No 10 / Octobre 2015 03
Comment expliquer l’engouement
autour de l’immunothérapie ?
« Presque la moitié du contenu des con-
grès en cancérologie est aujourd’hui
consacrée à l’immunothérapie. Cet en-
thousiasme est lié aux résultats cliniques
des anti PD1 et anti PD-L1. En effet, ces
nouvelles immunothérapies permettent
de diminuer la taille de tumeurs dans de
nombreux types tumoraux : mélanome,
cancer pulmonaire, cancer du rein, de la
vessie, tumeur des voies aérodigestives
supérieures, cancer de l’estomac, cancer
du sein triple négatif... Le taux de réponse
est variable mais peut monter jusqu’à
85 % dans les maladies de Hodgkin ou
60 % dans les cancers colorectaux MSI+.
Au-delà du spectre d’activité impression-
nant de ces nouveaux traitements, cet
engouement s’explique aussi par la durée
des réponses observées qui peuvent per-
sister à l’arrêt du médicament. Cela est lié
à la « mémoire » du système immunitaire
et est en rupture complète par rapport
aux réponses observées sous thérapies
ciblées, pour lesquelles l’échappement
de la tumeur est systématique à court ou
moyen terme.
Enfin, et surtout, les études de phase III
dans le mélanome et le cancer pulmonaire
“non à petites cellules” ont montré une
amélioration de la survie globale, ce qui
explique aussi l’impatience des cliniciens
concernant les résultats de ces molécules
dans les autres types tumoraux. Ces nou-
velles immunothérapies constituent une
vraie révolution dans les traitements con-
tre le cancer, comme les thérapies ciblées
ont pu l’être il y a quelques années. »
L’immunothérapie change-t-elle
les pratiques des oncologues ?
« Les anti PD1 et anti PD-L1 sont admin-
istrés de façon tout à fait habituelle pour
les oncologues : par voie intraveineuse,
toutes les deux ou trois semaines. Ce-
pendant, le mécanisme d’action de ces
molécules qui stimulent le système immu-
nitaire est vraiment différent de celui des
chimio thérapies ou des thérapies ciblées
dont les oncologues sont familiers.
Le raisonnement des cliniciens face aux
profils des réponses, aux toxicités ou encore
aux biomarqueurs est en train de changer.
Du fait de l’influx de lymphocytes dans la
tumeur, certains patients répondeurs peu-
vent présenter une « pseudo-progression »,
c’est à dire une augmentation initiale de
la taille tumorale, que les cancérologues
ne doivent pas confondre avec une réelle
progression. Les toxicités de ces molécules
qui se manifestent par des atteintes auto-
immunes des organes nécessitent une
prise en charge totalement nouvelle et
demandent un peu d’apprentissage de la
part des oncologues. Enfin, l’utilisation de
bio marqueurs immunologiques et leur in-
terprétation sont plus complexes encore
qu’avec les thérapies ciblées. »
Quels sont les biomarqueurs
actuellement utilisés et quelle est
leur place dans la pratique
aujourd’hui ?
« Les industriels qui développent les anti
PD1 et anti PD-L1 se sont particulièrement
intéressés au niveau d’expression de PD-
L1. L’idée est simple : plus la tumeur ou son
environnement expriment les ligands de
PD1, plus elle inhibe le système immuni-
taire et plus les anti PD1 et anti PD-L1 ont
de chances de renverser cette immunosup-
pression et de permettre une réponse anti-
tumorale. Les essais cliniques ont en effet
montré que les tumeurs PD-L1 positives
répondent plus fréquemment aux anti PD1
ou aux anti PD-L1.
Cependant, l’utilisation de ce test dans la
réalité quotidienne du clinicien est proba-
blement plus complexe car les tumeurs
PD-L1 positives ne répondent pas systé-
matiquement au traitement, alors que cer-
taines tumeurs PD-L1 négatives peuvent
répondre. De plus il n’existe pas à ce jour
de standardisation des tests PD-L1. Ces
raisons expliquent que les Autorisations
de Mise sur le Marché (AMM) dans le
mélanome et dans le cancer bronchique
ne dépendent pour l’instant pas du statut
PD-L1 de la tumeur. D’autres paramètres
sont également étudiés : taux et types
de lymphocytes infiltrant la tumeur, ex-
pression de gènes de l’immunité, charge
mutationnelle tumorale... À ce jour, les
raisons pour lesquelles une tumeur va
répondre à une immunothérapie restent
mal comprises. »
Comment ce domaine va-t-il évoluer
dans les années à venir ?
« Le développement des immunothérapies
en cancérologie est inévitable. Cependant,
l’identification de biomarqueurs robustes
est essentielle. Ces biomarqueurs sont
incontournables que ce soit pour le
développement de ces médicaments et
l’identification de nouvelles cibles immu-
nologiques, mais aussi pour définir les
stratégies thérapeutiques : choix du type
d’immunothérapie ou du traitement à as-
socier avec l’immunothérapie, choix de la
séquence de traitement par rapport aux
traitements conventionnels, chimiothéra-
pie, thérapie ciblée, radiothérapie, etc…
Le rôle des pathologistes sera donc majeur
dans la caractérisation de l’environnement
immunitaire péri- et intra-tumoral afin
d’établir un profil immunitaire du cancer.
Cette carte d’identité immunologique de la
tumeur sera fondamentale pour guider le
traitement des patients. »
Dr Stéphane Champiat,
oncologue au Centre
de lutte contre le cancer
Gustave Roussy de Villejuif
et spécialiste de l’immunologie
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