renforcée sans aucun doute par l’écroulement partiel (et provisoire ?) des « langues de bois »
auquel on assista en France en mai 1968, c’est-à-dire au moment où les romans écrits à la
suite du coup d’Etat arrivaient au stade de la publication. C’est d’ailleurs également autour de
1968 que commencèrent à paraître, chez l’éditeur « engagé » François Maspéro, les premières
études universitaires sur cette littérature, dans la collection dirigée par Albert Memmi.
S’il fit fuir ou emprisonna les intellectuels à son arrivée, le nouveau pouvoir en comprit
cependant très vite l’enjeu et tenta d’abord de susciter une littérature dirigée, grâce à une
maison d’édition nationalisée, la SNED, devenue plus tard ENAL, et à une revue culturelle du
Ministère de l’Information et de la Culture, Promesses, dirigée par Malek Haddad (19
numéros parus, de 1969 à 1974). Le grand mot était alors l’« authenticité », au nom de
laquelle des concours de création furent même lancés, qui visaient à produire une littérature
commémorative de la guerre, dans laquelle le peuple était nécessairement uni contre le
méchant colon, derrière les valeureux héros de la Révolution. Force est de constater que les
romans publiés dans cet esprit (Salah Fellah, Les Barbelés de l’existence, 1967, Ahmed
Aroua, Quand le soleil se lèvera, 1969, Leïla Aouchal, Une autre vie, 1970, Ahmed Akkache,
L’Evasion, 1973, Rachid Mimouni, Le Printemps n’en sera que plus beau, 1978, Yamina
Mechakra, La Grotte éclatée, 1979, Châbane Ouahioune, La Maison au bout des champs,
1979, Amar Metref, La Gardienne du feu sacré, 1979, Mouhoub Bennour, Les Enfants des
jours sombres, 1980) furent assez peu nombreux et que leurs auteurs, mis à part Rachid
Mimouni dont Le Printemps n’en sera que plus beau n’est que rarement signalé depuis que
son auteur a publié à Paris des textes bien moins maladroits, ne sont pas restés dans le
Panthéon des Lettres algériennes... Surtout, ces romans ne passionnaient pas les foules, et
s’entassaient donc sur les rayons des librairies nationalisées, cependant que leurs lecteurs
potentiels répondaient à une enquête sur la lecture que j’avais faite alors (voir ma Littérature
algérienne et ses lecteurs, 1974), que la littérature nationale les intéressait peu parce que ses
thèmes dominants étaient la guerre et la description des villages. Pourtant cette littérature de
commémoration épique devait produire quelques années plus tard un écrivain de la guerre
dont il faut reconnaître le souffle même s’il n’a pas ébranlé le fonctionnement littéraire
algérien : Azzedine Bounemeur (Les Bandits de l’Atlas, 1983, Les Lions e la Nuit, 1985,
L’Atlas en feu, 1987, Cette Guerre qui ne dit pas son nom, 1993).
Cette époque sera donc celle où l’écrivain, principalement de langue française, sera interpellé
par un public déçu par l’Indépendance, et qui attendra de lui les mots pour dire son mal-être,
ses aspirations rentrées. La semi-extranéïté de l’écrivain de langue française, surtout lorsqu’il
est reconnu par l’institution littéraire internationale tout en restant une sorte de porte-parole
des siens, lui permet en effet d’échapper à une sorte de consensus obligatoire, de norme qui
régit la communication à l’intérieur du groupe. On attendra de lui la parole que de l’intérieur
du cercle on ne peut énoncer, tout en la réclamant.
Ce qu’on a pu appeler une seconde naissance du roman algérien à la fin des années soixante et
surtout au début des années soixante-dix procède donc d’emblée d’une dynamique de rupture,
dont la manifestation la plus connue est La Répudiation (1969) de Rachid Boudjedra. Ce texte
sera en effet la manifestation scandaleuse des deux paroles indicibles dans le système clos du
discours algérien convenu : celle de la sexualité et celle de la mémoire. Ce roman a surtout été
perçu comme une violente dénonciation de l’hypocrisie sexuelle du « Clan » des commerçants
qui détient le pouvoir, « allié aux mouches et à Dieu », et a participé à créer l’image qui fut
longtemps celle du roman maghrébin dans les années 70 : celle d’un espace pour les paroles
illicites, ou simplement pour la dénonciation. On verra donc dans ces années 70 surgir de
nouveaux écrivains portés par cette attente contestataire d’une jeunesse souffrant de la clôture