellectuel qui oblige l’homme contemporain à regarder en face les problèmes essentiels de l’existence et du destin. Autant le premier livre de la trilogie est tourné vers l’histoire de la France et celle de la Russie, autant le second livre – L’Histoire secrète du monde - met l’accent sur l’histoire d’Angleterre et d’Amérique. L’intérêt se focalise ici sur le monde de l’Occident en tant qu’opposé aux régimes totalitaires. Il semble bien que la perspective de Vlaicu Ionescu soit celle d’une inéluctable Troisième guerre mondiale qui devrait opposer l’Alliance Atlantique au bloc soviétique. Nous savons bien sûr, aujourd’hui, que cette guerre n’a pas eu lieu, sinon sous la forme d’une exacerbation de la Guerre froide durant la décennie des années 1980. Il paraît aussi que, durant le règne de Iouri Andropov, l’URSS s’apprêtait à déclencher une offensive contre l’Europe, et que ce projet a dû être abandonnée à la suite d’un désastre subi par l’Armée Rouge en Sibérie. Peut-on considérer l’effondrement de l’Union soviétique sous la pression de la « Guerre des étoiles » prônée par Ronald Reagan comme l’équivalent d’une « Troisième guerre mondiale » ? Cela nous paraît fort exagéré, et il faut admettre que l’Union soviétique a disparu avant tout du fait de ses propres défaillances et des conséquences désastreuses du carcan idéologique imposé à ce pays depuis la prise du pouvoir par les bolcheviks. Il y a donc là, nous semble-t-il, une demi-réussite prévisionnelle de la part de Vlaicu Ionescu. On peut comprendre sa position favorable au monde anglo-saxons qui l’a accueilli après son exil à Munich en 1969. Il nous semble toutefois intéressant de comparer la position de Vlaicu Ionescu avec celle de Raoul Auclair, qui analyse, au travers de son œuvre, le monde capitaliste et le monde communiste comme deux aspects d’une semblable hostilité à l’égard des valeurs traditionnelles dont le symbole scripturaire est Babylone. Raoul Auclair évoque deux manifestations contemporaines de Babylone : celle de l’État totalitaire entièrement fondée sur la négation de Dieu, une cité des hommes totalement inhumaine, qui exige une morale pure et dure ; il se réfère ici à l’Allemagne national-socialiste aussi bien qu’à la Russie soviétique ou qu’à la Chine communiste. L’autre Babylone est celle où la liberté se dégrade en libertinage, qui est la grande Prostituée dont parle l’Apocalypse, celle des nations qui se disent chrétiennes et ne le sont plus, un monde en état de désagrégation où tout s’effondre et s’effrite et se transforme en poussière.59 Toutefois, sur le fond, les deux auteurs se rejoignent dans une commune conscience d’une fin cyclique plus ou moins imminente, et l’on retrouve sous la plume de Vlaicu Ionescu, pour évoquer cette fin cyclique, la même image de Babylone : Nous vivons peut-être les jours dont Jérémie, Daniel et plus tard saint Jean nous ont parlé. Ce n’est pas la fin du monde, mais il pourrait s’agir de la fin d’un monde… ou d’un cycle. Les tribulations spectaculaires, synchroniques à ce changement de cycle semblent aboutir, d’après Nostradamus, à la ruine de la grande et florissante Babylone de nos jours.60 Ainsi, L’Histoire secrète du monde commence avec l’histoire de l’Angleterre, à partir du XVIe siècle jusqu’à la révolution américaine ; puis vient l’histoire des États-Unis depuis la révolution jusqu’à la Première Guerre mondiale ; un chapitre expose la période des super-puissances, celle de la Guerre froide. Le dernier chapitre, qui commence par la crise iranienne de 1971 se poursuit jusqu’à la Troisième guerre mondiale et la chute du régime soviétique. Vlaicu Ionescu annonce enfin, dans la préface à son second livre, le projet d’un troisième qui sera centré sur les découvertes scientifiques et techniques et où seront étudiées la numérologie, la chronologie et la cyclologie de Nostradamus. C’est dans ce cadre que se situent les écrits de Vlaicu Ionescu qui traitent de l’énergie atomique et de la découverte des planètes transsaturniennes. Dans ses entretiens avec Marie-Thérèse de Brosses, Vlaicu Ionescu expose sa méthode d’interprétation, qui repose sur la cohérence des quatrains, qui forment une unité thématique : Une vraie solution doit établir une correspondance entre le quatrain (vu comme une structure organique douée d’unité d’intention) et un événement : chaque détail du quatrain doit correspondre à un aspect de l’événement. Dans leur ensemble et chacun pris séparément, les termes du quatrain doivent s’intégrer à son unité thématique, celle-ci étant l’expression de l’unité de l’événement.61 59 AUCLAIR Raoul, Histoire et Prophétie, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1973, p. 175. Histoire secrète du monde, p. 38. 61 Dernières victoires de Nostradamus, p. 43, note 1. 60 33 Pour ce qui est de la datation des événements, Vlaicu Ionescu insiste sur l’importance des indications astrologiques contenues dans le texte nostradamien, et il blâme le rejet systématique de ces précieuses indications par le Dr. de Fontbrune et son fils Jean-Charles, conduit de ce fait à « s’embrouiller dans un fatras totalement incohérent ». LA MISSION DE NOSTRADAMUS Vlaicu Ionescu place Nostradamus dans une famille spirituelle qui trouve racine chez saint Jean qui représente la doctrine ésotérique du christianisme, sous ses deux aspects métaphysique et prophétique. Vlaicu Ionescu considère le baptême chrétien comme un processus d’initiation - le baptême par l’Esprit et le Feu – impliquant une transmission continue du maître au disciple. Dans la scène de la Transfiguration, Moïse et Elie représentent la tradition antérieure, et les trois disciples qui ont participé à ce mystère, Jean, Jacques et Pierre, trois types d’initiation qui continuent la Tradition dans le sein de la nouvelle Loi. Vlaicu Ionescu observe que, dans l’évangile selon saint Matthieu, le Baptême et la Tentation forment une unité et que tous deux se passent « dans le désert » : La retraite dans la solitude est une condition spécifique dans toute initiation, mais le « désert » peut avoir servi aussi comme symbole pour une autre solitude, ce « vide de l’âme » dont parle Nostradamus dans le quatrain I-1, ou pour une certaine « solitude » mentionnée à propos de sa propre initiation, par laquelle il avait obtenu le don de prophétie. 62 Dans la tradition orthodoxe, saint Jean est qualifié de théologien, et pour Vlaicu Ionescu ce terme correspond à ce que, en Occident, on appelle un « initié » : Ce n’est pas par hasard que la tradition de l’Église d’Orient a spécialement réservé le nom de « théologien » à trois écrivains sacrés, dont le premier est saint Jean, le plus « mystique » des quatre évangélistes, le second saint Grégoire de Naziance, auteur de poèmes contemplatifs, le troisième saint Syméon le « Nouveau Théologien », chantre de l’union avec Dieu.63 Et, dans ce contexte, Vlaicu Ionescu rappelle la tradition hésychaste dans l’Église d’Orient, basée sur une technique respiratoire et sur l’invocation du Nom divin, formule répétitive qui rappelle, dit-il, les « mantras » du yoga. Pour lui, il ne fait pas de doute qu’il y ait eu une formation initiatique de Nostradamus, qui n’a certainement pas passé par un voyage en Orient, mais qui aurait pu se situer lors de son séjour au monastère d’Orval, ce qui explique « l’appartenance du génie nostradamien à l’esprit de l’auteur de l’Apocalypse ». Après la mort de sa première femme et de ses deux enfants, dans des circonstances qui sont restées inconnues, il s’ensuit pour Nostradamus une série de voyages qui reste la phase la plus mystérieuse de sa vie. Or, dans les monastères de ce temps résidaient souvent de grands Adeptes qui pratiquaient l’alchimie. Pour Vlaicu Ionescu, Nostradamus appartient à une tradition chrétienne initiatique sous deux aspects : l’un, de nature métaphysique, provenant de l’apôtre Jean, l’autre, à teinte hermétique, patronné par l’apôtre Jacques. Sa conclusion est que Nostradamus a réalisé une synthèse des deux. Dans L’Histoire secrète du monde, Vlaicu Ionescu explore quelques pistes qui contribuent à assigner à Nostradamus une place remarquable dans le cours de certains cycles qui se rapportent soit à l’histoire de France, soit à la Prophétie de Daniel et à ses résonances cosmiques. L’idée qu’il y aurait un « moment Nostradamus » relatif à l’histoire de France a déjà fait l’objet de supputations dans le livre de Dom Néroman (alias Maurice Rougié) Les Présages à la lumière des lois de l’Évolution.64 Cet auteur établit comme ciel de naissance de la France l’an 428, qui fut le commencement de la race des Mérovingiens. Par rapport à cette date, Nostradamus arrive exactement à la moitié de l’année cosmique astronomique (2152 : 2 = 1076), car c’est en 1503 que le prophète naquit (1503-428 = 1075). Mais Vlaicu Ionescu préfère prendre pour point de départ une donnée historique plus solide, celle de 481, l’année où Clovis devint roi, et le premier à régner sur la Gaule tout entière. On retrouve la même durée de l’année cosmique astronomique (2152 : 2 = 1076), non plus avec la date de naissance de Nostradamus, mais avec la date de parution des prophéties nostradamiennes (1557-481 = 62 Message de Nostradamus, p. 36, note 1. LOSSKY Vladimir, Essai sur la théologie mystique de l’Église d’Orient, Ed. du Cerf, 1944, p. 6. 64 DOM NÉROMAN, Les Présages à la lumière des lois de l’Evolution, Editions Sous-le-Ciel, Paris, 1937. 63 34 1076). Vlaicu Ionescu conclut que l’avènement du grand prophète de Provence doit être compté parmi les plus grands événements de l’histoire de France. Par ailleurs, une année cosmique (de 2160 ans) sépare la prophétie de Daniel interprétant le songe de Nabuchodonosor (603 av. J-C.) et la même année 1557, donnée par Nostradamus comme point de départ de ses prophétie. Ce qui relie aussi Nostradamus avec la Seconde Babylone, puisque la Grande Semaine de Daniel (soit 7 Jours de 360 ans = 2520 ans) s’achève en 1917, date de la Révolution russe. Quant à la méthode de Nostradamus, Vlaicu Ionescu la résume par l’association, poussée à un haut degré, de l’astrologie et de la voyance : Nostradamus conjoignait en lui, poussant à l’extrême les possibilités humaines, le talent de l’astrologue et le génie inspiré du voyant. Astrologie et « voyance », deux « disciplines » qui se complètent point par point, la voyance permettant de voir les événements, l’astrologie d’en fixer la date.65 C’est grâce à la synthèse entre une initiation johannite, à fond métaphysique et prophétique, centrée sur la doctrine du Logos, et une initiation alchimique ou hermétique que Nostradamus accède à la vision prophétique. Vlaicu Ionescu mentionne, sans les nommer, deux voies qui permettent d’arriver à cette forme de réalisation spirituelle : un passage de l’Épître témoigne, pour Vlaicu Ionescu, du fait que Nostradamus était familier avec une technique de la méditation transmise par les disciples de « l’apôtre bien-aimé », technique conservée surtout dans le monde byzantin (allusion à la prière du cœur dans la tradition hésychaste, permettant d’atteindre une « paix profonde » intérieure : … et accordant icelui instinct avec ma longue supputation uni, et vuidant l’âme, l’esprit et le courage de toute cure, solicitude et fascerie par repos et tranquilité de l’esprit. (Épître, & 15). A cela s’ajoute le mystérieux feu dont Jean-Baptiste faisait l’essence du baptême christique auquel on arrive par l’initiation, et qui n’est pas une simple image ou une abstraction, mais une réalité efficiente. Selon Vlaicu Ionescu, cette efficacité expérimentale, dont parlent les philosophes hermétiques – surnommés « Philosophes par le feu » - a été aussi expérimentée par Nostradamus : … c’est à savoir que ce que prédit est vray, et a pris son origine ethéréement : et telle lumière et flamme exigue est de tout efficace, et de telle altitude, non moins que la naturelle clarté et la naturelle lumière, rend les Philosophes si assurés, qui moyennant les principes de la première cause ont atteint aux plus profondes abysmes des plus hautes doctrines. (Préface, 1 4). Cette expérience qui pourrait évoquer, d’une certaine manière les pratiques orientales du Kundalini yoga, donne accès à la vision prophétique qui permet elle-même d’atteindre aux connaissances les plus élevées : La condition de la vision prophétique est d’atteindre ces régions supra-matérielles, situées beaucoup plus haut que le monde manifesté, où l’esprit prend contact directement avec ce « feu occulte » qui, loin d’être une simple abstraction, est une réalité inférieure en rien au feu naturel. Par ce feu secret, les initiés peuvent contempler le monde métaphysique, le monde des Idées, des causes premières, et arrivent avec certitude à la révélation des plus profondes vérités des grandes doctrines traditionnelles.66 On rejoint ici le réalisme idéaliste de Platon et des néo-platoniciens, ainsi que la doctrine solaire du Logos qui concentre le monde des Idées platoniciennes autour d’un centre, le Verbe, la seconde hypostase de la Trinité, soleil métaphysique qui peut être atteint au terme de la réalisation du Grand Œuvre alchimique. 65 66 Histoire secrète du monde, p. 14. Message de Nostradamus, p. 39. 35 LE CYCLOLOGUE Si l’ouvrage d’entretiens avec Marie-Thérèse de Brosses constitue le troisième volet de la Trilogie consacrée à Nostradamus, il existe tout un pan des recherches de Vlaicu Ionescu, certainement le plus savant et le plus difficile d’accès, qui concerne la numérologie et la cyclologie nostradamienne. Ces travaux pourraient constituer le quatrième volet d’une Tétralogie – dont le projet existe déjà, mais qui, à notre connaissance, n’a jusqu’ici abouti à aucune publication. Aussi, dans cette dernière partie de notre étude sur Vlaicu Ionescu, après avoir donné le Sommaire de cette Tétralogie virtuelle, nous présenterons un chapitre qui introduit à la numérologie et à la cyclologie nostradamienne, puis nous évoquerons un article consacré à quelques aspects numérologiques et cyclologiques de l’Apocalypse, à partir d’un article de Vlaicu Ionescu paru dans la revue Atlantis en 1995 sous le titre « Saint Jean le Pythagoricien ». LA TÉTRALOGIE La structure globale de la Tétralogie, telle qu’elle fut envisagée, se présente comme suit : un premier volume consacré à Nostradamus, prophète du monde moderne ; le second : Du XVIe au XIXe siècle ; le troisième : De la Première Guerre mondiale et l’apparition du communisme jusqu’à l’avènement du Grand Monarque ; le quatrième : Quelques aspects particuliers des prophéties de Nostradamus et leurs problèmes cyclologiques. Les trois premiers volumes regroupent, en les disposant selon un ordre chronologique et, secondairement, géographique, les analyses que l’on trouve dans les trois volumes publiés en 1976, 1987 et 1993 ; le quatrième, tout en reprenant certains éléments déjà publiés, est largement inédit et développe des considérations numérologiques et cyclologiques du plus grand intérêt. L’ensemble devait être chapeauté par une préface de Michel Random (1933-2008), écrivain, critique d’art, journaliste, cinéaste, photographe et conférencier, fondateur en 1982 de la revue 3e Millénaire dans laquelle cet auteur consacre une série d’articles aux principaux peintres visionnaires, dans l’esprit du film de long métrage L’Art visionnaire qu’il avait produit en 1976. L’œuvre de Vlaicu Ionescu s’inscrit bien dans cette perspective, et il n’est pas impossible que Michel Random - qui était passionné par la physique quantique et les sciences du vivant, et qui avait participé au colloque international de Tsukuba en 1984 – ait parlé à cette époque de Vlaicu Ionescu au professeur Tadao Takemoto, qui invitera ce dernier au Japon au printemps 1991. Le volume I de la Tétralogie, qui est une présentation générale de Nostradamus comme prophète du monde moderne, comporte deux parties. La première est une introduction générale sur le message spirituel du sage de Salon et sur sa cryptologie, qui se déploie en quatre chapitres traitant respectivement de la pensée traditionnelle et du monde moderne, du phénomène Nostradamus, du prophète comme « ambassadeur du Ciel », enfin de Nostradamus comme alchimiste. La seconde partie est entièrement consacrée à l’Épître à Henri Second, qui fait l’objet d’un décryptage intégral67. Le second volume présente une analyse, au long de dix chapitres, des textes nostradamiens relatifs à la période qui englobe l’histoire européenne (plus celle des États-Unis) du XVIe au XIXe siècle. Le troisième volume couvre toute la période qui commence avec la Première Guerre mondiale et s’achève avec l’effondrement de l’Union soviétique. En fin de cette partie, un chapitre est orienté sur l’avenir, avec une prévision de Vlaicu Ionescu sur l’épopée du Grand Monarque – dont l’année 1999 a, selon lui, marqué la naissance. Le quatrième volume est consacré à l’alchimie, à la numérologie et à la cyclologie en relation avec Nostradamus. Elle comporte huit chapitres qui portent les titres suivants : I. Les textes alchimiques de Nostradamus II. Prédictions des découvertes scientifiques et techniques III. La physique nucléaire, quantique IV. Astronomie et astrologie nostradamiennes V. Le mystère de l’année solaire VI. La deuxième chronologie de l’Épître et les cycles planétaires VII. Le cosmos et les proportions musicales et géométriques 67 Cette partie a été publiée en Roumanie sous la forme d’un ouvrage spécifique intitulé Nostradamus – Epistola catre Henric II, Ed. Evex, Bucarest, 1999. 36 Devraient venir enfin des conclusions générales sur la science nostradamienne (non rédigées à l’heure actuelle) et quatre Années qui fournissent le texte de la Préface, une liste avec la numérotation des Présages, un tableau des quatrains interprétés dans chaque volume, enfin une bibliographie commentée. Tel est le Sommaire de cette Tétralogie. Afin de donner une idée plus précise des travaux numérologiques et cyclologiques de Vlaicu Ionescu, nous présentons le plan de quelques chapitres qui devraient s’intégrer à la Tétralogie mais n’entrent pas exactement dans l’ordre indiqué par le Sommaire. Un premier de ces chapitres « mouvants » aborde deux questions : le problème de la chronologie et les Secunda deis ou les Archanges du Temps ; une Chronologie nostradamienne. La première question fait référence à une œuvre de Jean Trithème (1462-1516), auteur d’ouvrages de théologie et d’histoire relatifs à des membres éminents de l’ordre bénédictin auquel il appartenait, mais en même temps passionné d’astrologie, de magie et de sciences hermétiques. Son ouvrage De septem secundadeis, paru en 1508, présente un schéma d'histoire du monde déterminé par sept Esprits ou Intelligences, qui correspondent aux sept planètes traditionnelles. Il répartir la « chronologie mystique » de l’histoire du monde en sept périodes de 354 ans et 4 mois, chacune étant sous l’influence d’une planète, ce qui aboutit à un grand cycle de 2480 ans. Un autre chapitre concerne le mystère de l’année solaire et se subdivise en deux parties : l’année julienne ou tropique exprimée en nombres archétypes musicaux, bibliques et nostradamiens ; la relation entre l’année solaire, la précession, les proportions de la Pyramide de Khéops et les nombres nostradamiens. Un autre chapitre encore traite de la deuxième chronologie de l’Épître et des cycles planétaires : l’étendue de la Prophétie définie par des relations cyclologiques ; la relation entre les dix patriarches bibliques et les dix rois babyloniens jusqu’au Déluge ; une digression arithmosophique sur quelques nombres bibliques, christiques et nostradamiens. Un dernier exemple, avec un chapitre consacré au Cosmos et aux proportions musicales et géométriques : les polygones et du Nombre d’Or ; le grand thème et le mythe d’Er le Pamphylien de la République de Platon ; les correspondances cachées entre la structure tonale et quelques nombres cyclologiques de la Bible, de Nostradamus et des traditions mayas ; le grand thème traditionnel de l’Invariant et l’apport nostradamien ; la gamme diatonique et la précession équinoxiale. On voit que les études de musicologie entreprises durant sa jeunesse par Vlaicu Ionescu occupent dans ces travaux une place de choix, ainsi que ses connaissances mathématiques. Avec le thème d’Er le Pamphylien, c’est la question des destinées de l’âme avant et après la mort qui est abordée : Er, mort sur le champ de bataille assiste, au cours d’un voyage dans un lieu divin, à ce qu’il advient des âmes après la vie et au choix qu’elles ont à faire d’une nouvelle vie. Revenu à lui, il raconte sa vision, se faisant le « messager de l’au-delà ». UN ASPECT DE LA NUMÉROLOGIE ET DE LA CYCLOLOGIE NOSTRADAMIENNE Afin de donner une idée de la façon dont Vlaicu Ionescu aborde les questions, toujours hautement délicates et épineuses, de chronologie et de cyclologie, nous présentons ici le début d’un chapitre où il est question des deux chronologies contenues dans l’Épître et des rapports de ces chronologies avec celles que l’on trouve dans les deux traductions bibliques de la Septante et de la Vulgate. En ouverture, Vlaicu Ionescu définit comme « semaine nostradamienne » une durée de 7 x 21 ans, dont la moitié – tréhémide – de 73,5 ans est donnée comme durée de la Babylone soviétique. Il observe que six semaines nostradamiennes (6 x 147 = 882) séparent la naissance de Nostradamus en 1503 de l’Hégire (622). Il relie par ailleurs la durée de 21 ans au quart d’une révolution uranienne complète. Après ce préambule, Vlaicu Ionescu aborde la question des deux chronologies symboliques de l’Épître. Il rappelle d’abord que, en général, les interprètes nostradamiens ont regardé ces deux chronologies bibliques, insérées par Nostradamus dans l’Épître, comme de simples variantes de celles de la Bible. Mais il ajoute qu’en réalité il y a trois chronologies nostradamiennes, puisque, dans l’Almanach pour l’an 1566, Nostradamus en construit une autre (qu’il désignera par Chronologie 66, les deux précédentes étant nommées Chronologie A et Chronologie B). Quand on compare les deux versions bibliques, celle de la Septante et celle de la Vulgate, on constate des différences numériques qui ont donné lieu à de nombreuses spéculations sur l’âge du monde au cours des siècles. Vlaicu Ionescu signale que Pierre Brind’Amour cite dans son Nostradamus Astrophile un ouvrage de C.A. Patrides, paru en 1982 à Princeton, qui donne une liste de plus de cent auteurs ayant des opinions 37 diverses sur les nombres de la chronologie biblique.68 Brind’Amour lui-même considère que la Chronologie A a été influencée par la Septante, tandis que la Chronologie B l’est par la Vulgate. Comme les deux chronologies de l’Épître présentent certains nombres comme identiques à ceux de la Bible, les commentateurs ont pensé que, pour les autres nombres, il devait s’agir d’erreurs typographiques et ils ont cru nécessaire de corriger le texte. Pour Vlaicu Ionescu, cette démarche est absurde, car Nostradamus n’est ni un exégète biblique ni un copiste naïf qui aurait eu pour projet de reproduire des choses bien connues de son temps. Le fait de présenter les nombres de ses chronologies comme des intervalles entre divers événements ou personnages bibliques est une chausse-trappe destinée aux naïfs. Comme dans les autres textes prophétiques, Nostradamus demeure un auteur d’une surprenante originalité. Si ces deux chronologies sont présentées sous une vêture biblique et dans l’aura de l’Écriture Sainte, c’est peut-être par complaisance pour l’Église ou afin d’égarer les sceptiques. En réalité, le contenu réel est d’ordre astronomique et cyclologique. On trouve ainsi dans la Chronologie A le nombre de 1080 ans, la moitié de 2160 ans, durée de la précession équinoxiale pour un signe zodiacal sidéral ; et dans la Chronologie B le nombre de 295 ans, la décade saturnienne : de tels nombres devraient sauter aux yeux des commentateurs, et ils devraient se rendre compte de la véritable intention du prophète, qui n’a rien à voir avec la simple reproduction de l’histoire traditionnelle donnée par Moïse dans le Pentateuque. Et même en ce qui concerne les livres de Moïse, il faudrait se demander si les nombres qu’ils renferment n’auraient pas, eux aussi, des significations astronomiques. Vlaicu Ionescu signale l’influence de l’astronomie et des mythes babyloniens sur les sages juifs qui ont vécu à Babylone. Étant donné que la Bible énumère dix patriarches avant le Déluge et que Bérose, le dernier prêtre de Mardouk (IIIe siècle av. J-C.) parle de dix rois babyloniens avant le Déluge, on est amené à se demander s’il existe une relation entre la période antédiluvienne des Babyloniens et celle des Hébreux. Vlaicu Ionescu démontre l’existence de cette relation dans un autre chapitre. Les nombres contenus dans ces deux chronologies ouvrent la porte à des matières en général insoupçonnées. Vlaicu Ionescu invite à les approfondir et à les traiter selon les procédés suivants : 1. Rechercher des rapports entre les nombres d’une même chronologie et entre deux chronologies. 2. Examiner la structure mathématique de ces nombres. Par exemple, trouver le facteur premier majeur (FPM). Pour 1242, qui est composé de 2∙33∙23, c’est 23 qui est le FPM.69 On examinera aussi si le nombre est triangulaire, carré, etc., quel est son déterminatif (ce qui reste si on élimine les zéros de la fin), si c’est un nombre premier, s’il est « musical », s’il est astronomique (archétypal ou traditionnel, ou résultant des mesures des astronomes), enfin s’il a des qualités mathématiques spéciales susceptibles d’entraîner des implications métaphysiques. 3. Examiner ces nombres en les comparant avec les nombres bibliques, par exemple ceux de la Genèse, ceux du prophète Daniel et de saint Jean. Tous ces nombres forment une arithmologie unitaire, expressive par son symbolisme traditionnel initiatique. C’est pour cette raison qu’on doit les traiter ensemble. 4. Comparer ces nombres avec ceux des Indiens, des Babyloniens, des Égyptiens, des Mésoaméricains. 5. Les comparer avec les nombres qui sont soulignés dans certains quatrains. 6. Chercher à combiner ces nombres par addition, multiplication et rapport, mais d’une manière logique, en suivant les suggestions mêmes du Prophète. C’est en pratiquant ces méthodes que Vlaicu Ionescu a découvert des thèmes nouveaux qui ont suscité l’intérêt de Nostradamus, notamment celui du Grand Thème, à savoir la relation entre l’homme et l’Univers, ayant pour médiateur la musique. C’est en examinant ces deux chronologies que Vlaicu Ionescu a établi la gamme nostradamienne – qu’il a comparée avec celle de Platon – gamme qui est cachée dans le mythe d’Er le Pamphylien que l’on trouve dans La République. C’est également par ces chronologies qu’il a réussi à établir la véritable chronologie nostradamienne des Anges du Temps, différente de celle de la tradition hébraïco-arabe qu’on trouve pour la première fois dans le Liber rationum d’Abraham Avenazra, œuvre publiée par Trithème sous le titre De Septem Secundeis, id est Intelligentiis sive Spiritibus Orbes post Deum moventibus (une stéganographie simplifiée et variante du De Septem Secunda Deis). A son tour, cette nouvelle chronologie des Secunda Deis ou Archanges planétaires lui a été nécessaire pour élucider des quatrains très difficiles, comme I-48, qui n’a jamais été déchiffré. 68 69 PATRIDES C.A., Premises and Motifs in Renaissance Thought and Literature, Princeton, Legacy Library, 1982. [Note de CR] (2 * 27) * 23 = 1242. 38 L’idée de combiner ces nombres vient de Nostradamus lui-même, qui offre, par exemple, un nombre qui est l’octave de l’autre, comme l’est 1242 par rapport à 621 dans la Chronologie A, ou la moitié de la précession pour un signe, 1080, suivi de deux autres, 510 et 570, dont la somme est aussi 1080, et qui ensemble font 2160, valeur de la durée de la précession pour un signe zodiacal sidéral. Nostradamus suggère aussi de combiner les nombres par des expressions étranges, insérées dans le & 75 de l’Épître : Et depuis la naissance de Noé jusqu’à la parfaite fabrication de l’Arche, approchant de l’universelle inondation, passèrent six cents ans (si les dons70 étaient solaires ou lunaires, ou des dix71 mixtions) je tiens ce que les sacrées Écritures tiennent qu’étaient solaires. Edgar Leoni trouve très étrange que ces « erreurs » restent sans corrections dans toutes les éditions, ainsi que le fait que la parenthèse soit fermée après mixtions et non – comme le voudrait la logique – à la fin de la phrase. Cette énigme trouve une solution si l’on observe que la Chronologie B comporte 10 nombres, tandis que la Chronologie A n’en comportait que 6. C’est ainsi que le mot mixtions gagne son sens : on doit « mélanger » ces dix nombres pour en trouver des significations envisagées par le Prophète. Le mot dons, mis au lieu d’ans, nous suggère qu’on ne doit pas prendre à la lettre le texte et croire qu’il s’agirait de nombre d’ans ou d’intervalles chargés de quelque valeur historique. Au contraire, ces chronologies sont symboliques dans tous les sens traditionnels du terme et, le nombre y compris, ne sont que des données cryptées adressées à la sagacité du chercheur. Nostradamus nous montre que ses connaissances astronomiques dépassaient de loin celles de son temps. Mais il ne s’arrête pas là. Il ressuscite une arithmologie bien plus profonde, qui ouvre les portes vers des significations cosmologiques et métaphysiques inattendues. C’est toute une synthèse de grandes proportions, une fresque néo-pythagoricienne qui se découvre à nos yeux et qui relie Nostradamus à la grande et véritable Tradition. Dans la suite de cet exposé, Vlaicu Ionescu examine de façon extrêmement fouillée et subtile ces deux chronologies – étude que nous espérons publier un jour in extenso dans la Revue de cyclologie traditionnelle. Signalons simplement quelques points particuliers de cette étude. Dans la Chronologie A, la durée entre Adam et Noé est de 1242 – ce qui amène Pierre Brind’Amour à considérer qu’il y a une erreur typographique72 à la place de 2242, somme des années écoulées d’Adam au Déluge d’après la Septante, au chapitre 5 de la Genèse. Aux yeux de Vlaicu Ionescu, l’objection du savant canadien est erronée et témoigne de sa méconnaissance de la cyclologie nostradamienne. Poursuivant sa comparaison des nombres nostradamiens avec ceux de la Bible, Brind’Amour rapproche le nombre 1080, donné par Nostradamus entre Noé et Abraham, de son correspondant trouvé dans la version grecque de la Bible, 1070 ans. L’auteur ne trouve aucune raison à ce changement. Pourtant la raison est évidente selon Vlaicu Ionescu : 1080 est la moitié ou octave de 2160, durée de la précession équinoxiale au cours d’un signe zodiacal sidéral, selon la tradition. Le même & 48 de l’Épître nous parle de la fin du VIIe millénaire, c’est-à-dire l’an 2242, qui parachève le tout, ce qui suggère que c’est vers cette date que finissent les prophéties nostradamiennes. On comprend alors que la date 3797 n’est pas la fin des prophéties historiques, mais de la cyclologie des Secunda Deis, comme le montre Vlaicu Ionescu dans d’autres chapitres consacrés à ce sujet. Il note cependant au passage que l’intervalle de 1555 ans depuis le Christ jusqu’à la première édition des Prophéties se répète, par une autre symétrie, comme intervalle entre 2242 (fin du VIIe millénaire) et 3797 (3797 – 2242 = 1555). Nous n’entrerons pas dans l’examen des nombres de la Chronologie A et de la Chronologie B, étudiés en eux-mêmes ou dans leurs diverses combinaisons (ou mixtions, selon le texte de Nostradamus). L’interprétation de Vlaicu Ionescu est d’une éclatante virtuosité et en même temps d’une grande profondeur métaphysique. Ce qui ressort de cette analyse, c’est d’abord que les nombres de la Chronologie A n’ont rien à voir avec l’histoire biblique, mais avec des réalités astronomiques, notamment avec les grands nombres cycliques relatifs à la précession des équinoxes ; 25 920 et son déterminatif 2592 et 2160 ou son octave 1080. Mais Vlaicu Ionescu, qui a suivi des études musicales, est également sensible aux relations musicales des nombres de ces Chronologies qui expliquent ce qu’il nomme « la gamme nostradamienne » (exposée dans un autre chapitre), et il signale entre autres la relation musicale entre 1242 et son correspondant biblique 165673 : c’est l’intervalle fondamental de quinte-quarte : 1656/1242 = 4/3 = Fa et 2 × 1242/1656 = 3/2 = Sol. Et il ajoute à cela un 70 Apparemment, une erreur pour ans, mais maintenue dans toutes les éditions. Apparemment, erreur pour deux, mais maintenue aussi dans toutes les éditions. 72 BRIND’AMOUR Pierre, Nostradamus Astrophile, Ed. Les Presses Universitaires d’Ottawa / Ed. Klincksieck, 1993 , p. 173. 73 Comme on le sait, d’après la Genèse (7,11) et la tradition massorétique (les massorètes étant les exégètes juifs qui par leurs travaux permirent une meilleure lecture de la Bible), d’Adam à la naissance de Noé se sont écoulés 1056 ans et Noé avait 600 ans au moment du Déluge (1056 + 600 = 1656). 71 39 développement relatif aux harmonies géométriques issues des rapports entre deux termes successifs de la série de Fibonacci, qui expriment en nombres rationnels le nombre d’or, Φ qui est irrationnel. L’étude des combinaisons numériques entre les nombres des deux Chronologies A et B indique que Nostradamus insiste sur les révolutions des planètes lentes, non seulement sur celles qui sont connues de son temps, mais aussi sur celles des trois planètes transsaturniennes, récemment découvertes. Il souligne aussi les intervalles des grandes conjonctions de ces planètes lentes, dont l’astrologie mondiale moderne montre l’importance pour la détermination des grands événements historiques. Vlaicu Ionescu conclut ce chapitre par une remarque de grande portée relative à l’inspiration prophétique qui traverse les Centuries et l’Épître, textes qui, d’après le témoignage même de Nostradamus, sont inspirée et même dictés par le Saint-Esprit : La preuve que le génie inspirateur des Centuries nous a révélé l’existence des trois planètes Uranus, Neptune et Pluton, nous l’avons produite dans notre étude publiée en 1983 dans la revue Atlantis. Avec ce problème nous entrons dans un domaine qui était inconnu à l’homme et à l’astrologue Nostradamus. Nous n’avons rien trouvé dans ses écrits laïcs (almanachs et horoscopes) qui puisse indiquer qu’il connaissait l’existence de ces planètes. Aucun auteur n’a remarqué cette dichotomie de la personnalité du Prophète, quoique Nostradamus reconnaisse lui-même ce fait, quand il avoue que, pendant ses visions et la dictée du SaintEsprit, il devait faire attention même aux prononciations. SAINT JEAN LE PYTHAGORICIEN Après cet exemple d’une étude numérologique et cyclologique des deux Chronologies de l’Épître, voyons l’application de la méthode de Vlaicu Ionescu à quelques aspects numérologiques et cyclologiques de l’Apocalypse, qui sont développés dans un des articles de Vlaicu Ionescu publiés dans la revue Atlantis, sous le titre de « Saint Jean le Pythagoricien », paru en 1995. A notre connaissance, ces articles sont au nombre de dix, le premier remontant à 1971, sans doute à un moment où, étant alors installé à Munich avant son départ pour les États-Unis, Vlaicu Ionescu a dû faire connaissance avec Jean Phaure lors d’un séjour à Paris. Voici la liste de ces dix articles : 1979. N° 301. Nostradamus et la Gnose. 1981. N° 317. Lacuria et l'Idée de la Trinité. 1983. N° 325. Nostradamus et les Planètes Trans-saturniennes. 1991. N° 364. Les Soubresauts du Communisme Prophétisés par Nostradamus. 1991. N° 367. Nostradamus Resurgens, ou le récent accomplissement d'une prophétie. 1995. N° 380. Saint Jean le Pythagoricien. Quelques aspects numérologiques et cyclologiques de l'Apocalypse. 1996. N° 386. Testament nostradamien en quatre vers. 1997. N° 391. Un Manuscrit Inconnu de Newton sur le Grand Œuvre Hermétique. 1998. N° 392. Le triangle du mal d’après l’Épître de Nostradamus. 2000. N° 401. Clinton – Le scandale « Monica » - Le Kosovo. Jean Phaure présente en ces termes l’article de Vlaicu Ionescu « Saint Jean le Pythagoricien » : Vlaicu Ionescu (…) met en lumière la dimension arythmosophique et pythagoricienne du texte de saint Jean. « L’univers a une âme et cette Âme du monde est exprimée par Platon en Nombres ». C’est hélas ce que l’Église romaine a mis sous le boisseau et finalement oublié après le XIVe siècle et la fermeture des chantiers des cathédrales où s’exerçait la science pythagoricienne des maîtres d’œuvre. Et pourtant les Écritures chrétiennes et pas seulement l’Apocalypse recèlent toujours ces correspondances cachées, ces lumières sur l’ordre (cosmos) du monde qui attendent comme l’Amérique avant Colomb que les veilleurs de la fin du cycle les redécouvrent et les réexplicitent. Vlaicu Ionescu dont j’ai eu l’honneur en 1977 de préfacer le premier livre est l’un de ces maîtres en Éveil et nous dévoile ici en exclusivité des choses qui parfois n’avaient jamais encore été dites quant à la relation entre les Nombres musicaux, les astres, le calendrier et les cycles cosmiques.74 Vlaicu Ionescu situe cette étude dans le cadre de ce qu’il appelle le « Grand Thème », à savoir la recherche, par les sages de l’antiquité, du rapport entre l’homme et l’univers, entre le « microcosme » 74 PHAURE Jean, « Éditorial », Atlantis, n° 380, Hiver 1995, p. 105-106. 40 et le « macrocosme », rapport entendu comme une syntonie musicale. Ce problème qui combine musique et astronomie, exprime la conviction des pythagoriciens que le Démiurge est un géomètre. Le qualificatif de « Grand Thème » n’est pas sans évoquer le « Grand Chant des Ainur » qui, dans le Silmarillion de J.R.R. Tolkien, présente la création du monde, ou plus précisément l’image du monde qui va être créé en relation avec les thèmes musicaux inspirés aux Ainur par Eru, le Dieu unique, avant même la création effective dans le monde manifesté. Ce questionnement sur le « Grand Thème », pour Vlaicu Ionescu, est d’abord à mettre en rapport avec la recherche des invariants, et en particulier de l’invariant trinitaire qui constitue le fondement de la Gamme. Le point de départ en est la conception que se faisaient les anciens des nombres entiers, auxquels est attribuée une indépendance par rapport au monde manifesté, une perfection qui provient d’une certaine transcendance. Les nombres entiers, à partir du 3, vont venir féconder les multiples de 2: Les multiples de 2, expérimentés comme fréquences musicales, sont stériles, car ils ne sortent pas de la série des octaves de la même note. Pour sortir de cette stérilité, on doit recourir au nombre 3, le premier nombre masculin, un nombre démiurgique, créateur par excellence, car c’est par lui qu’on obtient la série des quintes qui, appliquée à la série des doubles, les féconde et détermine tous les intervalles de la gamme pythagoricienne ou diatonique.75 Rappelons que l’on nomme « diatonique » une gamme qui a seulement deux notes d’intervalles : si elle est pentatonique, elle est formée de tons et de tierces mineures, si elle est heptatonique, elle contient 5 tons égaux et 2 demi-tons. En astrologie, la série des doubles (le partage du cercle zodiacal en deux, quatre ou huit, produit des dissonances, tandis que le partage du cercle en multiples de 3 ou de 5 des aspects « harmoniques »). Les deux premières notes engendrées par la multiplication de la tonique avec 3 ou avec son inverse 1/3 sont la « dominante » et la « subdominante » (respectivement Sol et Fa pour la gamme de Do, produit du chevauchement des deux quintes Do-Sol et Fa-Do). Ces trois notes, la tonique, la dominante et la subdominante sont les assises de toute gamme, car elles sont les invariants fondamentaux, c’est-à-dire qu’elles déterminent le cadre fixe où l’on insère les autres notes, plus ou moins « mobiles ». On peut figurer l’espace tonal par une roue, sur laquelle on a deux mouvements à partir de la tonique : ascendant vers la droite et descendant vers la gauche : 75 IONESCU Vlaicu, « Saint Jean Pythagoricien. Quelques aspects numérologiques et cyclologiques de l’Apocalypse », Atlantis, n° 380, Hiver 1995, p. 110. 41 Vlaicu Ionescu rapproche le septénaire des intervalles musicaux avec le septénaire des planètes traditionnelles, tous deux composés de 5 + 2 éléments différents : les deux luminaires et les cinq planètes, les cinq tons et les deux semi-tons (qui ne sont pas des moitiés de tons). On retrouve un même type de structure dans l’héraldique, construite sur la combinaison de couleurs (les émaux) répartis en deux groupes : les métaux (or et argent) et les cinq couleurs (gueules, sable, azur, sinople, pourpre) ; la règle interdit de superposer ou de juxtaposer deux émaux appartenant à un même groupe.76 Dans la figure où sont disposés les trois invariants de la gamme de Do (la dominante Sol et la subdominante Fa), le Do, au sommet, prend appui sur les deux assises (Fa et Sol). Vlaicu Ionescu nomme cette roue « Roue Smaragdine », associe à Fa et à Sol les deux planètes Mercure et Vénus, les plus proches du Soleil, et place sur la tonique, au sommet de l’axe vertical, le dieu Indra, tel qu’il est évoqué dans un hymne védique : Hymne à Indra, aux Asvins et à l’Aurore, Terrible Indra, qui dispose heureusement les autres dieux, sois pour nous comme l’axe qui soutient et fait tourner les roues du char ! Tu es déjà pour nous Satacraton, cet axe bienfaisant.77 Les deux voies, ascendante et descendante de la Roue sont les « deux routes » du « divin Savitri » (autre nom du Dieu Solaire) : Le dieu (Savitri) suivra deux routes, l’une ascendante, l’autre descendante ; il arrive traîné par deux chevaux brillants. Des trois mondes, deux appartiennent à Savitri, le troisième est la demeure de Yama et le séjour des morts.78 Les deux secteurs latéraux de la Roue sont attribués au Dieu Solaire. Celui d’en bas contient au centre le comma Solb – Fa# qui est la demeure de Yama, ou de Hadès, le domaine des morts, au centre duquel est le dragon Vritra, la note inexprimable en nombres rationnels, le centre de la gamme (√2). Vlaicu Ionescu poursuit en rappelant le rapport des 22 chapitres de l’Apocalypse de saint Jean avec les 22 lettres hébraïques, présentées dans le Sepher Yetsirah comme 3 Mères, 7 Doubles et 12 Simples, en rapport avec trois sortes de principes du Démiurge. Si les 3 Mères de la Kabbale peuvent être mises en rapport avec les trois notes invariantes du système diatonique, les 7 Doubles avec le système heptatonique et les 12 Simples avec la gamme chromatique, cela ne ferait que confirmer que les écrits de saint Jean et ceux de la Kabbale appartiennent à des traditions communes. Cela suggère aussi un sens musical pour les 24 Vieillards qui entourent le Trône de Jésus, 24 chaises, 24 luths, 24 coupes d’or. Ce nombre est mentionné 9 fois par saint Jean, ce qui est bien significatif : 9 x 24 = 216, c’est-à-dire le « déterminatif » (la partie avant les zéros) du nombre « mystique » de la précession d’un signe et d’autres nombres des Yugas indo-babyloniens (2160 ans forment 6 « Jours de Daniel », dont la Semaine de 2520 ans était bien connue de saint Jean). Or, manifestée dans l’histoire, la Semaine de Daniel est l’intervalle mystico-historique entre 603 av. J-C., date du Songe de Nabuchodonosor (où Daniel décrit les quatre Yugas par les quatre métaux de la statue vue en songe) et 1917, date de la fin des tribulations exiliques d’Israël (Déclaration Balfour), de la révélation de Fatima et de la Révolution russe (la « Seconde Babylone » de Nostradamus). A ce propos, Vlaicu Ionescu rappelle que la Révélation nostradamienne – qu’il considère comme « la seconde manifestation du Saint Esprit de l’Ère chrétienne, après celle de saint Jean » - se situe exactement à 6 jours d’intervalle après celle de Daniel (6 x 360 ) 2160 ans, car de 603 av. J-C. à 1557 (date des prophéties) s’écoulent 2160 ans. Le prophète annonce et décrit avec un « Jour » d’avance ce qu’il présente comme la Seconde Babylone, le Communisme soviétique, la plus grande tribulation anti-sacrale de tous les temps. La moitié de la Semaine de Daniel ou 1260 ans est un intervalle mentionné directement par saint Jean, lui aussi. Il le fait six fois sous quatre formes différentes : « trois jours et demi », « un temps, deux temps et la moitié d’un temps », 1260 jours et enfin 42 mois (42 x 30 = 1260 jours). Cet 76 PASTOUREAU Michel, Traité d’héraldique, Paris, Picard, 1979. Rig-Vêda, trad. A. Langlois, Paris, Maisonneuve, 1872, Section I, Lecture II, Hymne XI. 78 Ibid., Section I, Lecture III, Hymne III. 77 42 intervalle qui divise en deux la Semaine est nommé par Nostradamus la « Tréhémide ». Il lui donne, comme saint Jean, une signification maléfique, anti-sacrale. Dans l’Apocalypse, la Cité Sainte est foulée aux pieds durant 42 mois, les cadavres des « deux témoins » sont laissés devant le peuple « trois jours et demi », la femme avec le diadème de 12 étoiles est exilée dans le désert pendant 1260 jours ou « un temps, deux temps et la moitié d’un temps ». Enfin, le temps du règne de la Bête est de 42 mois. Cette Tréhémide est reprise par Nostradamus comme cycle maléfique à propos de la Révolution française et de la Révolution russe. Seules les unités de temps (T) diffèrent : plus petites pour la première et plus étendues pour la seconde. Avec T = un an, on a l’intervalle entre la prise de la Bastille (le 14 juillet 1789) et l’exécution du roi (21 janvier 1793). La moitié de cette Tréhémide (21 mois au lieu de 42) a été aussi maléfique. Elle est l’intervalle entre le 22 septembre 1792 (jour où est aboli le calendrier chrétien et où commence l’ère « républicaine », jusqu’à l’instauration du culte anti-chrétien de l’Être Suprême (le 8 juin 1794) à Notre-Dame de Paris. Enfin, avec T = un mois, on a la captivité de Louis XVI dans la prison du Temple. En effet, du 10 août 1792 jusqu’en décembre, quand commence le procès, s’écoulent trois mois et demi. En fait, la date clé de cette dernière Tréhémide n’est pas le 11 décembre 1792, date de la première séance du procès devant la Convention, mais le 20 novembre, jour où est découvert, grâce au serrurier Gamain, la fameuse « armoire de fer » aux Tuileries, qui va rendre inévitable le procès du roi et son verdict fixé d’avance. Pour la Révolution russe, on a une Tréhémide beaucoup plus large, puisque la « Nouvelle Babylone », fille misérable de la première, sera augmentée par l’abomination, comme le dit l’Épître. Le T est ici de 21 ans (la quadrature du transit uranien), unité cyclique suggérée par Daniel et par saint Jean. 3 ½ T = 3 ½ x 21 = 73 ans ½, la durée du régime soviétique, qui s’achève en juin 1991, date de la victoire de Boris Eltsine. Il est à noter que 126, le déterminatif de 1260, est le nombre d’années qui sépare la Révolution française de la Révolution russe (1791 + 126 = 1917). 1791, moyenne entre 1789 et 1793, est l’année de la fuite à Varennes, qui marque un tournant majeur et une première déchéance du Roi, contraint de revenir captif aux Tuileries, avant de l’être dans la prison du Temple après le 10 août 1792. Dans l’Apocalypse, il est dit que la « femme réfugiée dans le désert » y demeure 1260 jours ; converti en années, ce nombre peut indiquer la durée de l’Empire romain. Rome, qui est fondée par Romulus, tombe avec un autre Romulus (Augustule) ; depuis la fondation de la Cité en 753 av. J-C. jusqu’en 507 ap. J-C., il y a 1260 ans, une Tréhémide ou moitié de la Semaine de Daniel. Toujours dans le cadre de cette comparaison de nombres à la fois cycliques et musicaux chez Daniel, saint Jean et Nostradamus, Vlaicu Ionescu reprend l’analyse du nombre biblique qui a fait l’objet d’une analyse dans son étude des deux Chronologies de l’Épître – le nombre 1656 mis en relation avec la quinte musicale. Ainsi, la gamme de Do ayant les fréquences 828 – 1656, la dominante de cette gamme est 3/2 x 828 = 1242. C’est la durée que Nostradamus attribue, dans l’Épître, à la période qui sépare Adam de Noé. Élevé d’une quarte, ce nombre tombe sur le temps antédiluvien biblique : 1242 x 4/3 = 1656. Enfin, Nostradamus achève cette chronologie par « 621 ans », l’octave de 1242, par lequel il avait commencé – évidente allusion à l’Hégire et à l’apparition de l’Islam : Et depuis le temps de l’humaine Redemption jusqu’à la séduction détestable des Sarrazins, ont été six cents vingt et un ans. Tous ces nombres figurent dans un mandala, où un jeu de symétries associe trois axes : Noé et le Christ, Adam et Mohamed, Abraham et David. 43 Nous allons prendre ces quatre nombres d’une manière symétrique par rapport à l’axe Christ – Noé et l’on établira les rapports dans le même sens. Voici ce que donne la somme de ces rapports : On sait que le rapport de deux termes successifs de la série de Fibonacci s’approche de plus en plus (en nombres rationnels) du Nombre d’Or, qui est irrationnel. Ce rapport fibonaccien donne une très bonne approximation du Nombre d’Or. Vlaicu Ionescu met en valeur à propos des deux gammes pentatonique et heptatonique, les travaux du musicologue suisse, formé à Dresde, Alexandre Dénéréaz (1875-1947), auteur d’une étude sur la gamme mise en relation avec les structures musicales de notre système solaire. Le tableau suivant montre, pour la gamme de Ré, les trois modes principaux, phrygien, lydien (ascendant) et dorien (descendant). Constatant que l’accord parfait est formé par une quinte et une tierce mineure et que ces intervalles sont dans le rapport du Nombre d’Or, il montre que le même rapport existe entre la distance Uranus-Neptune : Encore plus significative est la succession de ces quatre planètes par rapport au Soleil, si on les étudie sur un monocorde mesurant 1 mètre et en prenant la distance Terre-Soleil comme unité. On arrive à la répartition suivante : Les quatre planètes géantes forment un tétracorde diatonique Lydien. Le fait que le Soleil tombe sur FA# est très intéressant. Il signifie deux choses : premièrement, cela montre la plus simple et la plus proche modulation (à une quinte), celle du Sol majeur. Le Soleil, l’astre de vie et de dynamisme, ouvre la porte au dynamisme essentiel de la musique, qui est la modulation tonale. La distance Neptune-Soleil ou Do-Fa# est la quarte augmentée (le « triton »), où Fa# est le centre de symétrie de la gamme et définit la plus grande tension harmonique qui demande résolution sur la tonique. 44 Voilà, dit en passant, une recherche qu’il serait sans doute passionnant de poursuivre pour les Transsaturniennes et pour les Transneptuniens ! La conclusion de Vlaicu Ionescu à ce propos : Les démonstrations de Dénéréaz suffisent à montrer que le Grand Thème, qui a obsédé les grands penseurs depuis les Védas ou la Chine antique jusqu’à Kepler, et qui est présent d’une manière plus ou moins occultée aussi dans l’Apocalypse, n’est pas abandonné aujourd’hui, malgré l’opinion dominante des cercles académiques du scepticisme réductionniste. L’analogie entre la structure de l’homme, bâti entièrement sur les proportions du Nombre d’Or (microcosme) et l’univers (macrocosme) par la médiation de la musique, est un problème essentiel pour notre orientation ontologique et ne peut pas disparaître pour satisfaire le plaisir des sceptiques dogmatiques.79 Ici, Vlaicu Ionescu ajoute en note qu’il a trouvé lui-même une solution personnelle, incluant Pluton ainsi que les périodes de révolution, et que cela trouvera place dans un ouvrage qui devrait paraître l’année suivante (soir en 1995) sous le titre Les Fondements néo-pythagoriciens de la Musique. A notre connaissance, cet ouvrage n’a pas été publié à ce jour (mai 2016). A propos des Transsaturniennes, Vlaicu Ionescu précise qu’il y aurait, chez saint Jean lui-même, des allusions à ces planètes : En étudiant les allusions aux planètes, nous avons été frappé par une chose inattendue. Il nous semble que le génie inspirateur de saint Jean lui a dicté aussi des allusions aux planètes transsaturniennes. Mais comme j’avais déjà eu un choc semblable quand j’ai découvert les quatrains nostradamiens sur les trois planètes, la découverte concernant l’Apocalypse de saint Jean m’a moins troublé. Car, s’il s’agit d’une véritable révélation, alors l’argument que saint Jean ne pouvait avoir que les connaissances astronomiques de son temps ne tient plus. Le seul problème qui reste est de croire ou non que saint Jean eût été lui-même conscient des implications cachées dans son texte. Et cela est secondaire.80 Pour Vlaicu Ionescu, Neptune est la planète des grandes antinomies : Harmonique et bien disposée, elle est la planète de la Divinité. Elle donne la disposition mystique et métaphysique, les dons de clairvoyance et de prévision, l’amour platonique, l’idéalisme et surtout l’aptitude à l’ascèse, à la méditation, à la prière et au sacrifice, c’est-àdire aux moyens de réalisation spirituelle. Une œuvre comme l’Apocalypse est elle-même le produit d’un esprit par excellence neptunien, dans le sens le plus « harmonique » et élevé de cette planète. Au contraire, Neptune dissonant donne une mentalité chaotique, utopique et même la folie. Sur le plan mondial, c’est l’utopie et la révolution communiste. On sait combien l’évolution du communisme a été marquée par la rencontre dissonante Saturne-Neptune.81 Or, ces deux faces contradictoires de Neptune sont évoquées précisément au moment de l’ouverture du septième sceau par l’Agneau : Et quand l’Agneau ouvrit le septième sceau, il se fit un silence dans le ciel, pendant une demi-heure. (Ap 8 :1). Silence qui appelle une remarque témoignant de la connaissance de la tradition hésychaste par Vlaicu Ionescu : La condition pour recevoir Dieu et pour qu’Il se manifeste dans l’âme est avant tout ce silence intérieur qui est à la base du Yoga et de la tradition initiatique byzantine ou Hésychasme (du grec hésychasein, être tranquille). Ce que Denys l’Aréopagite nomme « les ténèbres plus que lumineuses du Silence » dans l’esprit de la théologie apophatique propre à 79 IONESCU Vlaicu, « Saint Jean Pythagoricien », Atlantis, n° 380, p. 130. Ibid., p. 131. 81 Ibid., p. 133. 80 45 l’esprit orthodoxe. On trouve ces mêmes ténèbres du Silence chez saint Jean de la Croix et chez d’autres mystiques, y compris chez Nostradamus82 : « Et vuidant l’âme, l’esprit et le courage de toute cure, sollicitude et fascerie, par repos et tranquillité de l’esprit. » Nostradamus, Épître. LA GESTE DU GRAND MONARQUE Nous terminerons cette introduction à l’œuvre de Vlaicu Ionescu par la présentation de quelquesunes de ses dernières interprétations de divers passages de Nostradamus ayant trait à ce qu’on pourrait appeler la « Geste du Grand Monarque ». La Seconde Partie du volume I de la Tétralogie, qui devrait réunir l’intégralité des travaux de Vlaicu Ionescu consacrés à Nostradamus, s’achève par l’annonce de diverses prophéties sur le XXIe siècle et au-delà. Les thèmes annoncés sont les suivants : Le Grand Monarque de France et la crise du Catholicisme • Invasions asiatiques et la destruction de Jérusalem • Restauration du Grand Pape • La ruine de Jérusalem • Les forces asiatiques repoussées par l'alliance du Grand Monarque • Dernières prédictions sur le Grand Monarque et sur le Grand Pasteur. Les tribulations provoquées par le dernier Antéchrist, sa défaite et le commencement du Millénium de Paix. Et le chapitre XX du volume III de la Tétralogie concerne, lui aussi, l’épopée du Grand Monarque, avec les rubriques suivantes : La naissance du Grand Monarque • Son origine • La date du couronnement • La fin du Grand Monarque • Ses ennemis et sa riposte • La crise de la papauté et les troubles d’Italie • La sédition antichrétienne et l’invasion de l’Italie • La campagne du Grand Monarque dans l’Italie • La réinstallation du Grand Pape • Conclusions. Dans les Dernières victoires de Nostradamus, trois chapitres développent cette Geste du Grand Monarque. A la fin du chapitre consacré aux « bouleversements en Russie », Vlaicu Ionescu précise qu’à ses yeux la Troisième guerre mondiale a bien eu lieu, sous la forme inédite de la Guerre froide, mais que, pour autant, subsiste le spectre d’un autre conflit, de grande envergure, qui nous attend dans un proche avenir. Le chapitre suivant s’intitule « Un proche avenir bien sombre » et semble concerner particulièrement les premières décennies du XXIe siècle, si l’on en croit la rubrique de présentation : Où l’on verra le successeur de Jean-Paul II confronté à un antipape, une puissante invasion islamoasiatique ravager l’Occident et détruire Jérusalem, le rétablissement de la monarchie en France, et l’Amérique en plein déclin voler (un peu tardivement mais sûrement) à notre secours avant de sombrer, trop attachée aux richesses de ce monde, en pleine décadence. Il y a bien là de quoi méditer sur ce scénario prévisionnel. Vlaicu Ionescu rappelle que l’éclaircissement des Prophéties s’opère au fur et à mesure que celles-ci sont en train de se réaliser dans l’Histoire – conception « classique », qui est partagée également par Raoul Auclair. Mais l’exégète roumain ajoute que Nostradamus lui-même a précisé quand aura lieu le temps où toutes les Prophéties pourront être comprises : cinq cents ans après leur publication, ce qui renvoie au milieu du XXIe siècle. Alors le Prophète sera plus apprécié et soudainement les Centuries deviendront claires : III-94 De cinq cents ans plus compte l’on tiendra Celui qu’était l’ornement de son temps : Puis à un coup grande clarté donra, Qui par ce siècle les rendra très contents. Traduction - Après cinq siècles, on appréciera encore davantage celui (le Prophète) qui était l’ornement de son temps. Soudain, ses écrits seront clarifiés, ce qui satisfera grandement les gens de cette époque.83 Vlaicu Ionescu voit dans le choix du terme ornement une anagramme limpide : L’ORNEMENT = L’OR NE MENT 82 83 Ibid., p. 134. Dernières victoires de Nostradamus, p. 208. (pas) 46 L’or étant cette pierre philosophale prophétique que Nostradamus est parvenu à réaliser. C’est alors que Marie-Thérèse de Brosses signale que le calcul suggéré par Nostradamus permet de déduire qu’à partir de l’an 2065, l’homme pourra savoir ce qui l’attend jusqu’en 3797, date limite que Nostradamus a lui-même assignée à ses prédictions. Ce à quoi Vlaicu Ionescu répond que si le siècle prochain apporte la clarification de tous les écrits nostradamiens, même les quatrains concernant un futur éloigné seront compréhensibles. Réponse qui nous apparaît bien étrange de la part de Vlaicu Ionescu, et même contraire à certaines de ses affirmations relatives au cryptage des dates présentes dans les textes nostradamiens, ainsi qu’au fait que les Prophéties ne s’éclairent qu’au fur et à mesure du dévoilement historique. En outre, il faut garder à l’esprit qu’une des impossibilités d’exégèse du futur tient au fait que les noms propres des futurs acteurs de l’Histoire ne sont pas connus à l’avance : on ne saurait parler du chancelier Hitler avant 1933, ni de la bataille de Stalingrad avant 1943 – pas plus que de Vladimir Poutine avant le 8 août 1999 ou de Daech avant le printemps 2014… D’ailleurs, juste après ce singulier acquiescement de Vlaicu Ionescu aux propos de Marie-Thérèse de Brosses, le commentateur de Nostradamus vient rappeler que s’il est relativement possible de retrouver l’Histoire déjà révolue dans Nostradamus, il est terriblement aventureux de vouloir jouer les prophètes en affirmant que tel quatrain doit s’expliquer à tel moment à venir. Toutefois, Vlaicu Ionescu admet avoir déjà réussi à situer dans un futur relativement proche des quatrains mentionnant une conjoncture planétaire permettant de prédire la naissance du Grand Monarque ou la date probable de son couronnement. Après ces considérations générales, les chapitres suivants des Dernières victoires de Nostradamus présentent des quatrains relatifs à des événements qui devraient avoir lieu durant les premières décennies du XXIe siècle. A la lecture de ce massif prévisionnel centré sur la Geste du Grand Monarque et du Grand Pape, une chose nous a particulièrement frappé. Ce livre, nous l’avons lu lors de sa parution, en 1993, et, à cette époque, la conjoncture historique d’alors ne semblait aucunement se prêter à rendre probables, sinon vraisemblables, les prévisions que Vlaicu Ionescu tirait des textes nostradamiens qu’il analysait ici. Or, 23 ans plus tard, en 2016, la conjoncture historique a évolué de telle manière que c’est tout l’ensemble de ces prévisions qui devient vraisemblable dans le contexte actuel, et dont on peu même penser qu’il n’est pas insensé d’en considérer comme probable la réalisation. Une première prévision concerne des bouleversements relatifs à l’Église catholique romaine et au Vatican. Ce n’est rien moins que l’annonce d’un antipape, auquel sera confronté le successeur de JeanPaul II. Cette prévision repose sur l’analyse du quatrain V-92, que Vlaicu Ionescu situe après la mort du pape Pie XI : V-92 Après le siège tenu six-sept ans Cinq changeront en tel révolu terme Puis sera l’un esleu de mesme temps, Qui des Romains ne sera trop conforme. Traduction – Après qu’un des papes – Pie XI – aura tenu le Saint-Siège dix sept-ans, cinq papes se succéderont après ce terme final. Ensuite, quand le sixième sera venu, un autre aussi sera élu en même temps, qui ne ressemblera pas aux autres chefs de l’Église et ne respectera pas la tradition catholique romaine. Vlaicu Ionescu ajoute le propos suivant : Si mon interprétation est correcte, il se produira, après notre pape actuel [Jean-Paul II], de grands bouleversements au sein de l’Église. Deux papes seront élus en même temps, et le pape rival sera libidineux, dit le Prophète ! Je rappelle que les mots comme libidineux, luxurier, mérétrique, font toujours allusion à la Grande Prostituée, c’est-à-dire au communisme : cet antipape sera donc le complice des communistes.84 84 Les Dernières victoires de Nostradamus, p. 210. 47 On pourrait se demander si l’allusion au communisme ne pourrait concerner, dans la conjoncture actuelle qui est celle de la présence au Vatican de Benoît XVI et de François (Bergoglio), le mondialisme, considéré comme le successeur effectif du communisme au XXIe siècle. Le quatrain VI-26 évoque des révolutions en Italie qui forceront le Saint-Siège à changer de place et une durée de quatre ans est indiquée : VI-26 Quatre ans le siège quelque peu tiendra Un surviendra libidineux de vie : Ravenne, Pise, Veronne soustiendront Pour eslever [lire enlever] la croix du Pape envie. Traduction – Après qu’un pape tiendra le Saint-Siège dans de bonnes conditions quatre années et quelque, un autre pape surviendra, instaurant des réformes hérétiques et faisant alliance avec le communisme. Quelques centres de l’Italie soutiendront ce second pape dans sa cupidité d’arracher la croix au pape légitime. La croix : symbole de la succession légitime au trône de saint Pierre. Rappelons que George Bergoglio, devenu le pape François, a été élu au pontificat le 13 mars 2013 et intronisé le 19 mars suivant. Se pose ici un problème d’interprétation : Bergoglio est-il le « rival » ou celui qui sera confronté à un rival ? Quant aux noms de lieux – Ravenne, Pise, Vérone – il est bien possible qu’ils fassent allusion à autre chose qu’à des villes d’Italie ; peut-être pourraient-ils servir à désigner d’autres Églises nationales ou autres. Nous voyons ici comment une prévision faite par Vlaicu Ionescu en 1993 semble bien être en cours de réalisation une vingtaine d’années plus tard. Et comme Vlaicu Ionescu estime que la naissance du Grand Monarque a eu lieu au moment de l’éclipse de Soleil du 11 août 1999, ce personnage appelé à dominer la scène dans de grands affrontements dont l’Europe sera le théâtre, devrait être âgé actuellement de dix-sept ans et susceptible d’entrer en action d’ici quelques années déjà. Vlaicu Ionescu situe, dans une de ses réponses à Marie-Thérèse de Brosses, dans un avenir très proche le rétablissement de la monarchie en France, qui s’imposera du fait de la décadence du régime parlementaire français. Le « scénario » envisagé par Vlaicu Ionescu est celui d’une invasion de l’Europe par des forces asiatiques alliées aux musulmans, forces en provenance des régions d’Asie qui sont traditionnellement dominées par le signe de la Balance, c’est-à-dire : le Tibet, les territoires situés à l’est de la mer Caspienne, l’Afghanistan et la Chine. Vlaicu Ionescu évoque deux alliances qui se dresseront contre les envahisseurs : celle de la Russie et des États-Unis, d’une part ; d’autre part celle du roi de France et du Grand Pontife. Il est question aussi d’une dévastation d’Israël et d’une destruction de Jérusalem, le Saint-Sépulcre – le lieu le plus sacré de la religion chrétienne - étant totalement profané. L’Italie devrait connaître, avant même cette invasion, une révolution antichrétienne contraignant le Saint-Siège à s’établir ailleurs, avant d’être restauré par le Grand Monarque et le Grand Pontife. L’alliance entre l’Amérique et la Russie implique que ces deux pays se maintiennent comme superpuissances, ce qui est bien le cas aujourd’hui, du moins au point de vue militaire. Mais divers textes nostradamiens parlent, à propos de l’Amérique, d’une décadence, et Vlaicu Ionescu met le doigt sur une évolution des pensées de Nostradamus relatives à cette nation : Il y a une nette différence de ton entre les prédictions concernant le général Washington et la fondation des États-Unis, et celles faites pour l’Amérique moderne. Nostradamus ne cache pas sa joie en parlant du Thanksgiving : il apprécie hautement l’esprit chrétien de la Constitution américaine, axée sur la tolérance et le respect des droits de l’individu. Quoique profondément monarchiste (comme tout représentant de la pensée traditionnelle), on sent qu’il fait exception pour la république américaine car, dit-il, est d’Anglique géniture, c’est-àdire semblable à sa mère, la monarchie constitutionnelle d’Angleterre.85 Si le Sage de Salon témoigne dans plusieurs quatrains de son intérêt pour les découvertes scientifiques et techniques du monde moderne, il n’est guère enchanté par les répercussions des 85 Ibid., p. 226. 48 progrès de la science sur la mentalité du monde contemporain ; il multiple les avertissements sur les dangers et les malheurs qui seront le lot de l’homme moderne au terme de sa quête du profit et du confort. Et s’il met en garde contre le communisme et les autres utopies ou hérésies opposées à sa foi, il dénonce les séductions et l’excessif développement des puissances financières et économiques. Cette position nostradamienne, partagée par Vlaicu Ionescu, l’a été également par Alexandre Soljénitsyne qui n’a pas hésité, durant son exil aux États-Unis, à critiquer vertement les tares du monde occidental après avoir témoigné des horreurs du Goulag soviétique. Finalement, Nostradamus définit l’Amérique contemporaine par son capitalisme exacerbé et il déplore la perte de dignité de cette grande nation, évoquant d’ailleurs la perspective d’un krach financier. Nous ne nous étendrons pas ici sur les étapes de la Geste du Grand Monarque, telle que Vlaicu Ionescu les déduit de ses analyses des textes nostradamiens qui lui paraissent correspondre à cette histoire désormais assez proche de nous. Vlaicu Ionescu affirme catégoriquement que l’éclipse du 11 août 1999 correspond à la naissance de ce grand personnage, et il fait donc du thème de cette éclipse le thème natal du Grand Monarque, lui attribuant pour heure de naissance le moment où, dans le nord de la France, l’obscurité sera totale (entre 10h22 et 10h24), mais sans préciser le lieu de naissance. Comme Vlaicu Ionescu précise que le tracé de l’éclipse suit une ligne qui progresse de Cherbourg à Metz, un lieu symbolique possible pour cette naissance pourrait être l’abbaye de Royaumont, dans la forêt de Chantilly, abbaye fondée en 1228 par saint Louis. Les analyses de Vlaicu Ionescu le conduisent à penser que le futur roi de France appartiendra à une branche des anciennes maisons régnantes, probablement les Bourbons. Marie-Thérèse de Brosses estime sans doute ce scénario quelque peu « rétrograde » et trouve surprenant pour le XXIe siècle ce retour au vocabulaire de « forces antichrétiennes » et de « Barbares » : cela est sans doute moins surprenant depuis la prise de Mossoul par Daech et la proclamation, le 29 juin 2014, d’un califat islamique – celui-ci fût-il considéré, à juste titre, comme une hérésie par les autorités régulières de l’Islam. Vlaicu Ionescu rappelle que l’avènement d’un roi celtique qui rétablira l’Empire romain avant la venue du dernier Antéchrist avait effectivement été prédit longtemps avant Nostradamus, par saint Méthode, évêque et martyr sous l’empereur Dioclétien. Saint Augustin a résumé cette prédiction dans son traité sur l’Antéchrist et, au temps de Charlemagne, le savant abbé Alcuin la reproduira. Enfin, Vlaicu Ionescu se risque à supputer la date du couronnement du Grand Monarque comme roi et empereur (à Reims et à Aix-la-Chapelle), à partir de l’analyse du quatrain suivant : IV-86 L’an que Saturne en eau sera conjoinct Avecques Sol, le Roy fort et puissant, A Reims et Aix sera receu et oint, Après conquestes meutrira innocent. Traduction – Pendant une année où Saturne sera dans le Verseau ou dans un signe d’eau et conjoint au Soleil, le roi fort et puissant sera reçu à Reims et à Aix-la-Chapelle et recevra l’onction comme roi et empereur. Après ses conquêtes, le roi infligera une meurtrissure à une personnalité en réalité innocente.86 La datation de cette conjonction de Saturne avec le Soleil en eau peut renvoyer soit au signe du Verseau, soit à la triplicité des signes aquatiques (Cancer, Scorpion, Poissons). Vlaicu Ionescu retient comme probables les transits de Saturne en Verseau, soit dans les années 2051-2052, alors que le roi aurait 52 ans, soit dans les années 2022-2023, où il serait âgé de 23-24 ans – ce qui paraît la perspective la plus probable. C’est dire que les années 2017-2023 sont susceptibles de voir se préciser et se renforcer les conditions de l’apparition de ce dernier roi de France. 86 Dernières victoires de Nostradamus, p. 236 et ss. 49 Laissons enfin la conclusion à Vlaicu Ionescu pour bien se pénétrer de l’esprit dans lequel il exerce sa fonction d’exégète du Prophète de Salon de Provence : La Providence garde cachés ses desseins sur notre avenir. Si Nostradamus a été un porteparole de cette Providence, il n’a pas divulgué ou vulgarisé ses écrits d’une manière démocratique. Comme il le déclare lui-même, ces derniers ne pourront être explicités qu’au fur et à mesure que l’Histoire se manifeste, et seulement pour le proche avenir. (…) J’ai trop de scrupules pour céder à la tentation de donner libre cours à ma fantaisie en construisant un scénario plus ou moins soutenu par ma connaissance des textes et d’abreuver ainsi la soif de sensationnel des lecteurs avec des histoires spectaculaires, voire apocalyptiques.87 Charles Ridoux Amfroipret, le 22 mai 2016 BIBLIOGRAPHIE ACCART Xavier, Guénon ou le renversement des clartés, Edidit, Paris / Archè, Milano, 2005 AUCLAIR Raoul, Histoire et Prophétie, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1973. AUCLAIR Raoul, Les Centuries de Nostradamus, Paris, Ed. Des Deux Rives, 1958 (rééd. Nouvelles Editions Latines, 1975). BEHR-SIGEL Elizabeth, Le Lieu du cœur. Initiation à la spiritualité de l’Eglise orthodoxe, Paris, Cerf, 1989. BENAZRA Robert, Répertoire chronologique nostradamique, Guy Trédaniel & Editions de la Grande Conjonction, Paris, 1990. BRIND’AMOUR Pierre, Nostradamus Astrophile, Ed. Les Presses Universitaires d’Ottawa / Ed. Klincksieck, 1993 CHAULVERON, Nostradamus et la fin des temps - 1555-2027, Editions Bender, janvier 2016. CLÉMENT Olivier, « L’Église orthodoxe roumaine et le Buisson ardent, Réforme, n° 644 du samedi 20 juillet 1957. DOM NÉROMAN, Les Présages à la lumière des lois de l’Evolution, Editions Sous-le-Ciel, Paris, 1937. DRAGAN Radu, « Une figure du christianisme oriental du XXe siècle : Jean l’Etranger », Politica Hermetica, n° 20, 2006, p. 124-142. GETICUS, La Dacie hyperboréenne, Pardès, 1987 [Parme, 1984]. GUÉNON René, Formes traditionnelles et cycles cosmiques, Gallimard, 1970. HUTIN Serge, Les Prophéties de Nostradamus présentées et interprétées par Serge Hutin, Paris, Editions Pierre BelfondPoche, 1966. IONESCU Vlaicu et Marie-Thérèse de BROSSES, Nostradamus. Les dernières victoires de Nostradamus, Editions Filipacchi, 1993. IONESCU Vlaicu, Le Message de Nostradamus sur l'Ere prolétaire, Paris, Dervy-Livres, 1976. IONESCU Vlaicu, Nostradamus. L’Histoire secrète du monde, Paris, Editions du Félin, 1987. 87 Ibid., p. 212. 50 IONESCU Vlaicu, « Nostradamus et la Gnose », Atlantis, n° 301, Janvier-février 1979, p. 148-155. IONESCU Vlaicu, « Lacuria et l’idée de Trinité », Atlantis, n° 317, Novembre-décembre 1981, p. 89-100. IONESCU Vlaicu, « Nostradamus et les planètes trans-saturniennes », Atlantis, n° 325, Mars-avril 1983, p. 205-241. IONESCU Vlaicu, « Les soubresauts du communisme prophétisés par Nostradamus », Atlantis, n° 364, Hiver 1991, p. 114-133. IONESCU Vlaicu, « Nostradamus resurgens, ou le récent accomplissement d’une prophétie », Atlantis, n° 367, Automne 1991, p. 74-90. IONESCU Vlaicu, « Testament nostradamien en quatre vers », Atlantis, n° 386, Eté 1996, p. 377-386. IONESCU Vlaicu, « Saint Jean Pythagoricien. Quelques aspects numérologiques et cyclologiques de l’Apocalypse », Atlantis, n° 380, Hiver 1995, p. 108-137. IONESCU Vlaicu, « Un manuscrit inconnu de Newton sur le Grand Œuvre hermétique », Atlantis, n° 391, Automne 1997, p. 49-61. IONESCU Vlaicu, « Le Triangle du Mal d’après l’épître de Nostradamus. Le triumvirat Lénine-Trotski-Staline et l’Église orthodoxe », Atlantis, n° 392, Hiver 1998, p. 118-134. IONESCU Vlaicu, « Président Clinton. Le scandale « Monica » et l’aventure du Kososo sous le jugement de l’ironie nostradamienne », Atlantis, n° 401, 2e trimestre 2000, p. 278-287. LE PELLETIER Anatole, Les Oracles, Michel de Nostredame, Slatkine Reprints, Genève, 1969 (Réimpression de l'édition de Paris, 1867). LEROY Edgar, Nostradamus, ses origines, sa vie, son œuvre, Editions Jeanne Laffitte, Paris, 1972 (1993). LOSSKY Vladimir, Essai sur la théologie mystique de l’Église d’Orient, Ed. du Cerf, 1944. MÉTROPOLITE SÉRAFIM, Roumanie, tradition et culture hésychaste, Abbaye de Bellefontaine, Bégrolles-en-Mauges, 1987 et 1992. MUTTI Claudio, La grande influence de René Guénon en Roumanie, Akribeia, 2002 [Parme, 1998]. PALÉOLOGUE André , « Le renouveau spirituel du « Buisson Ardent », Connaissance des religions, n° spécial, avril 1990, p. 131. SERR J. et CLÉMENT Olivier, La Prière du cœur, Abbaye de Bellefontaine, Bégrolles-en-Mauges, 1977. URICARIU Doina, Vlaicu Ionescu The Artist / Pictorul, Bucarest, Universalia, 2012. VÂLSAN J.M., « A propos de l’hésychasme, Etudes traditionnelles, n° 411, 1969, pp.26-30. VÂLSAN J.M., « Etudes et documents d’hésychasme », Etudes traditionnelles, n° 406-408, 1968, pp. 153-179. VÂLSAN J.M., « L’initiation chrétienne. Réponse à M. Marco Pallis », Etudes traditionnelles, n° 389-390, 1965, pp. 148-184. VÂLSAN J.M., « Mise au point », Etudes traditionnelles, n° 406-408, 1968, pp. 142-152. VÂLSAN Michel, « Etudes et documents d’hésychasme », Etudes traditionnelles, n° 406-407-408, mars-août 1968, p. 153179. VASILIU A., « André Scrima, l’étranger « , Contacts, 2004, p. 211-222. VELIKOVSKY Immanuel , Mondes en collision, (Worlds in Collision, 1950), Ed, Le Jardin des Livres, 2004. VOICAN Gelu, René Guénon, un marturisitor al Predaniei (René Guénon, un témoin de la Tradition), Editura Georgiana, Bucarest, 1994. VOLKOFF Vladimir, Le Berkeley à cinq heures, Editions de Fallois / L’Âge d’Homme, 1993. 51 Annexes Nous présentons en Annexes notre article sur les « Trois témoins de la Tradition »88 - Jean Phaure, Raoul Auclair, Vlaicu Ionescu – qui date de novembre 2003, une étude de quelques thèmes astrologiques relatifs à Vlaicu Ionescu, enfin un entretien que nous avons eu en 2003 avec Silvia Chitimia à propos des destinées de la Roumanie et des relations entre astrologie mondiale et cyclologie. Nous réservons pour notre revue Etudes astrologiques une étude sur la question de la découverte des Transaturniennes, qui fut à l’origine de notre propre relation à l’œuvre de Vlaicu Ionescu et à l’univers nostradamien. Trois Témoins de la Tradition Voir document PDF ci-joint : http://ridoux.fr/spip/IMG/pdf/-108.pdf Entretien avec Silvia Chitimia sur la Roumanie (2003) Silvia Chitimia (né en 1949), attachée à l’Institut de folklore et auteur d’une thèse de doctorat sur les « Symboles traditionnels dans le folklore roumain », a à son actif de nombreux écrits de caractère ethinographique et elle a traduit, en 1992, des extraits de deux ouvrages de René Guénon (Le Règne de la quantité et Autorité spirituelle et pouvoir temporel). Nous avons eu l’occasion de lui accorder, le 19 mai 1996, un entretien qui portait, en première partie, sur des analyses astrologiques concernant le dernier trimestre 1996 pour le monde en général et pour la Roumanie en particulier. Une second partie de l’entretien, que nous reprenons ici, était en rapport avec Nostradamus et son interprète roumain, Vlaicu Ionescu. La lecture de Nostradamus peut-elle éclairer notre connaissance de l’année 1996 ? La question de Nostradamus nous fait quitter le domaine de l’astrologie mondiale pour aborder l’approche cyclologique de l’histoire et le domaine de la prophétie. Personnellement, je ne me sens aucune compétence pour parler de Nostradamus. J’ai même longtemps considéré le sage de Salon-deProvence comme un personnage douteux jusqu’au jour où j’ai eu l’occasion de lire à son sujet les remarquables interprétations qu’en donne votre compatriote Vlaicu Ionescu dont j’ai lu avec passion les deux ouvrages.89 Je serais tenté de concevoir les rapports entre l’astrologie mondiale et la cyclologie en référence au symbolisme de la Croix. L’astrologie mondiale est du ressort de l’horizontale ; les cycles planétaires se déroulent dans la continuité, s’emboîtant les uns les autres dans un déroulement indéfini ; tous les cinq siècles environ, une nouvelle phase, ponctuée par les conjonctions Neptune-Pluton, vient scander l’histoire des civilisations. Sous cet angle, on pourrait considérer que la phase actuelle, et en particulier la période qui va s’ouvrir immédiatement après 1997, pourrait être très prometteuse et très faste, amenant un grand renouveau expansif de la société mondiale, qui pourrait s’étendre jusque vers le milieu du XXIe s. Cette branche horizontale nous permet de comprendre l’histoire d’un point de vue géocentrique et anthropocentrique, et, le plus souvent, l’interprétation qui en est faite repose sur une idéologie du progrès et de l’évolution qui résulte de l’esprit des Lumières et de la rationalité scientifique occidentale. La cyclologie introduit, avec la verticale, l’irruption du transcendant dans le cours de l’histoire de notre humanité ; elle vient en quelque sorte rappeler que notre centre véritable n’est pas en ce monde et que ce qui nous paraît le plus stable est sujet à des bouleversements. C’est elle qui vient nous ouvrir au sens de la discontinuité, nous rappelant, conformément aux termes de l’Apocalypse de saint Jean (21 : 1), qu’un « nouveau ciel » et une « nouvelle terre » sont promis pour la « fin des temps ». On pourrait rapprocher ce passage de ce qui est dit ailleurs relativement à des basculements des pôles terrestres qui ont pu se produire lors de cataclysmes antérieurs. Dans cette perspective, qui est celle de toutes les grandes traditions de l’Ancien comme du Nouveau Monde, l’histoire est perçue comme une involution, comme une descente jusqu’à un point de basculement qui restaure l’ordre des choses avec 88 Présentée en document PDF séparé. IONESCU Vlaicu, Le Message de Nostradamus sur l'Ere prolétaire, Paris, Dervy-Livres, 1976 ; L'histoire secrète du monde, Paris, Ed. du Félin, 1987. 89 52 le départ d’un nouveau cycle. La verticale nous maintient dans l’attente eschatologique qui, pour les chrétiens, est l’attente de la Seconde Venue du Christ, dans la gloire. Dans cette perspective, la lecture des textes de nombreuses traditions et l’étude, notamment, des textes prophétiques de l’Ancien Testament et de l’Apocalypse - telle que l’a menée, par exemple, un Raoul Auclair - ainsi que la manifestation, dans notre monde actuel, d’un certain nombre de « signes des temps », inclinent à penser que la fin du cycle actuel pourrait être proche, démentant les perspectives apparemment brillantes offertes par la vision évolutive. Il est difficile d’articuler ces deux points de vue contradictoires. Il me semble que les deux logiques sont à l’oeuvre : une logique « exotérique », qui prend le monde tel qu’il est, dans son apparente opacité ; et une logique « ésotérique » qui perçoit, derrière ces apparences, le monde tel qu’il est appelé à se « transfigurer ». La ligne horizontale ne comporte pas en elle-même les indications relatives à l’irruption du transcendant ; et pour ce qui est de la ligne verticale, il est bien dit que seul le Père connaît le jour et l’heure. Pour ma part, j’essaie de pratiquer l’astrologie mondiale selon les lois propres à son niveau, qui est celui de l’horizontale, tout en demeurant dans la conscience de la verticale transcendante et dans l’attente joyeuse du Royaume. La lecture qui est faite généralement de Nostradamus semble souffrir d’une absence de cette dimension joyeuse de l’attente eschatologique. La vision des terribles fléaux qui accompagnent la fin des temps et ce moment très particulier de l’histoire qu’est le « Jour de Yahvé » suscitent, de façon bien compréhensible, l’épouvante ; mais le Christ appelle ses fidèles à se réjouir quand les signes de la fin des temps se manifesteront, car ils témoignent de la proximité du Royaume. Il convient donc de se garder avant tout de toute utilisation spectaculaire de Nostradamus, de donner dans le « sensationnel », et d’éviter par ailleurs de cultiver par trop le « frisson esthétique » qui peut naître du spectacle grandiose des horreurs de la fin des temps. Vlaicu Ionescu laisse entendre que la Roumanie serait appelée à jouer un rôle particulier dans cette phase de l’histoire du monde. Qu’en pensez-vous ? Je ne sais pas s’il est possible de déduire de la lecture de Nostradamus des prédictions précises relatives au rôle de la Roumanie dans la fin de l’ « ère prolétaire » et ce qui vient après. Ayant lu l’ouvrage de Geticus intitulé la Dacie hyperboréenne, je crois que la Roumanie peut être effectivement porteuse d’éléments traditionnels parmi les plus vénérables et les plus précieux. Mais, dans la mesure où la lumière attire l’ombre et où la fin du cycle se caractérise par l’inversion généralisée des valeurs, il existe aussi dans votre pays des éléments obscurs, peut-être parmi les plus redoutables, comme l’a montré le régime de Ceaucescu et son horrible fin. Par ailleurs, le sens cosmique qui caractérise, me semble-t-il, l’orthodoxie roumaine, conjointement à cet héritage de la Dacie hyperboréenne, peut apporter beaucoup à un ressourcement du christianisme dans sa triple dimension qui relie le microcosme, le macrocosme et le métacosme, et qu’expriment les Rois Mages ou la haute figure de Melchissédec. C’est dans cette direction qu’il serait en tout cas souhaitable de voir se développer le nouvel esprit religieux que l’on pressent à l’orée du nouveau millénaire, plutôt que dans les élucubrations du « New Age » et d’une « Ere du Verseau » qui rêve de débarrasser ce monde du christianisme après deux mille ans d’ « Ere des Poissons ». L’astrologie mondiale et la cyclologie peuvent-elles fournir des indications sur l’évolution du monde au cours des vingt prochaines années ? Il est toujours hasardeux de prédire la tonalité du siècle futur. Victor Hugo, dans La Légende des siècles a dit à propos du XXe s. des bêtises que l’on pourrait qualifier de monumentales, à la dimension de son génie poétique, alors que la lecture de Chateaubriand témoigne d’une lucidité et d’une acuité de vues surprenantes sur le monde actuel. Nous avons sur ces illustres visionnaires de l’histoire l’avantage de disposer des lumières fournies par la théorie des cycles, ce qui permet de poser des jalons dans l’avenir. Si l’on en croit les indications des indices cycliques (ceux d’André Barbault, de Claude Ganeau ou de Gustave-Lambert Brahy), le début du prochain siècle devrait être une période de grande expansion et le passage de Pluton en Sagittaire pourrait accompagner de profondes mutations sur le plan religieux et philosophique. Mais cela peut s’appliquer aussi bien à un ressourcement du christianisme qu’à la profusion de spiritualités dévoyées. L’astrologie ne me semble pas à même de dire si les défis auxquels se trouve confronté le monde à tel ou tel moment de son histoire seront surmontés de façon positive ou négative ; elle a le mérite, cependant, de signaler les moments-clés de cette histoire et d’indiquer sommairement la nature des défis en question. 53 Je m’en tiendrai à deux points qui me paraissent « lisibles » pour les années à venir. Il est probable que la politique internationale va s’orienter vers une nouvelle polarisation, confrontant les Etats-Unis avec la Chine. Ces deux puissances, qui se sont déjà affrontées par forces interposées durant la guerre du Vietnam, lors de la conjonction Uranus-Pluton de 1965, vont être touchées par de puissants transits d’Uranus et de Pluton dans leurs thèmes respectifs. En 1998-1999, Pluton transitera l’Uranus des Etats-Unis et en 2004-2005, il activera le carré Mars-Neptune, qui est un point sensible de ce thème : ce sont là des périodes durant lesquelles les relations sino-américaines feront sans doute la une des journaux. Ensuite, l’étude de ce cycle Uranus-Pluton et l’examen des thèmes nationaux des principaux Etats du monde actuel m’ont amené à prendre conscience de l’importance de l’année 2013, qui connaîtra un carré Uranus-Pluton dans la zone de 7° à 9° de l’axe Capricorne-Bélier. Un très grand nombre de thèmes nationaux, incluant ceux de toutes les grandes puissances, se trouvent impliqués dans cette configuration. De ce simple constat, il me semble que, sans entrer dans les détails, on peut induire que cette année sera sans doute marquante dans le monde entier. J’ai le sentiment que ce sera la prochaine grande échéance après la dernière que le monde a connue avec l’année 1989. Je signale que, pour la Roumanie, le thème de la République populaire de 1947 est partie prenante dans ce contexte, avec un Soleil à 7° Capricorne et l’Ascendant à 7° Bélier. Sur le plan de la cyclologie, dans la perspective des approches d’un Raoul Auclair, d’un Jean Phaure ou d’un Vlaicu Ionescu qui ont mis en valeur la dimension eschatologique de la période de 72 ans qui s’étend de 1917 à 1989, et muni des indications de René Guénon et de Gaston Georgel relativement à l’importance de la date de 2031, je suis amené à attirer l’attention sur le fait que 2013 se trouve, dans la période de 42 ans qui sépare 1989 de 2031, à un point tournant du septénaire (4 x 6) + (3 x 6). On pourrait lire symboliquement ce tournant comme un passage de la Terre (la quaternité) au Ciel (la trinité), ce symbole étant susceptible, bien entendu, de lectures à plusieurs niveaux. Pouvez-vous nous dire quelques mots de votre carrière professionnelle et de votre parcours intellectuel ? J’ai une double vocation de médiéviste et d’astrologue. J’enseigne la littérature française du Moyen Age à l’Université de Valenciennes et je suis en train de rédiger une thèse consacrée à « l’évolution des études médiévales en France de 1860 à 1914 », c'est-à-dire à la période où de grands érudits du siècle dernier, des gens de la dimension d’un Gaston Paris ou d’un Joseph Bédier, ont véritablement fondé notre discipline. En fait, ma véritable vocation, c’est l’histoire ; et je retrouve l’histoire aussi bien dans mes recherches comme médiéviste que dans mon activité dans le domaine de l’astrologie mondiale que j’ai découverte grâce aux travaux d’André Barbault à qui nous devons d’avoir solidement ancré cette branche de l’astrologie sur l’étude des cycles planétaires. C’est devenu aujourd’hui une évidence ; cela ne l’était pas il y a soixante ans, quand il a commencé à suivre l’actualité dans les années qui ont précédé immédiatement la Seconde Guerre mondiale. Dans ce domaine, j’ai élargi mon horizon et approfondi mes connaissances en traduisant d‘anglais en français un ouvrage dû à trois auteurs - Charles Harvey, Nicholas Campion et Michael Baigent - et qui constitue, je crois, la meilleure synthèse disponible à l’heure actuellement.90 J’ai entrepris pour ma part une étude sur les cycles des planètes lentes, sur la longue durée historique - douze cycles NeptunePluton qui s’étendent de 3000 ans av. J.-C. à 3000 ans ap. J.-C. - en m’appuyant, pour l’histoire des civilisations, sur l’oeuvre du grand historien anglais Arnold J. Toynbee. Mon parcours intellectuel a été, très globalement, celui d’un chrétien occidental confronté au bouleversement des valeurs et au déboussolement des élites traditionnelles. Etant né à Fribourg, en Suisse, ma formation intellectuelle s’est faite au carrefour de trois horizons culturels - le français, l’allemand et le russe. Si la France m’a donné surtout le sens de l’histoire, la musique allemande, classique et romantique, a imprégné profondément ma sensibilité, tandis que mon âme s’est ouverte dès l’adolescence, par la connaissance du monde russe grâce à la lecture des grands romanciers du siècle dernier, à la spiritualité orthodoxe. Vers le milieu des années 1960, alors que je vivais dans un village du Jura suisse, au milieu d’une vallée entourée de forêts de sapins, j’ai vécu douloureusement l’effondrement de la vie villageoise avec la généralisation de la voiture et de la télévision qui ont amené chacun à se replier sur sa vie individuelle, tout en ayant l’illusion de « se libérer ». Le concile Vatican II, qui a eu pour principal effet de vider les églises de leurs fidèles sous prétexte de s’ouvrir au 90 BAIGENT Michael, CAMPION Nicholas, HARVEY Charles, Mundane Astrology, Thre Aquarian Press, Wellingborough, 1984. - Traduit en français par Charles RIDOUX sous le titre : Astrologie mondiale, Paris, Editions du Rocher, 1995. 54 monde, m’a détaché de l’Eglise catholique sans assouvir ma soif de trouver un sens à ma vie. Bien qu’ayant lu à ce moment les ouvrages d’Evdokimov et de Berdiaev, ma rencontre effective avec l’orthodoxie ne s’est produite que beaucoup plus tard, après des années d’errance. Le lecture de René Guénon a constitué, pour moi comme pour bien d’autres, un véritable déclencheur d’un retour à la pratique religieuse ; durant un été, j’ai lu toute son oeuvre, que je continue à relire petit à petit. Dans la foulée est venue la découverte de l’astrologie, puis de la cyclologie, grâce à la lecture de l’oeuvre fondamentale de Jean Phaure, Le Cycle de l’Humanité adamique91. Il sera bon, sans doute, de rappeler au public roumain que c’est Jean Phaure qui a préfacé, en 1976, le premier ouvrage de Vlaicu Ionescu sur Nostradamus et qui l’a fait connaître en France ; et c’est également grâce à la collaboration entre Jean Phaure et Paul Barba-Negra que nous disposons de quelques admirables films sur des hauts-lieux traditionnels tels que Notre-Dame de Paris, le Mont-Saint-Michel, la cathédrale de Reims, Versailles. Charles Ridoux Paris,19 mai 1993 91 Phaure Jean, Le Cycle de l’humanité adamique, Dervy-Livres, 1973 ; Les Portes du IIIe millénaire, Editions Ramuel, 1994.